1ère Chambre
ARRÊT N° 284/2018
N° RG 16/04100
M. Erwan X... Y...
Mme Judith Marie Géraldine Z...
C/
M. Hugues A...
Melle Emmanuelle B...
SARL SECOFI
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 26 JUIN 2018
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ:
Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,
Assesseur : Monsieur Marc JANIN, Conseiller,
Assesseur : Madame H... GROS, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Mai 2018 devant Monsieur Marc JANIN, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Juin 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur Erwan X... Y...
né le [...] à QUIMPER
[...]
Représenté par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN-DEMIDOFF, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Gaëlle Z..., Plaidant, avocat au barreau de BREST
Madame Judith Marie Géraldine Z...
née le [...] à BREST
[...]
Représentée par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN-DEMIDOFF, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Gaëlle Z..., Plaidant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉS :
Monsieur Hugues A...
né le [...] à BREST
[...]
Représenté par Me Basile C... de la SELARL SIAM CONSEIL, avocat au barreau de BREST
Mademoiselle Emmanuelle B...
née le [...] à LESNEVEN
[...]
Représentée par Me Basile C... de la SELARL SIAM CONSEIL, avocat au barreau de BREST
SARL SECOFI, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés [...]
Représentée par Me Virginie D... de la SELARL BELWEST, avocat au barreau de BREST
FAITS ET PROCÉDURE:
Monsieur Erwan Y... et Madame Judith Z..., épouse Y..., ont, selon un acte sous seings privés conclu le 29 juin 2013 avec le concours de la Sarl Secofi, exerçant son activité d'agence immobilière sous l'enseigne H... G... I..., vendu à Monsieur Hugues A... et Madame Emmanuelle B..., au prix de 335 000 €, une maison avec garage située [...], sous condition suspensive d'obtention d'un prêt.
Il était convenu à l'acte sous seing privé que la vente serait réitérée au plus tard le 15 septembre 2013 par un acte authentique reçu par Maître Nicole E..., notaire à Porspoder.
Les acquéreurs ont versé entre les mains de l'agence H... G... I..., constituée comme séquestre, une somme de 10 000 € à valoir sur le prix de vente.
Un rendez-vous à l'étude de Maître E... aux fins de régularisation de la vente a été fixé d'un commun accord entre les parties au 16 septembre 2013, lequel a toutefois été annulé par Monsieur A... et Madame B....
Les époux Y... ont, le 7 octobre 2013, fait signifier à ceux-ci une sommation d'avoir à se présenter le 18 octobre suivant à l'étude du notaire, qui a établi un procès-verbal de difficultés après avoir constaté que les acquéreurs refusaient de signer l'acte authentique en faisant valoir qu'une information substantielle, à savoir la réalisation de travaux liés à la présence de mérule, n'avait été portée à leur connaissance que le 12 septembre 2013 par la lecture du projet d'acte, ainsi après l'expiration du délai de rétractation, alors que si cet élément avait été connu d'eux dès la phase de négociation, il les aurait conduits sans aucune hésitation à ne pas acquérir.
Monsieur A... et Madame B... ont alors fait assigner les époux Y..., ainsi que la société Secodi, devant le tribunal de grande instance de Brest pour voir prononcer l'annulation ou subsidiairement la résolution du compromis de vente du 29 juin 2013 et statuer sur les conséquences de celles-ci.
Par jugement du 11 mai 2016, le tribunal a:
prononcé la nullité du compromis de vente conclu le 29 juin 2013,
ordonné à la société Secofi de restituer à Monsieur A... et Madame B... la somme de 10 000 € séquestrée entre ses mains, dans un délai de deux semaines à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 100 € par jour de retard au delà,
condamné les époux Y... à verser à Monsieur A... et Madame B... les intérêts de retard sur cette somme à compter du 20 octobre 2014, date de l'assignation,
condamné les époux Y... à verser à Monsieur A... et Madame B... la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
condamné les époux Y... à verser à la société Secofi la somme de 1 000 € au même titre,
débouté Monsieur A... et Madame B... du surplus de leurs demandes,
débouté les époux Y... de toutes leurs demandes,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
condamné les époux Y... aux entiers dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Les époux Y... ont interjeté appel de ce jugement le 27 mai 2016.
Par arrêt du 23 janvier 2018, la cour a:
infirmé le jugement déféré, sauf en ce qu'il a ordonné à la Sarl Secofi de restituer à Monsieur A... et Madame B... la somme de 10 000 € séquestrée entre ses mains, disposition qui est confirmée,
et statuant à nouveau:
débouté Monsieur A... et Madame B... de leur demande en annulation du contrat de vente de la maison,
prononcé la résolution du contrat de vente aux torts de Monsieur A... et Madame B...,
condamné ceux-ci in solidum à payer aux époux Y... la somme de 33 500 € en exécution de la clause pénale contenue au contrat,
sursis à statuer sur l'action en responsabilité exercée contre la société Secofi,
ordonné la réouverture des débats à seule fin de permettre aux parties intéressées de conclure sur le fondement et les conséquences de l'action en responsabilité exercée contre la société Secofi, notamment sous la considération d'un éventuel préjudice causé par une perte de chance,
fixé les délais pour conclure pour Monsieur A... et Madame B... d'une part, et la société Secofi d'autre part,
renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 14 mai 2018,
réservé la décision sur les frais et dépens.
Par conclusions du 26 avril 2018, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, Monsieur A... et Madame B... demandent à la cour:
de condamner la société Secofi à leur verser la somme de 33 500 € à titre de dommages-intérêts,
de la condamner à leur payer, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, une somme de 4 000 € pour les frais irrépétibles de première instance et une somme de 6000€ pour les frais irrépétibles d'appel,
de la condamner aux entiers dépens.
Par conclusions du 22 mars 2018, auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, la société Secofi demande à la cour:
de débouter Monsieur A... et Madame B... de leurs demandes à son encontre,
de les condamner solidairement à lui verser la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
de les condamner aux entiers dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.
Par conclusions du 7 mai 2018, Monsieur Y... et Madame Z..., divorcée Y..., auxquelles il sera renvoyé pour l'exposé des moyens et arguments, la société Secofi demande à la cour:
de condamner Monsieur A... et Madame B..., ou toute autre partie qui succomberait, à leur verser la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
de condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION DE LA COUR:
Il est constant que les époux Y... avaient acquis la maison en cause le 27 mars 2009 auprès des consorts F..., et que l'acte authentique de cette vente retranscrivait un constat d'état parasitaire établi le 21 janvier 2009 qui mentionnait l'existence de zones d'humidité élevées au rez-de-chaussée et au premier étage de la maison, propices au développement de champignons, et l'installation de champignon lignivore de type mérule dans la cuisine, à l'interface bois-plâtre, ce qui nécessitait le recours à un homme de l'art.
Mais l'acte rapportait les déclarations des vendeurs selon lesquelles des travaux de traitement de la mérule se trouvant dans la cuisine avaient été réalisés par l'entreprise Atrial, ainsi qu'il résultait d'un devis annexé, lequel, daté du 6 janvier 2009, émanait d'une entreprise spécialisée dans le traitement des bois contre ce type d'attaque et faisait mention d'un contrat d'assurance de responsabilité professionnelle de l'entrepreneur.
La cour a, dans son arrêt du 23 janvier 2018, relevé que rien ne démontrait que les travaux n'avaient pas été réalisés, et pas davantage que, lorsque Monsieur A... et Madame B... l'ont eux-même acquise le 29 juin 2013, la maison était affectée de mérule ou de tout autre parasite des bois.
Elle a dès lors considéré que le fait pour les époux Y... de ne pas avoir informé Monsieur A... et Madame B... de la présence, quatre ans plus tôt, de mérule dans la cuisine ne constituait pas une réticence dolosive et que la vente n'était donc pas nulle.
Elle a estimé que le refus, dans ces conditions, de Monsieur A... et Madame B... de signer l'acte authentique de vente à l'étude de Maître E... ainsi qu'ils en étaient requis, était dépourvu de cause légitime et que, conformément aux dispositions contractuelles, il convenait de prononcer, comme le demandaient les époux Y..., la résolution de l'acte de vente sous seings privés en date du 29 juin 2013, aux torts de Monsieur A... et Madame B....
Elle a en conséquence fait application de la clause pénale conventionnelle, mise à la charge de Monsieur A... et Madame B... pour le montant de 33 500 €, qui n'est pas apparue manifestement excessive, et dit que, dès lors que le préjudice subi par les époux Y... était réparé forfaitairement par l'application de cette clause, il y avait lieu à restitution à Monsieur A... et Madame B... de la somme de 10 000 € séquestrée conventionnellement entre les mains de la société Secofi.
Mais s'agissant de la demande formée par Monsieur A... et Madame B... à l'encontre de la société Secofi, la cour a dit qu'un éventuel manquement de l'agent immobilier à son devoir d'information ne paraissait pouvoir causer pour Monsieur A... et Madame B... qu'une perte de chance.
C'est sur ce seul point qu'elle a ordonné la réouverture des débats.
Monsieur A... et Madame B... font valoir que la société Secofi a commis une faute à leur égard en ne les ayant pas avertis du traitement qui avait été réalisé ni communiqué le titre de propriété des époux Y..., et en leur ayant indiqué à tort que la maison n'avait jamais fait l'objet d'une quelconque infestation fongique.
Ils soutiennent en effet que soit la société Secofi disposait elle-même l'acte d'acquisition F.../Y... de 2009, qui faisait état de l'infestation de mérule antérieure, et elle devait les en informer, soit elle n'en disposait pas, ce qui est fautif pour un agent immobilier négociant une vente, qui doit se procurer le titre de propriété des vendeurs.
Ils exposent que la connaissance d'une attaque antérieure de mérule était un élément déterminant de leur consentement à l'achat de la maison, et qu'il est certain qu'informés, ils n'auraient pas contracté, et n'auraient ainsi pas perdu le dépôt de garantie.
La société Secofi prétend que Monsieur A... et Madame B... ne peuvent agir utilement contre elle sur le fondement de la responsabilité contractuelle, faute de lien contractuel entre eux et elle-même, et réfute toute faute de nature extracontractuelle.
Il est constant que la convention de vente d'immeuble sous condition suspensive conclue, sous seings privés, entre les époux Y... et Monsieur A... et Madame B... le 29 juin 20136, l'a été 'avec le concours de Secofi représentée par H... G...', les parties reconnaissant que la vente a été négociée 'par Secofi' de sorte que la société Secofi est contractuellement responsable de l'exécution des obligations auxquelles elle s'est engagée.
Le devoir de conseil par lequel un agent immobilier doit informer et conseiller les parties à l'acte auquel il apporte son concours, sur les circonstances et les conséquences de l'opération que celles-ci envisagent, constitue une obligation de moyen, qui s'apprécie concrètement, en fonction de la volonté exprimée par les parties et des connaissances de celles-ci.
Il n'est pas établi que la société Secofi, qui le conteste, était en possession de l'acte de vente F.../Y... du 27 mars 2009, la seule mention à l'acte qu'elle a soumis à la signature des époux Y... et de Monsieur A... et Madame B... le 29 juin 2013, au titre de l'origine de propriété, de la date de l'acte par lequel les vendeurs avaient eux-même acquis et du nom du notaire ayant reçu cet acte, tels que déclarés par ceux-ci, ne suffisant pas à démontrer le contraire.
Mais il appartenait à la société Secofi de s'assurer que se trouvaient réunies toutes les conditions nécessaire à l'efficacité juridique de la convention négociée par son intermédiaire, et à cette fin, de se faire communiquer par les époux Y... leur propre titre de propriété avant la signature du compromis de vente; elle est en conséquence fautive de ne pas l'avoir fait.
Or l'examen de l'acte du 27 mars 2009 aurait permis de constater que la maison en cause avait fait l'objet, antérieurement à 2009, d'une attaque fongique.
Toutefois, la faute commise par la société Secofi n'a eu d'autre conséquence que celle de faire perdre à Monsieur A... et Madame B... la chance de ne pas avoir à renoncer à l'acquisition dans laquelle ils s'étaient engagés, et par voie de conséquence à régler la clause pénale contenue au contrat, s'ils avaient eu connaissance de ce fait.
Il convient de rappeler à cet égard que l'état relatif à la présence d'agent de dégradation biologique du bois établi par la société Sodimmo le 28 juin 2013, annexé à l'acte du 29 juin 2013, mentionnait qu'il n'avait pas été repéré d'indice de présence de termites ni d'autres agents de dégradation, et qu'aucun autre élément de fait n'est venu, depuis lors contredire ce diagnostic.
S'il est vrai que Monsieur Patrick E..., qui se présente comme ex-conjoint de Madame B..., a attesté le 28 février 2018 - étant observé que Monsieur A... et Madame B... ont assigné la société Secofi le 20 octobre 2014 -, de ce que cette dernière avait très mal vécu une précédente expérience d'acquisition d'une maison atteinte d'attaques de mérule, il l'est aussi que Monsieur A... n'a pas, dans le courriel adressé par lui à la société Secofi le 28 juin 2013 en vue de la préparation de l'acte sous seings privés, fait état d'une telle préoccupation parmi les éléments à intégrer dans l'acte 'en plus des diagnostics habituels'.
La cour considère que la chance perdue par Monsieur A... et Madame B... est de 95 %, et il ne saurait leur être reproché de ne pas avoir recherché à minimiser leur préjudice en mettant en cause l'agent immobilier qui a pu les assister ou le notaire qui a reçu l'acte authentique pour n'avoir pas fait courir un nouveau délai de rétractation.
La société Secofi sera donc condamnée à leur verser la somme de 31 825€.
Elle sera également condamnée à verser, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, une indemnité de 4 000 € pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel à Monsieur A... et Madame B..., et une indemnité de 2 000 € à Monsieur Y... et Madame Z..., divorcée Y....
La société Secofi sera condamnée également aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La cour,
Après rapport fait à l'audience;
Vu son arrêt du 23 janvier 2018 et statuant sur ce qui reste à juger:
Condamne la Sarl Secofi à payer à Monsieur Hugues A... et Madame Emmanuelle B... une somme de 31 825€ à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par son manquement à ses obligations contractuelles;
Condamne la Sarl Secofi à payer, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile:
la somme de 4 000 € à Monsieur Hugues A... et Madame Emmanuelle B...,
la somme de 2 000 € à Monsieur Erwan Y... et Madame Judith Z..., divorcée Y...;
Rejette toutes autres demandes;
Condamne la Sarl Secofi aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT