9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 18/08096 - N° Portalis DBVL-V-B7C-PMDR
[12]
C/
[V] [D]
FIVA
CPAM DE LOIRE ATLANTIQUE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 01 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 Mars 2022
devant Madame Elisabeth SERRIN et Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 15 Novembre 2018
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTES
****
APPELANTE :
LA Société [12], immatriculée au RCS de ST NAZAIRE sous le numéro 562 037 838,
[Adresse 8]
[Adresse 13]
[Localité 2]
représentée par Me Joumana FRANGIE MOUKANAS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Agathe MARCON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
LE FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA), Etablissement public administratif,
[Adresse 15]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES
Madame [V] [D]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS
LA CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE ATLANTIQUE,
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Mme [H] [W] en vertu d'un pouvoir spécial
****
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 9 septembre 2013, [Y] [D], salarié en tant que technicien itinérant au sein de la société [14], désormais dénommée [12] (la société), a déclaré la maladie professionnelle suivante : 'carcinome lépidique du lobe inférieur droit - chirurgie du 29 juillet 2013 - MP 30 bis'.
Le certificat médical initial établi le 12 août 2013 reprend les mêmes termes.
Le 5 décembre 2013, la caisse a ainsi pris en charge la maladie déclarée, au titre de la législation professionnelle (tableau 30 bis).
Le 7 février 2014, un taux d'incapacité permanente partielle de 67% a été attribué à [Y] [D].
Ce dernier est décédé le 2 mars 2016.
Sur le recours de la société en inopposabilité de la décision de prise en charge :
Par lettre du 6 janvier 2014, la société a saisi la commission de recours amiable d'une contestation de la décision de prise en charge.
Se prévalant d'un rejet implicite de sa demande, la société a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes le 9 avril 2014.
Par jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21400531), ce tribunal a :
- débouté la société de sa demande en inopposabilité de la décision de prise en charge en date du 5 décembre 2013 de la pathologie en date du 12 août 2013 déclarée par [Y] [D] ;
- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration adressée le 12 décembre 2018, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié à une date que les éléments du dossier de la cour ne permettent pas de déterminer (appel RG n°18/08101).
Sur le recours en faute inexcusable de l'employeur :
Le 29 septembre 2014, [Y] [D] a saisi la caisse d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société puis a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes.
[Y] [D] a saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) d'une demande d'indemnisation de ses préjudices et a accepté l'offre proposée le 2 mai 2014.
Par jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21401444), ce tribunal a :
- déclaré recevable le recours introduit par [Y] [D] ;
- déclaré recevable l'intervention du FIVA dans le cadre du recours introduit par [Y] [D] en sa qualité de subrogé dans les droits de ce dernier ;
- constaté que Mme [I] [D] s'est régulièrement désistée du recours introduit par son époux, [Y] [D] ;
- déclaré recevable le maintien de Mme [V] [D] dans la demande de reconnaissance de faute inexcusable introduite par son père, [Y] [D] ;
- déclaré recevable la demande de Mme [V] [D] se rapportant aux frais irrépétibles engagés et à la mise en oeuvre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déclaré irrecevable la demande de Mme [V] [D] se rapportant à la majoration de la rente versée à son père, M. [D] ;
- débouté la société et la caisse de leur demande de jonctions des recours n°21401444 et 21400531 ;
- dit que la maladie professionnelle en date du 12 août 2013 déclarée par [Y] [D] est imputable à une faute inexcusable de la société ;
- fixé au taux maximum la majoration de la rente servie par la caisse à [Y] [D] ;
- dit que le produit de cette majoration de la rente sera versé par la caisse à la succession de [Y] [D] ;
- dit que s'il apparaît que le décès de [Y] [D] est imputable à sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant ;
- fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par [Y] [D] ainsi que suit :
* souffrances morales : 75 300 euros ;
* souffrances physiques : 23 700 euros ;
* préjudice d'agrément : 8 000 euros ;
* préjudice esthétique : 1 000 euros ;
- dit que la caisse devra avancer ces sommes au FIVA en réparation des préjudices personnels subis par [Y] [D] ;
- condamné la société à rembourser à la caisse les sommes avancées par cette dernière en exécution de la présente décision ;
- condamné la société à verser la somme de 1000 euros à Mme [V] [D], venant aux droits de son père, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de toutes conclusions, fins et prétentions plus amples ou contraires.
Par déclaration adressée le 12 décembre 2018, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 23 novembre 2018 (appel RG n°18/08096).
Par ordonnance du 15 avril 2021, le magistrat chargé de l'instruction des affaires a ordonné la jonction des dossiers n°18/08096 et n°18/08101, l'affaire se poursuivant sous le n°18/08096.
Par ses écritures n°2 parvenues au greffe le 28 juillet 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour, de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en ses appels ;
- infirmer les jugements entrepris ;
Sur l'inopposabilité de la décision de prise en charge du 5 décembre 2013 :
- dire et juger que le caractère professionnel de la maladie de [Y] [D] n'est pas démontré par la caisse à l'égard de la société ;
- en conséquence, lui déclarer inopposable la décision de prise en charge du 5 décembre 2013 ;
Sur la demande de reconnaissance de faute inexcusable :
- donner acte à la société de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la réalité de la faute inexcusable alléguée ;
- débouter le FIVA de sa demande au titre du préjudice d'agrément ;
- débouter la caisse de son action récursoire à l'encontre de la société ;
- à titre subsidiaire, il est demandé à la cour d'enjoindre la caisse de procéder au calcul de la majoration de la rente afin que le montant puisse en être connu et les modalités de calcul éventuellement discutées par l'employeur.
Par ses écritures déposées et visées à l'audience du 16 mars 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil, Mme [V] [D] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 15 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes en ce qu'il a :
* déclaré recevable le recours introduit par [Y] [D] ;
* déclaré recevable le maintien de Mme [V] [D] dans la demande de reconnaissance de la faute inexcusable introduite par son père, [Y] [D] ;
* déclaré recevable la demande de Mme [V] [D] se rapportant aux frais irrépétibles engagés et à la mise en oeuvre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* dit que la maladie professionnelle en date du 12 août 2013 déclarée par [Y] [D] est imputable à une faute inexcusable de la société ;
* fixé au taux maximum la majoration de la rente servie par la caisse à [Y] [D] ;
* dit que le produit de cette majoration de la rente sera versé par la caisse à la succession de [Y] [D] ;
* dit que s'il apparaît que le décès de [Y] [D] est imputable à sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant ;
* condamné la société à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- infirmer le jugement rendu le 15 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes en ce qu'il a :
* déclaré irrecevable sa demande se rapportant à la majoration de la rente versée à son père, [Y] [D] ;
Et statuant à nouveau :
- déclarer recevable sa demande visant à obtenir le versement, au bénéfice de la succession de [Y] [D], de la majoration de la rente servie à son père ante mortem ;
En tout état de cause :
- dire et juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêt au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir ;
- condamner en cause d'appel, la société au paiement de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses écritures parvenues au greffe par le RPVA le 29 janvier 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable mais mal fondé ;
- constater que la société ne conteste pas le caractère professionnel de la maladie, dans ses rapports avec la veuve de [Y] [D] et le FIVA subrogé ;
- confirmer le jugement entrepris ;
Y ajoutant :
- condamner la société à lui verser la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la partie succombante aux dépens.
Par ses écritures parvenues au greffe le 20 juillet 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- confirmer purement et simplement les jugements du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes, rendus le 15 novembre 2018 ;
- rejeter toutes conclusions, fins et prétentions plus amples ou contraires de la société ;
- condamner la partie adverse aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La carrière de [Y] [D] peut être reconstituée comme suit (déclaration de maladie professionnelle pièce n°1 de la caisse) :
- du 12 septembre 1966 au 31 décembre 1976 : société [9], en qualité d'apprenti puis d'ajusteur ;
- du 1er janvier 1977 au 31 décembre 1987 : société [7] en qualité de monteur spécialiste ;
- du 1er janvier 1988 au 31 janvier 2005 : société [14] aujourd'hui [11] et [16] devenue [12], en qualité de technicien de montage puis de technicien itinérant.
Il n'est pas contesté que la société est le dernier employeur de [Y] [D].
1 - Sur l'opposabilité de la décision de prise en charge par la caisse de la maladie déclarée par [Y] [D] à l'égard de la société (appel du jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21400531) ):
L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pose une présomption d'origine professionnelle au bénéfice de toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Fixés par décret, les tableaux précisent la nature des travaux susceptibles de provoquer la maladie, énumèrent les affections provoquées et le délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l'exposition du salarié au risque identifié pour être prise en charge.
La maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus (2e Civ., 17 mai 2004, n°03-11.968)
Il est de jurisprudence constante que la désignation des maladies figurant dans les tableaux présente un caractère limitatif, en sorte que ne peuvent relever de ce cadre de reconnaissance de maladie professionnelle les affections n'y figurant pas (Soc., 5 mars 1998, n° 96-15.326).
Toutefois, il appartient au juge de rechercher si l'affection déclarée figure au nombre des pathologies désignées par le tableau invoqué, sans s'arrêter à une analyse littérale du certificat médical initial (2e Civ., 9 mars 2017, n° 16-10.017) ou sans se fier au seul énoncé formel du certificat médical initial (2e Civ., 14 mars 2019, n° 18-11.975).
En cas de discordance entre les libellés et si l'employeur conteste la condition médicale, il appartient à la caisse, subrogée dans les droits de la victime, de rapporter la preuve que la maladie qu'elle a prise en charge est celle désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau (2e Civ., 30 juin 2011, n° 10-20.144).
Une fois la présomption d'imputabilité établie, il appartient à l'employeur de démontrer que l'affection litigieuse a une cause totalement étrangère au travail ( 2e Civ., 13 mars 2014, pourvoi n° 13-13.663).
La société fait valoir que la maladie décrite dans le certificat médical initial ne correspond pas à celle désignée dans le tableau 30 bis des maladies professionnelles ; que les éléments du dossier ne permettent pas de vérifier le caractère primitif du cancer ; que le médecin conseil ne se fonde sur aucun élément extrinsèque tiré d'un examen médical spécifique qui aurait pu permettre de révéler ce caractère primitif ; que si le médecin conseil vise le scanner du 31 janvier 2013 dans le cadre du colloque médico-administratif, c'est uniquement pour caractériser la date de première constatation médicale de la maladie ; que par ailleurs, les postes occupés au sein de la société par [Y] [D], à savoir ajusteur puis monteur et technicien itinérant n'entrent pas dans la liste limitative des travaux du tableau n°30 bis ; que dans cette liste ne figure pas davantage l'hypothèse d'un risque simplement environnemental.
La caisse réplique qu'elle n'est pas tenue par l'analyse littérale du certificat médical initial ; qu'il ressort de la compétence du médecin conseil de vérifier la concordance de la pathologie mentionnée au certificat médical initial à une maladie prévue au tableau des maladies professionnelles ; que pour retenir le caractère primitif de la pathologie, le médecin conseil s'est référé à l'entier dossier médical de l'assuré et notamment au certificat médical initial du 12 août 2013 qui vise bien le tableau des maladies professionnelles n°30 bis lequel ne comprend qu'une seule pathologie à savoir le cancer broncho-pulmonaire primitif, mais aussi au scanner pour objectiver la maladie ; que cette dernière pièce étant couverte par le secret médical, elle n'a pas à être communiquée à l'employeur.
S'agissant de la liste limitative des travaux, la caisse indique qu'il ressort parfaitement de l'instruction que [Y] [D] a exercé, au cours de la période requise, les travaux énumérés au tableau concerné, de sorte qu'elle n'était pas tenue de saisir un [10] ; que l'employeur se contente d'évoquer que le cancer broncho-pulmonaire peut être d'origine multifactorielle sans rapporter la preuve qui lui incombe que la maladie professionnelle contractée par son salarié a une origine totalement étrangère au travail.
Le tableau n°30 bis ne contient qu'une seule maladie le 'cancer broncho-pulmonaire primitif '.
Son délai de prise en charge est de 40 ans, sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans.
Les travaux susceptibles d'exposer le salarié à l'inhalation de poussières d'amiante résultent d'une liste limitative :
Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante.
Travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac.
Travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante.
Travaux de retrait d'amiante.
Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante.
Travaux de construction et de réparation navale.
Travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante.
Fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante.
Travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
Sur la désignation de la maladie :
Le certificat médical initial du 12 août 2013 établi par le docteur [R], pneumologue, mentionne 'carcinome lépidique du lobe inférieur droit - chirurgie du 29 juillet 2013 - MP 30 bis', à l'instar de la déclaration de maladie professionnelle.
Le colloque médico-administratif du 21 octobre 2013(pièce n°7 de la caisse) note l'accord du médecin conseil sur le diagnostic figurant sur le certificat médical initial, mentionne le code syndrome 30BAC34X, qui au regard de codification des maladies professionnelles correspond au « cancer broncho-pulmonaire primitif » désigné par le tableau n°30 bis, et au titre du libellé complet du syndrome pris en charge « Kc pulmonaire ». La date de première constatation médicale de la maladie retenue renvoie à un scanner du 21 janvier 2013. A la question « conditions médicales réglementaires du tableau remplies ' », le médecin conseil a coché « oui ».
Alors que le libellé de la maladie mentionnée au certificat médical initial est différent de celui figurant au tableau n°30 bis, il apparaît que l'avis favorable du médecin conseil à la prise en charge de cette pathologie est manifestement fondé sur un élément médical extrinsèque, en l'occurrence un scanner, de sorte que la caisse rapporte la preuve que la condition médicale du tableau est remplie. (2e. Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n°18-21.742 ; 2e. Civ., 22 octobre 2020, pourvoi n° 19-21.915 ; 2e Civ., 7 avril 2022, pourvoi n° 20-22.628)
Sur la liste limitative des travaux et l'exposition au risque :
L'exposition au risque doit s'apprécier sur l'ensemble de la carrière professionnelle de l'assuré et pas seulement vis-à-vis du dernier employeur.
En réponse au questionnaire adressé par la caisse (pièce n°3 de la caisse), [Y] [D] a décrit les travaux qu'il a réalisés chez ses différents employeurs :
« montages et essais des moteurs diesel - installation et réparation des moteurs diesel à bord des navires et dans des centrales thermiques ».
Il a indiqué qu'étaient mis à sa disposition des « gants, calorifuge et joints d'échappement à base d'amiante».
La caisse produit deux attestations d'anciens collègues de travail de [Y] [D] (pièces n°5 et 6 de la caisse) qui confirment les dires de l'intéressé et notamment les tâches de montage et de réparation à bord des navires.
M. [M] [B] certifie ainsi « avoir travaillé à la société [14] avec [Y] [D] de septembre 1966 à septembre 1988 en qualité de mécanicien diéséliste pour l'assemblage, les essais et la réparation de moteurs thermiques.
Nous avons également effectué de nombreuses missions ensemble dans le cadre du service après-vente en France et à l'étranger sur de vieux navires où l'amiante était omniprésent à cette époque (isolation des tuyauteries, joints') ainsi que dans des centrales électriques.
Nous étions exposés à l'amiante plus spécialement lors du montage et démontage des collecteurs d'échappement qui était isolés thermiquement avec des matelas amiantés. [...] Quant à nos stages au banc d'essai d'une durée de plusieurs mois, voire plusieurs années, nous pouvions y voir les poussières d'amiante dans cette atmosphère confinée (pour l'isolation phonique dans l'atelier) consécutive aux vibrations des moteurs en fonctionnement.
Pour ce qui est des dates d'exposition aux poussières d'amiante, elle débute donc en septembre 1966 jusqu'à une date que j'ignore, des dispositions ayant été prise pour remplacer l'amiante pour l'isolation des collecteurs d'échappement.
Je peux dire néanmoins que jusqu'en 2001, des joints amiantés étaient encore utilisés. La pose de ces joints en atelier était effectuée par une équipe de nuit équipée de combinaisons, gants et masques jetables, équipements dont nous ne disposions pas lors de nos missions à l'étranger ».
La société admet d'ailleurs, dans sa lettre du 16 mai 2013 adressée à la caisse (pièce n°4 de la caisse), une exposition de [Y] [D] à l'amiante dans le cadre des emplois occupés :
« Nous vous informons que l'intéressé a fait partie du personnel transféré lors de la cessation de l'activité par [7] le 1er janvier 1988.
Il y a occupé la fonction de technicien de montage et de technicien itinérant jusqu'au 31 janvier 2005 (démission dans le cadre de l'amiante). Il a pu être exposé à l'amiante lors de montage et essai moteur à bord de navires.
Il a également pu être exposé chez son précédent employeur où il a occupé un poste d'ajusteur puis de monteur spécialiste. Cependant, pour cette période antérieure à [14], nous ne sommes pas en mesure de vous transmettre les éléments complémentaires sur le travail effectué et l'origine éventuelle de la maladie ».
La preuve est donc suffisamment rapportée d'une exposition de [Y] [D] pendant au moins 10 années à l'amiante, dans le cadre des travaux limitativement énumérés à l'article 30 bis des maladies professionnelles (travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante et travaux de réparation navale).
Le délai de prise en charge n'étant pour le surplus pas contesté, il s'ensuit que la présomption d'origine professionnelle de cette maladie, désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, telle que résultant des dispositions de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, trouve à s'appliquer.
La société ne démontre pas qu'une cause étrangère au travail serait à l'origine de la maladie de [Y] [D].
En conséquence, le jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21400531) sera confirmé en toutes ses dispositions et il sera ajouté que la décision de prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée le 12 août 2013 par [Y] [D] est opposable à la société.
2 - Sur l'appel du jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21401444) :
2.1 - Sur la faute inexcusable :
La société s'en remet à justice sur la question de la faute inexcusable mais ne développe aucun moyen au soutien de sa contestation.
Les développements ci-dessus qui permettent de retenir, dans les relations entre la caisse et l'employeur, que la maladie a bien un caractère professionnel seront expressément repris comme reposant sur l'analyse des mêmes éléments.
S'agissant de la demande tendant à faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur quant à la survenance de cette maladie, il convient de rappeler que l'article L.230-2, I et II du code du travail devenu L.4121-1 et L.4121-2 dudit code, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. (2e Civ., 8 octobre 2020, n° 18-26.677).
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.
La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l'employeur de rapporter « la preuve que celui-ci... n'a pas pris les mesures nécessaires pour [la] préserver du danger auquel elle était exposée ».
Le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure que l'employeur aurait dû prendre.
Dans le cadre d'une exposition à l'amiante, il suffit, pour qu'une faute inexcusable puisse être reconnue, que l'exposition du salarié au risque ait été habituelle, peu important le fait que le salarié n'ait pas participé directement à l'emploi ou à la manipulation d'amiante.
Le jugement querellé détaille parfaitement l'évolution des connaissances scientifiques et l'état du droit en la matière au moment de l'exposition de [Y] [D] au risque et il y a lieu de s'y référer.
La société ne pouvait ignorer les risques liés à l'utilisation d'amiante alors même que l'état des connaissances permettait, depuis de nombreuses années, aux entreprises de savoir qu'elles exposaient leurs salariés à des risques connus depuis le milieu du XXe siècle s'agissant des asbestoses ou des plaques pleurales et ce alors que la création des tableaux de maladies professionnelles en lien avec l'exposition à l'amiante remonte à l'année 1945 et que la liste des travaux devenue simplement indicative à compter de 1955.
Ainsi, dès cette date, tout employeur qui faisait travailler son salarié au contact de l'amiante, quel que soit le type de travail effectué et la pathologie concernée, avait nécessairement conscience du risque qu'il lui faisait courir et devait le protéger contre l'inhalation de poussières d'amiante.
Si des incertitudes scientifiques pouvaient en certains domaines encore subsister à l'époque, il demeure que tout entrepreneur avisé ayant même indirectement recours à l'amiante, ou ayant su que son personnel travaillait dans des locaux dans lesquels des poussières d'amiantes étaient présentes en grandes quantités, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de ce matériau.
En outre, la taille de la société lui permettait d'avoir un personnel compétent en matière d'hygiène et de sécurité et celle-ci ne pouvait pas connaître les avantages de l'amiante sans connaître en parallèle les risques liés à sa manipulation et à son exposition pour ses salariés.
La carence de l'Etat ou des autorités de tutelle ne pouvait dispenser l'entreprise employeur, seule titulaire et débitrice à l'égard de son salarié d'une obligation générale de sécurité, même à l'égard de produits au contact desquels se trouvaient exposés ses salariés, de prendre les mesures de prévention et de protection qu'imposait la situation.
Comme en attestent les collègues de [Y] [D] (pièces n°9, 10, 11, 12 13 et 14 du FIVA), aucune protection collective ou individuelle n'a été mise à leur disposition.
Il n'est par ailleurs justifié d'aucune mesure d'information quant aux risques liés à la présence d'amiante dont aurait bénéficié [Y] [D].
L'absence de véritables mesures efficaces pendant de nombreuses années malgré la conscience qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur du danger auquel le salarié était exposé permet de caractériser la faute inexcusable de l'employeur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la faute inexcusable de la société.
2.2 - Sur les conséquences de la faute inexcusable :
En application des articles L.452-1 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime a droit, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.
Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Le principe de la majoration de la rente versée ante mortem à [Y] [D] ainsi que le fait que le produit de cette majoration sera versé par la caisse à la succession de [Y] [D] ne sont pas critiqués par la société. Il y a lieu de confirmer ces dispositions du jugement.
Le jugement, qui n'est pas motivé sur ce point, sera en revanche infirmé en ce qu'il a déclaré Mme [V] [D] irrecevable en sa demande visant à obtenir le versement au bénéfice de la succession de [Y] [D] de la majoration de la rente servie à ce dernier avant son décès, cette disposition étant contradictoire avec les précédentes, outre le fait qu'à la lecture de la décision aucune demande n'a été formulée en ce sens par la société.
Le FIVA a indemnisé les préjudices personnels de [Y] [D] comme suit, évaluation confirmée par le tribunal :
* souffrances morales : 75 300 euros ;
* souffrances physiques : 23 700 euros ;
* préjudice d'agrément : 8 000 euros ;
* préjudice esthétique : 1 000 euros ;
Il apparaît que le tribunal a fait une exacte évaluation des préjudices personnels de [Y] [D] s'agissant des souffrances morales, des souffrances physiques et du préjudice esthétique, qui ne sont pas utilement discutés par la société.
La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour confirmer le jugement entrepris sur ces chefs.
S'agissant du préjudice d'agrément de [Y] [D], il sera rappelé que le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.
Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.
Il appartient à la victime ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.
Ce poste de préjudice a été indemnisé par le FIVA à hauteur de la somme de 8 000 euros.
Le FIVA fait valoir qu'en raison de sa maladie, [Y] [D], décrit comme un homme actif, ne pouvait plus se livrer à ses activités favorites : jardinage, bricolage tel que cela ressort des attestations de ses proches (pièces n°11 et 12 du FIVA).
La cour trouve dans le dossier les éléments suffisants pour évaluer ce poste à la somme de 8 000 euros.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
2.3 - Sur l'action récursoire de la caisse :
C'est en vain que la société soutient, pour s'opposer à l'action récursoire de la caisse, que le montant de la créance de celle-ci, notamment en ce qui concerne la rente et sa majoration, est indéterminé.
Le calcul de la majoration de rente et du capital représentatif de la majoration dû au final par l'employeur s'effectue à la date de la reconnaissance de la faute inexcusable. Les bases de calculs, qui sont déterminées par les dispositions du code de la sécurité sociale, sont connues de la société.
C'est tout aussi vainement que la société demande à la cour d'enjoindre à la caisse de procéder au calcul de la majoration de rente.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que la caisse dispose d'une action récursoire à l'encontre de la société.
La société sera déboutée de sa demande visant à enjoindre à la caisse de procéder au calcul de la majoration de la rente.
3 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge du FIVA et de Mme [V] [D] leurs frais irrépétibles.
La société sera en conséquence condamnée à verser, au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- au FIVA, la somme de 1 500 euros ;
- à Mme [V] [D], la somme de 4 000 euros.
S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
- CONFIRME le jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21400531) en toutes ses dispositions :
y ajoutant :
DÉCLARE opposable à la société [12] la décision de prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle, de la maladie déclarée le 12 août 2013 par [Y] [D] ;
- CONFIRME le jugement du 15 novembre 2018 (RG n°21401444) sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de Mme [V] [D] se rapportant à la majoration de la rente versée à son père, [Y] [D] ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
DÉCLARE recevable la demande de Mme [V] [D] se rapportant à la majoration de la rente versée à [Y] [D] ante mortem ;
DÉBOUTE la société [12] de sa demande visant à enjoindre à la caisse de procéder au calcul de la majoration de la rente ;
CONDAMNE la société [12] à verser, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
- au FIVA, la somme de 1 500 euros ;
- à Mme [V] [D], la somme de 4 000 euros ;
CONDAMNE la société [12] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT