ARRÊT N°428
N° RG 20/02824
N° Portalis DBV5-V-B7E-GEHM
S.A.R.L. ROBBA DI NOI
C/
[A]
[X]
(...)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 05 JUILLET 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 octobre 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de SAINTES
APPELANTE :
S.A.R.L. ROBBA DI NOI
N° SIRET : 483 581 088
[Adresse 6]
[Localité 5]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS - ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Nicolas WEISSENBACHER, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
Madame [I] [A]
née le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 4] (33)
[Adresse 7]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU-VEYRIER- LE LAIN-BARROUX-VERGER, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Olivier de BAECQUE, avocat au barreau de PARIS
S.C.P. [I] [A]-[P] [N]-[I] [S] [H]
N° SIRET : 349 005 835
[Adresse 8]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU-VEYRIER- LE LAIN-BARROUX-VERGER, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Olivier de BAECQUE, avocat au barreau de PARIS
Madame [O] [X]
née le [Date naissance 1] 1967
[Adresse 3]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Flore HARDY, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
qui a présenté son rapport
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Élodie TISSERAUD
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSÉ :
La société Robba di Noi, qui exerce sous le nom commercial 'WALL 4 ME', conçoit et vend des produits de décoration murale, essentiellement réalisés en découpe numérique dans du verre acrylique noir, sous forme de stickers miroirs reproduisant des formes, d'un abécédaire composé de lettres individuelles vendues sous pochette commercialisé sous la dénomination 'Stick me Up' et de pictogrammes désignant les pièces de la maison qu'elle commercialise sous la dénomination 'Picto Home'.
Elle est titulaire de la marque 'Wall 4 Me' déposée le 31.07.2007 et enregistrée à l'INPI le 4 janvier 2008 en classes 16, 20 et 27, sous laquelle ces produits sont commercialisés.
Elle avait sous-traité à compter de septembre 2007 à une société Passplast la fabrication de ces produits et la gestion administrative de leur vente.
Après la résiliation de ce contrat de sous-traitance par Passplast le 29 mai 2008, elle a suspecté que ses produits continuaient d'être vendus par celle-ci à Leroy-Merlin.
Au vu d'un constat dressé à sa demande dans le magasin Leroy-Merlin de [Localité 9] en Gironde le 29 juillet 2008 par Me [I] [A], huissier de justice associé, objectivant la commercialisation dans ce local de stickers miroirs, de l'abécédaire et d'un pictogramme qui n'étaient autres que ses propres créations dont les marque et références avaient été raturées ou retirées, la société Robba di Noi a chargé Me [O] [X], avocat au barreau de Bordeaux, d'exercer une action en défense de ses intérêts devant la juridiction civile pour faire cesser et sanctionner des agissements.
Me [X] a déposé le 5 août 2008 auprès du président du tribunal de grande instance de Bordeaux deux requêtes aux fins de saisies-contrefaçon, l'une au siège de la société Passplast, l'autre dans les magasins Leroy-Merlin de Mérignac, [Localité 9] et Gradignan, en Gironde.
Le juge des requêtes a fait droit à ces demandes par ordonnances du 7 août 2008 reprenant leurs motifs, tirés de la contrefaçon des marques semi-figuratives françaises 'WALL 4 ME' n°07/3 517 126, 'PICTO HOME' n°08/3 579 422 et 'STICK ME UP' n°08/3 579 467, au visa des articles L.716-7 et L.716-7-1 du code de la propriété intellectuelle, et la contrefaçon des dessins et modèles sur le fondement des articles L.521-4 et L.521-5 dudit code d'autre part.
En ce autorisée, la société Robba di Noi a alors requis Me [I] [A] de procéder auxdites saisies-contrefaçons, ce que celle-ci a fait le 28 août 2008.
Au vu de ces procès-verbaux de saisie-contrefaçon, la société Robba di Noi a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bordeaux selon actes des 17 e 18 septembre 2008 la société Passplast -et ultérieurement le mandataire judiciaire de celle-ci après son placement en redressement judiciaire le 21 octobre 2009- et la société Leroy-Merlin
¿ pour les voir condamner à lui payer
.50.000 euros pour contrefaçon des marques 'WALL 4 ME', 'PICTO HOME' et 'STICK ME UP'
.30.000 euros pour contrefaçon des dessins et modèles de 17 stickers miroirs, packaging des abécédaires
.40.000 euros pour comportements déloyaux
.178.886,10 euros HT en réparation de son préjudice commercial
¿ pour entendre prononcer la nullité des marques 'STICK ME UP' et 'PICTO HOME' de la société Passplast, voir celle-ci condamner pour dépôt frauduleux de ces marques, et voir interdire sous astreinte à ladite société de poursuivre la commercialisation des miroirs-stickers.
En défense, la nullité des saisies-contrefaçons a été invoquée.
Par jugement du 29 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Bordeaux a
*constaté la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 28 août 2008 pour défaut de qualité de la société Robba di Noi à agir en contrefaçon de dessins et modèles
* déclaré irrecevables les pièces de Robbia di Noi obtenues par les saisies annulées
* annulé les marques 'STICK ME UP' et 'PICTO HOME' de la société Passplast
* dit que les sociétés Passplast et Leroy-Merlin avaient contrefait les marques 'WALL 4 ME', 'PICTO HOME' et 'STICK ME UP'
* condamné solidairement Passplast et Leroy-Merlin à verser 5.000 euros de dommages et intérêts à la société Robbia di Noi au titre de la contrefaçon de ses marques
* condamné la société Passplast à payer à Robbia di Noi
.40.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive de leurs relations commerciales et concurrence déloyale
.42.282,32 euros pour solde des commissions dues jusqu'en juin 2008
* condamné solidairement Passplast et Leroy-Merlin à verser 10.000 euros d'indemnité de procédure.
Sur appel de la société Robba di Noi, la cour d'appel de Bordeaux a par arrêt du 5 mai 2014 confirmé le jugement sauf s'agissant du quantum
*des dommages et intérêts pour contrefaçon de marque, porté à 10.000 euros
*du solde de commissions, porté à 78.180,62 euros
*outre 5.000 euros pour dépôt frauduleux de marque.
Par arrêt du 2 février 2016, la Cour de cassation a cassé cet arrêt sans renvoi, par voie de retranchement, seulement en ce qu'il avait condamné la société Passplast à payer à la société Robba di Noi la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour dépôt frauduleux de marque, au motif que la cour d'appel indemnisait en cela deux fois le même préjudice.
La société Robba di Noi a alors fait assigner en responsabilité Me [O] [X] d'une part, et Me [I] [A] et la SCP d'huissiers de justice associés [I] [A] [P] [N] - [I] [S] [H] d'autre part, devant le tribunal de grande instance de Bordeaux par actes du 25 novembre 2016 en sollicitant leur condamnation solidaire à l'indemniser du préjudice qu'elle affirmait subir du fait de leur faute respective, en ce qu'elle aurait pu obtenir des sommes supérieures si les saisies-contrefaçons n'avaient pas été annulées.
À la demande de ces auxiliaires de justice, le juge de la mise en état a, par ordonnance du 16 octobre 2017, renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Saintes.
Dans le dernier état de ses prétentions, la société Robba di Noi demandait
¿ à titre principal :
.que son action en responsabilité soit dite recevable
.que la faute respective de l'avocat et de l'huissier de justice soit retenue
.que Me [X] soit condamnée à lui rembourser ses honoraires, pour 13.794 euros
.que les trois défenderesses soient condamnées in solidum à lui verser
-380.000 euros en réparation de son préjudice
-le montant des frais de saisies-contrefaçon
.qu'elles soient condamnées in solidum aux dépens et à une indemnité de procédure.
¿ à titre subsidiaire, au cas où son action contre l'huissier de justice serait jugée prescrite
de condamner alors la seule [O] [X] au paiement de ces mêmes sommes.
Me [A] et la SCP d'huissiers de justice ont demandé que la pièce n°26 de la société Robba di Noi soit écartée des débats, et ont conclu au rejet des demandes formées contre elles. Elles ont invoqué à titre principal l'irrecevabilité pour prescription de l'action dirigée à son encontre, et subsidiairement sollicité son rejet.
Me [X] a conclu au rejet des demandes.
Par jugement du 16 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Saintes, après avoir dit dans les motifs de sa décision que l'action contre Me [X] n'était pas prescrite, a débouté la SARL Robba di Noi de l'ensemble de ses demandes
et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'à payer 2.000 euros d'indemnité de procédure à Me [X] d'une part, et à Me [I] [A] et la SCP d'huissiers de justice associés [I] [A] [P] [N] [I] [S] [H] pris comme une seule personne, d'autre part.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu, en substance,
-que l'action n'était pas irrecevable car elle avait été engagée moins de cinq ans après le fait dommageable, dont la date se situait, pour la demanderesse, à celle de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 5 mai2014 constatant la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon.
-que Me [X] avait bien commis une faute, en ne vérifiant pas que la société Robbia di Noi était en droit de se prévaloir du dépôt de dessins et modèles et pouvait justifier de sa qualité d'auteur d'une oeuvre originale, ce qui avait entraîné l'annulation de la saisie qui aurait pu se dérouler normalement sans cette erreur, mais en ayant une portée beaucoup plus limitée faute d'avoir pu porter sur les éléments comptables
-que pour autant, elle faisait valoir à bon droit que de toute façon les actes de contrefaçon de marques allégués n'auraient pas permis d'effectuer des saisies conservatoires puisque la seule qualité de titulaire de marques de sa cliente n'aurait pas été suffisante, ainsi que le tribunal de Bordeaux l'a écrit, de sorte que les 17 modèles de stickers miroirs non enregistrés par Robbia di Noi ne pouvaient en aucun cas bénéficier de la protection offerte par la saisie
-que Me [A] avait commis une double faute, en se faisant assister d'un expert-comptable et en laissant aux parties saisies un délai insuffisant, dont la brièveté leur avait fait grief, entre la présentation de l'ordonnance l'autorisant à procéder et le début de ses opérations, mais qu'il ressortait des énonciations de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux que ces fautes n'avaient eu aucune incidence sur le sort des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, dont la nullité résultait de causes antérieures indépendantes de son intervention
-qu'il résultait clairement du jugement confirmé que la société Robba di Noi n'aurait pas pu obtenir par voie de saisie les pièces comptables seules à même de lui permettre d'établir le préjudice qu'elle alléguait, la situation n'étant pas susceptible de régularisation faute d'enregistrement préalable à l'INPI
-qu'ainsi, la demanderesse ne démontrait ni la réalité des préjudices invoqués, ni leur imputabilité à une faute de l'avocat et/ou de l'huissier de justice
-qu'elle ne pouvait donc qu'être déboutée de toutes ses prétentions.
La SARL Robba di Noi a relevé appel le 3 décembre 2020.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique
* le 3 mars 2021 par la SARL Robba di Noi
* le 14 mars 2022 par Mme [X]
* le 2 juin 2021 par Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H].
La SARL Robba di Noi demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré son action recevable et en ce qu'il a constaté les fautes de Me [X] et de Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] ayant conduit à la nullité des saisies-contrefaçons du 28 août 2008, de l'infirmer pour le surplus et, reprenant ses prétentions de première instance, elle demande
¿ à titre principal :
.que la faute respective de l'avocat et de l'huissier de justice soient retenues
.que Me [X] soit condamnée à lui rembourser ses honoraires, pour 13.794 euros
.que les trois défenderesses soient condamnées in solidum à lui verser
-380.000 euros en réparation de son préjudice
-le montant des frais de saisies-contrefaçon
.qu'elles soient condamnées in solidum aux dépens et à une indemnité de procédure.
¿ à titre subsidiaire, au cas où son action contre l'huissier de justice serait jugée prescrite
.de dire recevable son action en responsabilité contre Me [X]
.de condamner alors la seule [O] [X] au paiement de ces mêmes sommes.
Elle relate l'historique de la procédure conduite à [Localité 4] contre les sociétés Passplast et Leroy-Merlin.
Elle maintient que son action est recevable, en faisant valoir que lorsque la nullité d'un acte est en jeu contre un professionnel du droit au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission, l'action se prescrit à compter du prononcé de la décision qui manifeste le dommage.
Elle indique que la faute de Me [X] consiste à avoir fondé ses requêtes aux fins de saisie-contrefaçon et son action en contrefaçon subséquente sur le droit des dessins et modèles alors que sa cliente n'avait jamais procédé à l'enregistrement de tels droits, de sorte que les prétentions ultérieures articulées sur ce fondement ne pouvaient prospérer, alors qu'elle devait agir sur le fondement des marques et droits d'auteur, et viser les livres I et III du code de la propriété intellectuelle relatifs au droit d'auteur, en justifiant de la qualité, avérée, d'auteur, de la société Robba di Noi, et en caractérisant l'originalité des oeuvres de celle-ci afin d'assurer la recevabilité de ses requêtes et de son assignation subséquente. Elle observe que Me [X] ne conteste pas cette faute ;qu'elle l'avait reconnue devant le bâtonnier dans le cadre de la procédure de contestation de ses honoraires ; et qu'il n'est pas sérieux, de sa part, de venir aujourd'hui soutenir que le fondement des droits sur des dessins et modèles était pertinent et qu'il incombait à Roba di Noi de déposer les titres adéquats afin que sa situation corresponde à une telle requête, alors qu'elle ne les avait pas et ne les a jamais eus.
Elle indique que la faute de Me [A] est d'avoir procédé sans laisser un délai raisonnable au saisi, et en s'adjoignant un expert-comptable sans y être autorisée. Elle récuse les contestations que lui oppose l'huissier de justice, en indiquant que celle-ci avait été mandatée par Me [X] ; qu'elle nie l'évidence en lui reprochant de n'avoir pas pris la précaution de faire dresser un constat à côté des saisies, alors qu'elle avait justement dressé un tel constat à sa demande quelques jours plus tôt.
Elle soutient qu'il ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux que ce sont les fautes respectives de Me [X] et de Me [A] qui sont à l'origine de la nullité des saisies-contrefaçons.
Elle soutient et explicite que cette annulation l'a privée
.d'une partie substantielle (soit 50.000 euros au lieu des 10.000 obtenus) de son préjudice résultant de la contrefaçon des marques verbales 'Picto Home' et 'Stick Me Up' à la charge solidaire de Passplast et Leroy-Merlin
.de l'indemnisation qu'elle sollicitait pour 100.000 euros à la charge solidaire de Passplast et Leroy-Merlin au titre de la contrefaçon de ses droits d'auteur attachés aux 17 modèles de stickers miroirs, au packaging des abécédaires 'stick me up' et au packaging et à l'ensemble des modèles des pictogrammes 'picto home'
.de la condamnation in solidum de Leroy-Merlin aux côtés de Passplast pour les 40.000 euros dommages et intérêts indemnisant la rupture déloyale des relations contractuelles suivies
.et de l'indemnisation solidaire par les deux sociétés, à hauteur de 200.000 euros, de la perte de recettes subie en raison du comportement déloyal de Passplast et Leroy-Merlin.
Mme [X] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Robba di Noi de ses demandes dirigées à son encontre et en ce qu'il l'a condamnée à lui verser 2.000 euros d'indemnité de procédure, et elle sollicite 3.000 euros d'indemnité pour frais irrépétibles en cause d'appel.
Elle rappelle que le jugement confirmé par la cour d'appel de Bordeaux avait annulé les saisies-contrefaçon pour cause de défaut de qualité de la société Robbia di Noi à agir en contrefaçon de dessins et modèles, en ce que se prévalant faussement du dépôt de dessins et modèles, elle s'était ainsi dispensée de justifier de sa qualité d'auteur d'une oeuvre originale pour obtenir l'autorisation de saisir chez autrui des pièces que la seule qualité de titulaire des marques n'aurait pas permis d'appréhender. Elle indique que faute d'avoir enregistré ses 17 modèles de 'stickers miroirs', la société Robbia di Noi ne
pouvait pas bénéficier de la protection qu'offre une saisie-contrefaçon, de sorte que ce n'est pas en raison d'une erreur de son avocat qu'elle n'a pu utiliser les pièces comptables mais parce qu'elle était sans droit à les obtenir.
Elle convient que la cour d'appel a substitué d'autres motifs pour annuler les saisies, et observe qu'ils sont tous deux tirés de fautes de l'huissier de justice, du fait de la brièveté du délai laissé aux parties saisies, et de la présence d'un expert-comptable pour l'assister. Elle en déduit qu'elle-même n'était plus en cause. Elle ajoute que la qualité de sa cliente à agir en contrefaçon de marques était, elle, incontestable et d'ailleurs incontestée, mais que les pièces comptables saisies concernant indistinctement les marques et les dessins et modèles dès lors que ceux-ci étaient emballés et vendus sous les marques de Robba di Noi, le procès-verbaux ne pouvaient être annulés au titre des marques mais uniquement en raison des fautes de Me [A].
Elle en déduit que c'est uniquement ces fautes de l'huissier qui sont susceptibles d'être à l'origine du préjudice invoqué.
En réponse aux objections de Me [A], elle indique qu'elle a informé celle-ci de la contestation de la validité de ses actes invoquée par [T] Merlin ; qu'à cette époque, en 2010, il n'était plus réaliste de diligenter une nouvelle saisie, car l'effet de surprise était émoussé, et que les produits n'étaient plus vendus chez Leroy-Merlin. Elle fait valoir qu'elle a fait diligence pour invoquer d'autres fondements, tel le constat d'achat de juillet 2007 et des mails de clients et l'encours des factures, et rappelle que sa cliente a obtenu ainsi 138.180,62 euros de dommages et intérêts malgré la nullité des saisies-contrefaçons.
Elle fait valoir qu'en admettant même pour les besoins du raisonnement que l'erreur qui lui est reprochée soit à l'origine de la nullité des saisies-contrefaçon, le seul préjudice invocable relève de la perte de chance d'obtenir une décision plus favorable que celle que constitue l'arrêt du 5 mai 2014, et elle soutient que la preuve en fait défaut, faisant valoir
.que rien n'indique que la demanderesse aurait pu prouver la réalisation d'un chiffre d'affaires sur des articles contrefaits supérieur à celui retenu
.que l'absence de preuve des droits d'auteur -originalité, antériorité- ne permettait à Roba di Noi ni de pratiquer des saisies, ni d'invoquer un préjudice au titre de la violation d'un droit en résultant
.que Roba di Noi ne pouvait obtenir la condamnation de Leroy-Merlin solidairement avec Passplast au titre d'une rupture abusive de relations commerciales dont elle n'était pas l'auteur
.que la demande de 200.000 euros pour perte de recettes était fantaisiste, faisant double emploi avec celle pour concurrence déloyale et ne reposant sur aucun justificatif probant.
Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] demandent à la cour d'écarter des débats la pièce adverse n°26 qui s'appuie sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon annulé, de débouter la société Robba di Noi de l'ensemble de ses demandes et de condamner celle-ci aux dépens et à lui verser 15.000 euros d'indemnité de procédure.
Elles soutiennent que l'action en responsabilité dirigée contre elles est prescrite car elle devait être engagée dans les cinq années de la transmission des conclusions de Leroy-Merlin du 17 juin 2010 ayant invoqué pour la première fois la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, soit le 17 juin 2010. Elles affirment à cet égard qu'il est de jurisprudence assurée qu'en matière de responsabilité d'huissier de justice, le point de départ court à compter de la découverte du vice affectant l'acte, la partie qui invoque la responsabilité pouvant solliciter un sursis à statuer de ce chef jusqu'à l'issue de la procédure principale dans laquelle la validité de l'acte est contestée.
Subsidiairement, sur le fond, elles soutiennent qu'il est définitivement jugé que c'est pour défaut de qualité à agir de la société Robbia di Noi que les saisies-contrefaçon ont été annulées, le tribunal l'ayant dit et la cour ayant confirmé en toutes ses dispositions le jugement sauf quant au quantum des dommages et intérêts alloués.
Elles affirment que la responsabilité de Me [A] ne peut être appréciée qu'en considération de ce motif.
Elles en déduisent que c'est l'erreur de l'avocat qui a, seule, invalidé l'ensemble de la procédure, et qu'à les tenir même pour avérées, les fautes reprochées à l'huissier de justice seraient sans conséquence aucune sur la procédure, viciée ab initio par l'erreur de Me [X], consistant à ne pas avoir vérifié que sa cliente pouvait justifier de sa qualité d'auteur d'une oeuvre originale et se prévaloir du dépôt de dessins et modèles.
À titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où l'action serait jugée recevable et leur responsabilité engagée, les intimées concluent au rejet des demandes en soutenant
-qu'aucune perte de chance n'est démontrée, au vu des contestations que soulevaient les sociétés Passplast et Leroy-Merlin
-qu'à retenir même qu'une telle perte de chance serait démontrée, elle serait en lien de causalité uniquement avec les manquements de Me [X], qui était le maître du litige, et de Robba di Noi, qui a été négligente dans la constitution des preuves en fondant tout son dossier sur une seule saisie contrefaçon.
Elles discutent encore plus subsidiairement le préjudice invoqué, en le tenant pour non prouvé.
Elles font valoir que lorsque le recouvrement de la créance est obéré par ces circonstances indépendantes de l'auxiliaire de justice dont la responsabilité est recherchée, l'action pour perte de chance ne peut aboutir contre lui à une indemnisation, et que la société Passplast est en plan de redressement par voie de continuation ; qu'elle a dû demander une modification de son plan car elle n'arrivait pas à le respecter ; qu'elle n'a jamais rien payé à la société Robba di Noi ; et que le recouvrement des condamnations est donc obéré pour des causes qui leur échappent.
La clôture a été prononcée le 24 mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
* sur le moyen tiré de la prescription
Il est constant que l'action en responsabilité contre un huissier de justice est soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui dispose qu'elle court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir.
Le fait permettant à la société Robba di Noi de rechercher la responsabilité professionnelle de l'instrumentaire du procès-verbal de saisie-contrefaçon au vu duquel elle exerçait une action en justice contre les sociétés Passplast et Leroy-Merlin est l'annulation de cet acte par le jugement du 29 novembre 2011 du tribunal de grande instance de Bordeaux confirmé de ce chef par l'arrêt du 5 mai 2014, et non pas la transmission de conclusions des défendeurs à cette action arguant de nullité cette saisie, qui ne constituaient
qu'un moyen de défense ayant, jusqu'à ce qu'il soit judiciairement validé, la nature d'une simple argumentation, et que la société Robba di Noi récusait au demeurant dans ses propres conclusions, de sorte qu'elle n'avait pas jusque là à engager une instance qui eût été contraire à la thèse qu'elle soutenait.
L'action en responsabilité contre Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] ayant été introduite par une assignation signifiée le 25 novembre 2016, elle l'a été moins de cinq ans après le jugement qui a constaté la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, et a fortiori moins de cinq ans après l'arrêt qui a confirmé ce chef de décision.
Le jugement ne pouvant être confirmé en ce qu'il a rejeté cette fin de non-recevoir tirée de la prescription puisqu'il ne l'a fait que dans ses motifs, la cour, réparant cette omission de statuer, la rejettera, par adjonction, dans le dispositif de son arrêt.
* sur la demande que soit écartée des débats la pièce n°26 de l'appelante
Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] prétendent voir écarter des débats la pièce n°26 de la société Robba di Noi, constituée d'une attestation de l'expert-comptable de celle-ci, au motif qu'elle s'appuie sur le procès-verbal de contrefaçon annulé.
La saisie-contrefaçon est une mesure destinée à recueillir des éléments matériels de nature à établir la preuve de la contrefaçon alléguée.
Sa nullité entraîne l'interdiction absolue de l'utiliser comme preuve de la contrefaçon alléguée, mais l'acte annulé reste un fait juridique, dont l'existence, et la teneur, peuvent être invoqués à l'appui d'une action en responsabilité contre son auteur pour avoir mal instrumenté.
La pièce n°26, qui recense le chiffe d'affaires réalisé par la société Passplast auprès de la société Leroy-Merlin entre juin et août 2008 ainsi que le chiffre d'affaires réalisé par la société Leroy-Merlin durant cette même période sur des produits 'WALL 4 ME', constitue un élément de preuve licite du préjudice invoqué par la société Robba di Moi dans le cadre de son action en responsabilité contre l'huissier de justice qui a réalisé l'acte irrégulier dont ces données sont extraites, et sa production est utile à la démonstration du préjudice allégué, qui a la nature d'une perte de chance d'obtenir dans le procès où l'acte annulé a été produit, des indemnités qu'il aurait, entre autres, permis d'apprécier.
* sur les fautes de Me [X] et de Me [A] et leur lien de causalité avec le préjudice allégué
¿ la faute de Me [O] [X]
Me [O] [X] était le conseil la société Robba di Noi pour l'action que celle-ci souhaitait exercer afin de faire sanctionner l'atteinte à ses droits qu'elle estimait subir du fait de la commercialisation de produits de décoration murale par la société Passplast dans des magasins à l'enseigne Leroy-Merlin.
Elle est le rédacteur des deux requêtes aux fins de saisie-contrefaçon descriptive qui ont été déposées le 5 août 2008 auprès du président du tribunal de grande instance de Bordeaux pour le compte de la SARL Robba di Noi (cf pièce n°20-1 et n°20-2).
La requête aux fins de saisie chez Passplast énonce en ses pages 1 et 2 que la société Robba di Noi d'une part, est titulaire de marques 'WALL 4 ME', 'PICTO HOME', 'STICK ME UP' toutes trois déposées auprès de l'INPI en indiquant que sa titularité de ces marques est attestée par les certificats de demande d'enregistrement et/ou d'enregistrement auprès de l'INPI, et d'autre part qu'elle est propriétaire de dessins et modèles reproduits sur ses produits, en indiquant que la propriété de ces dessins et modèles est quant à elle établie par la cession exclusive des droits patrimoniaux desdits dessins par l'ensemble des designers collaborant avec elle, avec, pour chacun des quatre cités -MM [F] et [E] ; M. [U] [D] , M. [G] [M] et Mme [V] [Y] la période de cession et le nom du ou des modèles.
La requête impute à la société Passplast, ancien sous-traitant, d'avoir continué après la fin de leurs relations contractuelles à vendre ses produits 'sous des marques contrefaisantes par reproduction et en violation des droits d'auteur attachés aux dessins et modèles des designers liés contractuellement à la société Robba di Noi' (cf pièce n°20-1, page 6).
Elle sollicite l'autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon au visa des articles L.716-7 et L.716-7 pour la contrefaçon de ses marques verbales 'WALL 4 ME', 'PICTO HOME', 'STICK ME UP et L.513-4 et suivants du code de la propriété intellectuelle pour la contrefaçon de ses dessins et modèles Teddy loves Teddy, The Eyes, Dolce, 2GA-MP3, Boulou, Bubbles, Cui-Cui, Chaise N3Fashion, La Cible, L'Attente, Grand Siècle, Psyché, Pop-Up, Bamboo Light, Bamboo Full, Tree et Carres' (cf pièce n°20-1, page 6).
La requête aux fins de saisie chez Leroy-Merlin est similaire et vise, pareillement, au visa des mêmes articles L.716-7 et L.716-7 pour la contrefaçon de ses marques verbales 'WALL 4 ME', 'PICTO HOME', 'STICK ME UP' et L.513-4 et suivants du code de la propriété intellectuelle Dolce, 2GA-MP3, Boulou, Cui-Cui, Chaise N3Fashion, Grand Siècle, Psyché, Pop-Up, Bamboo Light, Picto Home WC, Picto Home Chambre, Picto Home Coin repas et Picto Home salle d'eau' (cf pièce n°20-2, page 6).
Les deux ordonnances rendues sur ces requêtes, conformes à ce qui était demandé, l'ont été l'une et l'autre au visa des articles L.513-4 et suivants, L.512-4 et L.521-5, ainsi que L.713-2 et suivants et L.716-7 et L.716-7-1 du code de la propriété intellectuelle.
Deux saisies-contrefaçon ont été pratiquées le 28 août 2008 en vertu de ces ordonnances.
Le tribunal de grande instance de Bordeaux a constaté selon jugement du 29 novembre 2011 la nullité de ces deux procès-verbaux de saisie en indiquant en page 10 de ses motifs que les formes de stickers miroirs allégués de contrefaçon étaient 'qualifiés à tort de dessins et modèles puisqu'aucun dépôt à ce titre n'avait été enregistré par la société Robba di Noi', et en disant que même si le fondement du droit des marques était valablement visé dans la requête et l'ordonnance, les saisies-contrefaçon, autorisées de façon non contradictoire et notifiées une minute avant leur réalisation en empêchant ainsi toute vérification des droits du saisissant, avaient permis la saisie de pièces et documents ne portant pas seulement sur les marques contestées mais également relatives aux formes des stickers miroirs qui avaient été ainsi obtenus de manière abusive puisque ne bénéficiant pas de protection au titre des dessins et modèles.
La faute reprochée par la SARL Robba di Noi à Me [X] est donc caractérisée, puisque celle-ci a fondé ses requêtes aux fins de saisies-contrefaçon et son action en contrefaçon subséquente sur le droit des dessins et modèles alors que sa cliente n'avait jamais procédé à l'enregistrement de tels droits.
Il est insolite, de sa part, de faire ou laisser plaider pour nier sa responsabilité que sa cliente a fondé son action sur des dessins et modèles qu'elle n'a jamais déposés, alors que sa cliente est un profane qui n'est pas le rédacteur des requêtes ; qui n'a elle-même pas fondé son action mais a demandé à un avocat de le faire ; et qu'il n'est ni démontré ni soutenu qu'elle aurait exigé de fonder l'action sur ce fondement -ce que le devoir de conseil de Me [X] l'aurait évidemment conduite à refuser faute de disposer des justificatifs permettant de recourir à un tel fondement,ou à ne le faire qu'avec une décharge de responsabilité très expresse et circonstanciée.
Me [X] n'est pas davantage fondée à prétendre que la SARL Robba di Noi n'aurait pu obtenir sur le fondement du droit des marques la saisie des documents compatibles qui le furent en vertu des deux ordonnances, dont l'annulation l'a privée.
La formulation en dernier paragraphe de la page 10 du jugement du 29 novembre 2011 au vu de laquelle elle le prétend est équivoque, et n'a pas nécessairement la portée que Me [X] lui prête, d'autant qu'elle est articulée pour retenir que l'irrégularité de la saisie-contrefaçon a causé un grief.
Pareil motif n'est ni repris ni adopté par la cour de [Localité 10] dans son arrêt du 5 mai 2014.
Et de fait, les opérations de saisie-contrefaçon ont pour objet de permettre au titulaire de droits de rapporter la preuve d'actes de contrefaçon qu'il ne peut qu'alléguer, et du préjudice qu'ils lui causent. Comme telles, elles permettent la saisie réelle de tout document se rapportant au produit prétendument contrefaisant, et donc la saisie de documents comptables, tant en matière de dessins et modèles que de droit d'auteur, ainsi qu'il ressort clairement des articles L.332-1 d'une part, et L.521-4, d'autre part, du code de la propriété intellectuelle, de sorte que l'appréhension de documents comptables aurait été parfaitement possible par la voie d'une saisie-contrefaçon sur le seul fondement du droit des marques (cf Cass. 1° civ. 11.12.2013 P n°12-14030).
L'erreur de Me [X], consistant à avoir fondé sa requête puis son action non pas uniquement sur le terrain, adapté, du droit des marques mais aussi sur celui des dessins et modèles pour lequel elle ne disposait pas des justificatifs requis, est directement à l'origine de l'annulation des deux saisies-contrefaçons. Faute et lien de causalité sont ainsi établis.
¿ la faute de Me [I] [A]
Le tribunal, contrairement à ce que soutiennent Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H], ne s'est pas fondé uniquement sur le motif tiré de l'invocation non pertinente du droit des dessins et modèles pour annuler les saisies-contrefaçons.
Sa motivation de ce chef, dans l'avant dernier paragraphe de la page 10 du jugement, vise à la fois l'obtention -qualifiée d'abusive- d'une saisie en vertu de droits non avérés au titre de dessins et modèles, mais également les conditions dans lesquelles chaque ordonnance a été 'signifiée par l'huissier instrumentaire aux saisis une minute avant sa réalisation, empêchant ainsi toute vérification des droits du saisissant'.
L'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 5 mai 2014 confirme l'annulation des procès-verbaux de saisie du 28 août 2008 'au vu de l'ensemble de ces considérations' sans substitution aucune de motif, au terme d'un motivation sur une page qui reprend, approuve et développe le motif tiré de l'absence de caractère raisonnable du délai d'une minute laissé aux saisis par
l'instrumentaire entre la présentation de l'ordonnance et le début de ses opérations, et qui y ajoute un autre motif tiré de ce que l'huissier de justice était assisté par un expert-comptable sans que les ordonnances rendues sur requête aient prévu cette possibilité.
La faute de Me [I] [A] est ainsi caractérisée au titre de cette double irrégularité, judiciairement reconnue, des actes de saisie-contrefaçon qu'elle a réalisés.
Cette faute est en lien direct de causalité avec le préjudice invoqué par l'appelante, puisque l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers énonce qu'elle constitue l'une des considérations justifiant d'annuler les deux procès-verbaux de saisie-contrefaçon, que la société Robba di Noi n'a ainsi pu invoquer et utiliser dans le procès l'opposant aux sociétés Passplast et Leroy-Merlin.
* sur le préjudice indemnisable
¿ la perte de chance d'obtenir des indemnités supérieures dans l'instance à [Localité 4]
Le jugement du tribunal de Bordeaux du 29 novembre 2011 énonce expressément
*au titre de l'examen du grief de contrefaçon des marques 'WALL 4 ME', 'STICK ME UP' et 'PICTO HOME' : que 'les procès-verbaux de saisie-contrefaçon du 28 août 2008 ayant été annulés ainsi que les pièces obtenues à cette occasion (1 à 4, 6, 1c à 38c et 1d à 9d), la contrefaçon ne peut être examinée qu'à partir des autres pièces versées aux débats, dont le constat d'huissier réalisé le 29 juillet 2008 dans le magasin de la société Leroy-Merlin de [Localité 9]'(p 12)
*au titre de 'la contrefaçon des PICTO HOME et des 17formes miroirs': que 'Robba di Noi a versé au débat les pièces établissant que les 17 formes miroirs énoncées dans l'assignation ont été conçues par des designers qui lui ont consenti les droits d'exploitation ou ont été conçus par elle-même' puis indique 'cependant, les procès-verbal de saisies du 28 août 2008 ayant été annulés, avec toutes les pièces saisies à cette occasion, il ne reste que le procès-verbal du 29 juillet 2008 pour établir une contrefaçon de ces formes miroirs', avant de constater que seule la forme Dolce avait été trouvée dans le magasin Leroy-Merlin, qu'il n'est pas démontré que ces cartons aient été commandés après le 4 juin 2008, que leur maintien en vente n'est donc pas nécessairement fautif, et de conclure que 'la contrefaçon des formes miroirs n'est donc pas suffisamment établie', et de faire dans le paragraphe suivant 'la même remarque' pour les deux blisters contenant un miroir adhésif 'Chambre' retrouvé dans le magasin le 29 juillet 2008 (p 14)
*au titre de la rupture contractuelle et de la concurrence déloyale qu'il impute à la société Passplast : que pour évaluer l'indemnisation revenant à ce titre à la société Robba di Noi 'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise, les pièces comptables saisies le 28 août 2008 ont été déclarées irrecevables, et le préjudice de la société Robba di Noi peut être évalué à la somme de 40.000 euros au vu des pièces produites, et notamment de la baisse de chiffre d'affaires...'(p 15).
L'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 5 mai 2014 énonce expressément au titre de la contrefaçon des marques 'PICTO HOME, STICK ME UP et WALL 4 ME', après avoir confirmé qu'elle était établie, que 'cependant, la reconstitution du chiffre d'affaires de la société Leroy-Merlin invoqué par la société Robba di Noi ne peut être retenue alors qu'elle est basée sur des pièces qui ont été écartées des débats en raison de la nullité des procès-verbaux de constat du 28 août 2008 et sur des estimations d'un expert-comptable fondées sur les mêmes pièces', la cour infirmant l'évaluation du préjudice consécutif à cette contrefaçon, pour la porter de 5.000 à 10.000 euros (p 11).
Il est ainsi établi que le tribunal, puis la cour, ont fixé les indemnités qu'ils ont allouées à la société Robba di Noi au vu de pièces lacunaires, principalement un constat d'achat pratiqué dans le magasin Leroy-Merlin et les attestations de l'expert-comptable de la demanderesse certifiant la baisse de son chiffre d'affaires, et sans disposer des documents comptables émanant de la société Passplast et de la société Leroy-Merlin.
La société Robba di Noi est ainsi fondée à soutenir qu'elle a en cela, et par les fautes de Me [X] et de Me [A], perdu une chance d'obtenir une indemnisation supérieure à celle qu'elle a reçue.
Les contestations formulées par les intimées pour répondre de ce préjudice ne sont pas fondées, qu'il s'agisse
-de l'objection soulevée par Me [X] que sa cliente était sans droit à obtenir des documents comptables adverses, alors qu'il a déjà été dit qu'ils pouvaient l'être au moyen d'une saisie-contrefaçon fondée sur le seul droit des marques
-de l'affirmation de Me [A] que Me [X] était le maître du procès, alors qu'elle-même n'en répond pas moins des conséquences de l'irrégularité de ses saisies
-du grief adressé par Me [A] à Me [X] d'avoir fondé sa procédure exclusivement sur des saisies-contrefaçons, alors que la simple lecture du jugement et de l'arrêt démontre que tel n'était pas le cas puisqu'elle avait pris soin de faire procéder antérieurement -et d'ailleurs par Me [A] elle-même, qui le sait donc pertinemment- à un constat d'achat dans le magasin sur lequel les juridictions ont pu se fonder, étant ajouté qu'il est téméraire, pour l'huissier de justice, de relativiser le poids de la saisie-contrefaçon en matière d'action en contrefaçon
-de son grief à Me [X] et/ou à sa cliente de n'avoir pas cherché à faire pratiquer de nouvelles saisies-contrefaçon après l'annulation de celles de l'été 2008, l'écoulement du temps ayant rendu illusoire l'intérêt de recourir ainsi à nouveau à une mesure dont la nature initialement non contradictoire témoigne du caractère intrinsèquement lié à l'effet de surprise
-de l'argument tiré par Me [A] de ce que la société Passplast n'ayant jamais rien payé de ce qu'elle doit à Robba di Noi, elle n'aurait pas payé davantage, la perte de chance considérée étant celle d'obtenir une condamnation supérieure et non pas d'exécuter un titre d'un montant supérieur, et l'insolvabilité de la société Passplast n'étant pas établie, étant observé que l'intimée ne prouve ni ne prétend -par la production d'un extrait du registre du commerce et des sociétés- que l'entreprise ne serait plus maître de ses biens.
S'agissant de la chance que la société Robba di Noi affirme avoir perdue d'obtenir la condamnation solidaire de Leroy-Merlin aux côtés de Passplast au titre de la réparation du préjudice résultant de la rupture brusque et injustifiée des relations contractuelles, elle n'est pas plausible, le tribunal, puis la cour d'appel, de Bordeaux, ayant l'un et l'autre écarté toute responsabilité de Leroy-Merlin à ce titre non pas du tout en raison d'une absence des preuves qu'une saisie-contrefaçon régulière aurait pu procurer, mais au motif que Leroy-Merlin n'était pas partie à ces relations, ce que l'appelante ne vient pas contredire, son grief de connivence ou de complicité étant formulé sans le moindre indice à l'appui.
L'existence d'une chance perdue par la société Robba di Noi d'obtenir la condamnation solidaire de Leroy-Merlin aux côtés de Passplast n'est pas non plus plausible au titre de la réparation des actes de concurrence déloyale, qui émanaient de la seule société Passplast et dont le tribunal a explicitement dit, pour mettre hors de cause Leroy-Merlin, que celle-ci n'en était 'en rien responsable' (cf jugement p.15), aucun indice contraire n'étant produit.
En revanche, la chance perdue par la société Robba di Noi d'obtenir la condamnation de Passplast à lui payer une indemnité supérieure est certaine, s'agissant
-de la contrefaçon de marques, dont son ancien sous-traitant a été déclaré coupable
-de la rupture des relations contractuelles et de la concurrence déloyale, dont Passplast a été jugée responsable, et dont il a été dit que le tribunal et la cour ont indiqué les indemniser au seul vu des quelques justificatifs produits et en indiquant expressément ne pouvoir se fonder sur les documents comptables saisis.
Pour justifier les sommes qu'elle réclame, la société Robba di Noi argue d'une perte de chiffre d'affaires, mais ne détaille pas la marge dont les fautes l'ont, selon elle, privée.
Au regard des énonciations du jugement et de l'arrêt, des éléments produits et des explications fournies, cette perte de chance subie par la société Robba di Noi en raison des fautes commises par Me [O] [X] et par Me [I] [A] sera réparée par l'allocation d'une somme de 35.000 euros.
¿ les demandes en remboursement de dépenses
La SARL Robba di Noi n'est pas fondée à solliciter la condamnation de Me [X] à lui rembourser tout ou même partie des honoraires qu'elle lui a versés, la prestation accomplie par l'avocate en contrepartie de la perception de ces sommes étant effective et ayant permis à sa cliente de faire consacrer son bon droit et sanctionner la contrefaçon, la rupture fautive des relations contractuelles et la concurrence déloyale dont elle était victime avec allocation de sommes qui, si elles eussent pu être supérieures sans la faute commise, n'en ont pas moins été substantielles.
Elle est, en revanche, fondée à réclamer à titre de dommages et intérêts le coût des deux saisies-contrefaçons à l'avocat qui y a visé un fondement erroné et à l'huissier instrumentaire qui a mal instrumenté, leur faute respective ayant concouru à l'annulation de ces actes, qui s'en sont trouvés dépourvus de toute utilité pour la société Robba di Noi.
* sur les dépens et l'indemnité de procédure
Au vu du sens du présent arrêt, [O] [X], [I] [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] supporteront in solidum les dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, elles verseront une indemnité de procédure de 12.000 euros à la SARL Robba di Noi pour la couvrir de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, leur propre demande à ce titre étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
DIT que le jugement rendu le 16 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Saintes est affecté d'une omission de statuer du chef de la fin de non-recevoir tirée par Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] de la prescription de l'action exercée à leur encontre
ajoutant au jugement :
REJETTE la fin de non-recevoir tirée par Me [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] de la prescription de l'action exercée à leur encontre par la SARL Robba di Noi
INFIRME le jugement déféré
statuant à nouveau :
DIT qu'[O] [X] a engagé sa responsabilité professionnelle envers la SARL Robba di Noi
DIT que [I] [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] ont engagé leur responsabilité professionnelle envers la SARL Robba di Noi
DIT que les fautes respectives de Me [X] et de Me [A] ont concouru au préjudice de la société Robba di Noi de perte de chance d'avoir obtenu une indemnisation supérieure à l'encontre de la société Passplast dans l'instance qui les opposait, ainsi que la société Leroy-Merlin, devant les juridictions civiles de Bordeaux ayant abouti au jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 29 novembre 2011 puis à l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 5 mai 2014
CONDAMNE in solidum [O] [X], [I] [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] à payer à la SARL Robba di Noi la somme de 35.000 euros en réparation de ce préjudice
DIT que les fautes respectives de Me [X] et de Me [A] ont concouru au préjudice de la société Robba di Noi au titre de la dépense exposée en vain du chef des procès-verbaux de saisies-contrefaçon du 28 août 2008, annulés
CONDAMNE in solidum [O] [X], [I] [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] à payer à la SARL Robba di Noi à titre de dommages et intérêts une somme égale au coût total de ces deux procès-verbaux de saisies-contrefaçon
DÉBOUTE la société Robba di Noi de sa demande en remboursement d'honoraires s'élevant à 13.794 euros formulée contre [O] [X]
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
CONDAMNE in solidum [O] [X], [I] [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] aux dépens de première instance et d'appel
CONDAMNE in solidum [O] [X], [I] [A] et la SCP [A]-[N]-[S] [H] à verser à la SARL Robba di Noi une indemnité de procédure de 12.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,