ARRET N°292
N° RG 20/02483 - N° Portalis DBV5-V-B7E-GDPN
Compagnie d'assurance MUTUELLE ASSURANCES DES INSTITUTEURS DE FRANCE (MA IF)
C/
[M]
Etablissement Public CPAM DE LA LOIRE ATLANTIQUE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 17 MAI 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02483 - N° Portalis DBV5-V-B7E-GDPN
Décision déférée à la Cour : jugement du 13 octobre 2020 rendu(e) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHE SUR YON.
APPELANTE :
Compagnie d'assurance MUTUELLE ASSURANCES DES INSTITUTEURS DE FRANCE (MAIF)
200 Avenue Salvador Allende
79000 NIORT
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS - ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Charles-Emmanuel ANDRAULT, avocat au barreau de La Rochelle-Rochefort
INTIMES :
Monsieur [Y] [M]
né le 22 Septembre 1966 à LUCON
Les Roblinières
85110 SAINTE CECILE
ayant pour avocat postulant Me Antoine DE GUERRY DE BEAUREGARD de la SELARL DGCD AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON et pour avocat plaidant Me Ludovic HAISSANT, avocat au barreau de NANTES, substitué par Me Anne-Sophie DUPIRE, avocat au barreau de NANTES
CPAM DE LA LOIRE ATLANTIQUE
9 Rue Gaëtan Rondeau
44958 NANTES
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ :
[Y] [M], alors artisan boulanger, a été mordu le 25 septembre 1996 par un chien dont le propriétaire était assuré auprès de la MAIF.
Il a développé des symptômes lésionnels conduisant la MAIF -qui a reconnu son obligation de réparer les conséquences de l'accident- à mettre amiablement en oeuvre une expertise médicale confiée au docteur [H], lequel a déposé le 20 mars 2000 un rapport au vu duquel les parties ont conclu le 17 septembre 2002 un protocole d'accord en ces termes :
* frais médicaux : intégralement pris en charge par les organismes sociaux
* incapacité permanente partielle : 13.872,86 euros
* incapacité permanente totale : 65.019,51 euros
* préjudice professionnel après consolidation : compte-tenu des conclusions du docteur [H] et de l'impossibilité pour M. [M] d'effectuer certains gestes, celui-ci est dans l'obligation d'employer un ouvrier pâtissier à raison de 30h par semaine. La MAIF accepte de prendre en charge ce préjudice à hauteur mensuelle de 8.000 francs à compter de la date de consolidation soit le 20.03.2000 et de régler, à partir du 1er janvier 2003, une rente revalorisable par application des coefficients prévus à l'article L.434-17 du code de la sécurité sociale et cela jusqu'à l'âge légal de la retraite soit le 22.09.2026
* préjudices extrapatrimoniaux : les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et d'une façon générale tous les chefs de préjudice à caractère extrapatrimonial seront réparés par une indemnité globale de 14.025,31 euros.
M. [M] a en définitive cédé son fonds artisanal en septembre 2013 et pris un emploi salarié dans lequel il a été mis en arrêt de travail de mars 2016 à mars 2017 en raison de douleurs dans l'avant-bras irradiant le pouce et parfois jusqu'au biceps. Il a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude physique, et a ensuite été placé en invalidité de 1ère catégorie.
Arguant d'une aggravation de son état, il a sollicité la réouverture de son dossier auprès de la MAIF, qui a provoqué une nouvelle expertise médicale amiable confiée au docteur [P], lequel a déposé en date du 21 juillet 2017 un rapport concluant ainsi :
* nouvelle consolidation : 07.03.2017
* nouvelles gênes temporaires constitutives d'un DFT :
de classe I du 13.03.2016 au 07.03.2017
* nouvelles souffrances endurées : 1/7
* nouvelle atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique : 1%
* nouveau dommages esthétique : NON
* nouvelle répercussion des séquelles sur les activités professionnelles:
.inaptitude, du fait des conséquences de l'aggravation, aux nouvelles fonctions de cuisinier
.aptitude à une autre activité professionnelle qui tiendrait notamment compte des recommandations du médecin du travail
* nouvelle répercussion des séquelles sur les activités d'agrément : AUCUNE
* nouveaux soins médicaux après consolidation/frais futurs :
il n'y en a pas hormis le renouvellement de l'orthèse tous les 3 ans.
La MAIF a versé à M. [M] au vu de ces conclusions une provision de 10.000 euros le 19 décembre 2017.
En l'absence d'accord sur l'indemnisation de son préjudice d'aggravation, [Y] [M] a fait assigner la MAIF devant le tribunal de grande instance -ensuite devenu tribunal judiciaire- de La-Roche-sur-Yon par acte du 16 avril 2019 en sollicitant sa condamnation en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Loire Atlantique (CPAM 44) à lui verser une somme totale de 265.015,50 euros ainsi décomposée :
¿ frais divers : 90,88 euros
¿ perte de gains professionnels actuels : 6.565,22 euros
¿ perte de gains professionnels futurs : 193.889,40 euros
¿ incidence professionnelle : 60.000 euros
¿ déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 900 euros
¿ souffrances endurées : 2.000 euros
¿ déficit fonctionnel permanent : 1.570 euros
outre 10.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive, avec déduction de la provision de 10.000 euros.
Par jugement du 13 octobre 2020, le tribunal judiciaire de La-Roche-sur-Yon a
* fixé comme suit les préjudices de [Y] [M] consécutifs à l'aggravation en date du 13 mars 2016 des préjudices initialement liés à l'accident dont il a été victime le 25 septembre 1996 :
¿ frais divers : 90,88 euros
¿ perte de gains professionnels actuels : 6.564,87 euros
¿ perte de gains professionnels futurs : 146.666,07 euros
¿ incidence professionnelle : 20.000 euros
¿ déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 900 euros
¿ souffrances endurées : 2.000 euros
¿ déficit fonctionnel permanent :1.570 euros
* condamné en conséquence la MAIF à payer à M. [M] la somme totale de 177.791,82 euros provision non déduite, avec intérêts légaux à compter du jugement
* débouté M. [M] du surplus de ses demandes
* condamné la MAIF aux dépens et à verser à M. [M] 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
* déclaré le jugement commun à la CPAM 44
* ordonné l'exécution provisoire.
La MAIF a relevé appel le 9 novembre 2020.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique
* le 19 juillet 2021 pour la MAIF
* le 20 avril 2021 pour [Y] [M].
La MAIF demande à la cour de réformer le jugement entrepris et
-à titre principal, de débouter M. [M] de sa demande au titre des pertes de gains professionnels futurs (PGPF), de confirmer les 20.000 euros alloués au titre de l'incidence professionnelle, et de dire qu'après imputation de la créance de la CPAM 44 il ne reste aucune somme à revenir à la victime au titre de l'incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent, qui sont intégralement couverts par la pension d'invalidité
-à titre subsidiaire, si la cour retenait l'existence de PGPF : de limiter ce poste à 55.776,81 euros, de rejeter alors la demande au titre de l'incidence professionnelle, et de dire qu'après imputation de la créance de la CPAM 44 il ne reste aucune somme à revenir à la victime au titre des PGPF et du déficit fonctionnel permanent, qui sont intégralement couverts par la pension d'invalidité
-en toute hypothèse :
.de confirmer le jugement des autres chefs de décision sauf à réduire le montant de l'indemnité de procédure mise à sa charge
.de condamner M. [M] à lui verser une indemnité de procédure d'appel, et subsidiairement de ramener à de plus justes proportions celle qui serait mise à sa charge.
Elle fait valoir que l'expert conclut que [Y] [M] peut continuer à exercer dans la branche où il s'était reconverti une activité de chef de cuisine dans un cadre spécifique, et qu'en tout état de cause, il n'est pas inapte à tout emploi ; que sa perte de gains professionnels futurs n'est donc pas totale ; qu'il ne justifie pas avoir fait de quelconques démarches pour trouver un emploi ; qu'il n'y a pas non plus de 'perte de revenus en nature' au titre d'une absence de couverture santé par l'employeur, car ainsi que l'a pertinemment retenu le premier juge, celle-ci aurait eu pour contre-partie un salaire moindre, et que la dépense faite à ce titre par les époux [M] n'est pas en lien de causalité directe avec l'accident.
Si la cour retient le principe d'une PGPF, la MAIF soutient qu'il ne peut s'agir que de la perte de chance de retrouver un emploi procurant un revenu équivalent à celui qu'il exerçait ; que cette perte de chance est de 25%; que le DFP étant de 1%, il devrait alors lui être alloué sur la base pertinemment retenue par le tribunal d'un salaire de base de 1.378 euros 25% de 223.107,26 euros.
S'agissant de l'inaptitude à exercer le métier de pâtissier, la MAIF soutient que la transaction du 17 septembre 2002 a autorité de chose jugée de ce chef entre eux car elle indemnisait la victime en prenant en charge un ouvrier pâtissier, et elle indique avoir même versé à ce titre plus de 44.000 euros indûment car elle n'a été avisée qu'en 2015 que M. [M] avait cédé sa boulangerie en 2013. Elle considère que l'incidence professionnelle à prendre en compte ne concerne que celle impactant du fait de l'aggravation la situation postérieure au changement d'emploi, ce qui justifie 20.000 euros.
Elle expose que dans un cas comme dans l'autre, la pension d'invalidité absorbe l'indemnité allouée, de sorte qu'il ne revient rien à la victime.
Elle récuse toute résistance abusive, rappelle avoir transmis une offre quelques semaines après avoir connu la créance de débours de la caisse, et rappelle qu'il s'agit d'une aggravation d'1%.
[Y] [M] demande à la cour de confirmer le jugement relativement au déficit fonctionnel permanent (DFP) et au principe de l'existence d'une perte de gains professionnels futurs (PGPF) retenus, de l'infirmer pour le surplus et de condamner la MAIF à lui verser :
.au titre de la PGPF : 204.901,05 euros
.au titre de l'incidence professionnelle : 60.000 euros
dont à déduire la provision versée de 10.000 euros
.à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive : 10.000 euros.
.à titre d'indemnité de procédure : 3.500 euros.
Il fait valoir qu'il est de jurisprudence assurée que lorsque l'inaptitude consécutive à l'accident est à l'origine du licenciement, il suffit de constater que la victime n'est pas apte à reprendre ses activités dans les conditions antérieures sans que cette dernière ait à justifier de la recherche d'un emploi compatible avec les préconisations de l'expert médical voire du médecin du travail. Il indique rechercher toujours un emploi mais compatible avec son état de santé, et précise que les deux qu'il a refusés ne l'étaient pas car ils nécessitaient de conduire sur de longues distances. Il sollicite une indemnisation des PGPF sur la base d'un salaire net mensuel de 1.515,80 euros tenant compte des congés payés, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, soit (12.682,03 + 165.662,38) = 178.344,40 euros. Il y ajoute une demande d'indemnisation pour 26.556,64 euros de cette perte en nature qu'est celle de la couverture santé dont son épouse et lui bénéficiaient de par son contrat de travail, puisqu'il doit désormais souscrire et acquitter sans participation de son employeur 100% de ses cotisations. Il convient que la pension d'invalidité versée par la CPAM 44 s'impute sur les PGPF.
Il considère que la MAIF doit indemniser l'incidence professionnelle tant initiale, du chef de l'inaptitude à son métier de boulanger, qu'issue de l'aggravation, et réclame à ce titre 60.000 euros.
Il reprend sa demande de dommages et intérêts en affirmant que la MAIF feint de vouloir négocier, mais cherche à l'acculer à accepter des propositions très insuffisantes en abusant de ses difficultés financières.
La CPAM 44 ne comparaît pas. Elle a été assignée par acte du 22 décembre 2020 remis à personne habilitée.
L'ordonnance de clôture est en date du 17 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
[Y] [M], qui est né le 22 septembre 1966, était âgé de 30 ans à l'époque de l'accident par morsure de chien, où il exerçait l'activité d'artisan boulanger.
La MAIF a d'emblée, et constamment, admis son obligation de réparer intégralement les conséquences dommageables de l'accident.
Cette réparation est intervenue au vu des conclusions du rapport d'expertise amiable du docteur [H] selon un protocole transactionnel du 17 septembre 2002 qui réserve expressément l'éventualité d'une aggravation par rapport à l'état séquellaire retenu par l'expert comme consolidé au 20 mars 2000.
À la suite de douleurs du poignet et du pouce droits ayant justifié son placement médical en arrêt de travail, M. [M] a subi des explorations radiologiques et par arthroscanner qui ont mis en évidence une évolution vers une arthrose radio-scaphoïdienne et vers la dégradation ligamentaire, notamment au niveau du ligament scapho-lunaire et luno-triquéral.
Ainsi qu'il a été relaté, il a saisi la MAIF d'une demande d'expertise d'aggravation, et l'expert commis, le docteur [X] [P], a conclu selon rapport amiable contradictoire du 21 juillet 2017 à la réalité d'une aggravation de son état, consolidée au 7 mars 2017, et évalué son préjudice d'aggravation dans les termes relatés plus haut.
Les parties ne discutent pas les conclusions de l'expert [P].
La MAIF admet la réalité d'une aggravation de l'état de la victime, et le principe de son droit à une indemnisation à ce titre.
Le préjudice d'aggravation de M. [M], âgée de 50 ans lors de la nouvelle consolidation, marié, sans emploi, père d'un enfant qui n'est plus à charge, sera évalué comme suit, dans la limite des appels, au regard des conclusions et des autres éléments contenus dans ce rapport, ainsi que des productions et des explications des parties.
1. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX
1.1. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX TEMPORAIRES (avant consolidation)
1.1.1. : dépenses de santé actuelles
Il n'existe pas de discussion sur les sommes réglées par les tiers payeurs, telles qu'elles résultent de l'état définitif de débours transmis en date du 1er juin 2018 aux parties par la CPAM 44, pour (234,46 + 7,50 + 47,52) = 289,48 euros (pièce n°10 de l'intimé).
1.1.2. : frais divers
Le tribunal a alloué à ce titre à M. [M] du chef de frais de déplacements à expertise médicale une somme de 90,88 euros qui n'est pas discutée.
1.1.3. : perte de gains professionnels actuels
L'expert retient sans contestation que [Y] [M] a subi du fait de l'aggravation de son état de nouvelles gênes temporaires constitutives d'un DFT de classe I du 13.03.2016 au 07.03.2017.
Le tribunal lui a alloué au titre de la perte de gains professionnels actuels une somme de 6.564,87 euros qui n'est pas discutée en cause d'appel.
1.2. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX PERMANENTS
1.2.1. dépenses de santé futures
L'état de débours transmis par la CPAM 44 chiffre ce poste, capitalisé, à 460,45 euros.
1.2.2. : perte de gains professionnels futurs
Ce poste a pour objet d'indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus professionnels consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage.
M. [M] demandait en première instance à ce titre une somme de 193.889,40 euros correspondant d'une part, à une perte de salaire subie depuis le 8 mars 2017, et d'autre part à la perte de la couverture des frais de santé dont son épouse et lui-même bénéficiaient en vertu du contrat de travail de cuisinier dans l'entreprise Compass auquel l'aggravation de son état a mis fin pour cause d'inaptitude physique.
La MAIF contestait le principe même d'un tel préjudice en objectant sur le premier chef de demande, qu'il ressortait de l'expertise du docteur [P] et des productions que si M. [M] était certes devenu inapte au poste de cuisinier qu'il occupait dans une centrale de préparation, il demeurait apte à exercer une autre activité professionnelle ; et sur le second point, qu'il serait de nouveau couvert par une mutuelle entreprise dès son retour à l'emploi, et que le bénéfice d'une telle assurance impliquait en tout état de cause une moindre rémunération.
Le tribunal a débouté M. [M] de la part de sa demande au titre de la perte de la couverture des frais de santé, comme sans lien direct suffisant avec l'aggravation de son état, et lui a alloué au titre de la perte de salaire 12.107,90 euros pour la période courue de la consolidation du 8 mars 2017 au 31 mai 2018 date de la fin de son dernier emploi, et 134.558,17 euros pour la période courant depuis le 1er juin 2018, par voie de capitalisation, sur la base d'une parte de salaire mensuel de 1.378 euros capitalisée sous déduction de la créance de la CPAM de 76.441,19 euros au titre de la rente invalidité capitalisée.
Devant la cour, la MAIF reprend son argumentation tendant à titre principal au rejet de ce poste de demande, au motif que M. [M] n'est pas inapte à toute activité professionnelle, y compris au sein de la branche de cuisinier qu'il a choisie ; que son employeur lui avait d'ailleurs proposé plusieurs postes adaptés à son handicap dans le cadre d'offres de reclassement qu'il a refusées ; et qu'il ne justifie d'aucune démarche en vue de retrouver un emploi ; de sorte qu'il n'est pas du tout démontré que l'absence de reprise d'une activité serait consécutive à l'aggravation de son état, qui n'est que d'1% selon l'expert judiciaire.
M. [M] maintient qu'il subit bien un préjudice de perte de gains professionnels futurs du fait de l'aggravation de son état séquellaire ; il fait valoir qu'il a été déclaré médicalement inapte à exercer son activité antérieure; que cette inaptitude est directement consécutive à l'aggravation de son état séquellaire ; que même en bénéficiant d'une reconversion, il n'est même plus à même d'accomplir un travail de bureau nécessitant l'usage d'un clavier d'ordinateur ; qu'il n'a pas à se justifier d'avoir refusé des postes de reclassement, qui auraient nécessité de sa part un long temps de trajet automobile que son état lui interdit ; qu'il poursuit ses recherches d'emplois compatibles avec son état de santé ; qu'il est suivi par CAP Emploi mais que ses perspectives de retravailler, alors qu'il a 55 ans et n'a pas occupé d'emploi depuis cinq ans, sont ténues. Formant appel incident, il demande à la cour de retenir sur la base non discutée d'un salaire net mensuel revalorisé de 1.378 euros, 12.682,03 euros de perte de salaire jusqu'au 31 mai 2018 après déduction de la pension, et 165.662,38 euros au titre de la capitalisation à compter du 1er juin 2018 sur la base du barème publié par la Gazette du Palais en 2020 et après déduction de la pension nette d'invalidité capitalisée à76.441,19euros.
Il réitère, en l'actualisant à 26.556,64 euros, sa demande pour perte de gains en nature, en faisant valoir qu'il doit souscrire une mutuelle et acquitter 100% des cotisations, alors que tout employeur privé a l'obligation de proposer une mutuelle à ses salariés et de prendre en charge 50% des cotisations, ce dont la perte de son emploi due à l'aggravation l'a privé.
Il ressort du rapport de l'expert [P], non contesté, et des productions (notamment pièces n°12, 13 et 14 de l'intimé), que [Y] [M] a été déclaré par le médecin du travail médicalement inapte à exercer son activité antérieure de cuisinier, et que cette inaptitude est directement consécutive à l'aggravation de son état séquellaire, puisqu'il avait pu exercer cette activité après la consolidation initiale de son état, et n'a plus pu à compter de 2016 en raison des douleurs irradiantes du membre supérieur droit survenues à partir de cette date et qui sont le symptôme de cette aggravation.
Il est ainsi, depuis la date de consolidation de son état aggravé, au 7 mars 2017, définitivement empêché de reprendre et d'exercer dans les conditions antérieures le métier de cuisinier dans lequel il s'était volontairement reconverti quelques années après la consolidation de son état séquellaire initial en cédant sa boulangerie pour être salarié dans l'entreprise Compass
L'existence à ce titre d'une perte de gains professionnels futurs est ainsi établie, sans qu'il puisse être tiré argument de ce que le médecin du travail et l'expert amiable ne l'ont pas estimé inapte à toute activité professionnelle, alors qu'il est désormais classé invalide de 1ère catégorie; qu'il n'a pas à justifier de recherches d'emploi compatible avec les préconisations de l'expert et qui seraient demeurées vaines ; qu'il établit au demeurant être suivi par Cap Emploi ; et que la plausibilité qu'il retrouve un emploi à son âge et avec ses séquelles s'apprécie en considération de ce que le médecin du travail a déclaré qu'il serait 'apte à un poste sans manutention, sans mouvement répété de la main gauche, nécessitant une utilisation seulement très occasionnelle de cette main et permettant le port continu d'une attelle du poignet gauche', ce qui lui ferme concrètement la quasi totalité des emplois manuels et techniques comme de bureau.
Ce poste s'indemnise au vu de la perte de revenus professionnels appréciée par rapport au salaire de 1.533,38 euros brut qu'il percevait en dernier lieu soit 1.180 euros net grossi de 198 euros pour tenir compte des primes et du treizième mois qu'il percevait, soit 1.378 euros, qui est représentatif et sur lequel les parties s'accordent.
Cette somme n'a pas à être majorée de 10% comme le demande M. [M] au motif que son licenciement l'a privé du bénéfice des congés payés.
Du 8 mars 2017 au 31 mai 2018, la perte de gains professionnels échus s'établit à :
.reliquat de salaire de mars 2017 : 1.162,20 euros
.salaire perdu : (1.378 euros x 14 mois) = 19.292 euros
.à déduire la pension nette perçue sur cette période soit 9.701,37 euros
au vu des productions, soit (1.162,20 + 19.292 - 9.701,37) = 10.752,83 euros.
À compter du 1er juin 2018, la perte de gains capitalisée calculée jusqu'à l'âge de 65 ans
et que la victime est fondée à demander à voir calculer au vu du barème publié en 2020 par la Gazette du Palais, qui est un outil pertinent dont la dernière version est la plus adaptée, s'établit à (1.378 x 12 x 13,310) = 220.094,16 euros dont à déduire le montant net de CSG, de CRD et de CASA de la pension d'invalidité servie par la CPAM 44 à savoir 76.441,19 euros soit une PGPF de (220.094,16 - 76.441,19) = 143.652,97 euros.
La PGPF totale s'établit ainsi à (10.752,83 + 143.652,97) = 154.405,80 euros.
Le tribunal a débouté à bon droit M. [M] de sa demande complémentaire d'indemnisation d'une perte en nature tirée de ce qu'il ne bénéficie plus d'une prise en charge partielle par son employeur de cotisations d'une mutuelle de santé, dans la mesure où il ne s'agit pas là de la perte d'un élément du salaire, ni plus largement d'un revenu.
Par infirmation du jugement, la somme à revenir à M. [M] s'établit donc à 154.405,80 euros.
1.2.3. incidence professionnelle
L'incidence professionnelle correspond au préjudice que subit la victime en raison de la plus grande pénibilité de l'exercice d'une activité professionnelle du fait des séquelles de l'accident, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de la nécessité de subir un reclassement; il peut recouvrir aussi la perte de chance d'obtenir un emploi ou une promotion ou de réaliser un projet professionnel.
L'expert judiciaire conclut que du fait des conséquences de l'aggravation de son état, M. [M] est désormais inapte aux fonctions de cuisinier telles qu'elles étaient antérieurement exercées ; qu'il ne peut plus assurer la préparation d'aliments ; qu'il pourrait être chef de cuisine dans un cadre spécifique ; et qu'il est apte à une autre activité professionnelle qui tiendrait notamment compte des recommandations du médecin du travail.
Le tribunal a chiffré ce poste de préjudice à 20.000 euros.
M. [M] forme appel incident et reprend sa demande en paiement d'une somme de 60.000 euros. Il fait valoir que depuis qu'il a cédé son fonds artisanal et que la MAIF n'a plus à verser la rente qu'elle lui servait pour couvrir le coût de rémunération d'un ouvrier pâtissier, rien ne vient plus compenser l'inaptitude initiale à la profession de pâtissier..
La MAIF, dans l'hypothèse ici advenue où la cour aurait alloué à la victime une indemnité pour perte de gains professionnels futurs, conclut au rejet pur et simple de l'incidence professionnelle en soutenant qu'il n'est pas justifié de la réalité d'un tel préjudice qui ne serait pas compensé par les PGPF.
L'incidence professionnelle que [Y] [M] est recevable à solliciter est uniquement celle tenant à l'aggravation de son état séquellaire, car celle résultant de son état initial a déjà été indemnisée par l'accord transactionnel du 17 septembre 2002, et la circonstance qu'elle l'ait été selon une modalité la conditionnant à la poursuite de son activité de pâtissier et qu'elle ait donc pris fin avec sa décision de cesser d'exercer cette activité ne lui ouvre pas droit à une révision de ce poste sous une autre forme, non prévue dans l'accord.
Le tribunal a pertinemment retenu que l'incidence professionnelle était avérée, et qu'elle correspondait, du fait de son aptitude désormais très réduite à utiliser son poignet droit, à une pénibilité accrue, à un intérêt moindre des postes lui restant accessibles, et à une difficulté augmentée à trouver un emploi sur le marché du travail.
Compte-tenu de l'âge de l'intéressé, et des caractères de ce préjudice, la cour considère qu'une somme de 40.000 euros indemnisera ce poste de façon plus adaptée que celle retenue par le tribunal, dont la décision sera donc infirmée de ce chef.
2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX
2.1. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX TEMPORAIRES
2.1.1. déficit fonctionnel temporaire (DFT)
Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste à 900 euros par le jugement, dont ce chef de décision n'est pas frappé d'appel.
2.1.2. souffrances endurées
Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste à 2.000 euros par le jugement, dont ce chef de décision n'est pas frappé d'appel.
2.2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX PERMANENTS
2.2.1. déficit fonctionnel permanent (DFP)
Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste à 1.570 euros par le jugement, dont ce chef de décision n'est pas frappé d'appel.
La rente servie par la CPAM 44 ayant déjà été intégralement imputée sur le poste des PGPF, le poste du DFP ne subit aucune imputation d'une créance d'organisme sociale, et la somme fixée revient intégralement à la victime.
S'agissant de la demande de dommages et intérêts formulée par [Y] [M] pour cause de résistance abusive, elle a été rejetée à raison par le tribunal, dont la décision sera confirmée, la MAIF n'ayant pas fait dégénérer en abus son droit de contester les prétentions adverses en formulant des offres moindres, étant observé qu'elle a reconnu la réalité de l'aggravation retenue par l'expert amiable [P] et versé avant tout procès une provision à la victime au titre du préjudice d'aggravation.
En définitive, la MAIF sera donc condamnée, par infirmation, à verser à M. [M] une somme de (90,88 + 6.564,87 + 154.405,80 + 40.000 + 900 + 2.000 + 1.570) = 205.531,55 euros, dont à déduire la provision de 10.000 euros amiablement versée, soit 195.531,55 euros.
Le jugement déféré a pertinemment condamné la MAIF aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure dont le montant est adapté.
Au vu du sens du présent arrêt, qui alloue à la victime une somme supérieure à celle fixée en première instance, la MAIF est la partie qui succombe devant la cour.
Elle supportera donc les dépens d'appel et versera une indemnité de procédure à M. [M].
Le présent arrêt est commun à la CPAM 44.
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, dans la limite des appels :
CONFIRME le jugement déféré sauf en en son évaluation à 146.666,07 euros des pertes de gains professionnels futurs subies par [Y] [M] et à 20.000 euros de l'incidence professionnelle, et conséquemment sauf en ce qu'il condamne la MAIF à payer 177.791,82 euros à [Y] [M]
statuant à nouveau de ces chefs :
FIXE ainsi le préjudice d'aggravation subi par [Y] [M] consécutivement à l'accident du 25 septembre 1996 :
1 : PRÉJUDICES PATRIMONIAUX
PRÉJUDICES PATRIMONIAUX TEMPORAIRES
*frais divers restés à charge : 90,88 euros
*perte de gains professionnels actuels : 6.564,87 euros
PRÉJUDICES PATRIMONIAUX PERMANENTS
*perte de gains professionnels futurs : 154.405,80 euros
* incidence professionnelle : 40.000 euros
2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX
PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX TEMPORAIRES
* déficit fonctionnel temporaire (DFT ) : 900 euros
* souffrances endurées : 2.000 euros
PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX PERMANENTS
* déficit fonctionnel permanent : (DFP) : 1.570 euros
CONDAMNE la MAIF à payer en deniers ou quittances à [Y] [M] la somme de 195.531,55 euros déduction faite de la provision de 10.000 euros amiablement versée
DIT que les sommes dues à M. [M] produiront intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes qu'il alloue et qui sont confirmées, et de l'arrêt pour le surplus
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
DÉCLARE le présent arrêt commun à la CPAM de la Loire Atlantique
CONDAMNE la MAIF aux dépens d'appel
LA CONDAMNE à payer une indemnité de 3.500 euros à [Y] [M] en application de l'article 700 du code de procédure civile
ACCORDE à la société DGCD Avocats le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,