ARRÊT N°603
N° RG 20/02375
N° Portalis DBV5-V-B7E-GDJE
[S]
[I]
(...)
C/
AVIVA ASSURANCES
CPAM DE [Localité 44]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 13 DÉCEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 août 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE
APPELANTS :
Monsieur [YY] [I]
né le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 40] (MADAGASCAR)
[Adresse 22]
[Adresse 22]
Madame [C] [OZ]
née le [Date naissance 20] 1958 à [Localité 43]
[Adresse 12]
[Adresse 12]
Madame [K] [OZ]
née le [Date naissance 25] 1965 à [Localité 43]
19 lôtissement '[Adresse 45]'
[Adresse 45]
es-qualités d'ayants-droits de Mme [Y] née [S],
née le [Date naissance 3] 1940 à [Localité 38], décédée le [Date décès 17] 2022
Madame [L] [S] épouse [G]
née le [Date naissance 4] 1945 à [Localité 37]
[Adresse 23]
[Adresse 23]
Madame [O] [S] épouse [KW]
née le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 37]
[Adresse 11]
[Adresse 11]
Madame [HK] [S] épouse [H]
née le [Date naissance 27] 1955 à [Localité 43]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
Madame [Z] [S]-[N]
née le [Date naissance 28] 1960 à [Localité 43]
[Adresse 33]
[Adresse 33]
ayant tous pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
ayant tous pour avocat plaidant Me Julie RAVAUT avocat au barreau de BORDEAUX
Madame [R] [S]
née le [Date naissance 9] 1969 à [Localité 36]
[Adresse 29]
Monsieur [OH] [NP]
né le [Date naissance 15] 1971 à [Localité 43]
Chez [Adresse 46]
Madame [DZ] [NP]
née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 43]
[Adresse 50]
[Adresse 50]
[Adresse 50]
Monsieur [E] [S]
né le [Date naissance 14] 1978 à [Localité 38]
[Adresse 21]
Madame [V] [S]
née le [Date naissance 19] 1978 à [Localité 51]
[Adresse 34]
[Adresse 34]
Monsieur [T] [M]
né le [Date naissance 24] 1992 à [Localité 41]
[Adresse 49]
[Adresse 49]
[Adresse 49]
Madame [D] [S]
née le [Date naissance 18] 1990 à [Localité 52]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
Monsieur [AP] [S]
né le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 38]
[Adresse 32]
[Adresse 32]
Madame [ST] [S]
née le [Date naissance 7] 1980 à [Localité 38]
[Adresse 48]
[Adresse 48]
[Adresse 48]
Monsieur [W] [S]
né le [Date naissance 31] 1973 à [Localité 42]
demeurant CH DE [Localité 39]
[Adresse 35]
assisté de son curateur, Mr [B] [A]
[Adresse 13]
[Adresse 13]
Intervenants en qualité d'ayants droits de Monsieur [P] [S]
décédé le [Date décès 26] 2021
ayant tous pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
ayant tous pour avocat plaidant Me Julie RAVAUT, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
ABEILLE IARD & SANTÉ
anciennement dénomée AVIVA ASSURANCES
[Adresse 16]
défaillante bien que régulièrement assignée
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 44]
[Adresse 47]
défaillante bien que régulièrement assignée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
qui a présenté son rapport
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSÉ :
[P] [S], né le [Date naissance 30] 1957, a été victime d'un grave accident de la circulation le 11 novembre 1979, lorsque la moto qu'il pilotait a été heurtée par une automobile conduite par [X] [U] et assurée auprès de la compagnie L'Abeille.
Transporté dans le coma au centre hospitalier, il présentait un traumatisme crânien dont il a conservé d'importantes séquelles neurocognitives.
Sur expertise médicale ordonnée en référé par le président du tribunal de grande instance de Rochefort, retenant sa consolidation au 28 juillet 1982, son préjudice a été liquidé par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 5 mars 1986 à
¿ dépenses de santé : 228.409,92 francs (soit 34.820,87 euros)
¿ ITT : 72.000 francs (10.976,33 euros)
¿ IPP compte-tenu de l'incidence professionnelle : 236.000 francs (33.977,97 euros)
¿ préjudice esthétique : 2.500 francs (381,12 euros)
¿ pretium doloris : 8.000 francs (1.219,59 euros)
¿ préjudice matériel : 6.000 francs (914,69 euros)
Après imputation de la créance de l'organisme social, c'est ainsi une somme de 107.073,49 francs soit 16.323,25 euros qui lui est revenue.
Arguant d'une aggravation de son état en lien avec l'accident, [P] [S], assisté de son curateur, a obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance de La Rochelle-Rochefort l'institution d'une nouvelle expertise qui a été confiée au professeur [LN] [F], laquelle a déposé en date du 28 juin 2018 un rapport concluant à l'existence d'une aggravation consolidée au 1er juin 2017.
M. [S], assisté de son curateur, a alors fait assigner par actes du 3 juin 2019 la société d'assurances Aviva, anciennement dénommée L'Abeille, ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 44] (la CPAM 33) pour obtenir la condamnation de l'assureur
* à lui verser au titre de l'indemnisation de son préjudice d'aggravation une somme totale de 2.256.603 euros ainsi décomposée :
¿ préjudices patrimoniaux
.frais divers : 2.031 euros
.assistance temporaire tierce personne : 852.046 euros
.frais de centre d'accueil de jour : 63.106 euros
.perte de gains professionnels : 552.000 euros
.assistance permanente tierce personne : 144.672 euros (arrérages échus)
.centre d'accueil de jour après consolidation : 228.328 euros .incidence professionnelle : 304.420 euros
¿ préjudices extra-patrimoniaux
.préjudice d'établissement : 30.000 euros
.préjudice sexuel : 30.000 euros
.troubles dans les conditions d'existence : 50.000 euros
* à lui verser une rente mensuelle d'un montant de 4.532 euros réindexée conformément à la loi, au titre de l'indemnisation de son besoin viager d'assistance par tierce personne
* à supporter de façon viagère les frais d'assistance de son curateur
* avec doublement du taux de l'intérêt légal à compter du 23 décembre 2018 sur l'intégralité des sommes allouées avant imputation de la créance du tiers payeur
*outre 5.000 euros d'indemnité de procédure.
La société Aviva a constitué avocat mais n'a jamais conclu.
La CPAM 33 n'a pas comparu.
Par ordonnance du 7 novembre 2019, le juge de la mise en état a condamné la société Aviva à verser à [P] [S] une provision de 300.000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice d'aggravation.
Par jugement du 31 août 2020, le tribunal judiciaire de La Rochelle a
* condamné la société Aviva à payer à [P] [S] les sommes suivantes, sous réserve de la provision de 300.000 euros à déduire si elle a été effectivement versée
.frais divers : 2.031 euros
.perte de gains professionnels futurs : 28.458 euros
.incidence professionnelle : 50.000 euros
.tierce personne arrérages échus : 156.816 euros
.centre d'accueil de jour : 249.023,38 euros
.troubles dans les conditions d'existence : 25.000 euros
.préjudice d'établissement : 15.000 euros
* condamné la société Aviva à payer à M. [S] une rente viagère mensuelle de 4.532 euros au titre de l'assistance par une tierce personne, à compter du jugement, indexée selon les dispositions prévues par la loi du 5 juillet 1985, et suspendue en cas d'hospitalisation à partir du 46ème jour
* débouté M. [S] du surplus de ses demandes indemnitaires
* condamné la société Aviva à payer les intérêts sur la somme de 206.816 euros au double du taux légal entre le 23.12.2018 et la date à laquelle le jugement sera devenu définitif
* déclaré le jugement commun à la CPAM 33
* condamné la société Aviva à payer à M. [S] 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
* condamné la société Aviva aux dépens
* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
[P] [S] a relevé appel le 23 octobre 2020.
Ni la société Aviva, devenue L'Abeille IARD et Santé, ni la CPAM 33 n'ayant constitué avocat, il les a fait assigner l'une et l'autre avec signification de la déclaration d'appel par actes délivrés le 10 décembre 2020, tous deux à personne habilitée.
[P] [S] est décédé le [Date décès 26] 2021.
L'instance interrompue par ce décès a été reprise par ses ayants-droit, en dernier lieu dix sept personnes, désignées comme les consorts [S].
Par conclusions transmises par la voie électronique le 16 septembre 2022 et signifiées à la société L'Abeille IARD et Santé et à la CPAM 33 par actes délivrés à personne habilitée le 20 septembre 2022, les consorts [S] demandent à la cour de réformer partiellement le jugement déféré et
* de condamner la compagnie Abeille IARD et Santé à verser à la succession d'[P] [S] au titre de ses préjudices d'aggravation les sommes suivantes
.perte de gains professionnels actuels : 480.000 euros
.tierce personne avant consolidation : 964.260 euros
.centre d'accueil de jour avant consolidation : 63.106 euros
.incidence professionnelle : 134.425 euros
.préjudice sexuel : 30.000 euros
* de constater le désistement de l'ensemble des demandeurs de leur demande en condamnation de la compagnie Abeille Iard et Santé au paiement des frais de curatelle
* de juger que l'intégralité des sommes allouées avant imputation de la créance du tiers payeur à M. [S] portera intérêts de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter du 23 décembre 2018 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir
* de condamner la société L'Abeille IARD et Santé aux entiers dépens incluant les frais exposés devant le juge de l'exécution pour obtenir l'exécution de l'ordonnance du juge de la mise en état allouant une provision
* de condamner la société L'Abeille IARD et Santé à payer 5.000 euros d'indemnité de procédure.
Les appelants rappellent qu'[P] [S] a eu depuis sa première indemnisation un parcours de vie démontrant qu'au fil des ans, une large dégradation de sa situation personnelle et professionnelle ; qu'après un rapide épisode d'activité professionnelle en milieu adapté, il n'a en définitive jamais eu d'activité professionnelle ; que de même, il s'est révélé particulièrement dépendant ; que l'expert judiciaire a conclu que la victime, si elle n'avait pas de nouvelles séquelles, avait de nouveaux préjudices car son environnement avait changé.
Ils estiment que le tribunal s'est mépris en liquidant le préjudice d'[P] [S] uniquement à compter de la date de consolidation au 1er juin 2017 retenue par le professeur [F], alors qu'il est bien évident que c'est à compter de la date de réouverture en aggravation soit au 1er juin 1997 où la vie de la victime a basculé, que ses besoins ont été retenus, identifiés et quantifiés par l'expert judiciaire.
Ils soutiennent que pour les jeunes victimes cérébrolésées, il est extrêmement difficile de déterminer l'étendue des préjudices, compte-tenu de l'importance de l'interaction entre la situation de handicap du blessé et l'évolution de son environnement, qui peut être à l'origine de préjudice nouveaux qui sont alors des préjudices en aggravation.
Ils invoquent la jurisprudence du Conseil d'État et des jurisprudences judiciaires ayant selon eux retenu le droit à indemnisation pour aggravation situationnelle.
Ils rappellent que le précédent expert, le docteur [J], avait évoqué l'éventualité d'une nouvelle expertise deux ans après le dépôt de son rapport déclarant l'état du jeune homme consolidé à l'âge de 24 ans.
Ils font valoir que la victime n'a jamais été indemnisée au titre du besoin en tierce personne, ni au titre d'une perte de gains professionnels.
Ils considèrent que l'incidence professionnelle indemnisée à l'époque n'était pas celle évoquée aujourd'hui, puisqu'il s'agissait simplement des difficultés à reprendre une activité professionnelle similaire à celle qu'il avait avant son accident, alors qu'il n'était, en réalité, capable que de travailler en milieu protégé et qu'il a ainsi subi une perte de gains professionnels futurs majeure.
Ils ajoutent que M. [S] vivant alors chez les parents de sa compagne dans un milieu très contenant, son défaut d'autonomie n'avait pas encore été révélé, et qu'il l'a été lorsque le couple s'est séparé, en 1990, avec d'abord un accompagnement par l'association des paralysés de France lui ayant permis de travailler quelque temps en atelier protégé, puis une perte de cet emploi, une inscription à Pôle Emploi suivie d'une radiation parce qu'il avait oublié en raison de ses séquelles mnésiques de faire renouveler ses droits, et à partir de cette date, le 1er juin 1997, une errance devenue clochardisation.
Ils considèrent que le principe même des préjudice en aggravation et de la nécessité de les indemniser est acquis au terme du jugement, et qu'ils sont recevables et fondés à demander réparation
.des pertes de gains professionnels actuels, subies avant la nouvelle consolidation soit du 1er juin 1997 au 1er juin 2017, sur la base d'un revenu mensuel moyen de 2.000 euros correspondant selon eux au salaire qu'[P] [S] aurait pu percevoir eu égard aux deux CAP dont il était titulaire
.de l'incidence professionnelle tenant à ce qu'il ne pouvait pas travailler en dehors d'un milieu protégé, en y intégrant l'incidence sur les droits à la retraite
.du besoin en aide humaine retenu par l'expert judiciaire à hauteur de 6h par jour depuis le 1er juin 1997, à indemniser sur la base d'un taux horaire de 22 euros, et des frais de son accueil de jour et des frais inhérents au coût d'auxiliaire de vie dont il avait besoin, à indemniser sur la base de 96,64 euros que le département, qui les a déboursés, ne manquera pas de réclamer à la succession
.du préjudice sexuel qui doit l'être comme l'a été par le tribunal le préjudice d'établissement, qui est dans la même ligne.
Ils réclament un intérêt au double du taux légal faute d'offre d'Aviva, devenue Abeille IARD et Santé, calculé sur l'assiette des sommes effectivement allouées.
L'ordonnance de clôture est en date du 22 septembre 2022.
Le présent arrêt est réputé contradictoire, en application de l'article 474, alinéa 2, du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il est pris acte de l'intervention volontaire à l'instance des ayants-droits d'[P] [S], décédé le [Date décès 26] 2021.
L'appel est limité à certains chefs de décision du jugement.
La société L'Abeille Assurances, défenderesse à l'action, ne comparaît pas.
La CPAM de [Localité 44] ne comparaît pas. Elle avait transmis au conseil de M. [S] un courrier indiquant qu'elle n'avait aucune créance à faire valoir (pièce n°29).
Selon l'article 472 du code de procédure civile, le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Selon l'article 562 du même code, l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
Il résulte de ce texte que les juges ne peuvent aggraver le sort de l'appelant sur son appel en l'absence d'appel incident de l'intimé.
Il est donné acte aux ayants-droits d'[P] [S] de ce qu'ils se désistent de leur demande en condamnation de la compagnie Abeille Iard et Santé au paiement des frais de curatelle d'[P] [S].
Le préjudice d'[P] [S] a été liquidé par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 5 mars 1986 au vu d'un rapport d'expertise du docteur [J] retenant
.une incapacité de travail totale (ITT) du 11.11.1979 au 22.03.1980
.puis partielle (ITP), à 50%, jusqu'au 09.11.1981,
.une consolidation au 28 juillet 1982
.une incapacité permanente partielle (IPP) de 33%
.une incidence professionnelle tenant à une insertion professionnelle risquant d'être difficile et à la nécessité d'abandonner l'orientation initiale de chauffeur routier
.une absence de besoin en assistance humaine, avant comme après la consolidation
.des souffrances endurées de 3/7 sur le barème de référence de 1/7 à 7/7
.un préjudice esthétique de 1/7.
Les demandeurs sollicitent une indemnisation complémentaire du préjudice consécutif à l'accident du 11 novembre 1979 ainsi réparé, en arguant d'une aggravation situationnelle.
Ils soutiennent devant la cour que le principe même d'une aggravation situationnelle est acquis.
L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif.
Le dispositif du jugement du 31 août 2020 du tribunal judiciaire de La Rochelle n'énonce pas de reconnaissance d'un préjudice d'aggravation, mais il condamne l'assureur tenu de réparer les conséquences de l'accident du 11 novembre 1979 à indemniser [P] [S] de nouveaux préjudices consécutifs à l'aggravation de son préjudice tel que déjà indemnisé par l'arrêt du 5 mars 1986, de sorte que ce qui a fait l'objet du jugement est bien l'aggravation du préjudice de la victime.
Le professeur [LN] [F] indique dans son rapport, dressé après examen clinique et prise de connaissance des pièces médicales et sociales, qu'[P] [S] n'a travaillé effectivement que de mai 1990 à fin novembre 1991, en atelier protégé, jusqu'à ce que cet atelier ferme ; qu'il n'a pu ensuite faute de permis de conduire retravailler dans un atelier protégé ; qu'une désocialisation s'est installée à partir du moment où il n'a plus travaillé puis qu'il s'est séparé de sa compagne et qu'il a été radié de Pôle Emploi en 1997, avec alcoolisation aggravante et clochardisation ; que s'en sont suivi des années d'errance totale et de dégradation physique jusqu'à ce qu'il soit pris en charge en 2014 par le Service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), qui lui a trouvé un logement et l'a accompagné dans la mise en place de toute la coordination médicale, une mesure de curatelle renforcée étant mise en place à la même époque pour l'aider dans les démarches administratives et la gestion financière.
Elle constate l'importance des pertes de mémoire, 'constitutives de véritables oublis à mesure'.
Elle conclut qu'il n'existe pas d'aggravation fonctionnelle, séquellaire, chez [P] [S], indiquant qu'il est au demeurant généralement admis que les séquelles neuro-cognitives ne s'aggravent pas avec le temps, mais que pour autant, il existe une aggravation situationnelle des conséquences de l'accident tenant à son isolement personnel, professionnel et social depuis l'époque de sa radiation de Pôle Emploi le 1er juin 1997 jusqu'à une nouvelle date de consolidation qui pourrait être fixée au 1er juin 2017, où il existe une prise en charge et un projet en cours.
Elle observe que l'expert judiciaire [J] avait prévu cette possibilité, en proposant dans son rapport définitif une nouvelle expertise de celui qui n'était encore qu'un jeune homme et qu'il consolidait à une époque où il n'avait pas d'insertion professionnelle.
Elle estime que la consolidation était intervenue trop rapidement pour bien évaluer le retentissement professionnel et la perte d'autonomie.
Elle propose une nouvelle consolidation au 1er juin 2017, tout en écrivant qu'il n'y a pas de création de nouveaux déficits ni de préjudices temporaires puisque c'est l'environnement qui a changé mais pas les séquelles du blessé.
Elle conclut que lors de l'expertise de référence, aucune aide à la personne n'avait été allouée bien que de toute évidence son état en aurait nécessité d'une part, et que la consolidation est intervenue trop rapidement pour pouvoir bien évaluer le retentissement professionnel et la perte d'autonome d'autre part.
Elle retient
-que M. [S] a besoin de six heures par jour d'aide à la personne pour couvrir ses besoins de stimulation ou de supervision pour les activités essentielles telles que se laver, s'habiller, manger, pour être cadré et supervisé dans les acquisitions automatiques telles que des déplacements sur des trajets récurrents, et pour être occupé la journée ou en compagnie pour ne pas sombrer dans l'ennui ou l'addiction
-qu'on sait maintenant qu'il n'est capable d'occuper qu'un emploi en atelier protégé.
* sur la perte de gains professionnels
Les premiers juges ont retenu que la perte de gains professionnels indemnisable ne pouvait être que future, et pour la période comprise entre la nouvelle consolidation et la date du soixante deuxième anniversaire d'[P] [S], où il pourrait faire valoir ses droits à la retraite.
Ils en ont décidé ainsi à bon droit, dès lors que l'expert judiciaire a expressément indiqué qu''il n'y a pas de création de nouveaux déficits ni préjudices temporaires puisque c'est l'environnement qui a changé mais pas les séquelles du blessé' (cf rapport p.9), et que la date du 1er juin 2017 ne correspond pas à une consolidation au sens médical, usuellement définie comme le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier l'existence éventuelle d'une atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique, mais à la date à laquelle [P] [S] est sorti de la situation personnelle et sociale d'errance dans laquelle i l se trouvait depuis vingt ans, et qu'il est de jurisprudence assurée
(cf Cass. 2° Civ. 17.01.2019 P n°17-25629), rendue dans une instance où il était pareillement conclu par l'expert à une 'aggravation situationnelle' d'une jeune victime en dehors d'aggravation de ses séquelles neurocognitives, que l'autorité de la chose jugée s'attachant à la liquidation antérieure du préjudice s'oppose à ce que la date de la consolidation soit modifiée en l'absence de caractérisation d'une aggravation de l'état de santé de la victime.
L'évaluation de ce poste par les premiers juges, sur la base d'un revenu équivalent à un SMIC de 1.200 euros n'est pas contredite en cause d'appel, où il n'est pas davantage versé de justificatifs, et où il n'apparaît pas que l'obtention successives de deux CAP par [P] [S] augurait par elle-même d'un revenu supérieur au SMIC.
* sur la perte de droits à la retraite
S'agissant de la demande au titre d'une perte de droits à la retraite, elle a été rejetée par le tribunal en l'absence de tout élément sur les ressources de la victime permettant de l'évaluer, et il n'a pas été davantage fourni à ce titre de justificatifs en cause d'appel, étant observé qu'[P] [S] est décédé le [Date décès 26] 2021 quelques mois donc après la date à laquelle ses ayants-droit indiquent qu'il avait pris sa retraite, le 1er juin 2020.
* sur l'incidence professionnelle
La cour d'appel de Poitiers avait indemnisé l'incidence professionnelle, en l'incluant expressément dans la réparation allouée au titre de l'incapacité permanente partielle (cf pièce n°3).
Le tribunal a alloué à M. [S] 50.000 euros au titre de l'incidence professionnelle afférente à l'aggravation compte-tenu de ce que la modification de son environnement l'avait empêché de s'insérer professionnellement et d'occuper un emploi autrement qu'en milieu protégé.
Les appelants réclament 100.000 euros en soutenant que ce préjudice est majeur.
L'évaluation des premiers juges est pertinente, et adaptée, et elle sera confirmée.
* sur l'assistance d'une tierce personne et les frais d'accueil de jour
Le préjudice d'[P] [S] a été indemnisé le 5 mars 1986 par la cour d'appel de Poitiers au vu d'un rapport d'expertise concluant à une absence de besoin en assistance humaine, avant comme après la consolidation.
Il ressort du rapport de l'expert judiciaire que sans l'environnement cadrant dont la perte caractérise l'aggravation situationnelle, [P] [S] avait besoin de six heures par jour d'aide à la personne pour couvrir ses besoins de stimulation ou de supervision pour les activités essentielles telles que se laver, s'habiller, manger, pour être cadré et supervisé dans les acquisitions automatiques telles que des déplacements sur des trajets récurrents, et pour être occupé la journée ou en compagnie pour ne pas sombrer dans l'ennui ou l'addiction.
Pour les mêmes motifs que ceux retenus du chef de l'indemnisation des pertes de gains professionnels, c'est à bon droit que le tribunal a alloué une indemnisation à ce titre à compter du 1er février 2017 et non pas de la date du 1er juin 1997 qu'il qualifie de 'date fictive de réouverture du dossier'.
Il l'a fait de façon pertinente sur la base d'un taux horaire de 22 euros et de 412 jours par an, et selon des modalités adaptées, qui ne sont pas utilement remises en cause devant la cour.
Le jugement sera confirmé.
* sur le préjudice sexuel
L'expert [J] indiquait dans son rapport que M. [S] disait ne pas avoir de problèmes sexuels, et il n'a retenu aucun préjudice sexuel.
Le professeur [LN] [F] n'en retient pas non plus.
Il n'est pas plus justifié en cause d'appel qu'en première instance de la réalité d'un tel préjudice en lien avec l'aggravation retenue.
Le rejet de ce chef de demande par le tribunal sera confirmé.
* sur le doublement du taux légal d'intérêts
Les appelants ne sont pas fondés à contester l'assiette du doublement retenue par le tribunal, qui a dit à bon droit que celle-ci portait sur les seuls postes de préjudice retenus par le rapport d'expertise fixant une date de consolidation sur aggravation
Le jugement déféré est ainsi confirmé purement et simplement
* sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Au vu du sens du présent arrêt, les appelants conserveront la charge des dépens d'appel, sans indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, dans les limites de l'appel :
DONNE ACTE aux ayants-droits d'[P] [S] de ce qu'ils se désistent de leur demande en condamnation de la compagnie Abeille Iard et Santé au paiement des frais de curatelle d'[P] [S]
CONFIRME le jugement déféré
ajoutant :
REJETTE toutes demandes autres ou contraires
LAISSE les dépens d'appel à la charge des appelants
DIT n'y avoir lieu à indemnité de procédure
DÉCLARE le présent jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 44]
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,