1ère Chambre
ARRÊT N°220/2018
R.G : 16/07421
COMMUNE [Localité 1]
C/
M. [Z] [Y]
Mme [C] [W] épouse [Y]
SARL LES MEGALITHES
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 MAI 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,
Assesseur : Monsieur Marc JANIN, Conseiller,
Assesseur : Madame Christine GROS, Conseiller, entendue en son rapport
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Mars 2018
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 22 Mai 2018 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement annoncé au 15 mai 2018, date indiquée à l'issue des débats
****
APPELANTE :
COMMUNE [Localité 1], représentée par son Maire en exercice domicilié en cette qualité en l'hôtel de ville
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Patrick BOQUET, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [Z] [Y]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représenté par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Jean DOUCET de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, plaidant, avocat au barreau de NANTES
Madame [C] [Y] née [W]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Jean DOUCET de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, plaidant, avocat au barreau de NANTES
SARL LES MEGALITHES, prise en la personne de ses représentants légaux domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Jean DOUCET de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, plaidant, avocat au barreau de NANTES
Par acte authentique du 4 janvier 1995, le maire de la commune [Localité 1] a donné à bail à [Z] [Y] en sa qualité de gérant de l'EURL Les Mégalithes en cours d'immatriculation, un bâtiment à usage commercial et d'habitation et un terrain situé [Adresse 4] à Monteneuf pour une durée de neuf ans à compter du 1er février 1995, moyennant un loyer annuel de 72 000 Fr. Le bail contenait une possibilité pour le locataire d'acquérir l'immeuble loué quand bon lui semblera au cours du bail. Le prix de vente stipulé à l'acte était égal au prix de revient du bâtiment, avec retranchement des subventions obtenues, des loyers versés et de la caution, sans pouvoir être inférieur à 20 000 Fr. Monsieur [Y] a souhaité acquérir le bien. Par délibération du 12 septembre 2003, le Conseil Municipal a donné pouvoir au Maire de la commune pour conclure la négociation au tarif de 57 330,80 € et signer tous les documents nécessaires à la réalisation de cette vente dans les conditions déterminées dans le bail du 4 janvier 1995 et avec une clause garantissant pour l'avenir l'affectation des murs à usage de restaurant.
En raison d'un désaccord entre le bailleur et le preneur sur une condition de la vente (garder l'immeuble à usage du restaurant pendant une durée de 30 ans) aucun acte de vente n'a été régularisé.
Par jugement du 12 avril 2005 le tribunal de grande instance de Vannes a invité la commune [Localité 1] à régulariser l'acte de vente au profit de l'EURL Les Mégalithes. Ce jugement a été confirmé partiellement par arrêt du 14 juin 2006 de la cour d'appel de Rennes, qui a sursis à statuer sur la demande de régularisation du bail présentée par l'EURL Les Mégalithes jusqu'à l'issue de la procédure pendante devant le tribunal administratif saisi par la requête de Monsieur [Y]. Par arrêt du 29 janvier 2008, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi de la commune [Localité 1].
Par décision du 24 mai 2006, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la requête formée par l'EURL Les Mégalithes tendant à contester le projet d'acte de vente en ce qu'il était assorti de dispositions particulières non prévues dans le bail commercial. Le tribunal administratif a jugé que l'immeuble litigieux était affecté au service public de la commune, ce qui induit son appartenance au domaine public et son incessibilité. Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 2 octobre 2007.
Par décision du 11 décembre 2007, le conseil municipal de la commune [Localité 1] a décidé de déclasser les murs de l'immeuble exploité par l'EURL Les Mégalithes en les faisant passer de son domaine public à son domaine privé.
Par arrêt du 5 novembre 2008, la cour d'appel de Rennes a infirmé la décision du 12 avril 2005 sur la demande de régularisation de la vente, cette demande n'étant pas maintenue compte tenu des décisions des juridictions administratives.
Les époux [Y] et l'EURL Les Mégalithes ont formé un recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Rennes afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'illégalité du bail commercial. Par jugement du 6 décembre 2011, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune [Localité 1] à payer 10 000 € à l'EURL Les Mégalithes et 1000 € aux époux [Y]. Ce jugement a été infirmé par décision du 12 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Nantes qui a considéré que le bien loué le 4 janvier 1995 ne constituant pas une dépendance du domaine public de la commune [Localité 1], cette dernière n'avait pas commis de faute en consentant sur ces locaux à l'EURL Les Mégalithes un bail commercial, lequel revêtait le caractère d'un contrat de droit privé.
Les époux [Y] et la société Les Mégalithes ont assigné la commune [Localité 1] le 12 juillet 2014 devant le tribunal de grande instance de Vannes pour voir dire que la commune avait commis une faute en résiliant unilatéralement le bail, et que l'inexécution du bail et sa résiliation fautive sont la cause du préjudice dont ils ont demandé la réparation.
Par jugement du 6 septembre 2016, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :
-condamné la commune [Localité 1] à payer à l'EURL Les Mégalithes la somme de 90 000 € au titre de la perte du fonds de commerce;
-condamné la commune [Localité 1] à payer aux époux [Y] la somme de 15 000 € au titre de leur préjudice moral et celle de 5000 € au titre de la perte du logement;
-condamné la commune [Localité 1] à payer aux époux [Y] la somme de 6 000 € au titre de leurs frais irrépétibles;
-rejeté le surplus des demandes;
-condamné la commune [Localité 1] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
La commune [Localité 1] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 3 octobre 2016.
Vu les conclusions du 16 janvier 2018 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et arguments de la commune [Localité 1] qui demande à la cour de:
-dire que les juridictions judiciaires sont incompétentes pour connaître des demandes de l'EURL Les Mégalithes et des époux [Y];
-renvoyer l'EURL et les époux [Y] à mieux se pourvoir, s'ils l'estiment utile;
Subsidiairement,
-dire que les demandes de l'EURL Les Mégalithes et des époux [Y] sont irrecevables pour violation de l'autorité de la chose jugée par le juge judiciaire et par le juge administratif et pour cause de prescription, aussi bien biennale que quadriennale;
-dire irrecevables en toute hypothèse les demandes des époux [Y];
Encore plus subsidiairement,
-dire que ces demandes sont mal fondées et en débouter l'EURL Les Mégalithes et les époux [Y];
Encore plus subsidiairement,
-surseoir à statuer jusqu'à la décision du tribunal administratif de Rennes sur la légalité de la délibération du conseil municipal [Localité 1] du 12 septembre 2003 au regard des moyens développés par la commune au soutien de cette décision et non encore jugé par la juridiction administrative;
Encore plus subsidiairement,
-réduire à sa plus simple expression le préjudice indemnisable de l'EURL Les Mégalithes et des époux [Y];
-condamner in solidum l'EURL Les Mégalithes et les époux [Y] à lui payer la somme de 10 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que la somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance, et une autre somme de 10 000 € au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;
-condamner in solidum l'EURL Les Mégalithes et les époux [Y] aux dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 20 janvier 2017 auxquelles il est renvoyé pour exposé des moyens et arguments de Monsieur et Madame [Y] et la société Les Mégalithes qui demandent à la cour de:
-confirmer le jugement du 6 septembre 2016 :
*en ce qu'il a déclaré recevables la société Les Mégalithes et les époux [Y] en leurs demandes ;
*en ce qu'il retient la faute de la Commune [Localité 1] dans la rupture des relations contractuelles avec la société Les Mégalithes;
*en ce qu'il retient l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par la Commune [Localité 1] et les préjudices subis par la société Les Mégalithes et les époux [Y] .
-infirmer le jugement du 6 septembre 2016 sur la question des préjudices retenus et statuant à nouveau :
-condamner la Commune [Localité 1] à payer à la société Les Mégalithes la somme de 274.606,40 euros se décomposant comme suit :
*107.000 euros au titre du préjudice né de la perte du fonds de commerce,
*135.000 euros au titre de la perte de chance de l'acquisition des murs commerciaux,
*20.000 euros au titre du préjudice de jouissance,
*12.606,40 euros au titre des frais d'avocat exposés au titre des procédures antérieures
-condamner la Commune [Localité 1] à payer à Monsieur et Madame [Y] la somme de 33.000 euros se décomposant comme suit :
*15.000 euros à titre de préjudice moral,
*10.000 euros au titre de la perte de logement,
*5.000 euros à raison des frais de déménagement et de recherche et aménagement de nouveau logement,
En toute hypothèse,
-condamner la Commune de Monteneuf à payer aux époux [Y] et à la société Les Mégalithes la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture était rendue le 20 février 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
Au préalable, sans que ce soit repris dans son dispositif, le premier juge s'est nécessairement prononcé sur l'exception d'incompétence, et les fins de non recevoir tirées de l'autorité de la chose jugée et de la prescription qui ont été soulevées en première instance.
Sur l'exception d'incompétence du juge judiciaire:
La commune [Localité 1] soutient que le litige échappe à la compétence des tribunaux judiciaires dès lors que la délibération du 12 septembre 2003 du Conseil Municipal était une décision administrative statuant sur des questions relevant du droit administratif en ce qu'elle revenait sur la promesse de vente invoquée par Monsieur [Y] en vertu de l'acte de bail, promesse illégale dès lors qu'elle violait l'égalité entre les administrés sans que cette violation soit justifiée par un avantage au profit de la commune.
Mais contrairement à ce que soutient la commune, le litige ne porte pas sur la légalité d'une délibération du Conseil Municipal, mais sur la rupture des relations contractuelles issues du bail du 4 janvier 1995, portant sur des locaux appartenant au domaine privé de la commune. Il n'est pas contesté, à l'instar de ce qui a été considéré par l'arrêt du 12 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de [Localité 3] que ce bail est un bail commercial qui caractère d'un contrat de droit privé.
En application de l'article R145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la résiliation d'un bail commercial sont de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.
Ainsi, l'exception d'incompétence sera rejetée.
Sur la recevabilité des demandes des époux [Y] et de la société Les Mégalithes:
Sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 5 novembre 2008:
Aux termes de l'article 1351 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »
L'arrêt du 5 novembre 2008 de la cour d'appel de Rennes avait pour objet la réalisation forcée d'une cession immobilière. Son objet était différent de celui du présent litige qui oppose les parties sur l'indemnisation due au locataire en raison de la résiliation du bail. Dès lors que les deux litiges n'ont pas le même objet, la fin de non recevoir doit être rejetée.
Sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 2 octobre 2007 de la cour administrative d'appel de Nantes et le jugement du 6 décembre 2011 du tribunal administratif de Rennes:
L'arrêt du 2 octobre 2007 de la cour d'appel administrative d'appel de Rennes a statué sur le caractère cessible de l'immeuble. Le jugement du 6 décembre 2011 du tribunal administratif de Rennes a déclaré irrecevable la requête en annulation de la délibération du Conseil Municipal de la commune [Localité 1] décidant le déclassement des murs du restaurant « Les Mégalithes », disposition qui n'a pas été annulée par l'arrêt du 12 juillet 2013 de la cour administrative d'appel de Nantes. Ces décisions, qui n'ont pas statué sur l'objet qui oppose les parties dans le présent litige ne sont pas, à son égard, revêtues de l'autorité de la chose jugée .
Sur la prescription:
Il résulte des dispositions de l'article L 145-60 du code de commerce que les actions fondées sur le statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.
Aux termes de l'article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 : «Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.
Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public »
En premier lieu, la prescription biennale s'applique aux seules actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux. L'action des époux [Y] vise à obtenir une indemnisation des préjudices résultant de la résiliation par le bailleur du bail en cours d'exécution. Cette action n'est pas fondée sur une disposition statutaire et relève de la prescription de droit commun.
En deuxième lieu, l'article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 est inapplicable à l'espèce dès lors qu'au moment de l'introduction de leur demande, les époux [Y] ne bénéficiaient d'aucune créance sur la commune.
Sur le défaut de fondement de l'action des époux [Y] :
Les époux [Y] en invoquant que la faute de la commune a entraîné pour eux, outre un préjudice moral, la perte d'un logement de fonction et la nécessité d'un déménagement, ont précisé le fondement de leur demande en fait et en droit et leur demande est recevable.
Ainsi, les fins de non recevoir seront rejetées.
Sur la faute de la commune [Localité 1]:
Il ressort des pièces produites aux débats que les faits se sont succédés dans l'ordre chronologique suivant:
Par acte du 4 janvier 1995, la commune [Localité 1] a donné à bail commercial à Monsieur [Y], en qualité de gérant de l'EURL « Les Mégalithes », un bâtiment à usage commercial et d'habitation pour une durée de neuf années pour se terminer le 31 janvier 2004. A défaut de congé, le bail a été renouvelé par tacite reconduction. Le bail prévoit que le bailleur aura la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale s'il entend invoquer les articles 10, 13 et 15 du décret n°53-960 du 30 septembre 1953 afin de construire, de reconstruire l'immeuble existant, de le surélever ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération immobilière.
Par arrêt du 2 octobre 2007, la cour administrative d'appel de Nantes a considéré, pour rejeter la requête de l'EURL Les Mégalithes contre le jugement du 24 mai 2006 du tribunal administratif de Rennes, que la commune [Localité 1] ne pouvait légalement louer les locaux en cause par bail commercial du 4 janvier 1995.
Par délibération du 11 décembre 2007, la commune [Localité 1], prenant acte de l'arrêt précité, a déclassé les murs du restaurant Les Mégalithes pour les faire passer de son domaine public à son domaine privé. Afin de régulariser la situation de sa locataire, la commune lui a proposé un nouveau bail identique à celui du 4 janvier 1995 à la seule exclusion de la clause concernant l'acquisition des murs, assorti d'un nouveau loyer par application de l'indice du coût de la construction depuis 1995. La commune, considérant que le bail précédant était anéanti à la suite de l'arrêt du 2 octobre 2007, a précisé dans sa délibération que l'EURL Les Mégalithes n'avait plus de titre à son occupation et que si elle n'acceptait pas l'offre de la commune, un nouveau bail serait proposé à un candidat à l'exploitation.
L'EURL Les Mégalithes n'a pas accepté le bail qui a été proposé et a quitté les lieux.
Ainsi, à l'issue de l'arrêt du 2 octobre 20007 dont les motifs sont sans équivoques, la commune a légitiment pu croire que le bail de 1995 était illégal et qu'il lui appartenait de régulariser la situation de sa locataire par un nouveau bail. Cependant, dès lors que les motifs de l'arrêt n'entraînaient pas de droit l'anéantissement du bail en cours, et que la décision n'en a pas prononcé l'annulation, l'EURL Les Mégalithes n'était pas déchue de son titre d'occupation. Il appartenait à la commune bailleresse, qui souhaitait régulariser la situation, de résilier le bail en cours et de proposer un nouveau bail à sa locataire. Et dès lors que cette résiliation n'était pas faite dans le cadre des conditions contractuelles rappelées ci-dessus, elle ne pouvait, sans porter atteinte aux droits de sa locataire, lui proposer un bail différent de celui en cours. En proposant un bail expurgé de la clause d'acquisition des murs, elle a commis une faute à l'origine de la rupture des liens contractuels. Elle doit en conséquence indemniser l'EURL Les Mégalithes et les époux [Y] du préjudice qui en résulte pour eux.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute de la commune et rejeté la demande de sursis à statuer jusqu'à la décision du tribunal administratif de Rennes sur la légalité de la délibération du 12 septembre 2003 du Conseil Municipal de la commune [Localité 1].
Par voie de conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la commune [Localité 1] de sa demande indemnitaire au titre de la procédure abusive.
Sur le préjudice de l'EURL Les mégalithes:
L'EURL Les mégalithes a fait évalué le fonds de commerce et l'ensemble immobilier par un cabinet d'expert comptable. Le rapport de ce cabinet n'est pas critiqué par la commune [Localité 1].
*perte du fonds de commerce et ses accessoires:
Contrairement à ce que soutient la commune [Localité 1], la perte du fonds de commerce n'est pas imputable au refus de L'EURL Les Mégalithes d'accepter le bail qui lui était proposé, dès lors que celui- ci ne reprenait pas l'ensemble des dispositions auxquelles elle avait droit jusqu'à l'expiration de la période de neuf années.
Monsieur [M], auteur de l'expertise comptable qui a évalué le fonds de commerce, retient que celui-ci a une valeur de 89 000 €. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a retenu une indemnité de 90 000 €, et celle-ci sera de 89 000 €.
En ce qui concerne les indemnités accessoires, dès lors que l'EURL Les Mégalithes, pour voir déclarer son action recevable, conteste qu'elle soit fondée sur le statut des baux commerciaux, elle ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L145-14 du code de commerce pour obtenir une indemnisation de son préjudice équivalent à celle de l'indemnité d'éviction prévue par ces dispositions. Par voie de conséquence, elle ne peut prétendre à une indemnité de remploi, et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre des frais de déménagement, de réinstallation, de mailing pour informer la clientèle et les fournisseurs, à défaut de justification.
*perte d'une chance d'acquérir les murs:
Dès lors que le bail prévoyait la possibilité pour le locataire d'acquérir l'immeuble loué, et que celui-ci était cessible à l'issue de la délibération du 11 décembre 2007, la résiliation du bail a fait perdre à l'EURL Les Mégalithes une chance sérieuse de pouvoir acquérir les murs. Le jugement qui a rejeté ce chef de préjudice sera infirmé sur ce point.
Monsieur [M] a évalué l'ensemble immobilier à la valeur de 133 268 €. Il convient en conséquence de réparer la perte de chance d'acquérir les murs par une indemnité de 106 614 € .
*tracas de procédure et d'honoraires d'avocat entre le 1er octobre 2005 et le 31 décembre 2007:
Les tracas de procédure ont été supportés par les époux [Y] et non par l'EURL Les Mégalithes. En ce qui concerne les honoraires d'avocat, le préjudice résultant de la faute de la commune [Localité 1] est circonscrit aux frais engendrés par le litige portant sur la résiliation du bail. L'EURL Les Mégalithes a présenté des demandes à ce titre pour la première fois le 12 juin 2014, par son acte introductif d'instance devant le tribunal de grande instance de Vannes. Par voie de conséquence, cette faute ne présente pas de lien de causalité avec les frais d'avocat exposés entre le 1er octobre 2005 et le 31 décembre 2007. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.
Sur le préjudice de Monsieur et Madame [Y]:
*préjudice moral:
Les époux [Y] se sont vus brutalement privés d'une source de revenus et subissent depuis quatre années des tracasseries de procédure. Il en résulte un préjudice moral qui sera justement réparé par une indemnité de 10 000 €. Le jugement sera infirmé sur le montant de la réparation.
*perte d'un logement de fonction:
Les époux [Y] ont été privés d'un logement de fonction mais ne justifient pas qu'ils y avaient investi des travaux. Leur préjudice sera en conséquence réparé justement par une indemnité de 5 000 €. Enfin, ils se bornent à alléguer sans en justifier de ce qu'ils ont personnellement subi des frais de déménagement. Le jugement entrepris sera confirmé sur le montant de l'indemnité de 5 000 € et le rejet du surplus des demandes.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Rejette l'exception d'incompétence et les fins de non recevoir soulevées par la commune [Localité 1];
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a:
-condamné la commune [Localité 1] à payer à l'EURL Les Mégalithes la somme de 90 000 € au titre de la perte du fonds de commerce;
-débouté l'EURL Les Mégalithes de sa demande au titre de la perte d'une chance d'acquérir les murs;
-condamné la commune [Localité 1] à payer aux époux [Y] la somme de 15 000 € au titre de leur préjudice moral ;
Statuant à nouveau:
Condamne la commune [Localité 1] à payer à payer à l'EURL Les Mégalithes la somme de 89 000 € au titre de la perte du fonds de commerce;
Condamne la commune [Localité 1] à payer à payer à l'EURL Les Mégalithes la somme de 133 268 € au titre de la perte d'une chance d'acquérir les murs;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus de ces dispositions;
Y ajoutant;
Condamne la commune [Localité 1] à payer à Monsieur [Z] [Y] et Madame [C] [W] épouse [Y] et à la société Les Mégalithes la somme de totales de 4 000 € au titre de leurs frais irrépétibles en cause d'appel;
Condamne la commune [Localité 1] aux dépens en cause d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT