FAITS ET PROCÉDURE
La société VEGAROM International, qui a pour objet la fabrication, la commercialisation et le négoce de produits alimentaires, colorants, arômes et parfums, fut constituée en 1996 par Messieurs X... et Y.... Elle avait son siège social et son principal établissement à Auch.
Les époux X... et la S.A.R.L. AGRALOR étaient propriétaires de la moitié des 2000 parts composant le capital de la société VEGAROM.
Dans le cadre d'une restructuration de la société VEGAROM, suivant protocole signé le 29 janvier 2004, les époux X... et la société AGRALOR cédèrent leur participation dans cette société à la S.A.R.L. FORCEL dont le gérant est Monsieur Z... pour le prix de 10 €.
L'acte de cession, en son article 3.1, prévoyait que toutes contestations qui s'élèveraient entre les parties relativement à la validité, l'interprétation ou l'exécution de la convention seront soumises à un Tribunal arbitral statuant comme amiable compositeur, par une sentence non susceptible d'appel.
Lors de l'arrêté des comptes il apparut que la marge brute n'était que de 58 % alors que les comptes présentés à Monsieur A..., expert-comptable mandaté par la société FORCEL, à savoir le bilan au 31 décembre 2002 et une situation au 30 juin 2003, laissaient apparaître une marge brute théorique de 64,77%.
Par jugement du 23 juin 20041e Tribunal de commerce de Vannes ouvrit une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société VEGAROM et la caution de Monsieur Z... fut appelée le 27 juillet 2004 par la Caisse régionale de Crédit Agricole à hauteur de 100.000 €.
Le 2 août 2004 la société FORCEL et Monsieur Z... déclenchèrent alors la procédure d'arbitrage convenue à l'article 3.1 de l'acte de cession.
Suivant sentence du 16 janvier 2006 le Tribunal arbitral :
annula la convention du 29 janvier 2004 en toutes ses dispositions à raison d'une rétention d'information déterminante présentant manifestement un caractère dolosif,
dit toutefois que cette annulation ne concernait pas la clause arbitrale stipulée à l'article 3.1,
dit qu'en conséquence la société FORCEL remettra à chacun des cédants les 1000 parts sociales qu'elle a acquises d'eux, selon la répartition indiquée aux articles B et 1.1 à 1.4 de la convention, soit 980 parts à la société AGRALOR, 10 parts à Monsieur X... et 10 parts à Madame X...,
dit qu'en contrepartie les cédants seront tenus solidairement de verser à la société FORCEL le prix des parts qu'ils lui ont cédées et qu'ils ont reçues, soit au total la somme de 10 €, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2004 jusqu'à parfait paiement,
condamna solidairement la société AGRALOR et les époux X... à payer à Monsieur Z... la somme de 100.000 € au titre de son engagement de caution, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du 26 août 2004 jusqu'à parfait paiement,
condamna solidairement la société AGRALOR, Monsieur et Madame X... à verser à Monsieur Z... la somme de 16.919 € H.T., soit 20.233,93 € T.T.C. en remboursement des honoraires de la S.C.P. Granger Eymin Seité,
condamna solidairement les défendeurs à verser à la société FORCEL et à Monsieur Z..., chacun, la somme de 6000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
mit solidairement à la charge de la société AGRALOR et des époux X... les frais de l'arbitrage.
La société AGRALOR et les époux X... formèrent contre cette sentence arbitrale un recours en annulation.
POSITION DES PARTIES
* LA SOCIÉTÉ AGRALOR ET LES ÉPOUX X...
Dans leurs dernières conclusions en date du 6 mars 2007 la société AGRALOR et les époux X... demandent à la Cour:
de dire et juger recevable l'appel en nullité formé contre la sentence arbitrale prononcée le 16 janvier 2006,d'annuler la dite sentence,
de condamner Monsieur Z... et la société FORCEL aux dépens et au paiement de la somme de 6000 € à Monsieur et Madame X... et à la société AGRALOR sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
* LA SOCIÉTÉ FORCEL ET MONSIEUR Z...
Dans leurs dernières écritures en date du 20 mars 20071a société FORCEL et Monsieur Z... demandent à la Cour:
de rejeter le recours des époux X... et de la société AGRALOR en toutes ses conséquences de droit,
de condamner les époux X... et la société AGRALOR solidairement à payer la somme de 6000 € à Monsieur Z... et à la société FORCEL sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
de condamner les appelants aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 1484 du nouveau code de procédure civile lorsque les parties ont renoncé à l'appel, un recours en annulation de l'acte qualifié de sentence arbitrale peut néanmoins être formé malgré toute stipulation contraire dans les cas limitativement énumérés à l'article 1484, et notamment pour atteinte au principe du contradictoire et défaut de respect de la mission confiée.
Dans le cas présent la société AGRALOR et les époux X... demandent à la Cour d'annuler la sentence arbitrale prononcée le 16 janvier 2006 pour violation des droits de la défense et du principe du contradictoire ainsi que pour défaut de respect de la mission de statuer en équité.
* SUR LE RESPECT DES DROITS DE LA DÉFENSE ET DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE
Aux termes de l'article 1460 du nouveau code de procédure civile les arbitres règlent la procédure arbitrale sans être tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux sauf si les parties en ont disposé autrement. Toutefois les principes directeurs du procès énoncés aux articles 4 à 11. alinéa 1 e` et 13 à 21 sont toujours applicables à la sentence arbitrale.
Il ressort de ce texte que les arbitres doivent respecter les droits de la défense et le principe du contradictoire sans la médiation des formalités substantielles destinées à en assurer le respect. En conséquence la partie qui prétend que le contradictoire a été négligé doit en établir la violation effective et elle ne peut seulement prétendre qu'une formalité qui normalement protège ce principe n'a pas été respectée.
Par ailleurs, les arbitres n'étant pas tenus de suivre les règles établies pour les tribunaux, il leur appartient, conformément au pouvoir d'initiative qui leur est reconnu par la loi, de fixer les règles régissant l'audience. A cet effet rien ne leur interdit de procéder, à l'improviste, au cours de l'audience, à un interrogatoire direct des parties en posant des questions aux personnes présentes, sans en dresser procès-verbal.
Enfin, dans le silence de la loi, il est admis que la sentence arbitrale a la force probante d'un acte authentique, l'exactitude des affirmations qu'elle contient ne pouvant être contestée que par la procédure d'inscription de faux.
Dans le cas présent la société AGRALOR et les époux X... reprochent aux arbitres d'avoir décidé de l'annulation de la cession des parts sociales en se fondant sur un fait unique, à savoir des propos qu'aurait tenus Monsieur X... lors de l'audience de plaidoirie, alors d'une part que Monsieur X... conteste avoir tenu les propos qui lui sont rapportés, alors d'autre part que ces prétendues observations verbales sont en contradiction totale avec l'argumentation écrite et les pièces qui avaient été présentées.
En page 33 de la sentence arbitrale il est mentionné: "Mais quand, lors de l'audience du 20 décembre 2005, le Tribunal arbitral a interrogé Monsieur X... pour savoir à quel moment il a pris connaissance de cette erreur de comptabilisation, il a très expressément et très clairement admis que c'était en novembre 2003 ".
Les énonciations contenues dans la sentence arbitrale ayant la force probante d'un acte authentique, la société AGRALOR et les époux X... ne sauraient se contenter de contester la réalité des propos imputés à Monsieur X... en faisant valoir qu'ils sont invérifiables pour n'avoir pas été consignés dans un procès-verbal.
Ils ne sauraient davantage soutenir que les propos tenus ont été dénaturés alors qu'en utilisant, pour les rapporter, les termes "expressément et clairement admis" le Tribunal arbitral a pris le soin de souligner que les observations recueillies étaient dépourvues de toute ambiguïté.
Ils ne sauraient enfin reprocher au Tribunal arbitral d'avoir fondé sa décision sur le résultat d'une audition recueillie lors de l'audience des plaidoiries au motif que la teneur de cette audition n'était pas conforme aux mémoires déposés, alors d'une part que la clause d'arbitrage n'imposait nullement que la procédure soit exclusivement écrite, alors d'autre part que les arbitres ne sont pas tenus de respecter les règles de la procédure écrite prévues pour les tribunaux, alors enfin qu'en raison du pouvoir de libre initiative qui leur est reconnu les arbitres peuvent librement interroger les parties et prendre en compte les propos recueillis au cours de ces auditions.
Dès lors le moyen tiré d'une atteinte au droit de la défense et d'une violation du principe du contradictoire n'est pas établi.
* SUR LA MISSION D'AMIABLE COMPOSITEUR
Il résulte des articles 1474 et 1484 du nouveau code de procédure civile que l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur.
Dans ce dernier cas si les arbitres peuvent statuer en droit, ils doivent témoigner d'une recherche conforme à l'équité en procédant à une analyse comparée du comportement des parties et des conséquences en résultant sur le juste rapport à établir entre leurs intérêts respectifs, avant d'énoncer que la règle de droit conduit à une solution équitable.
La notion d'équité correspond à une certaine communauté de pensée du milieu des affaires sur le sens qu'il faut attribuer au juste et à l'injuste, en faisant prédominer les aspects techniques, psychologiques et commerciaux sur les aspects juridiques. A cet effet les arbitres doivent tendre à rétablir l'équilibre économique initial et prendre en considération la bonne ou mauvaise foi des parties.
Dans le cadre du recours en annulation exercé pour défaut de respect de la mission d'amiable compositeur, il n'appartient pas au juge de statuer sur la pertinence des motifs contenus dans la sentence arbitrale mais de vérifier que l'arbitre a respecté la mission qui lui avait été confiée en prononçant une décision résultant d'un raisonnement tenu en équité.
Dans le cas présent la société AGRALOR et les époux X... reprochent au Tribunal arbitral d'avoir prononcé la sanction la plus grave, à savoir l'annulation de l'acte de cession, sans préciser pourquoi il serait conforme à l'équité de juger que la réticence d'une information résultant d'une erreur de
comptabilisation d'un stock serait dolosive alors que, dans le même temps, il admettait l'absence de toute manipulation comptable.
Le juge de l'annulation n'ayant pas à juger de la pertinence des motifs de la sentence arbitrale, la Cour n'a pas à se prononcer sur le caractère dolosif ou non de la rétention d'informations mais doit seulement rechercher si les arbitres ont raisonné en équité et recherché la solution la plus juste.
Or, en page 27 de la sentence, le Tribunal arbitral rappelle qu'étant saisi d'une mission de juger en équité, il est attentif aux exigences de bonne foi et de loyauté dans la conclusion et l'exécution des obligations contractuelles et considère que la dissimulation d'une information présentant les caractéristiques d'un dol ne peut que conduire à la nullité de la convention.
En page 34 le Tribunal arbitral constate que Monsieur X... était informé de l'erreur de comptabilité dès le mois de novembre 2003 mais n'a pas communiqué cette information essentielle aux acquéreurs. En page 35 il rappelle que cette rétention porte sur une information manifestement déterminante.
En page 35 le Tribunal arbitral précise que cette non révélation d'information est d'autant plus regrettable que la société était dans une mauvaise situation financière et que, dans une entreprise qui a une situation tendue, un fait qui pourrait ne pas être très significatif dans une entreprise florissante peut avoir des conséquences graves et la mettre en difficulté ou accroître ses difficultés.
Si les arbitres ont fondé leur sentence en se référant à la notion juridique de réticence dolosive, la motivation de leur décision permet de constater que pour prononcer l'annulation de l'acte de cession ils ont raisonné en amiables compositeurs, en estimant que l'application de la règle de droit conduisait à une solution juste et équitable.
En effet ils ont raisonné en équité en prenant en considération non seulement la mauvaise foi et la déloyauté dont a fait preuve Monsieur X... en dissimulant des informations déterminantes lors de la cession, mais encore en tenant compte de la gravité des conséquences économiques qui résultaient pour l'acquéreur de cette réticence, à raison de la situation financière délicate de la société.
Le moyen tiré du défaut de respect de la mission d'amiable compositeur n'étant pas établi, la société AGRALOR et les époux X... seront déboutés de leur recours en annulation.
* SUR LES DÉPENS
Les dépens seront supportés par la société AGRALOR et les époux X... qui succombent en leur recours.
Ils seront déboutés de leur demande formée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et condamnés à payer, à ce titre, à la société FORCEL et à Monsieur Z... une somme de 2000 €.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déboute la S.A.R.L. AGRALOR, Monsieur François X... et Madame Catherine B... épouse X... de leur recours en annulation formé/ contre la sentence arbitrale du 16 janvier 2006.
Déboute la S.A.R.L. AGRALOR, Monsieur François X... et Madame Catherine B... épouse X... de leur demande formée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Condamne la S.A.R.L. AGRALOR, Monsieur François X... et Madame Catherine B... épouse X... à payer à la S.A.R.L. FORCEL et à Monsieur Henri Z... une somme de deux mille euros (2000,00 €) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Condamne la S.A.R.L. AGRALOR, Monsieur François X... et Madame Catherine B... épouse X... aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT