1ère Chambre
ARRÊT N°415
R.G : 13/02905
DIRECTION REGIONALE DES DOUANES DES PAYS DE LA LOIRE
C/
Société SAUPIQUET SAS
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2014
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Xavier BEUZIT, Président,
Monsieur Marc JANIN, Conseiller,
Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseiller, entendue en son rapport
GREFFIER :
Madame Claudine PERRIER, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 Septembre 2014
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé par Monsieur Xavier BEUZIT, Président, à l'audience publique du 21 Octobre 2014, date indiquée à l'issue des débats.
****
APPELANTE :
DIRECTION REGIONALE DES DOUANES DES PAYS DE LA LOIRE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Pascal ROBIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Assistée de Me Xavier NORMAND de la SCP NORMAND ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
Société SAUPIQUET SAS
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me René LEDRU, AARPI MARIGNAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Par règlement n°975/2003 du Conseil de l'Union Européenne en date du 05 Juin 2003 a été mis en place un contingent tarifaire pour les importations de conserves de thon de plus de 25.000 tonnes, permettant sous certaines conditions aux importateurs de bénéficier de taux de droits de douane réduits de moitié.
L'ouverture de ce contingent est intervenue le 1er Juillet 2007 et les attributions ont été réalisées selon la chronologie des dates d'acceptation douanières ; le contingent a été épuisé par les déclarations réalisées le 1er Juillet 2007.
Le 1er Juillet 2007 étant un dimanche et le bureau des douanes de [Localité 3] étant fermé le dimanche, la société Saupiquet n'a pu effectuer sa déclaration pour ses importations de conserve de thon que le 02 Juillet 2007; de ce fait elle n'a pu bénéficier du contingent.
Il lui a donc été réclamé par l'administration des douanes la somme de 312.156 euros dont elle s'est acquittée.
Par courrier du 21 Janvier 2008, la société Saupiquet a sollicité de la Recette des Douanes de [Localité 3] le remboursement de cette somme sur le fondement des articles 236 et 239 du code des douanes communautaire, sans obtenir de réponse ; cette demande a été renouvelée par lettre recommandée du 19 Mars 2010 reçue le 22 Mars, sans plus de réponse.
Le 08 Juillet 2008, la société Saupiquet a sollicité de la direction générale des douanes et des droits indirects la saisine de la Commission Européenne ; par décision du 16 Décembre 2009 la Commission Européenne a rejeté son recours et par décision du 24 Novembre 2011, le Tribunal de l'Union Européenne a rejeté son recours ; par requête du 24 Janvier 2012, un pourvoi a été formé devant la Cour de Justice de l'Union Européenne, lequel a été rejeté le 21 Février 2013.
Par acte du 16 Septembre 2010, la SAS SAUPIQUET a fait assigner le Directeur régional des droits et douanes indirectes des Pays de la Loire (l'administration des douanes) devant le Tribunal d'instance de Nantes afin que celui-ci dise sa réclamation fondée et la décision implicite de rejet de l'administration douanière infondée, et ordonne le remboursement par l'administration des douanes de la somme de 312.516 euros avec intérêts légaux à compter du 21 Janvier 2008.
Par jugement du 19 Mars 2013, le Tribunal d'instance de Nantes a :
annulé la décision de rejet implicite de l'administration des douanes,
condamné l'administration des douanes au remboursement de la somme de 312.516 euros avec intérêts légaux à compter du 21 Janvier2008,
condamné l'administration des douanes au paiement de la somme de 8.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,
dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire,
débouté l'administration des douanes de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Appelante de ce jugement, l'administration des douanes, par conclusions du 29 Août 2013 et du 18 Mars 2014, a demandé que la Cour :
infirme le jugement déféré,
dise non fondée la demande de remboursement, tant sur les dispositions de l'article 236 que sur celles de l'article 239 du code des douanes communautaire et dise la décision de rejet implicite de la direction des douanes légale et fondée, et en conséquence, déboute la société Saupiquet de ses prétentions,
la condamne au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
dire n'y avoir lieu à dépens en application des dispositions de l'article 367 du code des douanes.
Par conclusions du 13 Février 2014, la société Saupiquet a demandé à la Cour de confirmer la décision déférée et de condamner l'administration des douanes à lui payer la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.
Lors de l'audience, les parties ont été invitées par la Cour à présenter leurs observations sur les conséquences devant être tirées de l'épuisement du contingent dans la seule journée du 1er Juillet 2007et de l'impossibilité de satisfaire toutes les demandes présentées ce jour-là, la société Saupiquet lui semblant, éventuellement, avoir simplement perdu une chance de voir sa marchandise incluse dans ledit contingent.
MOTIFS DE LA DECISION :
Plusieurs fondements juridiques sont évoqués par la société Saupiquet à l'appui de sa contestation.
En premier lieu, la société Saupiquet considère que les dispositions de l'article 869 a) des dispositions d'application du code des douanes communautaires auraient été violées et que dès lors, les droits de douanes ne seraient pas légalement dus et devraient lui être remboursés par application des dispositions de l'article 236 du code des douanes communautaire.
L'article 869 a) vise le cas où un traitement tarifaire préférentiel avait été appliqué « alors que le bénéfice de ce traitement avait été supprimé au moment de l'acceptation de la déclaration en douane, sans que, jusqu'au moment de la mainlevée des marchandises en question, cette situation ait fait l'objet d'une publication au journal officiel ' ».
La société Saupiquet considère que cette disposition résulte d'une traduction erronée de la version anglaise de l'article, sans toutefois verser aux débats le moindre commencement de preuve (analyses exégètes, attestations de traducteurs assermentés, jurisprudences communautaires ') de cette assertion.
Au demeurant, les dispositions de l'article 869 a) visent simplement les conséquences d'une éventuelle modification de la réglementation applicable, dont il est très classiquement rappelé qu'elle ne s'applique qu'à compter du moment où elle fait l'objet d'une publication.
Elles sont donc inapplicables au cas d'espèce.
En second lieu, sur le fondement des dispositions de l'article 236 du code des douanes communautaire, la société Saupiquet considère que les droits ne seraient pas dus car la procédure communautaire d'attribution du contingent aurait été violée, ainsi que le principe d'égalité et non-discrimination des candidats au contingent.
Les moyens longuement développés à ce titre par la société Saupiquet ont déjà fait l'objet d'une réponse judiciaire définitive, dans la mesure où ils ont servi de fondement au recours développé à l'occasion des mêmes faits devant la Commission Européenne, puis devant le Tribunal de l'Union Européenne, puis devant la Cour de Justice des Communautés Européennes.
Ces recours ont été rejetés par les juridictions susvisées et notamment en dernier lieu par la Cour de Justice des Communautés Européennes, dont la décision s'impose à cette Cour.
Celle-ci, dans son ordonnance du 21 Février 2013, a en effet dit que « il n'existe pas de règlementation douanière européenne réglant la question de l'ouverture dominicale des bureaux de douane dans les Etats membres », et que les dispositions des articles 247 et 247 bis du code des douanes communautaire ainsi que 7 du règlement n°975/2003 « ne sauraient être interprétées en tant qu'imposant à cette institution (nb : la Commission), en vertu des principes d'égalité de traitement et de discrimination, de prendre des mesures pour remédier à une telle situation » ; la Cour a ainsi maintenu sa jurisprudence antérieure (arrêt Bolton Alimentari) selon laquelle « la circonstance que la Commission exclut un opérateur d'un contingent tarifaire, en vertu des articles 308 bis à 308 quater du règlement d'application, au motif que ce contingent a été épuisé le jour même de son ouverture tombant un dimanche, ne contrevient pas au principe de l'accès non discriminatoire au contingent tarifaire en cause de tous les opérateurs de l'Union ».
En conséquence, les moyens soulevés de ce chef par la société Saupiquet sont inopérants.
En troisième lieu, la société Saupiquet vise les dispositions de l'article 239 du code des douanes communautaires, selon lesquelles l'autorité douanière de décision peut décider d'accorder le remboursement des droits « lorsque les circonstances de l'espèce constituent une situation particulière qui résulte de circonstances n'impliquant ni man'uvre ni négligence manifeste de la part de l'intéressé ».
Ce fondement juridique lui a été ouvert par la Cour de Justice, tant dans son arrêt Bolton Alimentari que dans l'ordonnance du 21 Février 2013.
L'arrêt Bolton Alimentari, qui a trait au même contingent de thon du 1er Juillet 2007, a dit en effet que l'interprétation des dispositions de l'article 239 précité conduit à considérer que la « situation particulière » qu'il envisage peut être « l'exclusion d'un importateur dont la date d'ouverture tombe un dimanche en raison de la fermeture dominicale des bureaux de douane dans l'Etat membre où est établi cet importateur ».
L'ordonnance du 21 Février 2013 a rappelé cette jurisprudence en indiquant à la société Saupiquet que dans les circonstances de l'espèce « il appartient aux autorités douanières nationales de vérifier s'il existe des faits supplémentaires permettant de considérer que la requérante a été placée dans une situation particulière ».
L'administration des douanes considère que contrairement à la société Bolton Alimentari qui a dû faire face, le 1er Juillet 2007, à la fermeture totale des bureaux de douane italiens, la société Saupiquet, pour sa part, avait la possibilité de faire ouvrir les bureaux français en faisant une demande officielle, dite de « convention RTS » ; s'en étant abstenue, la société Saupiquet aurait fait preuve de négligence et donc, par application des dispositions de l'article 239 in fine, sa demande de remboursement ne serait pas fondée ; plus précisément, l'administration des douanes conteste la véracité des faits relatés dans les attestations versées aux débats par la société Saupiquet et en veut pour preuve qu'elle a ouvert son bureau de Montoir-Saint Nazaire le dimanche 1er Juillet 2007 pour une autre société.
Pour sa part, la société Saupiquet verse aux débats l'attestation de Monsieur [J] [W], exerçant la profession de déclarant en douanes pour le compte de la société Saupiquet, selon lequel dès le 05 Juin 2007 ont été préparées en collaboration avec le bureau des Douanes de Montoir les opérations de dédouanement du thon de la société Saupiquet afin qu'il puisse bénéficier du contingent tarifaire ; Monsieur [W] atteste qu'ayant demandé au Receveur Principal s'il était possible de déposer les déclarations le 1er Juillet 2007, ce dernier lui aurait répondu par la négative, au motif que le système d'enregistrement ne fonctionnait pas le dimanche et qu'il n'avait pas de volontaire pour ouvrir le bureau le 1er Juillet sous le régime RTS; tel fut le motif pour lequel aucune déclaration officielle ne fut déposée ; Monsieur [W] précisait avoir eu l'assurance que les demandes de contingent déposées le 02 Juillet bénéficieraient du même traitement que celles déposées le 1er Juillet, compte tenu de la nécessité de prendre en compte la fermeture des bureaux le dimanche en France.
L'ouverture du bureau de Montoir dans le cadre d'une convention RTS conclue avec une autre société est insuffisante en soi à démontrer qu'une réponse positive aurait nécessairement été apportée à une demande de la société Saupiquet; en effet, différents motifs, et notamment celui tenant au manque de personnel volontaire disponible ce jour-là, pouvait conduire à conclure une seule convention RTS quoique plusieurs aient été demandées.
Il est certain que Monsieur [W] est salarié dans une société qui est le mandataire de la société Saupiquet pour les opérations de dédouanement et dont par conséquent, la responsabilité contractuelle pourrait se voir engager s'il apparaissait qu'elle a commis une négligence dans le traitement des marchandises de son mandant.
Pour autant, un fait reconnu par l'administration des Douanes vient certifier la véracité des faits qu'il relate, soit l'ouverture à 4 heures 30 le lundi matin du bureau de Montoir pour procéder au dédouanement du thon de la société Saupiquet.
En effet, cette ouverture a eu lieu en dehors des heures d'ouverture des bureaux et en dehors de toute convention RTS, démontrant ainsi qu'en cas de relations habituelles entre un opérateur et l'administration, une convention écrite n'est pas toujours nécessaire, des demandes orales suffisant pour faire ouvrir les bureaux.
Elle démontre aussi que l'administration des douanes a été persuadée de l'utilité de cette ouverture précoce, comme allant permettre à la société Saupiquet de concourir utilement au contingent.
Dès lors, cette ouverture à 4 heures 30, qui a eu un coût certain pour l'administration compte tenu de la nécessité d'octroyer une rémunération ou des récupérations spécifiques aux agents, n'a pu avoir que deux causes : soit une tentative pour pallier l'impossibilité d'ouvrir le dimanche, soit une croyance infondée dans l'égalité de traitement par la Commission des demandes déposées le 1er Juillet et le 2 Juillet.
Dans les deux hypothèses, l'administration des douanes a placé la société Saupiquet, sans négligence manifeste de cette dernière, dans une situation particulière devant conduire à lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 239 du code des douanes communautaire.
Toutefois, ainsi que l'a relevé l'arrêt Bolton Alimentari, qui a statué dans un litige relatif aux mêmes faits, soit le contingent de thon du 1er Juillet 2007 « le montant à rembourser ne saurait correspondre à la différence entre les droits de douane normaux et le tarif valable pour un contingent tarifaire mais ne pourrait s'élever qu'à une partie de cette différence étant donné que, comme il ressort des observations de la Commission, les demandes de tirage sur le contingent tarifaire en question n'ont été prises en considération qu'à hauteur de 73,89302% ».
Par conséquent, il est fait droit à la seule hauteur de 230.927,51 euros (73,89302 x 312 516 euros) à la demande de remboursement présentée par la société Saupiquet et le jugement déféré est infirmé de ce chef.
L'administration des Douanes, qui succombe, paiera à la société Saupiquet la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Direction Régionale des droits et douanes indirectes des Pays de la Loire à payer à la SAS Saupiquet la somme de 312.516 euros.
Statuant à nouveau :
Condamne la Direction Régionale des droits et douanes indirectes des Pays de la Loire à payer à la SAS Saupiquet la somme de 230.927,51 euros.
Confirme pour le solde le jugement déféré.
Condamne la Direction Régionale des droits et douanes indirectes des Pays de la Loire à payer à la SAS Saupiquet la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée à ce titre par le premier juge.
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens.
LE GREFFIER.-.LE PRESIDENT.-.