8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°253
N° RG 19/01535 -
N° Portalis DBVL-V-B7D-PS2Y
M. [Z] [P]
C/
SARL RENOCLEAN
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 MAI 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 Février 2022
devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET et Madame Gaëlle DEJOIE, magistrats tenant l'audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial
En présence de Monsieur [G] [Y], Médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [Z] [P]
né le 22 Février 1987 à THIAIS (94)
demeurant Tariec
29860 PLOUVIEN
Représenté par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Laetitia LE BOT-LEMAITRE, Avocat au Barreau de BREST, pour conseil
(bénéficiaire d'une aide juridictionnelle partielle numéro 2018/013257 du 25/01/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉE :
La SARL RENOCLEAN prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
13, Route de Quimper
29200 BREST
Représentée par Me Nicolas NARDIS de la SELARL LES CONSEILS D'ENTREPRISES, Avocat au Barreau de BREST
M. [Z] [P] a été embauché par la SARL RENOCLEAN le 24 février 2014 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité d'ouvrier polyvalent, niveau 1, position 1, coefficient 150 de la Convention collective nationale du bâtiment
A compter de fin septembre 2015, M. [Z] [P] a été placé à plusieurs reprises en arrêt de travail et de manière ininterrompue à compter du 5 octobre 2015.
A l'issue de deux visites médicales des 15 novembre et 1er décembre 2016, le médecin du travail a déclaré M. [Z] [P] inapte à son poste.
Le 31 décembre 2016, M. [Z] [P] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 16 juin 2017, M. [Z] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Brest aux fins de voir :
' Condamner la SARL RENOCLEAN à payer à M. [Z] [P] les sommes suivantes :
- 17.746,38 € brut au titre des heures supplémentaires non rémunérées sur la période du 16 juin 2014 au 30 septembre 2015,
- 1.774,63 € brut au titre des congés payés afférents sur la période du 16 juin 2014 au 30 septembre 2015,
- 2.500 € au titre des frais irrépétibles, outre le remboursement des dépens,
' Condamner la SARL RENOCLEAN à remettre sous astreinte journalière de 50 € des bulletins de paie modifiés sur la période de référence, attestation Pôle Emploi modifiée, et certificat pour la caisse des congés payés.
La cour est saisie de l'appel formé le 5 mars 2019 par M. [Z] [P] contre le jugement en date du 5 octobre 2018 notifié le 23 octobre 2018, par lequel le conseil de prud'hommes de Brest a :
' Débouté M. [Z] [P] de l'intégralité de ses demandes,
' Débouté la SARL RENOCLEAN de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamné M. [Z] [P] aux dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 30 juin 2021, suivant lesquelles M. [Z] [P] demande à la cour de :
' Réformer totalement le jugement entrepris,
' Condamner la SARL RENOCLEAN à payer à M. [Z] [P] les sommes suivantes :
- 15.589,06 € brut au titre des heures supplémentaires non rémunérées sur la période du 16 juin 2014 au 30 septembre 2015,
- 1.558,90 € brut au titre des congés payés afférents,
- 4.500 € au titre des frais irrépétibles, outre le remboursement des dépens,
' Condamner la SARL RENOCLEAN à remettre sous astreinte journalière de 50 € des bulletins de paie modifiés sur la période de référence, l'attestation Pôle Emploi modifiée et le certificat pour la caisse des congés payés,
' Débouter la SARL RENOCLEAN de toutes demandes, fins et conclusions autres ou contraires.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 janvier 2022, suivant lesquelles la SARL RENOCLEAN demande à la cour de :
' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] [P] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au paiement des dépens,
' Débouter M. [Z] [P] de ses demandes de rappel de salaires relatives à des heures supplémentaires et aux congés payés afférents, et de remise des documents sociaux sous astreinte,
Statuant à nouveau,
' Condamner M. [Z] [P] à verser à la SARL RENOCLEAN les sommes de :
- 3.000 € sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et le débouter de sa demande à ce titre.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 27 janvier 2022
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Poursuivant l'infirmation du jugement entrepris et se fondant sur les témoignages d'un salarié en contrat à durée déterminée et de clients qui attestent des horaires de travail au delà des horaires standards, M. [Z] [P] indique que déjà en qualité d'intérimaire, il avait exécuté un nombre important d'heures supplémentaires mais que leur volume a explosé après en raison de l'arrêt de travail de son employeur qui en a reconnu la réalité tout en l'imputant à l'autonomie des salariés et à leur manque d'organisation, qu'il produit un décompte journalier de ses heures qui ne sont contrées que par des attestations mensongères.
M. [Z] [P] indique par ailleurs que les attestations produites par l'employeur sont des faux dans la mesure où il ne pouvait être présent sur les mêmes chantiers du fait de son arrêt de travail.
L'employeur entend faire observer que le salarié a réduit ses prétentions en cause d'appel, qu'il n'a jamais réclamé le règlement de ces heures pendant l'exécution du contrat de travail, qu'il a attendu 3 ans pour réclamer ces sommes, qu'il n'a jamais été convenu qu'il réalise de nombreuses heures supplémentaires et qu'il lui appartient de rapporter la preuve des heures revendiquées par des éléments suffisamment précis, ainsi que l'a rappelé le Conseil de prud'hommes.
La SARL RENOCLEAN ajoute que la jurisprudence invoquée par le salarié n'est pas transposable s'agissant d'un arrêt d'espèce, que les arguties développées par l'intéressé ne permettent pas d'étayer sa demande, que le salarié n'a pas mentionné ses heures sur le carnet lui avait été remis à cet effet, que le salarié ne peut se prévaloir de l'arrêt de travail du dirigeant de la société dès lors qu'en dépit de cet arrêt de travail, il établissait les devis et se rendait sur les chantiers.
L'employeur entend également faire valoir que les seuls samedis travaillés ont fait l'objet de récupération.
Selon l'article L. 3121-10 du Code du Travail, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaines civile ; l'article L. 3121-22 énonce que les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 % ;
Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir un taux de majoration différent qui ne peut être inférieur à 10%;
En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, le salarié produit les témoignages d'un salarié en contrat à durée déterminée et de clients qui attestent des horaires de travail au delà des horaires standards, l'ancien salarié évoquant des pauses méridiennes raccourcies, des horaires de travail non fixés et des heures supplémentaires non rémunérées.
M. [Z] [P] produit également un calendrier 2015 sur lequel sont mentionnés au jour le jour des heures, allant de 2 à 10 heures présentées comme étant des heures supplémentaires (pièce 11 salarié), reprises sous forme de tableaux semaine par semaine au titre des années 2014 (à compter de la semaine 24) et 2015 avec l'indication du chantier concerné et pour chaque année un décompte des jours fériés et des samedis ainsi qu'un courrier adressé par l'employeur au salarié le 04 septembre 2017 au terme duquel il indique notamment n'avoir jamais demandé l'exécution d'heures supplémentaires, mis à part quelques samedis matins pour lesquels il a bénéficié de récupération, du fait qu'il aménageait lui-même ses heures de travail, qu'il imputait des heures supplémentaires sur des jours de récupération ou de voyage, voire de livraison de plâtre chez son père ou de rangement du garage ou de cueillette de champignons en l'absence de travail.
L'employeur qui conteste la réalité des heures invoquées par le salarié et le fait qu'elles aient été réalisées à sa demande, produit des attestations de clients contestées par le salarié, témoignant sans être toutes très précises quant aux horaires d'intervention de M. [Z] [P], de ce que la durée du travail s'inscrivait dans un cadre horaire qui leur semblait légal (pièce 4 employeur), normal (pièce 8 employeur) ou habituel du lundi au vendredi de 9h30 à 12h et de 13h30 à 17h (pièce 5 employeur), avec une arrivée entre 9h et 9h30, en prenant le déjeuner sur place (pièce 2 employeur), sans jamais rester sur place jusqu'à 19h (Pièce 7 employeur), deux des attestants soulignant avoir fréquemment constaté la présence du salarié au domicile de son employeur après la journée de travail au point de considérer qu'ils étaient amis.
L'employeur qui souligne que les pièces produites par le salarié ne comportent aucune description des tâches et conteste les demandes relatives aux jours fériés comme les décomptes invoqués, produit également le contrat de travail du salarié au terme duquel, il doit certes accepter de réaliser les heures supplémentaires demandées mais que seules les heures effectivement demandées peuvent faire l'objet d'une rémunération.
S'il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, il n'en demeure pas moins que l'employeur ne peut s'affranchir de l'obligation qui lui incombait de contrôler les heures de travail effectuées, en prétendant que le salarié avait toute faculté d'aménager ses heures, cette circonstance ne lui permettant pas d'écarter les décomptes produits, a fortiori repris dans des tableaux faisant référence aux chantiers réalisés.
Ceci étant, si les tableaux produits par le salarié permettent de considérer qu'il a effectivement réalisé un certain nombre d'heures de travail, induites notamment par l'arrêt maladie de son employeur, le salarié ne produit aucun élément permettant d'établir que l'intégralité des heures revendiquées aient été réalisées à la demande de l'employeur et ne propose pas de démontrer qu'elles aient été imposées par l'étendue de ses missions ou l'ampleur des chantiers confiés.
Etant relevé qu'en dépit du nombre d'heures supplémentaires revendiquées pour plus de 15.000 €, le salarié ne formule aucune demande au titre du travail dissimulé, il résulte des développements qui précèdent et des pièces produites au débat qu'il y a lieu de faire partiellement droit aux demandes formulées à ce titre.
Il y a lieu dans ces conditions d'infirmer le jugement entrepris et de condamner la SARL RENOCLEAN à verser à M. [Z] [P] la somme de 2.500 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 250 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par voie de conséquence, il y a lieu de débouter la SARL RENOCLEAN de sa demande sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile.
Sur la remise des documents sociaux :
La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile :
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la société qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser le salarié des frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME partiellement le jugement entrepris,
et statuant à nouveau,
CONDAMNE la SARL RENOCLEAN à payer à M. [Z] [P] :
- 2.500 € brut à titre de rappel d'heures supplémentaires pour la période du 16 juin 2014 au 30 septembre 2015 ;
- 250 € brut au titre des congés payés afférents ;
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes, à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;
DÉBOUTE la SARL RENOCLEAN de sa demande sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL RENOCLEAN à remettre à M. [Z] [P] une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire récapitulatif et le certificat pour la caisse des congés payés, conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,
CONDAMNE la SARL RENOCLEAN à payer à M. [Z] [P] 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SARL RENOCLEAN de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE la SARL RENOCLEAN aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.