2ème Chambre
ARRÊT N°484
N° RG 19/04347
N° Portalis DBVL-V-B7D-P4RV
(1)
M. [S] [K]
Mme [V] [D] épouse [K]
C/
Mme [G] [M] divorcée [K]
M. [T] [K]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me PIERRARD
- Me GERARD
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 Juin 2022
ARRÊT :
Rendue par défaut, prononcé publiquement le 30 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [S] [K]
né le [Date naissance 3] 1950 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représenté par Me Michelle PIERRARD de la SELARL ALPHA LEGIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
Madame [V] [D] épouse [K]
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Michelle PIERRARD de la SELARL ALPHA LEGIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
INTIMÉS :
Madame [G] [M] divorcée [K]
née le [Date naissance 7] 1975 à [Localité 8]
[Adresse 9]
[Localité 8]
Représentée par Me Isabelle GERARD de la SELARL SELARL GERARD REHEL - GARNIER, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO
Monsieur [T] [K]
né le [Date naissance 6] 1975 à [Localité 8]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Assigné par acte d'huissier en date du 28/10/2019, délivré à domicile, n'ayant pas constitué
EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement du 16 juin 2017, le juge aux affaires familiales de Saint-Malo a prononcé le divorce de M. [T] [K] et Mme [G] [M], mariés le [Date mariage 5] 2000, et a rejeté la demande de partage par moitié du prix de vente de l'immeuble commun vendu le 14 août 2015, au motif de l'existence d'un litige relatif au remboursement de fonds remis au couple par M. [S] [K] et Mme [V] [D] (les époux [K]), parents de [T] [K], pour un montant total de 106 500 euros
En effet, prétendant que ces fonds avaient été remis, entre juillet 2008 et avril 2010, au couple en difficulté financière à titre de prêt, les époux [K] avaient, par acte du 25 juillet 2016, fait assigner Mme [M] en paiement devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo.
La défenderesse a soulevé la prescription de l'action des demandeurs et soutenu que les fonds avaient été remis à titre de donation.
M. [T] [K] est intervenu volontairement à l'instance en reconnaissant que les fonds versés constituaient bien des prêts.
Estimant que la prescription de l'action des époux [K], commençant à courir au jour du dernier versement du 14 avril 2010, était acquise, le premier juge a, par jugement du 27 mai 2019 :
débouté les époux [K] de leurs demandes,
débouté Mme [M] de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamné les époux [K] aux dépens.
Faisant valoir que les prêts successifs, qui ne comportaient aucun terme, ont commencé à être remboursés à compter de février 2009 et que la première mensualité de remboursement impayée se situait en décembre 2011, de sorte que la prescription n'avait pu courir avant cette date, les époux [K] ont relevé appel de ce jugement le 1er juillet 2019, pour demander à la cour de :
réformer la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré la demande prescrite,
condamner 'conjointement et solidairement' M. [T] [K] et Mme [M] au paiement de la somme de 89 290 euros, avec intérêts à compter de la mise en demeure du 30 mai 2016 et capitalisation de ceux-ci,
condamner 'conjointement et solidairement' M. [T] [K] et Mme [M] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
débouter les intimés de leurs prétentions contraires,
condamner 'conjointement et solidairement' M. [T] [K] et Mme [M] aux dépens de première instance et d'appel.
Mme [M] conclut quant à elle à la confirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré l'action prescrite et, subsidiairement, demande à la cour de débouter les époux [K] au fond faute de preuve de ce que les fonds ont été remis à titre de prêt, ou en tous cas de rejeter la demande de condamnation solidaire.
Elle sollicite enfin la condamnation des époux [K] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [T] [K] n'a pas constitué avocat devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les époux [K] le 8 avril 2022 et pour Mme [M] le 10 juillet 2020, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 14 avril 2022.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Il ressort des pièces produites que les époux [K] ont remis à leurs fils et belle-fille durant leur mariage des chèques, encaissés sur leur compte joint, de :
30 000 euros le 4 juillet 2008,
5 000 euros le 23 février 2009,
5 000 euros le 10 avril 2009,
5 000 euros le 2 juillet 2009,
51 000 euros le 14 avril 2010,
et mis en place un virement permanent de 700 euros par mois de février 2009 à avril 2010 pour un montant total de 10 500 euros.
Mme [M] prétend d'abord que l'action des époux [K] serait prescrite, plus de cinq s'étant écoulés entre la dernière remise de fonds du 14 avril 2010 et l'assignation du 25 juillet 2016.
Il résulte cependant de l'article 1900 du code civil que, lorsqu'un prêt a été consenti sans qu'ait été fixé un terme, ce qui est le cas en l'espèce, le point de départ du délai de la prescription de l'action en remboursement se situe à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance, laquelle doit être recherchée, en l'absence de terme exprès, suivant la commune intention des parties et les circonstances de l'engagement.
Or, en l'occurrence, les époux [K] soutiennent qu'il a été convenu, selon un document rédigé de la main même de Mme [M], d'un plan de remboursement à hauteur de 745 euros par mois par virements débités du compte joint des emprunteurs, outre 200 euros par mois par virements débités du compte professionnel de leur fils [T], engagement que les emprunteurs ont honoré de mai 2010 à novembre 2011 à l'exception d'un versement de 745 euros.
Mme [M] soutient que les règlements par prélèvements sur le compte joint des emprunteurs auraient cessé dès mai 2011, les règlements mensuels de 200 euros qui se sont poursuivis jusqu'en novembre 2011 ayant été réalisés à la seule initiative de son ex-époux et à son insu par prélèvements sur son compte professionnel.
Pourtant, il ressort de l'examen des relevés de compte des prêteurs et du compte joint des emprunteurs qu'il a encore été effectué un virement de 745 euros à partir de ce compte le 26 novembre 2011.
Le délai de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, qui n'a en toute hypothèse pu courir avant cette date, n'était donc pas expiré lorsque les époux [K] ont engagé leur action en remboursement du solde par assignation du 25 juillet 2016.
Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes des époux [K] comme étant prescrites, et de les déclarer recevables.
Mme [M] soutient par ailleurs que les fonds auraient été remis à titre de donation, et qu'en toute hypothèse les époux [K] ne rapportent pas la preuve qu'ils l'auraient été à titre de prêt et à charge de remboursement.
À cet égard, il est en effet de principe qu'il appartient au prêteur de rapporter la preuve de l'existence du prêt dont le remboursement est réclamé, la seule preuve de la remise des fonds n'y suffisant pas, et il résulte en outre des articles 1341, 1347 et 1348 du code civil, dans leur rédaction applicable à la cause, que les prêts, portant sur des sommes supérieures à 1 500 euros, doivent être prouvés par écrit, sauf commencement de preuve par écrit ou impossibilité morale de se procurer un écrit.
Or, en l'occurrence, si le lien de parenté ne suffit pas à établir cette impossibilité morale, les époux [K] font à juste observer que la grand-mère de Mme [M] avait aussi prêté des fonds sans juger nécessaire, en tous cas avant la séparation du couple consacrée par l'ordonnance de non-conciliation du 22 janvier 2015, d'exiger un écrit, de sorte qu'ils leur aurait été difficile de l'exiger pour eux-mêmes.
Au surplus, ils produisent un commencement de preuve par écrit émanant de Mme [M] établissant que les fonds remis l'avaient été à titre de prêt, ce document manuscrit, dont Mme [M] admet l'authenticité, évoquant des fonds 'empruntés', d'autres 'remboursés à [S]', et proposant un plan de remboursement par mensualités de 745 euros à compter du 2 mai 2010 sauf la mensualité de juin 2010 qui n'a pas été honorée.
Ce commencement de preuve par écrit est de surcroît corroboré par la preuve de la remise de fonds à hauteur de 106 500 euros, ainsi que par un début de remboursement à hauteur de 17 210 euros.
À cet égard, Mme [M] soutient que ces règlements ne concernaient qu'un arrangement entre MM. [S] et [T] [K] relativement au financement d'un véhicule dont les échéances de remboursement avaient été couvertes par le premier grâce à un virement permanent de 700 euros par mois de février 2009 à avril 2010, mais, outre que la somme totale remboursée excède le montant de ce prêt de 10 500 euros, l'intimée a explicitement évoqué, dans le document manuscrit précité, l'existence de cette remise de fond et l'engagement de remboursement par son couple.
En outre, le commencement de preuve par écrit est également corroboré par une 'attestation' de M. [T] [K] en date du 18 novembre 2016 décrivant avec précision, le montant de différents prêts ainsi que le plan de remboursement mise en place, de même que par le courrier officiel de l'avocat de celui-ci en date du 13 juillet 2016 admettant que le couple devait la somme de 89 290 euros à ses parents et, surtout, par l'aveu judiciaire qu'il en a fait dans ses conclusions d'intervention volontaire.
Enfin, le commencement de preuve par écrit est encore corroboré par l'attestation de Mme [L], fille des époux [K], affirmant avoir à plusieurs reprises entendu son frère et l'ex-épouse de celui-ci confirmer l'existence d'un prêt, ainsi que par celle de Mme [F], nouvelle compagne de M. [T] [K], relatant avoir entendu les trois filles du couple rapporter que leur mère reconnaissait devoir de l'agent à leurs grand-parents paternels.
À cet égard, l'intimée demande à tort à la cour d'écarter des débats cette dernière attestation en application de l'article 205 du code civil, alors que ce texte se borne à interdire le témoignage des descendants sur les griefs invoquées par les époux à l'appui d'une demande en divorce, circonstance étrangère au présent litige.
Il est ainsi suffisamment démontré que les fonds, d'un montant total de 106 500 euros, remis par les époux [K] à M. [T] [K] et à Mme [M] l'ont été à titre de prêt, et qu'il n'ont été remboursés qu'à hauteur de 17 210 euros, de sorte que les emprunteurs restent leur devoir la somme de 89 290 euros.
En revanche, il résulte de l'article 1202 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, que la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée sauf si elle a lieu de plein droit en vertu d'une disposition de la loi, et de l'article 220 du même code elle n'a légalement lieu entre époux que pour les contrats de prêt portant sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
Or, les époux [K], qui ne disposent d'aucun écrit, ne sont pas en mesure de démontrer que les emprunteurs se seraient, par une stipulation expresse, engagés solidairement à leur égard, l'importance des sommes prêtés excluant par ailleurs qu'ils revendiquent le bénéfice de la solidarité légale entre époux.
Il s'en évince que l'obligation des débiteurs se divise de plein droit entre eux, chacun n'étant tenu que pour sa part dans la dette commune.
En conséquence, M. [T] [K] et à Mme [M] seront condamnés, chacun pour moitié, au paiement de la somme de 89 290 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 30 mai 2016.
Les créanciers seront en outre autorisés à capitaliser les intérêts par années entières à compter de la demande du 1er octobre 2019, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge des époux [K] l'intégralité des frais exposés par eux à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il leur sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 27 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Malo en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [T] [K] et à Mme [G] [M] à payer, chacun pour moitié, à M. [S] [K] et Mme [V] [D] épouse [K] la somme de 89 290 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2016 ;
Autorise la capitalisation des intérêts par années entières à compter du 1er octobre 2019 ;
Condamne Mme [G] [M] à payer à M. [S] [K] et Mme [V] [D] épouse [K] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [G] [M] aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT