1ère Chambre
ARRÊT N° 434/2015
R.G : 15/01412 et 15/03367
M. [T] [H] [M] [Q]
Mme [C] [B] [V] [W] épouse [Q]
C/
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE OUEST
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Xavier BEUZIT, Président,
Monsieur Marc JANIN, Conseiller,
Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 05 Octobre 2015
devant Monsieur Marc JANIN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Novembre 2015 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [T] [H] [M] [Q]
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 2]
[Adresse 7]
[Adresse 4]
[Adresse 3]
Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL AVOCAT LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Sylvain VAROQUAUX, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Madame [C] [B] [V] [W] épouse [Q]
née le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 1]
[Adresse 7]
[Adresse 4]
[Adresse 3]
Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL AVOCAT LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Sylvain VAROQUAUX, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE OUEST, créancier poursuivant
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Adresse 2]
Représentée par Me Guillaume LENGLART de la SELARL L.R.B. AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCÉDURE :
Le Crédit immobilier familial de Nantes, aux droits duquel vient le Crédit immobilier de France Ouest (la banque), avait consenti selon un acte notarié du 5 mai 1987 un prêt d'un montant de 418 000 F à Monsieur [T] [Q] et Madame [C] [W], épouse [Q] ; la banque a fait délivrer à ceux-ci le 16 septembre 2013 un commandement de payer valant saisie immobilière d'un immeuble situé à [Adresse 6], qui a été publié à la conservation des hypothèques.
La banque a, faute de paiement, poursuivi la procédure de vente de l'immeuble saisi devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes qui, statuant après audience d'orientation, a, par jugement du 16 janvier 2015 :
écarté les fins de non recevoir tirées de la forclusion et de la prescription,
débouté les époux [Q] de l'ensemble de leurs moyens et prétentions,
dit n'y avoir lieu à expertise comptable ni délai de grâce complémentaire,
fixé la créance du Crédit Immobilier de France à la somme de 142 350,37 € arrêtée au 8 novembre 2013, date de l'assignation,
autorisé la vente amiable du bien saisi et fixé le prix minimum à 60 000 €,
fixé l'audience à laquelle l'affaire sera rappelée au 5 juin 2015,
taxé les frais de poursuite à la somme de 4 493,42 €, et dit qu'ils sont à la charge de l'acquéreur,
dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de vente.
Les époux [Q] ont interjeté appel de ce jugement le 19 février 2015.
Par ordonnance rendue le 17 mars 2015 sur la requête des appelants, mise au rôle de la cour sous le numéro RG 15/01412, l'affaire a été fixée à l'audience du 5 octobre 2015.
Les appelants ont fait assigner la banque à comparaître par acte mis au rôle de la cour sous le numéro RG 15/03367.
Par dernières conclusions du 28 septembre 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, ils demandent à la cour :
d'infirmer le jugement déféré,
de dire la banque forclose, ou subsidiairement prescrite, en son action,
à défaut, de constater l'absence de titre exécutoire,
de dire que la clause Titre V - Conditions du cahier des charges annexé à l'acte de prêt du 5 mai 1987 est abusive et illicite et de la juger non écrite,
de constater en conséquence que la banque ne peut plus se prévaloir de la déchéance du terme,
de dire que le commandement signifié le 16 septembre 2013 est nul et d'en ordonner la radiation,
de dire à défaut que la banque a commis une faute, de la condamner à leur payer une indemnité de 142 350,37 € et d'ordonner la compensation des dettes réciproques,
de réduire à un euro les sanctions contractuelles,
de débouter la banque de ses demandes plus amples ou contraires,
plus subsidiairement, de reporter le paiement des sommes dues de deux années, en prescrivant que les échéances reportées porteront intérêt au taux légal simple,
très subsidiairement, de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a autorisé la vente amiable du bien saisi et fixé le prix minimum à 60 000 €,
de dire que le délai de quatre mois pour réaliser la vente amiable commencera de courir à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
de statuer ce que de droit sur les dépens.
Par dernières conclusions du 25 septembre 2015 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la banque demande à la cour :
de confirmer le jugement d'orientation,
de débouter les débiteurs saisis de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
de les condamner solidairement au paiement de la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour abus de procédure,
de les condamner de même au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
de dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de vente.
MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR :
Il convient de joindre les instances mises au rôle sous les numéros RG 15/01412 et 15/03367, sous le numéro RG 15/01412.
- Sur les moyens de forclusion et de prescription :
- Forclusion :
La forclusion n'atteint pas le droit d'action des organismes de crédit pour le recouvrement de leurs créances contre les consommateurs auxquels ils ont consenti un crédit immobilier, tel que celui que la banque a accordé aux époux [Q], ce droit ne pouvant être soumis qu'à la prescription.
- Prescription :
Antérieurement à la réforme de la prescription opérée par la loi du 17 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivaient, selon l'article L. 110-4 du Code de commerce, par dix ans.
La loi du 17 juin 2008 a, par l'article L. 137-2 du Code de la consommation, fixé à deux ans le délai de prescription de l'action de la banque, professionnel, pour les crédits immobiliers qu'elle a consentis aux consommateurs, ce que sont les époux [Q]; mais l'article 26, II de cette loi prévoit que ses dispositions, ayant réduit la durée de la prescription, s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
S'agissant du point de départ du délai, et contrairement à ce que soutient la banque, il n'était nullement acquis, au moment où elle a fait délivrer le commandement valant saisie, antérieurement à la décision de la Cour de cassation du 10 juillet 2014 consacrant le principe de la fixation de ce point de départ à la date du premier incident de paiement non régularisé, que ce point ne pouvait qu'être fixé à la date du prononcé de la déchéance du terme, laquelle date dépend de la seule volonté de la banque
Au contraire, il avait déjà été jugé par la Cour de cassation (1re civile, 9 décembre 1986 - 1re civile, 24 novembre 1987) que s'agissant d'un prêt, ce délai commençait à courir à compter de l'échéance impayée, et de manière générale, en l'absence de disposition législative à cet égard, il était admis que la prescription commençait à courir dès lors que le créancier avait pu exercer son droit.
Or en l'occurrence, la banque était en droit dès la constatation par elle, résultant nécessairement de ses propres opérations de prélèvement sur le compte ouvert en son établissement, du fait que les époux [Q] ne satisfaisaient pas à leur engagement de rembourser l'emprunt, d'agir en recouvrement de sa créance de sorte que c'est à partir de la date du premier incident de paiement non régularisé qu'a couru le délai de prescription.
Ce délai est néanmoins susceptible d'interruption, et les époux [Q] précisent eux-mêmes dans leurs dernières écritures que le dernier versement régularisé par eux date du 1er novembre 2002, et qu'une instance a opposé les parties entre le 1er novembre 2002 et le 6 septembre 2007, interruptive de prescription.
Mais qu'il ait couru à compter du 1er novembre 2002 ou du 6 septembre 2007, le délai de prescription s'achevait en toute hypothèse, eu égard aux dispositions de l'article L. 137-2 du Code de la consommation et des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 précitées, le 19 juin 2010.
La mise en demeure notifiée aux époux [Q] par la banque, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 16 mars 2010, n'est pas suffisante pour interrompre ce délai, et il n'est démontré l'existence d'aucun acte interruptif survenu entre le 6 septembre 2007 et le 19 juin 2010 ; la prescription était acquise lorsque la banque a, le 16 septembre 2013, délivré un commandement de payer.
Le jugement sera infirmé.
- Sur les frais et dépens :
Les dispositions du jugement déférées relatives aux frais et dépens de première instance seront également infirmées.
La banque sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Après rapport fait à l'audience ;
Ordonne la jonction des instances mises à son rôle sous les numéros RG 15/01412 et RG 15/03367 ;
Infirme le jugement déféré ;
Déclare l'action du Crédit immobilier de France Ouest prescrite ;
Condamne le Crédit immobilier de France Ouest aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT