8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°402
N° RG 19/03412 -
N° Portalis DBVL-V-B7D-PZJ6
Mme [P] [Z]
C/
Société PEKUS GMBH
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 12 Mai 2022
En présence de Madame [J] [I], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
Madame [P] [Z]
née le 13 Novembre 1985 à [Localité 5] (72)
demeurant [Adresse 4]
[Localité 1]
Ayant Me Coralie CAPITAINE, Avocat au Barreau de LORIENT, pour Avocat constitué
INTIMÉE et appelante à titre incident :
La Société de droit allemand PEKUS GMBH venant aux droits de la Société LIGNE ST BARTH GMBH prise en la personne de ses représentants légaux et ayant son siège social :
[Adresse 3]
[Localité 2])
Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Patrick THIEBART de la SCP ATALLAH COLIN JOSLOVE MICHEL ET AUTRES, Avocat au Barreau de PARIS, pour conseil
Mme [P] [Z] a été embauchée le1er septembre 2017 par la Société LIGNE ST BARTH GMBH, société de droit allemand spécialisée dans le secteur d'activité de parfumerie et de produits de beauté, aux droits de laquelle vient la Société PEKUS GMBH, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel en qualité de formatrice, les relations contractuelles étant régies par la Convention collective nationale esthétique cosmétique et enseignement technique et professionnel lié aux métiers de l'esthétique et de la parfumerie.
Mme [Z] a pris acte de la rupture en raison de divers manquements qu'elle impute à son employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juin 2018.
Le 6 juillet 2018, Mme [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Lorient aux fins de :
' Prononcer la requalification de la prise d'acte de rupture du contrat de travail en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et la requalification du contrat de travail en un contrat à temps plein,
A titre principal,
' Condamner la Société LIGNE ST BARTH GMBH au paiement des sommes suivantes:
- 1.607 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.607 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 160,70 € brut au titre des congés payés afférents,
- 5.678,50 € brut à titre de rappel de salaire au titre de la requalification en un contrat de travail à temps plein,
- 567,85 € brut au titre des congés payés afférents (à parfaire),
- 9.642 € net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 1.607 € net à titre de dommages-intérêts pour non délivrance de bulletins de paie,
' Remise des bulletins de salaire rectifiés, des documents de fin de contrat rectifiés, et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir,
A titre subsidiaire,
' Condamner la Société LIGNE ST BARTH GMBH au paiement des sommes suivantes:
- 1.101,94 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.101,94 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 110,19 € brut au titre des congés payés afférents,
- 6.611,66 € net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 1.101,94 € net à titre de dommages-intérêts pour non délivrance de bulletins de paie,
A tous titres,
' Condamner la Société LIGNE ST BARTH GMBH au paiement des sommes suivantes:
- 523,18 € brut à titre de rappel de salaire sur requalification,
- 52,32 € brut au titre des congés payés afférents,
- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
La cour est saisie de l'appel formé le 23 mai 2019 par Mme [P] [Z] contre le jugement du 18 avril 2019 notifié le 23 avril 2019, par lequel le conseil de prud'hommes de Lorient a :
' Débouté Mme [Z] de ses demandes :
- de requalification de sa prise d'acte de la rupture du contrat en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de requalification du contrat de travail en un temps plein, ainsi que les demandes afférentes à celles-ci,
- d'indemnité au titre du travail dissimulé,
- d'indemnité au titre du travail dissimulé,
' Débouté la société LIGNE ST BARTH GMBH de sa demande indemnitaire pour non-respect du préavis et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Laissé les dépens à la charge de Mme [Z].
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 1er août 2019, suivant lesquelles Mme [Z] demande à la cour de :
' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Z] de ses demandes :
- de requalification de sa prise d'acte de la rupture du contrat en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de requalification du contrat de travail en un temps plein, ainsi que les demandes afférentes à celles-ci,
- d'indemnité au titre du travail dissimulé,
- article 700 du code de procédure civile et dépens,
Et le réformant,
' Prononcer la requalification de la prise d'acte de rupture du contrat de travail en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et la requalification du contrat de travail en un contrat à temps plein,
A titre principal,
' Condamner la Société LIGNE ST BARTH GMBH au paiement des sommes suivantes:
- 1.607 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 326,42 € net à titre d'indemnité de licenciement,
- 1.607 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 160,70 € brut au titre des congés payés afférents,
- 5.678,50 € brut à titre de rappel de salaire au titre de la requalification en un contrat de travail à temps plein,
- 567,85 € brut au titre des congés payés afférents,
- 9.642 € net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 1.607 € net à titre de dommages-intérêts pour non délivrance de bulletins de paie,
A titre subsidiaire,
' Condamner la Société LIGNE ST BARTH GMBH au paiement des sommes suivantes:
- 1.101,94 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 223,83 € net à titre d'indemnité de licenciement,
- 1.101,94 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 110,19 € brut au titre des congés payés afférents,
- 6.611,66 € net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 1.101,94 € net à titre de dommages-intérêts pour non délivrance de bulletins de paie,
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 21 janvier 2022, suivant lesquelles la Société PEKUS GMBH de droit allemand, venant aux droits de la Société LIGNE ST BARTH GMBH, demande à la cour de :
' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes,
' Débouter Mme [Z] de :
- ses demandes de requalification de sa prise d'acte de la rupture du contrat aux torts de l'employeur en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et de requalification du contrat de travail en un temps plein,
- sa demande indemnitaire au titre du travail dissimulé,
' Dire que la prise d'acte de Mme [Z] produit les effets d'une démission,
' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société LIGNE ST BARTH GMBH de sa demande indemnitaire pour non-respect du préavis,
' Condamner Mme [Z] à verser à la société PEKUS GMBH, venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH, la somme de 1.060,60 € correspondant à l'indemnité pour non-respect du préavis,
En tout état de cause,
' Condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 5 mai 2022.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'exécution du contrat de travail :
- S'agissant de la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps plein :
Pour infirmation et bien fondé de ses prétentions à ce titre, Mme [Z] soutient que l'employeur n'a pas respecté ses obligations en matière de durée du travail, qu'elle ne connaissait pas son rythme de travail et devait rester à la disposition constante de l'employeur.
L'employeur rétorque que la salariée ne rapporte pas la preuve d'avoir été contrainte de se tenir à la disposition de son employeur ni d'avoir accompli des heures complémentaires au-delà des limites contractuelles et légales.
En application de l'article L 3123-6 du Code du Travail , le contrat de travail des salariés à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne :
1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif du travail conclu en application de l'article L 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;
2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;
3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiquées par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;
4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat ;
En présence d'un contrat écrit, il appartient à l''employeur qui conteste l'existence d'un contrat à temps plein de rapporter la preuve de la durée exacte du travail convenu, que le salarié n'était pas mis dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il ne devait pas se tenir constamment à la disposition de son employeur.
En l'espèce, il est établi que le contrat de travail de Mme [Z] indiquait d'une part qu'elle travaillait 24 heures par semaine et d'autre part que ses horaires de travail pour chaque journée travaillée seraient communiqués par la remise d'un planning sans autre précision concernant la répartition des 28 heures contractuelles.
Cependant l'employeur ne produit au débat ni planning ni document susceptible de permettre à Mme [P] [Z] de prévoir à quel rythme elle devait travailler, de sorte qu'il plaçait la salariée dans l'obligation de se maintenir à sa disposition.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et de faire droit à la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ainsi qu'à la demande de rappel de salaire formulée à ce titre tel qu'il est dit au dispositif.
- S'agissant de la classification :
Mme [P] [Z] soutient qu'en application de la convention collective de l'esthétique-comestique et enseignement associé, elle aurait du relever du coefficient 200 compte tenu de son niveau de compétence et de ses attributions d'enseignement, de promotion et de prospection, alors qu'elle a été rémunérée sur la base d'un coefficient 135 correspondant à celui d'une aide esthéticienne non diplômée exerçant sous le contrôle d'une esthéticienne diplômée.
L'employeur dénie à Mme [P] [Z] la possibilité de revendiquer cette classification, en soutenant d'une part qu'elle est applicable aux instituts de beauté dont ne relève pas son activité et qu'en termes d'enseignement la salariée ne disposait pas des connaissances pratiques et/ou manuelles acquises par la formation technique et professionnelle ou l'expérience professionnelle.
Or, non seulement l'employeur reconnaît que le coefficient 135 attribué à Mme [P] [Z] en qualité de formatrice, est destiné au personnel capable d'effectuer des tâches simples, ne nécessitant aucune qualification professionnelle et réalisées selon des consignes précises mais ne démontre pas en quoi les attributions exercées et les compétences mises en oeuvre par la salariée qui justifie à la fois de son diplôme d'esthéticienne et de son expérience professionnelle, constituaient des tâches simples ne nécessitant aucune qualification professionnelle, étant de surcroît relevé que toute action de formation, comme celles confiées à la salariée suppose la réalisation des tâches connexes à la transmission du savoir, telles que la programmation et la préparation des cours.
Dans ces conditions Mme [P] [Z] démontre qu'elle n'a pas bénéficié d'une classification conforme à ses compétences et à ses attributions, de sorte qu'il est manifeste qu'elle n'a pas perçu la rémunération correspondant au coefficient 200 qui aurait du lui être attribué, de sorte qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et de faire droit à la demande de rappel de salaire à ce titre, en ce compris les congés payés afférents tel qu'il est dit au dispositif.
- S'agissant du travail dissimulé :
Pour infirmation et condamnation de son employeur à ce titre, Mme [P] [Z] soutient que la non délivrance d'un bulletin de paie suffit à caractériser la dissimulation d'emploi salarié, qu'elle a travaillé sans qu'aucune des formalités légales ne soit exécuté et sans que lui soit délivré de bulletins de salaire, en ne la rémunérant que partiellement et ce, intentionnellement.
La Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH réfute l'argumentation de Mme [P] [Z] arguant de ce qu'elle a réalisé toutes les formalités déclaratives et réglé les cotisations afférentes, de sorte qu'il ne peut lui être imputé aucune dissimulation intentionnelle.
L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié ;
L'article L.8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle ;
Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ;
L'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est due quelle que soit la qualification de la rupture ; la demande en paiement d'heures supplémentaires n'a pas pour effet de rendre irrecevable la demande en paiement de l'indemnité forfaitaire ; le montant de l'indemnité forfaitaire doit être calculé en tenant compte des heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail ; cette indemnité qui sanctionne la violation de dispositions légales se cumule avec les indemnités de nature différente résultant du licenciement, et notamment avec l'indemnité de licenciement ;
Le droit à l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est fondé sur la violation de dispositions légales à l'occasion de la conclusion et de l'exécution du contrat de travail et est ouvert avec la rupture de ce contrat ; il s'ensuit que la garantie de l'AGS conformément aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail s'étend à cette indemnité ;
En l'espèce, la Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH justifie des formalités déclaratives relatives à l'embauche de Mme [P] [Z], telles que la déclaration TFE du 28 novembre 2017, la déclaration nominative de la société, de l'édition des bulletins de salaire de Mme [P] [Z], du certificat d'enregistrement et de l'attestation de déclaration préalable à l'embauche de l'intéressée ainsi que des déclarations à l'URSSAF via le TFE, de sorte que la dissimulation d'emploi salarié ne peut être retenue à ces titre.
Par ailleurs, le seul fait d'avoir maintenu la salariée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et de se tenir constamment à la disposition de son employeur, circonstance qui justifie la requalification du contrat de travail en contrat de travail à temps plein, est en soi insuffisante à caractériser l'élément intentionnel requis pour retenir la dissimulation d'emploi.
Il y a lieu en conséquence de débouter Mme [P] [Z] de la demande formulée à ce titre et de confirmer le jugement entrepris de ce chef.
- S'agissant du retard de remise des bulletins de salaire :
La salariée soutient n'avoir reçu ses bulletins de salaire qu'en juillet 2018 et l'employeur justifie avoir relancé dès janvier 2018 son gestionnaire de paie afin d'être en mesure de remplir ses obligations à ce titre.
Cependant, il sera observé que l'employeur a attendu plusieurs mois avant de solliciter son gestionnaire de paie en dépit des réclamations de la salariée et n'a régularisé effectivement la situation qu'à la suite de la prise d'acte de la salariée, laquelle justifie d'un préjudice spécifique tenant au fait qu'elle a été empêchée de contrôler que sa rémunération était conforme à sa qualification professionnelle, qui doit être évalué à la somme de 500 €.
Sur la rupture du contrat de travail :
- S'agissant de la prise d'acte :
Pour infirmation et bien fondé de sa prise d'acte, Mme [Z] soutient que sa prise d'acte est justifiée par les manquements graves de son employeur empêchant la poursuite de son contrat de travail tels que :
- l'absence de bulletins de paie ;
- l'absence de couverture complémentaire ;
- le retard dans le paiement du salaire de mai 2018 ;
- l'absence d'une rémunération conforme à sa qualification et ses fonctions.
L'employeur estime qu'aucun des faits allégués par Mme [Z] ne saurait fonder sa prise d'acte car il n'a commis aucun manquement suffisamment grave pour justifier celle-ci. Les différents faits invoqués par la salariée sont contestées, de sorte que la prise d'acte, injustifiée, doit produire les effets d'une démission.
En droit, lorsque qu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, ne fixe pas les limites du litige ; dès lors le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
La prise d'acte de Mme [P] [Z] du 13 juin 2018, est ainsi motivée :
'Par la présente, je vous informe que je suis contrainte d'effectuer une prise d'acte de rupture de mon contrat de travail puisqu'alors que je suis engagée par votre société depuis le 1er septembre 2017 en qualité de Formatrice, je constate qu'aucun bulletin de salaire ne m'a jamais été délivré.
Malgré mes différentes demandes auprès de vos services, celles-ci sont demeurées vaines.
Pire, j'ai découvert qu'il n'avait été procédé à aucune déclaration préalable à l'embauche me concernant auprès des services de l'URSSAF.
Or, il s'avère que la non délivrance de bulletins de salaire et le non-paiement des cotisations sociales sont constitutifs de manquements graves de l'employeur à ses obligations découlant du contrat de travail.
En outre, par ces manquements, vous avez volontairement dissimulé mon emploi salarié, ce qui est juridiquement assimilable à du travail dissimulé.
Vous ne pouvez aujourd'hui ignorer cette situation puisque je l'ai dénoncée à de nombreuses reprises et notamment auprès de Madame [E] [H].
Au surplus, mon contrat de travail ne respecte pas les formes prescrites par le Code du travail en matière de temps de travail partiel, et notamment quant à la répartition quotidienne et hebdomadaire de mes heures de travail.
Enfin, je déplore ce jour que mon salaire du mois de mai ne m'a pas été versé, étant précisé que ma rémunération est régulièrement versée entre le 28 du mois en cours et le 6 du mois suivant.
Je regrette vraiment cette situation puisque je me suis investie comme vous le savez au sein de votre société et j'ai le sentiment d'un échec absolu à devoir mettre fin ainsi à mon contrat de travail du fait de vos manquements.
Mon contrat sera donc rompu dès présentation de la présente correspondance et je vous remercie de me transmettre tous les documents de rupture.
Je vous précise que je serai dès lors contrainte d'engager une procédure devant le Conseil de Prud'hommes de LORIENT pour faire valoir mes droits.'
* s'agissant de l'absence de bulletins de paie :
Il résulte des développements qui précèdent que la salariée n'a reçu ses bulletins de salaire qu'en juillet 2018 et qu'en dépit des réclamations de la salariée l'employeur n'a effectivement régularisé la situation qu'à la suite de la prise d'acte de la salariée, de sorte que le grief imputé à ce titre par l'intéressée est établi.
* s'agissant de l'absence de couverture complémentaire :
En l'espèce, l'employeur justifie de son affiliation à Humanis santé et de l'appel de cotisations visant l'ensemble du personnel, de sorte que le grief relatif à l'absence de justification de la couverture complémentaire n'est pas établi.
* s'agissant du retard dans le paiement du salaire de mai 2018 :
La salariée soutient qu'elle n'a perçu son salaire du mois de mai 2018 que le 27 juin 2018 postérieurement à sa prise d'acte et l'employeur, sans contester ce retard estime qu'un retard de quelques jours ne peut être considéré comme fautif.
Or, il est établi que la rémunération du mois de mai de la salariée ne lui a été versée qu'à la suite de sa prise d'acte et qu'ainsi la carence de l'employeur à ses obligations dépassait de plus de trois semaines les dates habituelles de versement du salaire de Mme [P] [Z], de sorte que le grief imputé par cette dernière à son employeur est caractérisé.
* s'agissant de l'absence d'une rémunération conforme à sa qualification et ses fonctions.
Il résulte également des développements qui précèdent qu'en application de la convention collective de l'esthétique-cosmétique et enseignement associé, Mme [P] [Z] aurait du relever du coefficient 200 compte tenu de son niveau de compétence et de ses attributions d'enseignement, de promotion et de prospection, alors qu'elle a été rémunérée sur la base d'un coefficient 135 correspondant à celui d'une aide esthéticienne non diplômée exerçant sous le contrôle d'une esthéticienne diplômée.
Il est par conséquent établi que Mme [P] [Z] n'a pas bénéficié d'une classification conforme à ses compétences et à ses attributions, de sorte que le manquement de l'employeur à ce titre est établi.
En conséquence et nonobstant des régularisations intervenues postérieurement à la prise d'acte du 13 juin 2018, les manquements de l'employeur à l'égard de Mme [P] [Z], compte tenu de leur accumulation, revêtent un degré de gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de son contrat de travail.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et requalifier la prise d'acte de Mme [P] [Z] du 13 juin 2018 en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur les conséquences de la rupture :
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 9 mois pour une salariée âgée de 33 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L. 1235-5 du Code du travail dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 une somme de 1.607 € net à titre de dommages-intérêts ;
La prise d'acte produisant les effets d'un licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée peut donc prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis et de congés afférents suivantes :
- 326,42 € net à titre d'indemnité de licenciement,
- 1.607 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 160,70 € brut au titre des congés payés afférents,
Sur la remise des documents sociaux :
La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;
===
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; l'appelante qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser la société intimée des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
INFIRME partiellement le jugement entrepris,
et statuant à nouveau,
REQUALIFIE le contrat de travail à temps partiel de Mme [P] [Z] en contrat de travail à temps plein,
REQUALIFIE la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [P] [Z] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH à payer à Mme [P] [Z] :
- 5.678,50 € brut à titre de rappel de salaire au titre de la requalification en un contrat de travail à temps plein,
- 567,85 € brut au titre des congés payés afférents,
- 523,18 € brut à titre de rappel de salaire sur requalification au coefficient 200,
- 52,32 € brut au titre des congés payés afférents,
- 500 € net à titre de dommages-intérêts pour non délivrance de bulletins de paie,
-1.607 € net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 326,42 € net à titre d'indemnité de licenciement,
- 1.607 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 160,70 € brut au titre des congés payés afférents,
- 5.678,50 € brut à titre de rappel de salaire au titre de la requalification en un contrat de travail à temps plein,
- 567,85 € brut au titre des congés payés afférents,
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes, à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;
CONDAMNE la Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH à remettre à Mme [P] [Z] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification
CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
et y ajoutant,
CONDAMNE la Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH à payer à Mme [P] [Z] 2.800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Société PEKUS GMBH venant aux droits de la société LIGNE ST BARTH GMBH aux entiers dépens de première instance et d'appel,
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.