VC/PR
ARRET N° 702
N° RG 19/03508
N° Portalis DBV5-V-B7D-F363
[M]
[Y]
C/
[H]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 24 NOVEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 septembre 2019 rendu par le Tribunal paritaire des baux ruraux de BRESSUIRE
APPELANTS :
Monsieur [P] [M]
né le 24 février 1961 à [Localité 14] (49)
[Adresse 10]
[Localité 11]
Madame [O] [Y] épouse [M]
née le 05 juillet 1962 à [Localité 17] (79)
[Adresse 10]
[Localité 11]
Représentés par Me Delphine BRETON de la SELARL GAYA, avocat au barreau de SAUMUR, substituée par Me Hortense de BOUGLON, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMÉ :
Monsieur [U] [H]
né le 17 Mars 1966 à [Localité 14] (49)
[Adresse 16]
[Localité 12]
Représenté par Me Carl GENDREAU, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 28 septembre 2022, en audience publique, devant
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller qui a présenté son rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant acte notarié du 7 décembre 1987, M. [V] [S] a consenti à M. [U] [H] un bail rural comprenant des parcelles cadastrées B[Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] situées sur la commune de [Localité 15] (79) pour une superficie de 8ha 57a 13ca, à compter du 1er janvier 1988.
Le 30 mars 2012, M. [S] a vendu à M. [P] [M] et Mme [O] [M] née [Y] (les époux [M]) l'ensemble des parcelles données à bail à M. [H] ainsi que les parcelles cadastrées B. [Cadastre 1] et [Cadastre 4].
Le 16 décembre 2014, M. [H] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire afin d'obtenir la libre disposition des biens loués, l'indemnisation de sa perte de jouissance, la communication des comptes de fermage et le remboursement du trop versé.
Le 17 mars 2015, M. [H] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire afin d'obtenir la fixation du montant du fermage du bail renouvelé.
Par jugement du 21 novembre 2016, le tribunal a :
- ordonné la jonction des deux instances,
- déclaré la demande en résiliation du bail pour défaut de paiement irrecevable,
- constaté l'existence d'un bail verbal entre les parties sur la parcelle B [Cadastre 4],
- donné aux parties les actes qu'elles requéraient quant à la parcelle B [Cadastre 1] à savoir l'existence d'un bail verbal,
- fixé le prix du bail renouvelé le 1er janvier 2015 à 85,69 euros par hectare,
- dit qu'à compter du prochain renouvellement du bail sera mis à la charge du preneur le cinquième de la taxe foncière, et la moitié de la taxe de la chambre d'agriculture,
- rejeté toutes les autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à condamnation par application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné les époux [M] et M. [S] aux dépens.
Par arrêt du 12 décembre 2018, la cour d'appel de Poitiers a :
- confirmé le jugement du 21 novembre 2016 sauf en ce qu'elle a fixé le prix du bail renouvelé le 1er janvier 2015 et statuant de nouveau de ce chef,
- ordonné une expertise judiciaire,
- sursis à statuer sur la fixation du prix du fermage, les frais irrépétibles et les dépens,
y ajoutant,
- fixé la prise d'effet des baux ruraux verbaux au 1er janvier 1994 pour la parcelle B [Cadastre 1] et au 1er janvier 1996 pour la parcelle B [Cadastre 4],
- débouté les époux [M] et M. [S] de leur demande de résiliation judiciaire de chacun des baux ruraux,
- réservé les dépens d'appel.
Auparavant, et après avoir mis en demeure M. [H] par lettre recommandée avec avis de réception du 29 mai 2017 d'avoir à payer les fermages pour la période du 30 septembre 2014 au 29 septembre 2015 et pour la période du 30 septembre 2015 au 29 septembre 2016, les époux [M] ont saisi, le 6 juillet 2018, le tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire en paiement et résiliation du bail pour défaut de règlement des fermages et défaut d'exploitation eu égard à la présence de chardons depuis plusieurs années sur les parcelles louées et l'élagage en dehors des règles de l'art.
Lors de l'audience du 13 mai 2019, M. [H] a demandé au tribunal de procéder à la vérification de la signature qui lui était attribuée et qu'il déniait sur l'avis de réception de la mise en demeure du 29 mai 2017.
Par jugement du 23 septembre 2019, le tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire a :
- accueilli l'incident de vérification élevé par M. [U] [H],
- dit que la signature portée sur l'accusé de réception de l'envoi recommandé du 29 mai 2017 ne correspondait pas à celle de M. [U] [H],
- renvoyé pour la poursuite de la procédure l'affaire à la première audience utile du 25 novembre 2019 à 10h 30 et ordonné son inscription au rôle,
-réservé les demandes.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 22 octobre 2019, les époux [M] ont interjeté appel du jugement du 23 septembre 2019.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 7 avril 2021 lors de laquelle les époux [M], représentés par leur avocat, ont développé oralement leurs conclusions transmises le 17 janvier 2020 et M. [H], représenté par son avocat a repris oralement ses conclusions transmises le 2 avril 2021.
Par arrêt du 10 juin 2021, la chambre sociale de la cour d'appel de Poitiers a :
- déclaré recevable l'appel interjeté par Mme [O] [M] et M. [P] [M] à l'encontre du jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire,
- ordonné, avant-dire-droit, une expertise graphologique et a désigné Madame [X] [N], avec pour mission, après avoir pris connaissance des éléments du dossier, de :
* se faire remettre par les parties, et notamment M. [H], les originaux des documents produits en copie dans le cadre de la présente instance ainsi que l'original de l'avis de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017 et les originaux de tous autres documents utiles portant les signatures attribuées à M. [U] [H] ;
* faire établir par Monsieur [U] [H] une page de signature ;
* retirer au greffe de la cour d'appel, l'original de la feuille de présence à la réunion d'expertise du 1er mars 2019 comportant la signature de M. [H], que M. [C] [E], expert foncier agricole désigné par arrêt du 12 décembre 2018 rendu par la cour d'appel de Poitiers (RG 16/04504), devra remettre avant le 30 juillet 2021 ;
* procéder à l'analyse de ces pièces et indiquer si la signature portée sur l'avis de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017 peut être attribuée à M. [U] [H] ;
* plus généralement apporter à la cour tous éléments de nature à éclairer le litige ;
- renvoyé l'affaire à l'audience du 8 décembre 2021,
- sursis à statuer sur les demandes des parties en ce compris les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens.
Le conseil de M. [H] a déposé une requête le 6 mai 2022 devant le magistrat chargé du contrôle des expertises afin d'obtenir communication par le greffe de l'ensemble des pièces et notamment l'ensemble des pièces en original sur lesquelles l'expert judiciaire s'est appuyé dans ses opérations d'expertise (pièce 'PQ', pièces de comparaison 'PC1, PC2, PC3, PC4, PC5, PC6, PC7') afin de pouvoir demander l'avis d'un autre expert graphologue.
L'expert a déposé son rapport auprès du greffe le 9 mai 2022.
Par ordonnance du 16 mai 2012, le magistrat chargé du contrôle des expertises a rejeté la demande de M. [H] en l'invitant à présenter ses observations en vue de l'audience du 28 septembre 2022 à laquelle l'affaire a été renvoyée.
A l'audience du 28 septembre 2022, les époux [M] concluent au rejet de la demande de communication de pièces formulée par M. [H] et s'en remettent pour le surplus à leurs écritures qui tendent à :
- l'infirmation du jugement attaqué,
- dire que la signature sur l'avis de réception du 29 mai 2017 est celle de M. [H],
- condamner M. [H] à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [H] aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
Ils estiment que la demande de communication de pièces est dilatoire et qu'ils ne disposent pas de la plupart des pièces sollicitées. Sur le fond, ils se fondent sur les conclusions du rapport d'expertise pour affirmer que M. [H] a signé l'accusé de réception litigieux.
M. [H] demande à la cour que le greffe lui communique l'ensemble des pièces et notamment l'ensemble des pièces en original sur lesquelles l'expert judiciaire s'est appuyé dans ses opérations d'expertise (Pièce en question 'PQ', pièces de comparaison 'PC1, PC2, PC3, PC4, PC5, PC6, PC7') afin de pouvoir demander l'avis d'un autre expert graphologue qu'il choisira dans le but de pouvoir ensuite contester l'expertise judiciaire. Subsidiairement et sur le fond, il conteste le rapport d'expertise dont il juge la valeur extrêmement faible sur le plan technique.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 24 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il est constant qu'il appartient au juge, saisi d'un incident de vérification d'un écrit nécessaire à la solution d'un litige, lorsqu'il estime que les documents versés aux débats ne lui permettent pas d'affirmer que l'acte dont une partie dénie l'écriture émane bien de cette partie, de lui enjoindre de produire tous documents de comparaison lui paraissant nécessaires, et s'il y a lieu, de lui faire composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture, ainsi que d'ordonner toutes autres mesures prévues en cas d'incident de vérification et notamment une expertise graphologique.
En l'espèce, lors de l'audience du 7 avril 2021, il avait été produit les documents suivants sur lesquels apparaît la signature avérée de M. [H] :
- un acte notarié du 7 décembre 1987 (pièce 1 des époux [M]),
- la copie de la feuille de présence de M. [H] notamment à la réunion d'expertise du 1er mars 2019 avec M. [C] [E], expert foncier agricole (pièce 15 des époux [M]),
- la copie d'un acte notarié du 10 avril 2017 (pièce 16 des époux [M]),
- la copie d'un second acte notarié du 10 avril 2017 (pièce 17 des époux [M]),
- la copie de la carte nationale d'identité de M. [H] (pièce 7 de M. [H]),
- la copie de la carte d'électeur de M. [H] (pièce 13 de M. [H]),
- la copie du procès-verbal de transport sur les lieux du tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire du 1er février 2016 (pièce 15 de M. [H]),
- la copie d'un procès-verbal d'audition de M. [H] par la compagnie de gendarmerie de [Localité 13] du 26 avril 2019 (pièce 16 de M. [H]).
Il avait également été produit l'avis de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017, en original, adressée à M. [H], comportant une signature dont M. [H] conteste être l'auteur.
La cour ne disposant ni de la compétence technique ni des éléments nécessaires pour trancher la difficulté, a ordonné une mesure d'expertise en demandant aux parties de remettre à l'expert désigné 'les originaux des documents produits en copie dans le cadre de la présente instance ainsi que l'original de l'avis de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017 et les originaux de tous autres documents utiles portant les signatures attribuées à M. [U] [H].' et en invitant l'expert à 'retirer au greffe de la cour d'appel, l'original de la feuille de présence à la réunion d'expertise du 1er mars 2019 comportant la signature de M. [H]'.
Il résulte du rapport d'expertise que :
- l'expert a convoqué les parties à une réunion le 16 novembre 2022,
- Mme [M] assistée de Madame [A], représentant Me [F], et M. [H] se sont présentés, M. [H] n'étant pas assisté par son avocat,
- lors de cette réunion, M. [H] a présenté ses pièces de comparaison datant de 2019 à 2021,
- Mme [M] a apporté des pièces de comparaison (PC4, PC5, PC6, PC7). Il s'agit d'accusés de réception signés par M. [H], ce dernier ayant reconnu sa signature lors de la réunion,
- M. [H] a réalisé une page de signatures (PC1) ainsi que quelques signatures dans un cadre précis proche de celui de l'accusé de réception (PC2),
- Mme [A] a récupéré l'accusé de réception du 29 mai 2017 en original (PQ) auprès du greffe pour la produire à l'expert,
- l'expert a récupéré l'original de la feuille d'émargement (PC3) à la réunion d'expertise tenue par M. [E] le 1er mars 2019.
Après avoir comparé l'inclinaison, la dimension, la morphologie, la superposition et l'étude du trait entre la pièce litigieuse (PQ) et les pièces de comparaison (PC1 à PC7), et après avoir expliqué, en réponse au dire de Me Gendreau, que les 5 critères sont indépendants les uns des autres et que le fait que tous les critères ne soient pas réunis sur une même pièce de comparaison est lié au fait que M. [H] réalise des signatures en apparence très différentes les unes des autres, l'expert a conclu son rapport en indiquant 'nous pouvons dire avec certitude que nous avons relevé deux compatibilités, une incompatibilité partielle, une compatibilité partielle et une compatibilité majeure, en l'occurrence l'étude du trait étudiée au microscope'. L'expert avait préalablement expliqué dans son rapport que 'une signature peut être imitée dans la forme mais pas dans la qualité du trait étudiée au microscope', précisant que la pièce de comparaison 7 était contemporaine à la pièce litigieuse. L'ensemble de ces considérations a permis à l'expert d'exprimer l'avis suivant : 'nous sommes donc en mesure de penser que c'est bien Monsieur [H] qui a signé la pièce litigieuse.'
M. [H] se contente de solliciter la communication en original des pièces de comparaison utilisées pour les faire étudier par un expert de son choix et éventuellement contester par la suite le rapport d'expertise judiciaire. Il doit cependant être rappelé que M. [H] pouvait parfaitement se faire assister lors des opérations d'expertise par son conseil et tout autre technicien de son choix et qu'il pouvait recourir également à l'assistance d'un technicien pour présenter ses dires à l'expert. Par ailleurs, et ainsi que l'a rappelé le magistrat chargé du contrôle des expertises, le greffe de la cour n'est détenteur d'aucun des originaux dont la communication est sollicitée par M. [H] non plus que l'expert qui les a restitués aux parties.
Dans la mesure où M. [H] ne formule aucune critique sérieuse ni sur le travail réalisé par l'expert ni sur les conclusions tirées par ce dernier, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication présentée par l'intimé qui s'avère purement dilatoire. Par suite, il convient également de retenir que M. [H] est le signataire de l'accusé de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017.
Le jugement entrepris est donc infirmé en ce qu'il dit que la signature portée sur l'accusé de réception ne correspondait pas à celle de M. [H], la cour renvoyant les parties à poursuivre l'affaire devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Bressuire.
En application de l'article 295 du code de procédure civile selon lequel 'S'il est jugé que la pièce a été écrite ou signée par la personne qui l'a déniée, celle-ci est condamnée à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés', M. [H] est condamné au paiement d'une amende civile d'un montant de 300 euros.
M. [H] qui succombe est condamné à payer les dépens de l'instance d'appel. Il serait enfin particulièrement inéquitable de laisser supporter aux époux [M] l'intégralité des frais exposés en cause d'appel. M. [H] est en conséquence condamné à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la chambre sociale de la cour d'appel de Poitiers,
Infirme le jugement rendu le 23 septembre 2019 par le tribunal paritaire des Baux ruraux de Bressuire en ce qu'il a dit que la signature portée sur l'accusé de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017 ne correspondait pas à celle de M. [U] [H],
Statuant à nouveau,
Dit que la signature portée sur l'accusé de réception de la lettre recommandée du 29 mai 2017 est celle de M. [U] [H],
Renvoie les parties à poursuivre la procédure devant le tribunal des baux ruraux de Bressuire,
Y ajoutant,
Condamne M. [U] [H] à payer la somme de 300 euros au titre de l'amende civile prévue à l'article 295 du code de procédure civile,
Condamne M. [U] [H] à payer à M. [P] [M] et Mme [O] [M] née [Y] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. [U] [H] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,