2ème Chambre
ARRÊT N° 505
N° RG 19/04328 - N° Portalis DBVL-V-B7D-P4PY
(3)
CRCAM DU FINISTERE
C/
M. [C] [Y]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Alexandre TESSIER
-LE COULS-BOUVET
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Juin 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Septembre 2022, après prorogations, par mise à disposition au greffe
****
APPELANTE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTERE
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [C] [Y]
né le [Date naissance 3] 1954 à [Localité 4]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Pierre NIZART, Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
2
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [C] [Y], héritier de sa mère Mme [U] [Y], décédée le [Date décès 1] 2014, a interrogé la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère (ci-après le Crédit agricole) en juillet 2016, au sujet de nombreux retraits effectués sur le compte de sa mère entre 2004 et 2013.
La banque lui a indiqué que les trois enfants de Mme [Y], à savoir, outre l'intimé, M. [R] [Y] décédé le [Date décès 6] 2015 et M. [M] [Y], décédé le [Date décès 2] 2014 laissant deux enfants [H] et [E] [Y], avaient reçu procuration pour ce compte et qu'ils pouvaient tous être l'auteur de ces retraits qui n'avaient donné lieu à aucune objection de la part de Mme [Y].
Après réception des bordereaux de remise relatifs à ces retraits et ne parvenant pas à obtenir de réponse de la banque sur l'identité des personnes ayant procédé aux retraits, M. [Y] a, par acte d'huissier en date du 12 avril 2018, assigné le Crédit agricole devant le tribunal de grande instance de Quimper sur le fondement de l'article 1382 du code civil en paiement de la somme de 41 240 euros en réparation de son préjudice.
Par jugement en date du 28 mai 2019, le tribunal a :
- déclaré recevable l'action de M. [C] [Y] contre la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère,
- condamné la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Finistère à payer à M [C] [Y] la somme de 14 870 euros,
- condamné la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Finistère à payer à M [C] [Y] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le Crédit agricole aux dépens.
Par déclaration en date du 28 juin 2019, le Crédit agricole a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 24 septembre 2019, il demande à la cour de :
Vu l'article 2224 du code civil,
- déclarer la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Finistère recevable et bien fondée en son appel,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire et juger prescrites les demandes relatives aux opérations antérieures au 12 avril 2013,
- débouter M [C] [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-débouter M [C] [Y] de son appel incident,
- condamner M [C] [Y] à verser à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine, la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner M [C] [Y] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 20 décembre 2019, M. [C] [Y] demande à la cour :
- confirmer le jugement du 28.05.2019 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la Caisse régionale de crédit agricole du Finistère,
- infirmer ce jugement en ce qui concerne le montant de la condamnation,
En conséquence,
- condamner le Crédit agricole au paiement de la somme de 20 620 euros,
- débouter le Crédit agricole de toutes ses demandes, fins et conclusions autres ou contraires,
- condamner le Crédit agricole au paiement de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le Crédit agricole aux dépens .
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 28 avril 2022 .
EXPOSÉ DES MOTIFS :
Sur la prescription de l'action en responsabilité :
Le Crédit agricole reproche au tribunal d'avoir considéré M. [Y] recevable en son action en responsabilité pour tous les bordereaux émis après le 17 juillet 2009, soit cinq ans avant le décès de Mme [Y], en fixant le point de départ du délai de prescription quinquennal de l'action engagée au 6 décembre 2016, date de réception des bordereaux de retraits. Soulignant que le décès de Mme [Y] est intervenu plus d'un an après le dernier bordereau litigieux, il fait valoir que M. [Y] avait procuration sur le compte de sa mère depuis le 16 avril 2014 et qu'il n'a émis aucune contestation au moment où il disposait de cette procuration. Il en conclut que tous les bordereaux émis avant le 12 avril 2013, compte tenu de la date de l'assignation, sont nécessairement couverts par la prescription quinquennale.
Mais c'est par des motifs pertinents que le tribunal a relevé d'une part, que M. [Y] n'avait pu hériter de sa mère que des actions non atteintes par la prescription quinquennale à la date de son décès, soit celles concernant les bordereaux émis après le 17 juillet 2009 et d'autre part que M. [Y] qui n'était plus titulaire d'une procuration au décès de sa mère le 17 juillet 2014, soit trois mois après que celle-ci lui ait donné procuration, n'avait pu prendre connaissance des bordereaux transmis par la banque, donc de la réalité des faits, que le 6 décembre 2016.
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit à connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Or, durant les trois mois où il disposait d'une procuration, M. [Y] était dans l'impossibilité de connaître des retraits exercés entre 2003 et 2014 sur le compte de sa mère et n'a pu avoir une connaissance exacte de ces retraits qu'à la réception des bordereaux le 6 décembre 2016. Il apparaît donc qu'au moment de l'assignation en date du 12 avril 2018, la prescription n'était pas acquise de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a dit M. [Y] recevable en son action.
Sur la demande en dommages-intérêts :
Après avoir indiqué dans l'exposé du litige que M. [Y] a introduit une action sur le fondement de l'article 1382 du code civil par assignation du 12 avril 2018, devenu l'article 1240, le tribunal a toutefois visé dans le corps de son jugement l'article 1147 du même code dans sa rédaction applicable au litige, et précisé que 'la présente action est fondée sur la responsabilité contractuelle', déduisant que M. [Y] agissait aux lieu et place de sa mère décédée.
Néanmoins, en appel, M. [Y] indique que, dans l'impossibilité de démontrer que sa mère, ait pu s'interroger sur les opérations bancaires critiquées, il fonde son action 'non plus sur la responsabilité contractuelle mais sur la responsabilité délictuelle conformément à l'article 1382 devenu article 1240 du code civil.' Visant l'article 565 du code de procédure civile, l'intimé considère que ses prétentions conservent leur finalité mais sur un autre fondement juridique. Soulignant qu'il agit désormais sur le terrain délictuel , il en conclut qu'il ne peut se voir opposer la jurisprudence de la cour de cassation invoquée par la banque qui concerne le titulaire du compte. Il ajoute qu'elle ne peut davantage lui être opposée en qualité de mandataire pendant la durée de la procuration alors qu'il n'a eu connaissance de la réalité des faits qu'après transmission des bordereaux le 6 décembre 2016.
Il est de principe en effet que, dans les relations entre une banque et son client, la réception des relevés de compte sans protestation ni réserve de la part du client fait présumer, même en l'absence de stipulation en ce sens, l'existence et l'exécution des opérations qu'ils indiquent ainsi que l'accord du titulaire du compte sur les opérations y figurant. Il sera rappelé qu'il s'agit d'une présomption simple qui ne prive pas le client de la faculté de rapporter, pendant la durée de la prescription légale, la preuve d'éléments propres à l'écarter.
Il est constant que Mme [Y] n'a, de son vivant, pas remis en cause les retraits litigieux. La banque se prévaut d'ailleurs de cette ratification tacite tant de la part de la titulaire du compte que de M. [C] [Y] pendant la durée de sa procuration pour écarter sa responsabilité.
M. [Y] qui agit sur le fondement de la responsabilité délictuelle, considère que le Crédit agricole ne peut arguer d'une quelconque ratification tacite de sa part. Il s'évince de ce nouveau fondement juridique que M. [Y] n'agit donc pas au nom de sa mère décédée mais au nom de l'indivision. Il lui appartient alors de démontrer une faute de la banque et le préjudice résultant de celle-ci.
Or, pour établir la faute de la banque, M. [Y] se contente de dire que celle-ci inverse la charge de la preuve sur la régularité des retraits alors qu'elle doit être en mesure de faire connaître qui est à l'origine des retraits contestés et que le fait que certains de ces bordereaux ne soient pas signés ne légitime pas nécessairement ceux qui ne le sont pas, soulignant que ceux-ci sont plus nombreux que ceux qui le sont.
Sur la période non prescrite comprise entre le 18 juillet 2009 et le [Date décès 1] 2014, le tribunal a dénombré huit bordereaux de retrait d'espèces sur le compte chèque de Mme [Y] non signés à savoir ceux du 9 septembre 2009, du 23 février 2011, du 27 avril 2011, du 23 mai 2012, du 21 août 2012, du 19 décembre 2012 et du 6 mai 2013.
En appel, le Crédit agricole fait valoir que les retraits contestés ont été effectués au guichet de l'établissement bancaire, signés de la main de la personne habilitée au sein de l'agence de Tréboul laquelle a été en mesure de vérifier l'identité de la personne venue effectuer les différents retraits d'espèces sur le compte de Mme [Y], ajoutant qu'il était évident que la remise d'espèces n'avait pu être faite qu'après vérification de l'identité. Il considère quant à lui qu'il appartient à M. [Y] d'apporter des éléments de preuve qui pourraient mettre en doute l'origine de l'ordre des retraits de fond faits à l'agence du Crédit agricole de Treboul. Il ajoute enfin que les retraits critiqués n'apparaissent nullement comme des anomalies de fonctionnement habituel du compte, leur montant étant tout à fait similaire à ceux des bordereaux signés.
Cependant, il est de principe que le banquier dépositaire des fonds inscrits dans ses livres au nom du client ne s'en dessaisit valablement que sur ordre du titulaire du compte de son représentant légal ou des personnes habilitées. Il lui appartient donc d'établir qu'il a agi sur ordre de son client ou de son mandataire.
En l'espèce, en l'absence de signature, le Crédit agricole est dans l'incapacité de rapporter la preuve que les espèces relatives à ces huits bordereaux ont été retirés par Mme [Y] ou l'un de ses fils ayant procuration sur son compte. Pour autant, il ne peut se déduire de la négligence de la banque à faire signer les bordereaux de retrait qu'elle n'a procédé à aucune vérification d'identité de la personne retirant les fonds et a autorisé des retraits par une personne non identifiée et sans consentement comme l'ont conclu les premiers juges. De même, il ne peut se déduire davantage de cette absence de signature que les sommes dont il est réclamé le remboursement ont été indûment prélevées sur le compte de Mme [Y] et que celle-ci n'en a pas profité. Enfin, il n'est pas davantage démontré par M. [Y] que l'indivision ait été spoliée de sommes lui revenant à la suite de ces retraits litigieux.
Sur l'appel incident de M. [Y] :
S'agissant du bordereau non daté et non signé d'un montant de 4 000 euros, il apparaît comme le souligne la banque, que ce bordereau ne concerne pas un retrait d'espèces mais un bordereau de commande d'espèces pour un mercredi qui ont été remises le mercredi 19 décembre 2012. En ce qui concerne le bordereau du 9 juin 2013 pour 3 500 euros, il ne résulte pas des relevés bancaires versés aux débats qu'il ait été suivi d'effet et ait donné lieu à un retrait du compte de cette somme en espèces.
En conséquence, la banque ne pouvait se voir condamner à restituer à M. [Y] une somme dont il n'est pas démontré qu'elle devait revenir à celui-ci. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [C] [Y] contre la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Finistère.
Sur les demandes accessoires :
M. [Y] qui succombe en ses demandes supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge du Crédit agricole l'intégralité des frais, non compris dans les dépens, qu'il a dû exposés à l'occasion de l'instance d'appel en sorte que M. [Y] sera condamné à lui payer une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Quimper sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [C] [Y] contre la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère,
Statuant à nouveau,
Déboute M. [C] [Y] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne M. [C] [Y] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel du Finistère la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [C] [Y] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT