Ordonnance n° 15
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24 Mars 2022
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No RG 21/02640 -
No Portalis DBV5-V-B7F-GLNB
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[M] [E]
C/
[Y] [T], [Z] [T]
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Ordonnance notifiée aux parties le :R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
ORDONNANCE DE LA PREMIÈRE PRÉSIDENTE
Contestation d'honoraires d'avocat
Rendue le vingt quatre mars deux mille vingt deux
Dans l'affaire qui a été examinée en audience publique le vingt quatre février deux mille vingt deux par Madame Gwenola JOLY-COZ, première présidente de la cour d'appel de POITIERS, assistée de Madame Inès BELLIN, greffier, lors des débats.
ENTRE :
Maître Sylvie RODIER
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Guy DIBANGUE, avocat au barreau de POITIERS
DEMANDEUR en contestation d'honoraires,
D'UNE PART,
ET :
Monsieur [Y] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par M. [P] [I] (Gendre) et Mme [O] [T] (Fille), en vertu d'un pouvoir spécial
Madame [Z] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par M. [P] [I] (Gendre) et Mme [O] [T] (Fille), en vertu d'un pouvoir spécial
DEFENDEURS en contestation d'honoraires,
D'AUTRE PART,
ORDONNANCE :
- Contradictoire
- Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- Signée par Madame Gwenola JOLY-COZ, première présidente et par Madame Inès BELLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Les époux [T] ont saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers d'une contestation des honoraires dus à Maître [M] [E] et sollicitent leur remboursement.
Par décision du 23 juillet 2021, le bâtonnier a taxé les honoraires dus à la somme de 220€ TTC et a enjoint à Maître [M] [E] de rembourser la somme de 840€ TTC aux époux [T].
Cette décision a été notifiée le 4 août 2021 à Maître [M] [E] qui a formé un recours entre les mains de la première présidente de la cour d'appel de Poitiers le 1er septembre 2021.
L'affaire a été appelée à l'audience du 24 février 2022 où le conseil de Maître Rodier, Maître Guy Dibangue, soutient que c'est à tort que l'assurance protection juridique a refusé de prendre en charge le sinistre et qu'il appartenait aux époux [T] de relancer leur assureur pour obtenir cette indemnisation alors que ces derniers avaient depuis obtenu l'aide juridictionnelle totale.
Maître [E] indique que c'est à l'assurance protection juridique de prendre prioritairement en charge un sinistre avant de faire jouer la solidarité nationale grâce à l'aide juridictionnelle. Elle sollicite ainsi la taxation de ses honoraires à hauteur de 2932,01 €uros, et la condamnation des époux [T] à la somme de 1872 €uros, déduction faite des honoraires déjà réglés.
Elle sollicite également la condamnation des époux [T] au paiement de la somme de 1500 €uros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Les époux [T] sont représentés, par pouvoir spécial en date du 15 février 2022, par Madame [O] [T] épouse [I] et Monsieur [P] [I], la fille et le gendre des époux [T].
Ils expliquent avoir confié la défense de leurs intérêts à Maître [E] dans le cadre d'une procédure en bornage.
Les époux [T] soutiennent ne jamais avoir régularisé de convention d'honoraires avec Maître [M] [E]. Ils indiquent avoir réglé les sommes de 220 €uros TTC et de 840 €uros TTC, avant d'obtenir l'aide juridictionnelle totale dans ce dossier, motif qui fonde leur demande de remboursement des sommes précedemment versées.
Les époux [T] sollicitent la confirmation de la décision du bâtonnier en toutes ses dispositions et :
- la condamnation de Maître [M] [E] au versement de la somme de 500 €uros pour procédure abusive,
- la condamnation de Maître [M] [E] au paiement des intérêts de retard au taux légal sur la somme de 840 €uros dont ils demandent remboursement,
- la condamnation de Maître [M] [E] au paiement de la somme de 1 500 €uros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité :
Selon l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, la décision du bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel qui est saisi par l'avocat ou la partie par lettre recommandée avec accusé de réception. Le délai de recours est d'un mois à compter de la notification de la décision.
En l'espèce, le recours de Maître [M] [E] est recevable et régulier en la forme.
Sur le fond :
Les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats sont réglées en recourant à la procédure prévue aux articles 174 et suivants du décret no91-1197 du 27 novembre 1991.
Il résulte de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 10 juillet 1991 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, que sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
A défaut de convention, les honoraires sont fixés au regard de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci, conformément au quatrième alinéa de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971.
En l'espèce, les époux [T] ont confié la défense de leurs intérêts à Maître [M] [E] dans le cadre d'une procédure d'assignation en bornage.
Aucune convention d'honoraires régularisée par les parties n'est produite aux débats, si bien qu'il convient de considérer qu'aucune convention n'a été signée entre les parties.
Au regard des moyens soulevés par les parties, il apparaît que le litige porte davantage sur le refus de prise en charge du sinistre par l'assurance protection juridique et le bénéfice de l'aide juridictionnelle accordé aux époux [T], plutôt que sur la réalité des diligences accomplies ; bien que les époux [T] contestent la facturation par Maître [M] [E] de son assistance à une expertise sur le terrain litigieux, en date du 14 décembre 2016, à laquelle elle n'a en réalité jamais assisté.
S'agissant des honoraires, plusieurs factures ont été émises par Maître [M] [E] :
- une première "consultation bornage" en date du 28 mai 2015 pour un montant de 220€ TTC ;
- une seconde "tribunal d'instance de Poitiers"en date du 4 août 2015 pour un montant de 840€ TTC ;
- une troisième "tribunal judiciaire expertise" en date du 13 novembre 2020 pour un montant de 864€ TTC.
Il n'est pas contesté que les époux [T] ont réglé les deux premières factures en date du 28 mai et du 4 août 2015 pour un montant total de 1 060 €uros.
Enfin, une facture finale et récapitulative a été émise par Maître [E] le 30 mars 2021 pour un montant total de 2 932,01 €uros indiquant un restant dû de 1 872 €uros.
De manière claire, l'assurance protection juridique JURIDICA a, selon corresponsance adressée à Maître [E] en date du 24 août 2015, distingué son champ d'intervention :
D'une part, la protection juridique a indiqué à Maître [E] l'absence de prise en charge des frais relatifs à la procédure de bornage s'agissant "d'un acte de gestion de patrimoine" ; d'autre part, la protection juridique a précisé "cependant vos frais et honoraires dans le cadre de la procédure relative à l'empiètement seront prises en charge à hauteur du barème contractuel".
En parallèle, une demande d'aide juridictionnelle a été déposée par les époux [T] le 18 septembre 2015, lesquels se sont vu accorder l'aide juridictionnelle totale pour cette procédure par une décision en date du 31 mars 2016.
Il résulte des pièces versées aux débats que l'ensemble des factures reprises dans le cadre de la facture définitive et récapitulative, est relatif à la procédure pendante devant le tribunal judiciaire de Poitiers quant à une action en bornage, dont la protection juridique a refusé la prise en charge et pour laquelle le bureau d'aide juridictionnelle a octroyé aux époux [T] le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Il convient de constater que si certains cas permettent d'ouvrir à l'avocat intervenu dans un dossier au titre de l'aide juridictionnelle totale ou partielle, le réglement d'honoraires, le dossier objet de la présente saisine n'entre pas dans ce champ d'application.
En l'état de ces éléments, Maître [E] ne peut percevoir des honoraires concernant la procédure de bornage pendante devant le tribunal judiciaire de Poitiers pour laquelle les époux [T] ont obtenu l'aide juridictionnelle totale, à l'exception de ceux relatifs à la phase précontentieuse, soit la consultation en date du 18 mai 2015 facturée 220 €uros TTC, d'ores et déjà réglée par les époux [T].
Par conséquent, il apparaît justifié de faire droit à la demande de remboursement des époux [T] à hauteur de 840 €uros TTC, la décision du bâtonnier sera donc confirmée.
Au regard de la situation, les époux [T] seront déboutés de leur demande en indemnisation à hauteur de 500 €uros pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
Les époux [T] seront également déboutés de leur demande de paiement des intérêts de retard au taux légal sur la somme de 840 €uros due.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Le juge condamne la partie la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
En l'espèce, les époux [T] sollicitent la condamnation de Maître [M] [E] à leur verser une indemnité à hauteur de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [T] paraîssent légitimes à solliciter une telle indemnité puisqu'ils ont fait appel aux services de Maître [M] [E] pour défendre leurs intérêts dans cette procédure.
Par conséquent, Maître [M] [E] sera condamnée à leur verser la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens :
L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Succombant à la présente instance, Maître [M] [E] en supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
Nous, Gwenola Joly-Coz, première présidente, statuant publiquement et par décision contradictoire,
Déclarons le recours de Maître Sylvie Rodier recevable ;
Confirmons l'ordonnance du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Poitiers en date du 23 juillet 2021;
En conséquence,
Déboutons Maître [M] [E] de sa demande de taxation ;
Taxons les honoraires dus par les époux [T] à Maître [M] [E] à la somme de 220 € TTC ;
Constatons que le paiement de ces honoraires par les époux [T] est déjà intervenu ;
Condamnons Maître [M] [E] à régler aux époux [T] la somme de 840€ TTC ;
Condamnons Maître [M] [E] à régler aux époux [T] la somme de 500 €uros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons les époux [T] de leur demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
Déboutons les époux [T] de leur demande de paiement des intérêts de retard au taux légal sur la somme de 840 €uros due ;
Déboutons Maître [M] [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamnons Maître [M] [E] aux dépens ;
La greffière,La première présidente,