8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°252
N° RG 19/01471 -
N° Portalis DBVL-V-B7D-PSTK
SARL ISOMADE
C/
M. [O] [R]
Réformation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 MAI 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Février 2022
En présence de Madame [H] [G], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
La SARL ISOMADE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
3 bis rue Taylor
75010 PARIS CEDEX
Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Clémentine FAGES substituant à l'audience Me Christine LUSSAULT de la SELARL CL AVOCATS, Avocats plaidants du Barreau de PARIS
INTIMÉ et appelant à titre incident :
Monsieur [O] [R]
né le 1er Février 1972 à NANTES (44)
demeurant 45 Route du Bon Acquet
44840 LES SORINIERES
Représenté par Me Laurent LE BRUN de la SCP CALVAR & ASSOCIES, Avocat au Barreau de NANTES
M. [O] [R] a été embauché par la par contrat à durée indéterminée le 3 mars 2008 en qualité d'informaticien polyvalent, la relation salariale étant régie par la convention collective de la fabrication et du commerce des produits à usage pharmaceutique, parapharmaceutique et vétérinaire.
Au cours du mois de novembre 2016, les parties ont échangé sur une mutation envisagée de M. [R] et les conditions de celle-ci. Ces discussions n'ont pas abouti entre les parties.
Le 18 décembre 2016, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 23 décembre 2016.
Par courrier du 28 décembre 2016, M. [R] a été licencié pour refus de mutation dans les conditions proposées le 8 novembre 2016.
Le 4 décembre 2017, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de dire nulle et de nul effet la clause de mobilité insérée dans son contrat de travail, dire que son licenciement était abusif et ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et de condamner la SARL ISOMADE au paiement des sommes suivantes, avec intérêts de droit et capitalisation.
La cour est saisie d'un appel formé le 1er mars 2019 par M. [R] à l'encontre du jugement du 21 février 2019, par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :
' Dit que la clause de mobilité insérée au contrat de travail était nulle et de nul effet,
' Dit que le licenciement de M. [R] prononcé par courrier du 28 décembre 2016 était sans cause réelle et sérieuse,
' Condamné la SARL ISOMADE à verser à M. [R] les sommes suivantes :
- 18.500 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- 1.200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Ordonné l'exécution provisoire la présente décision à hauteur de la moitié des dommages-intérêts,
' Fixé la moyenne des salaires à la somme de 2.296,04 € brut mensuel,
' Débouté la SARL ISOMADE de ses demandes reconventionnelles,
' Condamné la SARL ISOMADE à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à M. [R] dans la limite de 2 mois d'indemnités,
' Condamné la SARL ISOMADE aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 septembre 2021, suivant lesquelles la SARL ISOMADE demande à la cour de :
' Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
' Juger que la clause de mobilité est valide et que le refus de mutation de M. [R] constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement,
' Débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes et de son appel incident,
Subsidiairement,
' Rapporter à de plus justes proportions le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui ne peut excéder la somme de 13.636,36 €,
En tout état de cause,
' Condamner M. [R] au paiement de la somme de 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 2 août 2019, suivant lesquelles M. [R] demande à la cour de :
' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [R],
Y additant,
' Le recevoir en son appel incident,
' Condamner la SARL ISOMADE à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts de droit et capitalisation :
- 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Fixer la moyenne des derniers mois de salaire à la somme de 2.296,04 €,
' Condamner la SARL ISOMADE aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 février 2022.
Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la rupture du contrat
Pour infirmation, la SARL ISOMADE soutient essentiellement le bien-fondé du licenciement de M. [R] car son transfert était justifié et la clause de mobilité est valide ainsi que conforme aux intérêts de l'entreprise.
Pour confirmation, M. [R] rétorque que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse car il a été licencié pour avoir refusé sa mutation alors que la clause de mobilité de son contrat de travail est nulle et que rien ne justifie son transfert à Ascain (64).
Il sera rappelé que lorsqu'une clause de mobilité figure au contrat de travail, l'employeur peut user de son pouvoir de direction pour muter le salarié en tout lieu spécifiquement prévu par la clause. Celle-ci doit donc, à peine de nullité, définir précisément son champ géographique et ne pas conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée.
Une clause de mobilité est précise lorsqu'elle indique la zone géographique dans laquelle elle vient s'appliquer.
En l'occurrence et liminairement, il sera rappelé que M. [R] a été embauché en qualité d'informaticien, graphiste polyvalent pour exercer ses fonctions à Carquefou (44).
La clause de mobilité est insérée à l'article 3 du contrat de travail initial intitulé 'Fonctions et attributions'et est ainsi rédigée : ' Toutefois Monsieur [R] [O] pourra être muté en tout lieu sur le territoire Français en fonction des besoins de l'entreprise, et ce dans le cadre des règles légales et conventionnelles'.
Ainsi, il apparaît qu'à la signature du contrat, l'étendue de la clause de mobilité couvrait l'ensemble du territoire français sans autre précision.
La cour observe que la mutation dans un établissement futur telle que prévue par la clause ne permettait pas à M. [R] d'être informé précisément des éventuels lieux de mutation auxquels il consentait, laissant à l'employeur, de ce fait, une possibilité d'étendre unilatéralement la portée de la clause de mobilité.
Par ailleurs, il n'apparaît pas que la dite clause ait été rendue nécessaire par la nature des fonctions d'informaticien, graphiste polyvalent non-cadre exercées à l'origine par M. [R].
Il en résulte que la clause de mobilité insérée au contrat de travail de M. [R] était trop générale et donc imprécise et offrait à l'employeur la possibilité d'en étendre unilatéralement la portée, laissant le salarié dans l'ignorance des contours de la zone géographique à laquelle elle s'appliquait.
Cette clause ne permettait donc pas à M. [R] de connaître précisément ce à quoi il s'engageait et doit en conséquence lui être déclaré inopposable.
Sur la base de ces dispositions contractuelles imprécises affectant la validité de la clause de mobilité litigieuse, la SARL ISOMADE a néanmoins effectivement imposé à M. [R] une mutation à Ascain et a ensuite tiré argument de son refus pour prononcer un licenciement pour cause réelle et sérieuse.
En l'absence de clause de mobilité valable, la modification du lieu de travail constitue une modification du contrat de travail si elle a pour effet d'affecter le salarié dans un autre secteur géographique.
En l'espèce, le changement d'affectation de Carquefou à Ascain, deux villes distantes de plus de 550 kilomètres, correspond à une modification du contrat de travail dès lors qu'il s'agit de deux secteurs géographiques distincts et de deux bassins d'emplois différents.
L'affectation de M. [R] à Ascain impliquait son accord qu'il n'a pas donné.
Dès lors, le refus de la mise en oeuvre d'une clause de mobilité nulle et par suite d'une modification unilatérale du contrat de travail ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, lequel, basé sur ce grief unique, n'est donc pas fondé.
Par application de l'article L.1235-3 du code du travail selon sa rédaction applicable à la date de rupture du contrat de travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Ces dispositions sont applicables en raison de l'ancienneté de M. [R] supérieure à deux ans et de l'absence de précision sur l'effectif de la société.
Agé de 44 ans à la date du licenciement, M. [R] fait observer qu'il a connu une période de chômage de la date de son licenciement (décembre 2016) jusqu'au 11 septembre 2017 où il a retrouvé un emploi de dessinateur à durée indéterminée au sein de la SARL STBM INDUSTRIE (pièces n°6 et 7).
Compte tenu d'un salaire brut cumulé de 13.776,24 € sur les six derniers mois, de la perte d'une ancienneté de 8 ans et 8 mois ainsi que des conséquences morales et financières de la rupture du contrat intervenue dans les circonstances rapportées, il conviendra de confirmer le jugement en ce que celui-ci a alloué à M. [R] une somme de 18.500 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En outre, par application combinée des articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Sur ce fondement, il y a lieu de condamner la SARL ISOMADE, dans la limite de six mois d'indemnités, à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage à compter du jour de la rupture du contrat de travail. Le jugement entrepris sera donc seulement réformé en ce qu'il a limité ce remboursement à deux mois d'indemnités.
Sur l'anatocisme
En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; il sera donc fait droit à cette demande du salarié.
Sur les frais irrépétibles
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la ISOMADE, qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser M. [R] des frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour assurer sa défense.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le remboursement des indemnités à Pôle Emploi ;
Statuant à nouveau de ce chef infirmé,
CONDAMNE la SARL ISOMADE à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées le cas échéant à M. [O] [R], dans la limite de six mois d'indemnités ;
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
Et y ajoutant,
ORDONNE la capitalisation des intérêts ;
CONDAMNE la SARL ISOMADE à payer à M. [O] [R] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SARL ISOMADE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL ISOMADE aux dépens d'appel.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.