COUR D'APPEL DE RENNES
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
No de minute : 4
No de dossier : 12/ 00009
O R D O N N A N C E
Décision en premier ressort rendue par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2013 par Monsieur Philippe JEANNIN, Premier Président près la cour d'appel de RENNES, assisté lors des débats en date du 20 Février 2013 par Madame Pascale JEGOU, Greffière en chef,
REQUERANT :
Monsieur Arsen Y...
né le 25 juillet 1967 à Argavand (Arménie)
de nationalité Arménienne
...
29200 BREST
non comparant, représenté par Maître MIZRAHI avocat au barreau de PARIS
EN PRESENCE DE :
Madame l'Agent Judiciaire du Trésor
Sous-direction du droit privé
6 rue Louise Weiss
75073 PARIS CEDEX 13
Représentée par Me BILLAUD, Avocat à la Cour
ET :
le ministère public, représenté en la personne du procureur général,
Rappel des faits et de la procédure.
Monsieur Arsen Y..., représenté par son conseil, a présenté requête le 20 juin 2012 sur le fondement des articles 149 et suivants du code de procédure pénale aux fins d'indemnisation au titre de la détention provisoire qu'il a subie du 17 novembre 2006 au 3 août 2007, ayant bénéficié le 20 décembre 2011, par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Rennes, d'une décision de relaxe pour les faits e tentative d'extorsion de fonds commise en état de récidive légale pour lesquels il était poursuivi.
Il sollicite en réparation du préjudice subi à raison de la détention provisoire :
- au titre du préjudice matériel, 10. 000 € représentant les frais engagés pour assurer sa défense dans le cadre du contentieux de la détention provisoire,
- au titre du préjudice moral, 50. 000 € soulignant qu'il a toujours protesté de son innocence au regard des faits qui lui étaient reprochés. Il justifie le montant de cette demande par la durée de la détention subie, 8 mois et 16 jours, son caractère particulièrement traumatisant en raison, d'une part, de son isolement sur le plan familial, d'autre part en ce qu'il a été jusqu'à tenter lui-même de se suicider après la mort à la maison d'arrêt de Nantes, dans les mêmes conditions, de Arthur A..., ami d'enfance également détenu dans cette affaire.
Il demande également que lui soit allouée une somme de 5. 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame l'agent judiciaire de l'Etat, soutient pour l'essentiel que le sentiment d'injustice invoqué par le requérant ne peut constituer un facteur d'aggravation de la détention subie alors que l'instance n'a pas pour objet de juger du bien fondé ou non de l'incarcération. Elle ajoute qu'il en va de même de la séparation familiale qui est une conséquence directe mais ordinaire de la détention subie. Elle accepte néanmoins de considérer l'épreuve de la tentative de suicide comme une cause de majoration attestant de ce que M. Y...a pu vivre durement son incarcération et demande en conséquence d'évaluer le préjudice moral à 18. 000 €. Relevant qu'aucune pièce justificative n'est produite elle conclut au rejet de la demande formée au titre du préjudice matériel, et à la limitation à des proportions raisonnables de celle présentée au titre des frais irrépétibles.
Monsieur le procureur général, soutient en premier lieu que la requête de Monsieur Y..., bien que déposé dans le délai de 6 mois suivant la décision de relaxe, ne répond pas, en la forme, aux conditions exigées par l'article R26 du code de procédure pénale et qu'elle est donc irrecevable.
Subsidiairement et au fond, il relève que Arsen Y... n'est pas recevable à solliciter une indemnisation pour la période comprise entre le 8 février et le 21 mai 2007, soit 3 mois et 18 jours, pendant laquelle il exécutait une peine prononcée en 2010 par la cour d'appel de Rennes de sorte que la durée de détention à prendre en compte ne serait que de cinq mois.
Il considère en outre, pour apprécier le préjudice moral, que le requérant, qui avait été précédemment détenu pour autre cause en 2004, connaissait les conditions de la vie carcérale, et que le choc psychologique subi a été de ce fait amoindri. Il ajoute que la tentative de suicide invoquée comme élément aggravant, n'est pas liée à la détention provisoire subie, puisqu'intervenue pendant la période où le requérant se trouvait en exécution de peine. Il demande en conséquence que la demande au titre de la réparation du préjudice moral soit limitée à 9. 000 €.
Il conclut au rejet de la demande présentée au titre du préjudice matériel et au cantonnement à 1. 000 € de celle formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CECI ETANT EXPOSE : Nous, premier président,
- Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que si l'article R26 du code de procédure pénale précise que la requête en indemnisation d'une détention provisoire est remise contre récépissé ou adressée par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel, cette disposition a pour seul objet de donner date certaine à la requête au regard de son dépôt dans le délai de six mois prévu par l'article 149-2 du code de procédure pénale ;
Qu'en l'espèce, s'il apparaît que la requête de M. Y...a pu être adressée au greffe de la cour par télécopie, en tout cas sans que soit utilisée l'envoi dans les formes prévues à l'article R26 du code de procédure pénale, il n'est contesté, ni par l'agent judiciaire de l'Etat, ni par le ministère public qu'elle a été déposée le 20 juin 2012, soit dans le délai de 6 mois suivant la date à laquelle la décision de relaxe dont a bénéficié le requérant le 20 décembre 2011 est devenue définitive ;
Qu'elle doit donc être déclarée recevable ;
- Au fond :
- Sur la demande en réparation du préjudice matériel.
Considérant que pour solliciter une indemnisation de ce chef à hauteur de 10. 000 €, M. Y...indique qu'il a du exposer dans le cadre de la procédure dont il a fait objet de frais et honoraires d'avocats pour assurer sa défense devant le juge des libertés et de la détention comme devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes :
Mais considérant qu'il ne produit aucune facture justifiant la réalité des frais et honoraires exposés et permettant de vérifier leur rapport direct avec la détention provisoire ou le contentieux de la détention provisoire ;
Que sa demande doit donc être rejetée ;
- Sur le préjudice moral.
Considérant que si la durée de l'incarcération de M. Y...a été de huit mois et seize jours du 17 novembre 2006 au 3 août 2007, il a purgé du 8 février au 21 mai 2007, soit pendant 3 mois et dix huit jours une peine exécutoire de 4 mois d'emprisonnement prononcée par arrêt définitif de la cour d'appel de Rennes du 6 octobre 2010 ;
Qu'ainsi l'assiette de l'indemnisation au titre de la détention provisoire doit être réduite de la durée d'exécution de cette peine et s'établit ainsi à 4 mois et 28 jours ;
Considérant que M. Y..., de nationalité arménienne, sans profession, était célibataire, indiquant qu'il vivait maritalement et avait des enfants ; qu'il était âgé de 39 ans au moment de son placement en détention ;
Qu'il invoque certains éléments susceptibles, selon lui, d'avoir aggravé la portée du préjudice moral qu'il a subi du fait de la détention provisoire comme les dénégations permanentes opposées aux accusations portées contre lui ou la séparation de sa femme et de ses enfants ;
Que ces deux éléments sont indifférents au regard de la fixation de l'indemnisation du préjudice moral au-delà des normes habituelles, le contentieux de la détention provisoire n'ayant pas pour objet de juger du bien fondé de l'incarcération, la séparation d'avec sa famille étant un élément propre à la privation de liberté ordinaire dès lorsqu'il n'est pas établi de limites apportées au droit de visite de la famille dans les conditions réglementairement fixées ;
Considérant, par contre, que les pièces régulièrement versées aux débats il, ressort qu'à la suite du suicide d'un co-mis en examen Arthus A..., M. Y...a lui même tenté, le 6 avril 2007, de mettre fin à ses jours alors qu'il se trouvait seul en cellule, et ce, par pendaison ;
Que si le ministère public fait observer que cette tentative de suicide a été constatée pendant que le requérant se trouvait en période d'exécution de peine, il n'en demeure pas moins qu'elle constate un événement survenu en détention dont les causes et conséquences trouvent leur origine directe dans les condition d''incarcération et ont eu des conséquences sur la souffrance morale supportée par le détenu pour l'ensemble de la détention subie, y compris celle relevant de la période relevant de la détention provisoire ;
Que cette circonstance constitue donc un élément qui doit être retenu au titre de l'aggravation du préjudice moral ;
Considérant, néanmoins, que ce préjudice doit être par ailleurs pondéré par la circonstance que M. Y...avait déjà été condamné à plusieurs reprises et incarcéré en 2005 pour l'exécution d'une peine d'emprisonnement, circonstance de nature à atténuer le choc psychologique carcéral subi lors de son placement en détention provisoire ultérieurement survenu au mois de novembre 2006 ;
Considérant, au vu de l'ensemble des éléments qui précèdent, que le préjudice moral subi par M. Y...doit être indemnisé à hauteur de 15. 000 € ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Arsen Y...la totalité des frais irrépétibles engagés par lui dans le cadre de la présente procédure ;
Qu'il lui sera alloué 1. 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant par décision contradictoire rendue en audience publique,
Vu les articles 149, 149-1 à 149-4, 150, R 26 et suivants du code de procédure pénale,
- En la forme, déclarons recevable la requête en indemnisation formée par Monsieur Arsen Y...;
- Au fond, condamnons le Trésor Public à verser à Arsen Y... la somme de 15. 000 € (QUINZE MILLE EUROS) en réparation de son préjudice moral,
- ainsi que la somme de 1. 000 € (MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejetons toutes autres demandes,
- Laissons les dépens à la charge du Trésor Public.
Le greffier en chefLe Premier Président
Pascale JEGOUPhilippe JEANNIN