ARRÊT No
R.G : 06/03298
Société PROVIMI B.V
C/
E.A.R.L. LE PEU
GAUTIER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 29 OCTOBRE 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 06/03298
Décision déférée à la Cour : Jugement au fond du 11 septembre 2006 rendu par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BRESSUIRE.
APPELANTE :
Société PROVIMI B.V.
Dont le siège social est P.0. BOX 5063 NL 3008
AB ROTTERDAM (PAYS BAS)
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
représentée par la SCP MUSEREAU MAZAUDON-PROVOST-CUIF, avoués à la Cour,
assistée de Maître Martine X... de la SCP FAURY-TURLOT, avocat au barreau d'ANGOULEME, entendue en sa plaidoirie,
INTIMEES :
E.A.R.L. LE PEU
Dont le siège social est Le Peu
79340 VASLES
agissant poursuites et diligences de son co-gérant en exercice et de tous autres représentants légaux domiciliés ès qualité audit siège,
Madame Annie Y... épouse Z... prise en qualité de liquidatrice amiable de l'EARL A...
Le Peu
79340 VASLES
représentées par la SCP PAILLE-THIBAULT-CLERC, avoués à la Cour,
assistées de Maître Laurent PAQUEREAU, avocat au barreau de BRESSUIRE, entendu en sa plaidoirie,
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Septembre 2008,en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Jeanne CONTAL, Conseiller, faisant fonction de Président,
Madame Catherine KAMIANECKI, Conseiller,
Monsieur André CHAPELLE, Conseiller,
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia BERTIN
ARRÊT:
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de
la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- Signé par Madame Marie-Jeanne CONTAL, Conseiller, faisant fonction de Président, et par Madame Sandra BELLOUET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La société néerlandaise Provimi B.V., qui fabrique et fournit des aliments pour veaux, a fait assigner la société Le Peu, qui développe une activité d'élevage et dont les gérants sont Monsieur Z... et Madame Y..., aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer un solde de factures concernant la fourniture d'aliments pour veaux, pour un montant de 72.281,92 € en principal, outre les intérêts à compter du 8 avril 2003, ainsi que les sommes de 15.000 € à titre de dommages et intérêts et 2.300 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société Le Peu s'est opposée à cette demande en prétendant être liée à la société Provimi par un contrat d'intégration, prévu par l'article L 326-1 du Code rural, dont elle a demandé la nullité en se fondant sur l'article L 326-6 du même Code, au motif qu'aucun contrat écrit ne régissait les modalités de leurs relations. Elle a alors sollicité une expertise ainsi que des dommages et intérêts.
La société Provimi s'est opposée à ce moyen en contestant l'existence d'un contrat d'intégration.
Par jugement du 11 septembre 2006, le tribunal de grande instance de Bressuire a analysé les relations des parties comme résultant d'un contrat d'intégration, a prononcé la nullité de celui-ci, et a ordonné une expertise pour établir les comptes entre les parties.
LA COUR :
Vu l'appel interjeté le 26 octobre 2006 par la société Provimi B.V.
Vu les dernières conclusions du 5 août 2008 de la société Provimi, laquelle, poursuivant la réformation du jugement, demande à la cour, à titre principal, de dire qu'en application de la convention de Rome du 19 juin 1980, la loi française est inapplicable, et que seule la loi néerlandaise doit recevoir application, à titre subsidiaire, si la loi française devait être appliquée, de dire qu'il n'existe pas en l'espèce de contrat d'intégration, et de condamner, en tout état de cause, la société Le Peu à lui payer la somme de 72.281,92 € avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2003, ainsi qu'une indemnité de 2.300 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions du 18 juillet 2008 de Madame Annie Y..., épouse Z..., en sa qualité de liquidatrice amiable de la société Le Peu, laquelle demande qu'il lui soit donné acte de son intervention volontaire, de débouter la société Provimi de l'ensemble de ses demandes, en toutes hypothèse, sur le fondement des articles 74 et 564 du nouveau code de procédure civile, de dire irrecevable la demande de la société Provimi tendant à voir déclarer applicable la loi néerlandaise, de confirmer la décision entreprise et de condamner la société Provimi à lui payer les sommes de 1.500 € à titre de dommages et intérêts et de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
SUR QUOI :
1) Sur la recevabilité des demandes de la société Provimi :
Considérant en premier lieu, qu'en droit international privé, compétence judiciaire et compétence législative ne peuvent être confondues.
Qu'invoquer, à ce stade de la procédure, la "compétence" de la loi étrangère n'est pas une exception de procédure, au sens de l'article 74 du Code de procédure civile, mais un moyen de défense au fond.
Considérant en deuxième lieu qu'il ne s'agit pas davantage d'une demande nouvelle, au sens de l'article 564 du Code de procédure civile, mais d'un moyen nouveau, parfaitement recevable en cause d'appel, dès lors qu'il fait l'objet, comme en l'espèce, d'une discussion contradictoire.
Considérant en troisième lieu que Madame Z..., en sa qualité de liquidatrice amiable de la société Le Peu, fait valoir que la société Provimi a accordé de manière illicite des financements à la société Le Peu et que, ne disposant pas de la faculté d'accorder des crédits de manière habituelle sur le territoire français, et spécialement de conclure des conventions de financement, sa demande doit être déclarée irrecevable en application de l'article L 511-5 et 6 du Code monétaire et financier.
Mais considérant que quelle que soit la place des financements accordés dans les relations contractuelles des parties, la demande de la société Provimi a été formée aux fins d'obtenir un paiement de factures, et ceci alors même que l'opération de financement ne fait pas l'objet de contestation de la part de la société Le Peu, laquelle a honoré l'ensemble de ses engagements financiers.
Considérant que la demande de la société Provimi doit donc être déclarée recevable.
2) Au fond :
a) Sur la qualification du contrat et la loi applicable :
Considérant qu'il n'est pas douteux que la relation que la société Le Peu a noué avec la société Provimi présente une nature contractuelle.
Considérant que si la société Le Peu a son siège à Vasles, dans les Deux Sèvres, la société Provimi a son siège à Rotterdam, aux Pays Bas.
Qu'il s'agit donc d'une relation contractuelle internationale.
Considérant qu'il n'est pas établi que les parties aient fait le choix d'une loi applicable à leurs relations.
Considérant qu'en application de l'article 4 la Convention de Rome du 19 juin 1980, relative à la détermination de la loi applicable aux obligations contractuelles, à défaut de choix des parties, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits.
Considérant qu'il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique, a, au moment de la conclusion du contrat, son principal établissement.
Considérant qu'en l'espèce, la question est donc de savoir quelle est l'obligation caractéristique du contrat liant les parties.
Considérant que cette obligation n'est pas la même selon qu'il s'agit d'un contrat d'intégration, comme le prétend la société Le Peu, ou d'un contrat de fourniture d'aliments, comme le soutient la société Provimi, ce qui a une incidence directe sur la détermination du droit ou de la loi applicable.
Qu'il convient donc d'analyser et de qualifier la relation des parties.
Considérant qu'en application de l'article L 326-2 du Code rural, "Dans le domaine de l'élevage, sont réputés contrats d'intégration les contrats par lesquels le producteur s'engage envers une ou plusieurs entreprises à élever ou engraisser les animaux, ou à produire des denrées d'origine animale, e à se conformer à des règles concernant la conduite de l'élevage, l'approvisionnement en moyens de production ou l'écoulement des produits finis."
Considérant que le critère déterminant d'un contrat d'intégration est celui de la dépendance économique, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en moyens de production, en l'espèce l'acquisition des veaux, ou de la commercialisation et de l'écoulement des produits finis, en l'espèce la vente des veaux après engraissement.
Considérant qu'en l'espèce, après qu'il a été mis un terme, en mai 2000, au contrat d'intégration conclu entre la société Ardit et la société Le Peu, cette dernière est entrée en relation avec la société Provimi, fabriquant et fournisseur d'aliments pour veaux, laquelle lui a accordé des financements à onze reprises, entre le 16 mai 2000 et le 18 juin 2002, pour lui permettre d'acquérir des veaux et de les engraisser avec des aliments qu'elle lui fournissait.
Qu'il est indifférent que la durée du financement ait été adaptée au programme de maturation des veaux avec les produits de la société Provimi, cet élément facilitant la gestion et l'équilibre financier des deux sociétés, sans qu'aucune conséquence ne puisse en être tirée sur le plan de la qualification des relations des parties, le financement et la fourniture d'aliments étant deux opérations juridiques distinctes, aucune convention d'ensemble n'ayant été signée entre les parties, que ce soit pour déterminer les modalités techniques et financières de leurs relations ou leur durée.
Que cette fourniture d'aliments a été doublée par un accompagnement technique et vétérinaire de l'activité d'élevage de la société Le Peu, laquelle a ainsi bénéficié d'un plan d'alimentation et de conseils appropriés pour le développement de son activité.
Considérant que les achats et les ventes d'animaux étaient réalisés par la société Le Peu, les factures étant adressées directement à la société Le Peu, qui en assurait le règlement, et non à la société Provimi.
Considérant que s'il est arrivé à Monsieur E..., représentant de la société Provimi, d'être présent aux côtés la société Provimi, lors des achats et des ventes, il n'est pas établi que celui-ci, dont la présence sur le marché à bestiaux était légitime compte tenu de son activité, ait choisi, négocié ou acheté les veaux destinés à la société Le Peu.
Considérant que si la société Provimi était intervenue en qualité d'intégrateur, elle n'aurait pas eu besoin du concours de Monsieur Z..., et aurait acheté directement pour son propre compte les veaux nécessaires à une activité d'intégrateur.
Considérant qu'il n'ait pas davantage établi que la société Provimi ait négocié le prix de vente des veaux après engraissement, cette négociation lui étant étrangère, et aucun obstacle ne s'opposant à ce que Monsieur Z... choisisse librement ses acquéreurs et négocie personnellement les prix de vente.
Considérant qu'il est indifférent que le prix de vente pratiqués par la société Le Peu aient conduit, compte tenu de l'évolution du marché, à des résultats déficitaires.
Qu'il doit être souligné, tout au plus, que Monsieur Z... a signé librement, et à onze reprises, des engagements de financement avec la société Provimi et ceci alors même que dès les premières "bandes de lots", les résultats attendus n'étaient pas atteints, l'activité de la société Le Peu étant déjà largement déficitaire.
Considérant enfin que s'agissant de l'alimentation des veaux proprement dite, il n'est pas établi que les parties se soient engagées dans une relation d'exclusivité, aucun obstacle juridique ne s'opposant à ce que la société Le Peu change de fournisseurs d'aliments.
Considérant en outre que dans ses relations avec la société Provimi, Monsieur Z..., gérant de la société Le Peu, s'est présenté comme un éleveur libre et indépendant, (courrier des 28 janvier 2001 et 1er décembre 2002), placé dans une situation incertaine, distincte de celle qui aurait été la sienne s'il avait été éleveur intégré.
Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments, que si la société Le Peu, éleveur indépendant, a noué sur le plan économique et financier des relations étroites avec la société Provimi, fournisseur d'aliments, et a développé une activité déficitaire, en raison notamment de l'évolution du marché, elle ne peut soutenir, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, avoir été dans une situation de dépendance économique et donc dans les liens d'un contrat d'intégration.
Considérant, une fois encore, que les financements accordés à la société Provimi ne sont pas contestés.
Que seul est un cause un non paiement des factures de la société Provimi, correspondant à la vente d'aliments pour veaux.
Considérant que la prestation caractéristique des contrats litigieux est donc la fourniture d'aliments.
Considérant qu'en application de l'article 4 de la Convention de Rome précitée, la loi applicable est celle du pays où la partie qui doit fournir cette prestation caractéristique a son principal établissement au moment de la conclusion du contrat, c'est à dire la loi des Pays Bas, Etat dans lequel la société Provimi a son siège social.
Qu'il en résulte que la société Le Peu n'est pas fondée à demander l'application en l'espèce de l'article L 326-2 du Code rural, d'une part parce que le contrat litigieux n'est pas un contrat d'intégration, d'autre part parce que la loi applicable est la loi des Pays Bas.
b) Sur le droit applicable :
Considérant que les contrats litigieux de fourniture d'aliments pour veaux, conclus entre des parties ayant leur principal établissement dans deux Etats différents, sont des contrats de vente internationale de marchandises, auxquels est applicable la Convention de Vienne du 11 avril 1980, ratifiée tant par les Pays Bas que par la France.
Considérant que l'application cumulée des articles 53 et 62 de la Convention de Vienne impose à l'acquéreur de payer le prix de la marchandise achetée, ce qui est d'ailleurs conforme tant au droit hollandais qu'au droit français.
Considérant qu'il résulte des factures produites aux débats par la société Provimi que le montant de la dette de la société Le Peu est de 97.413,92 € TTC.
Considérant que ses règlements s'élèvent à un total de 25.132,50 €.
Considérant qu'il en résulte, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise, que le solde de la dette de la société Le Peu est de 72.281,42 € TTC.
Considérant que la société Le Peu sera donc condamnée à payer cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2003, date de la mise en demeure.
c) Sur la demande en dommages et intérêts formée par la société Le Peu:
Considérant que la société Le Peu succombant, sa demande en dommages et intérêts sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Donne acte à Madame Annie Y..., épouse Z... de son intervention volontaire en sa qualité de liquidateur amiable de la société Le Peu.
Déclare recevable la demande de la société Provimi.
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Et statuant à nouveau,
Condamne la société Le Peu à payer à la société Provimi la somme de 72.281,92 € TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 2003.
Condamne la société Le Peu à payer à la société Provimi une indemnité de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamne la société Le Peu aux entiers dépens de la procédure, et dit que les dépens de la procédure d'appel pourront être recouvrés directement en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,