La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2022 | FRANCE | N°19/00259

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 10 novembre 2022, 19/00259


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°462/2022



N° RG 19/00259 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PONV













Mme [D] [V]



C/



SA COMPAGNIE FINANCIERE ET DE PARTICIPATIONS

























Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022


r>

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats, et Madame Franç...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°462/2022

N° RG 19/00259 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PONV

Mme [D] [V]

C/

SA COMPAGNIE FINANCIERE ET DE PARTICIPATIONS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats, et Madame Françoise DELAUNAY, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 Septembre 2022

En présence de Madame DUBUIS, médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [D] [V]

née le 15 Juin 1968 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Eric DEMIDOFF de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Paul DELACOURT, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

COMPAGNIE FINANCIERE ET DE PARTICIPATIONS [P] SA (C.F.P.R.) Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Christelle BOULOUX-POCHARD, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [D] [V] a été embauchée le 8 février 1993 par la SAS TIMAC, appartenant au groupe [P], pour exercer les fonctions d'Attachée de direction, dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée jusqu'au 28 février 1994.

La relation contractuelle s'est poursuivie le 1er mars 1994 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée au sein de la société SECMA, appartenant au même groupe où elle a exercé les fonctions d'Attachée de Direction puis de Responsable Achats statut cadre.

Le 19 janvier 2001, Mme [V] a signé une convention de forfait en jours en tant que cadre autonome.

Le 1er février 2006, le contrat de travail de Mme [V] avec la SECMA a été transféré à la SA Compagnie Financière de Participations [P] (CFPR).

Dans un contrat de travail daté du même jour, la salariée s'est vue confier au sein de la société CFPR le poste d'Acheteuse Groupe avec pour mission de générer des gains sur achats tels que prédéfinis dans les budgets annuels pour les sociétés du groupe [P].

La relation de travail est régie par la convention collective nationale de l'industrie chimique.

Aux termes d'un dernier avenant du 14 septembre 2012, Mme [V] a été promue au poste de Responsable foncier, statut cadre moyennant une rémunération forfaitaire fixe portée à 80 000 euros par an et la mise à disposition d'une voiture de fonction. Son ancienneté est reprise au 8 février 1993, date de son entrée dans le groupe [P].

Rattachée hiérarchiquement au vice-président du Conseil de Surveillance, M. [G], puis de janvier 2017 à juin 2017, au secrétaire général du Conseil de Surveillance, M. [U], Mme [V] a été informée par mail du 28 juin 2017 de M. [G] qu'elle était désormais rattachée à M. [F] [W], Directeur juridique du Groupe [P].

Le 26 juillet 2017, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 9 août 2017, suivi de ses congés payés jusqu'au 20 août 2017.

Le 4 août 2017, Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement fixé au 21 août.

Le 8 août 2017, Mme [V] a manifesté son désarroi à la réception de cette convocation faute de connaître les motifs de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre alors qu'elle entendait poursuivre la relation de travail à l'issue de son arrêt de travail et de ses congés.

Le 23 août 2017 au matin, à la reprise de son poste, Mme [V] a emménagé dans le nouveau bureau D00 qui lui était attribué.

Le 26 août 2017, l'employeur lui a notifié son licenciement pour insubordination doublée d'un manque de professionnalisme dans un courrier ainsi libellé :

' Nous avons le regret de vos notifier votre licenciement pour les motifs suivants:

- Lors d'une réunion le 4 juillet 2017 à 10h, M.[G] Président du Directoire du groupe [P] vous a convoqué (ainsi que M.[O] [I] Directeur Immobilier Groupe) en présence de M.[C] [W], Directeur Juridique Groupe, afin de vous informer de votre rattachement hiérarchique à ce dernier.

Vous avez adressé un mail à Mme [T], vice-présidente du Conseil de Surveillance, le 6 juillet à 7h31, dans lequel vous critiquez votre nouveau responsable hiérarchique sur deux éléments :

- tout d'abord, sur la nécessité de donner accès à vos documents de travail à M.[W] : ' M.[W] m'a demandé de partager avec lui mes fichiers sous prétexte(sic) d'en avoir besoin pour répondre aux questions de MM [P] et [G]. Aucun de mes quatre supérieurs précédents (..) ne m'a fait une telle demande.'

- ensuite, sur l'échange que votre supérieur hiérarchique a eu avec Mme [Y] [Z], Directrice Générale du Groupe, dont vous vous plaignez comme d'un changement inacceptable dans votre manière de travailler.

Dans ce même courrier électronique, vous soulevez la question de l'emplacement de votre futur bureau(d00) situé au sein de l'aile de la Direction au 2ème étage du Centre Mondial d'Innovation [P] : ' as-tu validé avec M.[W] l'emplacement qu'il m'a montré ce soir et qu'il m'a dit être mon futur bureau''.

Vous contactez le 17 juillet Mme [S] [L], assistante de M.[G], afin de vous enquérir de la possibilité de trouver un bureau différent qui convienne à vos exigences personnelles.

Dans un mail du 19 juillet à 16h07, vous enjoignez à votre responsable hiérarchique d'interrompre sur le champ le changement de bureau: ' je te remercie de stopper le processus de déménagement en vue de trouver une autre solution : ' un bureau avec fenêtre', en réponse au mail du même jour de M.[W] à [R] [A], Responsable Environnement de Travail, pour organiser le changement de bureau.

Mme [L] revient vers vous par mail le 21 juillet, après ses recherches, pour vous informer que le seul bureau disponible est le bureau D00 : ce à quoi vous rétorquez que vous proposez de travailler dans le bureau voisin qui n'est pas occupé actuellement et qui est doté de fenêtres en attendant qu'un bureau individuel avec fenêtres se libère au CMI'.

Le même jour a lieu un échange de mails entre vous, M.[W] et Mme [A] dans lequel votre responsable hiérarchique prend le temps de vous expliquer la nécessité du déménagement et l'indisponibilité d'un bureau différent : ' le bureau qui a été retenu pour toi est un des plus grands de l'étage, se situe à l'étage de la Direction et dispose d'un mur vitré sur toute sa longueur partant du sol au plafond.'

Le 24 juillet à 7h08, vous prenez l'initiative d'écrire par courrier électronique au Président du Conseil de Surveillance et Fondateur du Groupe M.[K] [P] en attaquant votre supérieur hiérarchique direct:

' je suis contrainte de vous demander d'envisager un changement de rattachement hiérarchique si M.[W] est voué à rester dans le Groupe à l'issue de sa période d'essai. Je vous propose la Direction du Développement à laquelle vous aviez rattaché mon poste de septembre 2012 à janvier 2016. Je ne vois pas d'alternatives que celle-ci.(...)'

Le 24 juillet à 17h21 [R] [A] vous écrit pour organiser le déménagement et notamment vous mentionne l'envoi de cartons de déménagement dès le lendemain ainsi que la mise à disposition d'un coursier pour réaliser le transfert le vendredi 28 juillet.

Le 25 juillet, vous refusez de réceptionner les cartons de déménagement qui vous sont apportés.

Le même jour, en milieu d'après-midi, Mme [J] [T] vous interpelle sur votre insubordination et vos refus répétés de déménager. Vous réitérez alors par trois fois verbalement votre refus catégorique d'exécuter les consignes de votre employeur.

Le jour même à 18h47, je vous convoque par courrier électronique à un entretien individuel dans mon bureau le lendemain matin 26 juillet à la première heure.

Le 26 juillet, nous recevons votre arrêt maladie courant jusqu'au 9 août. Vos dates de congés étant prévues du 5 au 20 août, nous vous convoquons par courrier daté du 2 août à un entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement le 21 août à 10h.

Le 7 août, vous m'adressez un courrier en réponse à la convocation dans lequel vous mentionnez ne pas connaître les motifs de la convocation, tout en soulignant lourdement : que vous n'avez jamais refusé d'exécuter les instructions de votre hiérarchie et que vous n'avez jamais refusé le déménagement.

Le 21 août, lors de l'entretien préalable, vous déclarez sans ambages ne jamais avoir refusé de changer de bureau. Confrontée à vos écrits, vous refusez de reconnaître les faits.

Lorsque j'affirme que ces actions sont de l'insubordination caractérisée, vous déclarez n'avoir ' jamais remis en cause [votre]rattachement hiérarchique.'.

Confrontée là encore à vos écrits, et notamment votre mail du 6 juillet à Mme [T], vous refusez de reconnaître que vous avez un problème avec votre rattachement hiérarchique ou avec la communication de vos dossiers à votre supérieur hiérarchique. Je vous explique alors que la communication de vos dossiers est un acte justifié dénotant le professionnalisme de votre responsable hiérarchique, permettant de garantir la stabilité des opérations et, comme illustré par votre période d'absence, de permettre à l'activité de continuer durant les arrêts maladie de quelque nature qu'ils soient.

Je vous explique encore que le problème de fond illustré par cette insubordination est votre refus d'accepter tout contrôle exercé par votre hiérarchie sur votre travail. Vous réitérez de nouveau ne jamais avoir remis en cause M.[W].

Devant un tel mensonge, je vous donne par deux fois une chance de revenir sur celui-ci en vous demandant de bien réfléchir à vos actions et en vous demandant si vous revenez sur vos dénégations. Vous maintenez n'avoir jamais remis en cause M.[W].

Confrontée à vos écrits du 24 juillet à M.[P] (dans lequel vous attaquez votre supérieur hiérarchique et demandez un changement de rattachement), vous ne présentez aucune excuse ni pour vos mensonges répétés à mon égard ni pour l'impertinence de votre message (notamment la référence à la période d'essai de votre responsable hiérarchique dans votre courrier à M.[P]) ni pour votre insubordination.

Je souligne alors le fait que M.[W] reporte à M.[G] Président du Directoire et que vous n'avez rien fait pour exposer vos griefs à celui-ci. Vous avez donc par vos actions et sans considération pour les deux premiers niveaux de votre hiérarchie directe, directement sollicité le Conseil de Surveillance du Groupe : tout d'abord sa Vice-présidente puis son Président.

Vous vous justifiez en expliquant vos liens dans le passé avec M. [P] lequel a ' créé [votre]poste.'

Devant l'évidence de ce que M.[P] a créé tous les postes du Groupe, vous convenez enfin n'avoir ' pas été dans le bon état d'esprit' et être ' allée trop loin'.

Enfin, devant ma demande d'explication quant à votre entretien avec Mme [T] le 25 juillet en milieu d'après-midi, vous expliquez votre refus d'obtempérer par le fait que la Vice-présidente du Conseil de Surveillance avait ' eu une attitude coercitive ' et déclarez que vous avez 'pris du recul depuis.'

Ainsi, notre entretien du 21 août, loin de me convaincre que vous aviez 'pris du recul', ne fait que confirmer votre incapacité à prendre la mesure des fautes que vous avez commises.

Ces fautes répétées dans le cadre de vos fonctions caractérisent une insubordination doublée d'un manque de professionnalisme qui ne permettent pas votre maintien au sein de notre société.

Nous vous dispensons de l'exécution de votre préavis.(..)'

 ***

Contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Malo par requête en date du 19 septembre 2017 afin de voir :

- Dire nulle et de nul effet et/ou inopposable sa convention de forfait jours,

- Condamner la société CFPR à lui verser les sommes suivantes :

- 18 392,29 euros bruts à titre de rappel de salaires lié aux heures supplémentaires effectuées de la semaine 27 de l'année 2014 à la semaine 34 de l'année 2017 et ce compris les congés payés y afférents,

- 636,35 euros net à titre de dommages et intérêts pour violation de la contrepartie obligatoire en repos sur la période de la semaine 27 de l'année 2014 à la semaine 34 de l'année 2017 ;

- 47 497,68 euros nets au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L.8221-5 du code du travail ;

- Dire abusif son licenciement,

- Condamner la société CFPR à lui verser la somme de 221 655,84 euros nets à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions des articles L.1235-3 du code du travail et 1240 du code civil,

- Ordonner la délivrance d'un bulletin de paie, certificat de travail et d'une attestation pôle emploi, sous astreinte définitive de 250 euros par jour de retard à l'expiration du délai de 8 jours suivant la notification du jugement à intervenir,

- Dire que le conseil de [Localité 6] sera compétent pour liquider l'astreinte,

- Condamner la société CFPR aux intérêts de droit à compter de la saisine du conseil pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé du jugement à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire,

- Ordonner la capitalisation des intérêts par application des dispositions de l'article 1154 du code civil sur l'ensemble des sommes auxquelles pourrait être condamnée la société et ce, à compter du prononcé du jugement à intervenir,

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel ou opposition,

- Condamner la société CFPR aux entiers dépens et à 4 500 euros nets au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Fixer son salaire de référence à la somme de 7 916,28 euros.

La SA CFPR a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Dire que la convention de forfait jours est valable et opposable à Mme [V],

- Débouter Mme [V] de ses demandes d'heures supplémentaires, de rappel de congés payés afférents, d'indemnité en raison du repos compensateur, de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

- Dire en tout état de cause qu'aucune heure supplémentaire ne lui est due

- Dire que le licenciement notifié à Mme [V] a une cause réelle et sérieuse,

- Débouter Mme [V] de sa demande de 221 655,84 euros de dommages et intérêts,

- Débouter Mme [V] de ses plus amples demandes,

- Condamner Mme [V] à verser à la société 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 21 décembre 2018 le conseil de prud'hommes de Saint-Malo a :

- Dit que la convention de forfait jours est nulle et de nul effet et/ou inopposable.

- Dit que le licenciement pour insubordination doublée d'un manque de professionnalisme est justifié.

- Fixé le salaire de Mme [V] à 7 916,28euros.

- Débouté Mme [V] de ses autres demandes.

- Débouté la société CFPR de sa demande d'article 700 du code de procédure civile

- Laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Mme [V] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 14 janvier 2019.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 12 octobre 2021, Mme [V] demande à la cour de :

- Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau

- Dire nulle et de nul effet et/ou inopposable sa convention de forfait jours.

- Condamner en conséquence la société CFPR à lui payer les sommes suivantes:

- 18.392,29 euros bruts à titre de rappel de salaire lié aux heures supplémentaires effectuées de la semaine 27 de l'année 2014 à la semaine 34 de l'année 2017 et ce compris les congés payés y afférents;

- 636,35 euros nets à titre de dommages-intérêts pour violation de la contrepartie obligatoire en repos sur la période de la semaine 27 de l'année 2014 à la semaine 34 de l'année 2017 ;

- 47.497,68 euros nets au titre de l'indemnité forfaitaire des articles 1.8221-5 et suivants du code du travail pour travail dissimulé ;

- Dire abusif le licenciement;

En conséquence,

- Condamner la société CFPR à lui verser la somme de 221.655,84 euros nets à titre de dommages-intérêts sur le fondement des dispositions des articles 1.1235-3 du code du travail et 1240 du code civil ;

- Dire que la société CFPR devra lui remettre un certificat de travail, une attestation destinée à Pôle Emploi, un bulletin de paie, l'ensemble pour tenir compte de l'arrêt à intervenir, sous astreinte définitive de 250 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 8 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;

- Dire que la cour d'appel sera compétente pour liquider l'astreinte et le cas échéant statuer à nouveau ;

- Condamner la société CFPR au paiement des intérêts de droit à compter de la saisine de conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil sur l'ensemble des sommes auxquelles pourrait être condamnée la société CFPR ;

- Fixer son salaire de référence à la somme de 7.916,28 euros ;

- Condamner la société CFPR à lui payer la somme de 4.500 euros net sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société CFPR aux entiers dépens en ce compris ceux éventuels d'exécution.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 26 novembre 2021, la SA CFPR demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [V] est justifié et qu'il l'a déboutée de sa demande subséquente de dommages et intérêts,

- Infirmer, à titre principal, le jugement en ce qu'il a dit que la convention de forfait jours est nulle, de nul effet et/ou inopposable,

A titre subsidiaire,

- Condamner Mme [V] à lui rembourser la somme de 10 373,26 euros au titre des jours de réduction du temps de travail qu'elle a pris durant la période s'étendant de la semaine 27 de l'année 2014 à la semaine 34 de l'année 2017,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V] de ses demandes de rappel d'heures supplémentaires, de congés payés afférents, de repos compensateur et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- Et dire, en tout état de cause, que la salariée n'apporte pas d'élément suffisamment précis pour étayer sa demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires, dont elle doit donc être déboutée,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V] de ses autres demandes,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société CFPR de sa demande d'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant de nouveau,

- Condamner Mme [V] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première et la seconde instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 30 novembre 2021 avec fixation de l'affaire à l'audience du 6 décembre 2021.

Par arrêt en date du 17 février 2022, la cour a ordonné une médiation et ordonné la réouverture des débats avec renvoi de l'affaire à l'audience du 19 septembre 2022.

La mesure de médiation n'a pas abouti à un accord des parties.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la convention de forfait en jours et la demande au titre des heures supplémentaires

Mme [V] demande la confirmation du jugement qui a déclaré sa convention de forfait annuel en jours nulle et de nul effet et/ou inopposable, en l'absence d'un entretien annuel spécifique de suivi de sa charge de travail mais elle en sollicite l'infirmation en ce qu'il a considéré à tort que la salariée n'apportait pas la preuve des heures supplémentaires et qu'il a rejeté sa demande en paiement en méconnaissance des règles de preuve applicables en la matière. L'appelante présente à l'appui de sa demande des éléments de fait suffisamment précis dont un tableau de ses horaires de travail, jour par jour, après déduction de ses rendez-vous personnels, faisant apparaître de nombreuses heures supplémentaires réalisées durant la période considérée

(2014-2017).

La société CFPR rétorque que la convention individuelle de forfait était prévue par la convention collective applicable et par l'accord d'entreprise de décembre 2011, qu'elle est donc opposable à la salariée, laquelle validait le dispositif de décompte du temps de travail mis en place et bénéficiait d'une autonomie d'organisation lui permettant d'équilibrer sa vie privée et sa vie professionnelle. L'employeur rappelle subsidiairement que l'annulation de la convention individuelle n'implique pas de facto le paiement d'heures supplémentaires au profit de la salariée. Il sollicite en cas d'annulation du forfait et à titre reconventionnel le remboursement de la somme de 10 373,26 euros au titre des jours de réduction du temps de travail que la salariée a pris durant la période considérée.

L'article L 3121-39 disposait que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

En vertu de l'article L3121-40 du même code dans sa version applicable au litige, la conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit.

L'article L 3121-46 dispose qu'un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.

L'accord d'entreprise relatif à la durée et au temps de travail en date du 29 décembre 2011 (pièce 21) prévoit que la société CFPR est tenue d'organiser un entretien annuel individuel pour chaque salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sur l'année ; que cet entretien porte sur la charge de travail dans l'entreprise, l'organisation de travail, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié.

La société CFPR à laquelle il appartient de rapporter la preuve du contrôle effectif de la charge de travail de la salariée et de l'amplitude de son temps de travail, n'établit pas avoir procédé dans le cadre de la mise en 'uvre de la convention individuelle de forfait, à un suivi et un contrôle portant sur la charge de travail, l'organisation du temps de travail et l'articulation activité professionnelle/vie personnelle de Mme [V]. L'employeur ayant méconnu les dispositions légales et conventionnelles en la matière, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré inopposable à la salariée la convention individuelle de forfait.

En raison de l'inopposabilité de la convention de forfait, Mme [V] était soumise à la durée légale du travail.

La preuve des horaires de travail effectués n'incombe spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par la salariée, il appartient cependant à cette dernière de présenter préalablement au juge des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que la salariée prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Mme [V] affirmant avoir accompli des heures supplémentaires entre le mois de juin 2014 et le mois de janvier 2017, verse aux débats divers documents :

- des tableaux (pièce 25) récapitulant les jours de travail, semaine par semaine pour la période de la semaine 27 de l'année 2014 à la semaine 48 de l'année 2017, faisant apparaître des heures supplémentaires, à savoir 111,75 heures en 2014, 173 heures en 2015, 196,25 heures en 2016 et 127,75 heures en 2017 représentant la somme globale de 18 392,29 euros brut avec le détail des majorations appliquées (25 % et 50 %).

- la copie de ses agendas Google durant la période en cause, récapitulant jour par jour, ses rendez-vous professionnels, avec l'indication des immeubles visités, le lieu, ses jours de congés et de RTT . Ils comportent des annotations personnelles et des rendez-vous personnels et médicaux

(pièces 41 à 44).

- le détail du calcul de ses horaires de travail de juin 2014 à mars 2017 ( pièces 55 à 58) en explicitant le décompte des heures de travail sur la base d'un rythme du lundi au jeudi : 8h45 à 12h45, et de 14h à 18h45, et le vendredi de 8h45 à 12h15 et de 14 h à 18h45. La salariée a pris soin de ne pas comptabiliser dans son temps de travail effectif le temps des déplacements professionnels pour rejoindre des sites implantés sur le territoire.

- une synthèse de ses déplacements professionnels (pièce 59) et les justificatifs correspondants.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en produisant ses propres éléments de nature à justifier la réalité des horaires de travail de la salariée.

Pour s'y opposer, la société CFPR soutient que la salariée ne fournit pas d'éléments sur les horaires de début et de fin de service, qu'elle impute à tort des temps de déplacement ne représentant pas du temps de travail effectif de nature à générer des heures supplémentaires. Elle ajoute que Mme [V] produit seulement pour les besoins de la cause en appel des tableaux complétés avec ses rythmes de travail hebdomadaires jugés 'étonnamment très constants', en contradiction avec des relevés de pointages produits entre le 1er juin 2017 et le 31 octobre 2017.

Toutefois, les observations de la société CFPR ne sont pas de nature à remettre en cause la réalité des heures supplémentaires accomplies par la salariée durant la période considérée et concernent une période limitée de quelques semaines de travail après déduction des périodes de congés et d'arrêt maladie de la salariée (1er juin 2017-24 août 2017). Au surplus, les relevés de pointage ne correspondent pas au temps de travail de la salariée puisqu'ils ne recensent que le temps de présence de l'intéressée dans les locaux de l'entreprise sans prise en compte du temps de travail à l'extérieur et du travail administratif, Mme [V] en sa qualité de Responsable Foncier se déplaçant régulièrement sur tout le territoire français en réunions, en visite de locaux et lors des signatures des actes de ventes immobilières, comme le confirment ses tableaux annotés (pièce 55) et les justificatifs des frais, sans que l'employeur ne conteste utilement la réalité et le caractère des déplacements effectués.

Sur le nombre d'heures supplémentaires accomplies, et au vu des pièces produites, la cour a la conviction que Mme [V] a bien réalisé des heures supplémentaires au cours des périodes en cause, pour 111,75 heures en 2014, 173 heures en 2015, 196,25 heures en 2016 et 127,75 heures en 2017. Les pièces produites permettent de condamner l'employeur à verser à la salariée un rappel de salaires à ce titre. Il sera fait droit à la demande en paiement de Mme [V], dans les limites du dispositif de ses conclusions, de la somme de 18 392,29 euros brut en ce compris les congés payés y afférents, par voie d'infirmation du jugement.

Sur les dommages-intérêts pour violation de la contrepartie obligatoire en repos non pris

Mme [V] maintient sa demande, dont elle a été déboutée, de dommages-intérêts d'un montant de 636, 37 euros au titre de la violation de la contrepartie en repos non pris au titre de l'année 2016 dépassant le contingent annuel d'heures supplémentaires (pièce 25).

En application de l'article L 3121-30 du code du travail, les heures effectuées au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos. Le salarié qui n'a pas été en mesure du fait de son employeur de formuler une demande de repos compensateur obligatoire au titre des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires défini par la loi ou la convention en application de l'article L 3121-11 du code du travail, a droit à l'indemnisation du préjudice subi. Dans les entreprises de plus de 20 salariés, le repos est fixé à 100% de chaque heure supplémentaire effectuée au-delà du contingent conventionnel ou réglementaire.

Le décompte des heures supplémentaires réalisées au-delà du contingent annuel est fixé par la loi à 220 heures par an en l'absence de dispositions contraires de la convention collective applicable et en l'espèce, à 130 heures par an par la convention collective nationale des industries de la chimie. Le décompte fourni par Mme [V] au titre de la valorisation des heures supplémentaires n'ayant pas donné lieu à repos compensateur durant l'année 2016 n'est pas contesté dans son montant par l'employeur.

Au vu des pièces produites, il sera fait droit à la demande d'indemnisation au titre des repos compensateurs non pris durant l'année 2016 qu'il convient d'évaluer à la somme demandée de 636,37 euros net, par voie d'infirmation du jugement.

Sur la demande reconventionnelle en remboursement des jours RTT

En vertu de l'article 1376 devenu l'article 1302-1 du code civil dispose que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

Dès lors que la convention de forfait conclue entre l'employeur et Mme [V] se trouve privée d'effet et partant inopposable à la salariée, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la dite convention est devenu indû.

Dans ces conditions et alors qu'il n'est pas utilement contesté que Mme [V] a, en exécution d'une convention de forfait dont elle revendique l'inopposabilité, été indemnisée à hauteur de 33 jours non travaillés durant la période litigieuse (2014-2017), la salariée sera condamnée à restituer à la société CFPR la somme correspondante de 10 373,26 euros nette selon le décompte non contesté de l'employeur (pièce 24).

Il sera également ordonné la compensation entre cette somme et les condamnations prononcées à l'encontre de la société CFPR au bénéfice de Mme [V].

Sur le licenciement pour cause réelle et sérieuse

L'article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Selon l'article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement du 25 août 2017 qui fixe les limites du litige se fonde sur un motif disciplinaire se traduisant par 'une insubordination doublée d'un manque de professionnalisme'en ce que :

- Mme [V] a opposé un refus catégorique d'exécuter les consignes de son employeur à propos du déménagement de son bureau,

- la salariée a refusé un contrôle de son travail par sa hiérarchie et s'est adressée directement près du président du Conseil de Surveillance pour se plaindre de son nouveau supérieur hiérarchique, M. [F] [W].

A l'appui de ses griefs, la société CFPR verse aux débats:

- un échange de courriels transmis le 6 juillet 2017 entre Mme [V] et Mme [T] vice-présidente du Directoire du groupe [P] ( pièce 3), la salariée lui demandant ' si elle avait validé avec M.[W] l'emplacement qu'il lui avait montré (la veille au soir ) et qu'il lui avait dit être son futur bureau '' portant le numéro D00 au 2ème étage du Centre Mondial d'Innovation ( CMI) et la réponse de Mme [T] estimant qu'il ' ne lui appartient pas de valider ou non son bureau au CMI. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il te faut un bureau fermé, c'est selon moi le seul cahier des charges. Je copie M.[G], qui via [S] [L] saura régler ce point.'

- un courriel du 19 juillet de M.[W] demandant à Mme [A] Responsable de l'environnement du travail (pièce 4) ' d'organiser dans les meilleurs délais le déménagement des affaires de [D] [V] qui va dorénavant occuper le bureau D00. Dans la mesure où il n'y a pas de voisins en D01, il n'est pas nécessaire à ce stade de mettre un film opacifiant, par contre il conviendra d'en mettre un sur la porte'

- le courriel de Mme [V] du même jour 'remerciant (M.[W]) de stopper le processus de changement de bureau en vue de trouver une autre solution : un bureau avec fenêtre. Comptant sur ta compréhension'

- le courriel de réponse de Mme [L] du 21 juillet informant Mme [V] que ' le seul bureau disponible est le bureau D00 ; que les armoires à archives qui s'y trouvent actuellement seront bien évidemment enlevées et que la vitrophanie sur la porte sera installée dans un second temps. Je reviens au plus tôt pour ta date d'emménagement.'

- la réponse de Mme [V] du 21 juillet (pièce 15) proposant à Mme [L] et à M.[W] 'de travailler dans le bureau voisin qui n'est pas occupé actuellement et qui est doté de fenêtres en attendant qu'un bureau individuel avec fenêtres se libère dans le bâtiment du CMI.'

- le courriel du 24 juillet de Mme [V] à M.[P] (pièce 6), dénonçant le comportement de son nouveau responsable hiérarchique ' il m'impose de travailler dans l'actuel local à archives du Pôle direction au CMI , sans fenêtre, situé à gauche de la porte d'entrée et en face de l'espace café. Il ne tient pas compte de ma demande de trouver une autre solution me permettant de travailler dans un bureau individuel avec fenêtres. J'ai même proposé vendredi dernier une solution provisoire visant à occuper le bureau voisin vacant, doté de fenêtres et prévu pour 4 personnes, et ce en attendant que se libère au CMI un bureau individuel avec fenêtres : il a refusé.(..)'

- un courriel de Mme [A] du lundi 24 juillet informant Mme [V] que le bureau sera aménagé jeudi matin lui permettant de s'installer vendredi matin. Elle l'avise qu'elle lui envoie des cartons dès le lendemain matin, une fois, les cartons remplis, le coursier lui amènera de même vendredi.

- un échange de courriels entre Mme [A] et M.[W] du 25 juillet à propos du déménagement du bureau de Mme [V], fixé au vendredi 28 juillet.

- le courriel du 25 juillet de M.[E], Directeur des Affaires sociales du groupe [P], fixant à Mme [V] un entretien' demain matin à la première heure afin de résoudre immédiatement le problème concernant son espace de travail.'

- le courriel de M.[W] du 26 juillet à Mme [V] ( pièce 5) ' je comprends suite à une discussion avec [R]( [A]) que tu as refusé les cartons apportés par le coursier dans la mesure où tu indiques ne pas en avoir besoin. Aussi, cela signifie que tu as déjà tout préparé de ton côté pour que le déménagement puisse avoir lieu comme prévu.'

- le courriel de Mme [V] du 26 juillet informant M.[W] que, souffrante, elle ne sera pas présente à son poste de travail et lui transmettait un arrêt de travail pour maladie prescrit jusqu'au 9 août 2017.

Il est constant que Mme [V] à la reprise de son poste le 23 août 2017 a rejoint le bureau D00 qui lui avait été attribué depuis le 28 juillet 2017 alors qu'elle se trouvait alors en arrêt de travail suivi d'une période de congés payés.

Si la salariée a exprimé auprès de sa hiérarchie au cours des semaines précédant son déménagement programmé le 28 juillet, son souhait compte tenu de la configuration de son futur bureau (D00) dépourvu de fenêtres, de trouver une solution temporaire en occupant un bureau vacant voisin ( D 01) mais s'est heurtée à un refus de ses interlocuteurs, le comportement de Mme [V] ne s'analyse pas en un refus réitéré d'exécuter les consignes de son supérieur hiérarchique dès lors qu'elle a respecté les directives en s'installant dans le bureau D00 à son retour de congés le 23 août. L'insubordination de Mme [V] n'est pas caractérisée, ce que son employeur ne pouvait pas prétendre ignorer avant l'entretien préalable du 21 août puisque la salarié avait clairement affirmé dans son courrier du 7 août 2017 sa volonté de rejoindre le bureau D00 (pièce 29).

Le premier grief n'est pas établi à l'encontre de la salariée.

S'agissant du second grief, Mme [V] soutient que les faits reprochés s'inscrivent dans un contexte de surcharge de travail entraînant une fatigue physique et psychologique liée à des heures supplémentaires effectuées depuis plusieurs années et à l'origine de l'arrêt de travail du 26 juillet 2017; qu'elle justifie avoir informé M.[P] Président du Conseil de Surveillance et fondateur du Groupe sur les difficultés rencontrées avec ses supérieurs hiérarchiques M.[W] et Mme [T], par le fait que M.[P] la connaissait depuis son recrutement et l'avait toujours assurée de son soutien en cas de problème ;

que sa demande de changement de bureau lors de son transfert de [Localité 4] à [Localité 6] fin 2015 avait été acceptée sans difficulté par son supérieur hiérarchique; que dès son arrivée en juillet 2017, M.[W] a voulu faire preuve d'autorité en changeant Mme [V] de bureau et en lui attribuant un nouveau sans fenêtre dans le local à archives; que la solution temporaire proposée par la salariée a été repoussée sans motif sérieux; qu'elle n'a aucunement refusé les cartons de déménagement apportés par le coursier le 25 juillet et a rejoint comme prévu le bureau D00 à la reprise de son poste le 23 août 2047 au matin. Elle proteste sur le fait qu'elle aurait refusé de travailler avec M.[W] et/ou refusé tout contrôle de ce dernier sur son travail, comme invoqué à tort dans la lettre de licenciement.

Si Mme [V] a fait preuve d'une certaine maladresse dans son courriel du 24 juillet 2017 en sollicitant auprès de M.[M] un changement de rattachement hiérarchique au regard des difficultés rencontrées avec son nouveau responsable N+1 (M.[W]) 'si celui-ci est voué à rester dans le Groupe à l'issue de sa période d'essai', le fait pour la salariée d'informer son supérieur N+2 de sa situation dans des termes courtois et distincts de ceux reproduits dans la lettre de licenciement (' Je ne vois pas aujourd'hui d'autre alternative que celle-ci, peut-être en voyez vous une autre') ne traduit pas un refus de sa part de respecter l'autorité hiérarchique de M.[W]. En effet, la salariée, confrontée au refus opposé par M.[W] et à l'absence d'intervention de Mme [T], était fondée à alerter son supérieur hiérarchique N+2 de la dégradation objective de ses conditions de travail comme l'illustrent les photographies du bureau D00, dépourvu de fenêtres qui lui était désormais affecté par M.[W] ( pièce 25) par rapport à son ancien bureau individuel D 5204 , manifestement plus confortable et lumineux ( pièce 23).

Il résulte par ailleurs, des différents courriels échangés que la salariée répondait, de manière loyale et sur un ton adapté, aux demandes d'information et aux instructions de son nouveau responsable hiérarchique (pièces 19 ,20).

A l'inverse, M.[W] adoptait un ton directif et sec envers la salariée dans un mail du 21 juillet ( 'Privilégie les lignes régulières pour ce type de déplacement'), alors que celle-ci respectait les consignes de la Direction en matière de déplacement professionnel; il fournissait des explications fallacieuses pour écarter la solution temporaire proposée par Mme [V] au motif que le bureau voisin D01, certes disponible , pouvait regrouper 4 postes de travail et servir de salle de réunion et qu'il ne lui serait pas attribué, et ajoutait sur un ton ironique que son futur bureau D00 'est l'un des plus grands de l'étage et dispose d'un mur vitré sur toute sa longueur partant du sol au plafond. Aussi je ne suis pas certain de bien comprendre tes exigences''( pièce 18); qu'il refusait par ailleurs de 'mettre un film opacifiant sur le mur vitré du bureau') dont les portes vitrées donnaient directement sur une salle de réunion et/ou un bureau collectif ( mail du 19 juillet 2017 pièce 13). La dégradation objective des conditions de travail de la salariée, le court délai qui lui a été laissé pour déménager et le refus opposé de M.[W] d'accéder à la demande légitime de la salariée de s'installer dans un bureau vacant avec des fenêtres suffisent à démontrer le caractère vexatoire de la décision prise à l'égard de la salariée et permet de justifier son souhait d'en référer à son supérieur N+2, en raison du refus de sa hiérarchie intermédiaire.

Il s'ensuit que les pièces produites ne permettent pas de faire la preuve des manquements reprochés à la salariée et que celle-ci conteste à juste titre.

Il suit de là que, par voie d'infirmation du jugement, le licenciement de Mme [V] doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que la preuve de la matérialité des faits fautifs invoqués fait défaut.

Sur les conséquences du licenciement

Aux termes de l'article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est alloué au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

A la date du licenciement, Mme [V] percevait une rémunération moyenne de 7 916,28 euros brut par mois, avait 49 ans et justifiait d'une reprise d'ancienneté de 24 ans au sein des sociétés du groupe [P]. A l'issue d'une période de chômage indemnisée de 15 mois, et en dépit de ses recherches actives d'emploi, elle a retrouvé un poste de négociatrice immobilier VRP lui assurant une rémunération inférieure variant de 1 781 euros à 2 406 euros brut par mois.

Compte tenu de l'âge, de l'ancienneté de la salariée et de ses difficultés à retrouver un emploi, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 120 000 euros l'indemnisation due à la salariée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie d'infirmation du jugement.

Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé

En vertu des dispositions de l'article L 8221-5 du Code du travail, le fait se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche ou de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, est réputé travail dissimulé.

En application de l'article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l'article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, la société CFPR a pu croire, même à tort mais sans que soit établie la moindre intention de dissimuler une partie du temps de travail de la salariée, que Mme [V] bénéficiait d'une convention de forfait en jours sur l'année. Dans ces conditions et faute de démontrer une volonté de l'employeur de se soustraire intentionnellement au paiement d'une partie des heures de travail, Mme [V] sera déboutée de sa demande, par voie de confirmation du jugement.

Sur les autres demandes et les dépens

Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées à la salariée et ce à concurrence de six mois.

Aux termes de l'article R 1234-9 du code du travail, l'employeur doit délivrer au salarié au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications lui permettant d'exercer son droit aux prestations sociales. Il convient d'ordonner à l'employeur de délivrer à Mme [V] le certificat de travail, le bulletin de salaire, l'attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans le mois de la notification du présent arrêt sans qu'il soit nécessaire à ce stade de prévoir une astreinte.

Conformément aux dispositions des articles 1231-7 et 1344-1 du code civil, les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère de salaire et pour le surplus à compter du présent arrêt.

Conformément à l'article 1343-2 du Code civil, les intérêts échus produiront eux-mêmes des intérêts, pourvu qu'ils soient dus pour une année entière.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [V] les frais non compris dans les dépens. L'employeur sera condamné à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile sauf en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande sur ce fondement.

L'employeur qui sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure en cause d'appel sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

- Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l'inopposabilité de la convention de forfait jours, au rejet de la demande d'indemnité pour travail dissimulé, et en ce qu'il a rejeté la demande de la société CFPR de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

- Infirme les autres dispositions du jugement entrepris.

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

- Dit que le licenciement de Mme [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- Condamne la SA CFPR à payer à Mme [V] les sommes suivantes :

- 18 392,29 euros brut à titre de rappel de salaire pour des heures supplémentaires pour la période de juin 2014 à mars 2017 et ce compris les congés payés y afférents,

- 636,35 euros nets à titre de dommages-intérêts pour violation de la contrepartie obligatoire en repos,

- 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamne Mme [V] à rembourser à la société CFPR la somme de 10 373,26 euros nette correspondant aux jours RTT pris par la salariée à la suite de l'inopposabilité de la convention de forfait annuel,

- Ordonne la compensation de la somme susvisée avec celles issues des condamnations prononcées à l'encontre de la société CFPR au bénéfice de Mme [V].

- Dit que les sommes allouées à Mme [V] porteront intérêt au taux légal à compter de la date à laquelle l'employeur a accusé réception de sa convocation à comparaître à l'audience de conciliation- pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.

- Ordonne à la SA CFPR de délivrer à Mme [V] le certificat de travail, le bulletin de salaire et l'attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans le mois de la notification du présent arrêt.

- Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte provisoire ;

- Ordonne le remboursement par la SA CFPR aux organismes intéressés comme Pôle Emploi , organisme les ayant servies , les indemnités de chômage versées à la salariée, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage .

- Deboute la société CFPR de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société CFPR aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/00259
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;19.00259 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award