9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 19/07575 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QIS4
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU MORBIHAN
C/
LA [3]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats, et Monsieur Séraphin LARUELLE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 Septembre 2022 devant Madame Véronique PUJES, magistrat chargé d e l'instruction de l'affaire, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 16 Septembre 2019
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal de Grande Instance de VANNES
Références : 17/00077
****
APPELANTE :
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU MORBIHAN
[Adresse 7]
[Adresse 7]
représentée par Mme [B] [P] en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMÉE :
LA [3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Anne-Gaëlle LECLAIR, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 19 juillet 2016, la [4], devenue la [3] (la mutualité) a déclaré un accident du travail concernant Mme [R] [M], salariée en tant qu'infirmière, mentionnant les circonstances suivantes :
Date : 18 juin 2016 ; Heure : 11 heures 50 ;
Lieu de travail : [Adresse 6] ;
Lieu de travail habituel ;
Activité de la victime lors de l'accident : contrôle de l'entretien des chambres des patients présents le week-end ;
Nature de l'accident : l'infirmière frappe à la porte de la chambre du patient X, il lui dit d'entrer. Il se tenait couché sur son lit torse nu le sexe dans la main. L'infirmière lui demande d'arrêter et elle s'en va ;
Objet dont le contact a blessé la victime : [K] ;
Eventuelles réserves motivées : les troubles de la sexualité font partie du métier d'IDE. Pas de mouvement du patient à l'encontre de l'IDE. Déclaration tardive ;
Siège des lésions : choc émotionnel ;
Nature des lésions : choc émotionnel ;
Accident connu le 18 juin 2016 à 12 heures 40, décrit par la victime ;
L'accident est inscrit au registre d'accidents du travail bénins le 6 juillet 2016.
Le certificat médical initial, établi le 22 juin 2016, fait état de stress en anxiété généralisée au décours d'une agression avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 10 juillet 2016.
Le 31 octobre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan (la caisse) a notifié à la mutualité sa décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.
Contestant l'opposabilité de cette décision, la mutualité a saisi la commission de recours amiable de l'organisme par lettre du 8 décembre 2016.
Le 13 janvier 2017, en l'absence de décision expresse de la commission dans le délai d'un mois, la mutualité a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Morbihan.
Par décision expresse du 17 février 2017, la commission a rejeté les demandes de la mutualité et confirmé à son égard l'opposabilité de la décision de prise en charge du 31 octobre 2016.
Par jugement du 16 septembre 2019, le tribunal précité, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Vannes a :
- déclaré le recours de la mutualité recevable et bien fondé ;
- déclaré inopposable à la mutualité la décision de prise en charge de l'accident du 18 juin 2016 dont été victime Mme [M] ;
- condamné la caisse aux dépens.
Par déclaration datée du 7 octobre 2019 et reçue le 14 octobre 2019, la caisse a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 25 septembre 2019.
Ce recours a été enregistré au répertoire général sous le numéro 19/07575.
Par déclaration adressée le 20 mai 2021, la caisse a rectifié la déclaration d'appel du 7 octobre 2019.
Ce recours a été enregistré au répertoire général sous le numéro 21/03225.
Par ordonnance du 2 juin 2021, les deux recours ont été joints sous le numéro unique 19/07575.
Par ses écritures parvenues au greffe le 9 novembre 2021 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- rejeter l'ensemble des prétentions de la mutualité y compris celle formulée au titre de 1'artic1e 700 du code de procédure civile ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré inopposable à la mutualité la décision de prise en charge de l'accident du 18 juin 2016 ;
Et, statuant à nouveau :
- dire opposable à la mutualité ladite décision de prise en charge ;
- condamner la mutualité à lui payer la somme de 2 500 euros (sic) ;
- condamner la mutualité aux entiers dépens.
Par ses écritures parvenues par le RPVA le 24 septembre 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la mutualité demande à la cour de :
A titre principal :
- dire et juger que la cour d'appel n'est saisie d'aucune demande consécutivement à l'appel interjeté le 7 octobre 2019 ;
- dire et juger irrecevable car tardif l'appel interjeté le 20 mai 2021 ;
- déclarer les demandes de la caisse irrecevables.
A titre subsidiaire, confirmer le jugement entrepris ;
- constater :
* le non-respect par la caisse du principe du contradictoire lors de la phase d'instruction ;
* l'absence de fait accidentel ;
* l'absence de mention d'un choc psychologique survenu en réaction à un événement précis ;
- dire et juger inopposable à son égard la décision de prise en charge de l'accident du travail de Mme [M].
En tout état de cause, infirmer ledit jugement ;
- condamner la caisse au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur l'effet dévolutif de la déclaration d'appel et la recevabilité des demandes
La mutualité fait valoir que faute pour la caisse de mentionner les chefs du jugement critiqués dans sa déclaration d'appel du 7 octobre 2019, l'effet dévolutif n'a pas opéré et la cour n'est de ce fait saisie d'aucune demande ; que la seconde déclaration d'appel du 20 mai 2021, qui, elle, précise les chefs de jugement critiqués, est irrecevable en ce qu'elle a été faite plus d'un mois après la notification du jugement entrepris.
La caisse réplique que l'appel régularisé avant la clôture des débats a opéré effet dévolutif.
Sur ce :
Aux termes de l'article 933 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel :
'La déclaration comporte les mentions prescrites par l'article 58. Elle désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l'adresse du représentant de l'appelant devant la cour. Elle est accompagnée de la copie de la décision.'
A la différence de l'article 901 du même code, qui régit la procédure avec représentation obligatoire par avocat, l'article 933, de même que l'ensemble des autres dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel, instaurent un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel.
Il se déduit de l'article 562, alinéa 1er, figurant dans les dispositions communes de ce code et disposant que l'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi n° 18-22.528, publié). De telles règles sont dépourvues d'ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit (2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi n° 19-16.954, publié).
Toutefois, dans la procédure sans représentation obligatoire, un tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n'est pas tenu d'être représenté par un professionnel du droit.
Il en résulte qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement. (2e Civ., 9 septembre 2021, n° 20-13.673 et autres).
Ainsi, la déclaration d'appel du 7 octobre 2019, dont la mutualité reconnaît dans ses conclusions page 6 qu'elle tend à la réformation du jugement, et qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement.
La cour observe au surplus que la possibilité de régulariser l'appel est ouverte en procédure orale jusqu'à l'ouverture des débats, sauf la faculté laissée à l'intimé qui n'aurait pas conclu au fond de solliciter le renvoi de l'affaire.
Dès lors, aucune absence d'effet d'évolutif de la déclaration d'appel ne peut en l'espèce être opposée à la caisse qui a au surplus régularisé la procédure en cours d'instance le 20 mai 2021, soit avant l'ouverture des débats, aux termes d'une déclaration d'appel 'rectificative' mentionnant expressément les chefs de jugement critiqués.
Ce moyen est par conséquent mal fondé et doit être rejeté.
2. Sur le respect par la caisse du principe du contradictoire
La mutualité fait valoir que la caisse ne justifie pas l'avoir informée de la prolongation du délai d'instruction dans le délai de 30 jours et ne l'a pas associée à l'instruction.
La caisse réplique :
- que l'employeur ne peut se prévaloir d'une quelconque inopposabilité de la décision de prise en charge au visa d'un tel argument dès lors que l'inobservation du délai précité n'est sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident à l'égard de la victime ;
- qu'elle a mené une enquête administrative au cours de laquelle l'employeur comme la salariée ont été entendus.
Sur ce :
- sur le délai de prolongation
Selon l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.
Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
L'article R. 441-14, alinéa 1, du même code précise que 'lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu'.
En l'espèce, il ressort des éléments du dossier qu'après transmission par l'employeur de la déclaration d'accident du travail datée du 19 juillet 2016, la caisse lui a adressé une lettre l'informant de la prolongation du délai d'instruction, datée du 2 septembre 2016, dont la caisse reconnaît ne pas être en mesure de rapporter l'accusé de réception.
Néanmoins, l'employeur ne peut pas se prévaloir de l'inobservation du délai dans la limite duquel doit statuer la caisse, laquelle n'est sanctionnée que par la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident à l'égard de la victime (2e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 19-11.400).
Dès lors, le moyen soulevé par la mutualité doit être écarté.
- sur le caractère contradictoire de l'instruction menée par la caisse
Il résulte de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés, selon des modalités qui peuvent être distinctes entre eux. (2e Civ., 3 juin 2021, pourvoi n° 19-25.571).
Ainsi, il appartient à la caisse de fixer les modalités par lesquelles elle recueille des éléments d'information concernant l'accident déclaré, auprès de l'employeur et de la victime, soit :
- en envoyant un questionnaire aux parties ;
- en procédant à une enquête administrative.
En l'espèce, après transmission par l'employeur de la déclaration d'accident du travail datée du 19 juillet 2016 comportant des réserves, la caisse a procédé à une enquête administrative au cours de laquelle ont été entendues :
- Mme [M], salariée victime de l'accident du travail au cours d'un entretien qui s'est déroulé le 20 septembre 2016 à son domicile ;
- Mme [Z] [L], directrice de la structure au cours d'un entretien qui s'est déroulé le 12 octobre 2016, sur le site '[2]'.
Force est ainsi de constater que la caisse, qui a fait le choix de procéder à une enquête administrative permettant de recueillir des éléments d'information complets et pertinents avant toute décision quant à la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident déclaré par Mme [M], a loyalement respecté le principe du contradictoire en enquêtant auprès de l'employeur et de la victime selon les modalités qu'il lui appartenait de fixer. La mutualité est ainsi particulièrement mal fondée de lui reprocher de ne pas avoir procédé par questionnaires avant d'envisager l'enquête.
Le moyen soulevé par la mutualité est là encore mal fondé et sera comme tel écarté.
3. Sur la qualification de l'accident du travail
La mutualité considère que l'existence d'un fait accidentel n'est pas rapportée par la caisse ; qu'en effet, la nudité d'un patient fait partie intégrante du travail d'infirmière et le comportement déviant d'un patient en service d'addictologie n'est que la manifestation de sa pathologie ; que la présence d'un patient torse nu dans son lit avec sa main sur le sexe relève ainsi des conditions normales de travail du personnel soignant, notamment d'une infirmière exerçant au sein d'un service d'addictologie ; que l'incident décrit par la salariée, qui ne rapporte aucun propos ou geste violent de la part de ce patient, ne s'inscrit pas dans un cadre anormal et ne caractérise donc pas un fait accidentel ; que la salariée a par ailleurs continué de travailler le reste de la journée du 18 juin ainsi que les jours suivants et n'a consulté un médecin que le 22 juin 2016.
La caisse réplique qu'elle établit l'existence d'un événement survenu aux temps et lieu du travail le 18 juin 2016 et celle d'une lésion psychologique constatée médicalement dans un temps proche, cohérente avec le choc émotionnel ressenti ce jour-là, de sorte que la présomption d'imputabilité doit s'appliquer.
Sur ce :
Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que :
'Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise'.
Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768 ; 2e Civ 9 juillet 2020, n° 19-13.852)
Il appartient à la caisse, substituée dans les droits de la victime dans ses rapports avec l'employeur, de rapporter la preuve de la survenance d'une lésion conséquence d'un événement survenu au temps et au lieu du travail. S'agissant de la preuve d'un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes. (Soc. 8 octobre 1998 pourvoi n° 97-10.914).
En l'espèce, il ressort de la déclaration d'accident du travail établie par la société le 19 juillet 2016 que le 18 juin 2016 à 11 heures 50 (les horaires de la victime ce jour-là étaient 8h00-20h00), alors que Mme [M] contrôlait 'l'entretien des chambres des patients présents le week-end', et après avoir été autorisée à rentrer dans la chambre du patient X, elle l'a trouvé'couché sur son lit torse nu le sexe dans le main. [Elle] lui demande d'arrêter et elle s'en va'. La déclaration d'accident du travail précise que l'accident a été décrit par la victime le 18 juin 2016 à 12 heures 40.
Contestant le caractère professionnel de l'accident subi par Mme [M], la société a émis des réserves motivées, faisant valoir que 'les troubles de la sexualité font partie du métier d'IDE. Pas de mouvement du patient à l'encontre de l'IDE. Déclaration tardive'.
Le certificat médical du 22 juin 2016 fait état d'un 'stress en anxiété généralisée au décours d'une agression'. Il a été dans un premier temps rédigé sur un formulaire d'arrêt de travail pour maladie, puis régularisé dans un second temps par le médecin prescripteur sur un formulaire rectificatif d'arrêt pour accident du travail le 6 juillet 2016, et ce suite à des directives transmises par le médecin du travail. Ce certificat médical rectificatif mentionne alors un 'traumatisme psychologique après agression au travail'.
Le médecin-conseil de la caisse a, par avis du 7 septembre 2016, confirmé que les lésions inscrites sur le certificat médical initial étaient imputables à l'accident du travail déclaré.
Lors de son audition par l'agent de la caisse, Mme [M], précisant son contexte professionnel, a ainsi indiqué :
- qu'elle effectuait le métier d'infirmière en addictologie depuis 9 ans au sein de différentes structures ; qu'elle a été confrontée à de nombreux incidents ou événements indésirables depuis qu'elle exerçait ce métier, lesquels n'avaient pas engendré d'arrêts de travail ;
- qu'elle travaille au Phare depuis 2011, structure qui accueille uniquement une population masculine théoriquement sevrée de ses addictions (alcool, drogues, etc) ; que ces patients s'engagent par écrit à respecter le règlement intérieur (respect du personnel soignant entre autre) ; que lorsqu'une dérive est constatée, une fiche d'événements indésirables est complétée ; que la direction convoque le patient et met fin à son séjour ; que tous risques de représailles étaient donc inexistants ;
- que depuis deux ans, différents événements ont dégradé les conditions de travail :
* le non-remplacement d'un médecin, seul homme de la structure, qui faisait autorité sur les résidents ;
* le changement de direction avec une jeune directrice qui n'applique pas la même rigueur dans le respect du règlement intérieur ;
* pas de travail en binôme le week-end : l'infirmière de garde se retrouve seule ;
- que certains hommes profitent de cette absence de personnel pour sortir et revenir alcoolisés ou drogués ; que l'infirmière se retrouve seule face à des individus parfois violents, surtout verbalement.
- que la directrice a été alertée à de nombreuses reprises sur des manquements au règlement mais n'applique pas les dispositions mises en place par l'ancienne direction, consistant à réorienter la personne vers une autre structure ; que de ce fait, les dérives sont de plus en plus nombreuses et les infirmières ont un sentiment grandissant d'être en danger ;
- qu'elle était de garde le 18 juin 2016 et travaillait seule de 8h à 20h avec environ quinze résidents présents ; que dans la matinée, M. [I] lui a demandé à quelle heure elle passerait faire l'inspection des chambres ; qu'elle lui a répondu qu'elle viendrait, comme tous les week-ends, en fin de matinée ; que lorsqu'elle a frappé à la porte de sa chambre, elle a attendu qu'il l'autorise à entrer ; qu'il était allongé sur son lit, torse nu, pantalon ouvert, en train de se masturber ; qu'elle lui a dit d'arrêter et a refermé la porte ; qu'il gémissait ; qu'elle a alerté immédiatement par téléphone la directrice qui lui a demandé d'être vigilante puis le médecin de garde, car elle a eu peur qu'il ne passe à l'acte ; qu'elle a également contacté le système de télé sécurité afin de les informer de la situation ;
- que ce patient s'était exhibé à plusieurs reprises ; que ces faits ont été rapportés à la direction qui n'a pas agi et ce monsieur a continué impunément ses exhibitions ;
- que dans l'après-midi, elle a voulu en discuter avec lui mais il a nié les faits et lui a dit qu'elle était folle ; que le soir même, il a attendu la collègue de nuit avec une serviette nouée autour de la hanche qu'il a amplement ouverte lorsque celle-ci est entrée ;
- qu'ayant pris peur, elle est allée pendant son jour de repos (le lundi 20 juin) déposer plainte contre cet homme ;
- que le 21 juin, lorsqu'elle a repris son travail, elle a été choquée de voir que ce monsieur était encore présent malgré les faits ; qu'elle en a fait part à la directrice et lui a dit qu'elle avait déposé plainte ; que celle-ci ne l'a pas soutenue dans sa démarche et a minimisé les faits ;
- que l'accumulation de situations dangereuses non suivies d'effets et la peur du passage à l'acte ont fait qu'elle a craqué, ne sentant aucun soutien de la direction ;
- que les faits du 18 juin 2016 étaient 'la goutte d'eau' de trop.
Le rapport d'enquête rapporte que durant son audition, Mme [L] a 'reconnu globalement les faits tels que décrits par Mme [M]. Elle précise que la politique de l'ancienne direction était différente. Elle était assurée par une infirmière de profession qui axait ses actions autour du soin. Lorsque les patients ne respectaient pas le règlement ils étaient évincés immédiatement. Le système 'rassurait' mais éthiquement le malade se retrouvait en situation de rejet et d'exclusion.
La politique actuelle est différente, axée sur patient, l'écoute, l'analyse des causes de la rechute afin d'éviter de le mettre à nouveau en situation d'échec en le sortant de la structure de soins. Mme [M] a suivi une formation d'infirmière spécialisée en addictologie en 2015 et connaît les phénomènes de résurgence.
Mme [L] ne conteste pas les faits du 18 juin, ni ne les minimise. Elle a agi immédiatement dès qu'elle a eu connaissance des faits (1h après) en rassurant Mme [M] dans un premier temps et en préconisant différentes actions :
- appeler le médecin de garde pour l'alerter des faits et savoir s'il y avait un danger de passage à l'acte,
- appeler le service de télé-sécurité afin que le vigile soit prévenu.
Elle a rappelé en fin de journée Mme [M]. Elle ne se remettait pas des faits. Mme [L] lui a alors parlé de la plate-forme d'écoute (cellule psychologique) et de faire venir une psychologue de Kerpape.
Le soir-même l'individu réitérait des actes d'exhibitions (avec sa serviette autour de la taille) avec une collègue de Mme [M].
Le lundi Mme [L] attendait que l'individu revienne d'une consultation sur [Localité 5] pour s'entretenir avec lui des faits et le mettre face à ses responsabilités. Il est revenu alcoolisé et Mme [L] a dit attendre 20h que son taux d'alcool baisse afin de s'entretenir avec lui sur son comportement et son orientation. Son départ de la structure a donc été repoussé au mardi compte tenu de l'heure tardive.
Mme [M] s'est présentée au travail le mardi, choquée de savoir que ce malade était toujours présent. Elle a été reçue par Mme [L] et lui a expliqué avoir déposé plainte la veille contre cet individu. Mme [L] lui a exprimé qu'elle ne comprenait pas et ne la soutenait pas dans cette démarche qui allait à l'encontre des valeurs de la mutuelle.
Mme [M] étant toujours mal psychologiquement, Mme [L] lui a conseillé de se rendre chez son médecin afin qu'elle se repose quelques jours et puisse relativiser les événements.
Mme [L] ne remet pas en cause les faits. Elle reconnaît que ceux-ci ont engendré un choc psychologique chez Mme [M]. Elle a émis des observations sur le fait que le personnel est formé pour supporter les violences des usagers. Elle reconnaît que l'atteinte psychologique est à étudier d'un point de vue médical'.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'une lésion, intervenue dans les suites immédiates de l'événement du 18 juin 2016 (qui est un samedi) s'étant déroulé aux temps et lieu de travail, a été médicalement constatée dans un temps proche de l'accident, soit le 22 juin 2016, et a donné lieu à une prescription d'arrêt de travail.
La directrice de l'établissement n'a pas remis en cause les faits décrits par la salariée et, même si elle a indiqué que le personnel était formé pour supporter les violences des usagers, elle a reconnu que les faits survenus le 18 juin 2016 avaient provoqué un choc psychologique chez Mme [M] dont celle-ci n'était manifestement pas remise le mardi suivant. Elle a également reconnu que la pratique avant son arrivée, consistant à exclure rapidement les patients déviants, avait été en quelque sorte assouplie depuis sa nomination. Il ne peut donc être pris comme un fait acquis que le personnel, notamment féminin, était habitué à gérer sans problème ce type de comportement et acceptait d'être à nouveau confronté au patient impliqué.
Les déclarations de Mme [M] étant corroborées par des éléments objectifs, il convient de retenir que la caisse établit par des présomptions graves, précises et concordantes la matérialité de l'accident survenu au temps et au lieu du travail, dont été victime Mme [M] le 18 juin 2016, de sorte que la présomption d'imputabilité de la lésion au travail doit s'appliquer.
Il incombe à l'employeur, une fois acquise la présomption d'imputabilité, de la renverser en établissant qu'une cause totalement étrangère au travail est à l'origine de la lésion.
Or, force est de constater que la société ne démontre pas l'existence d'une cause totalement étrangère ou d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.
L'existence d'une cause totalement étrangère ne saurait en tout cas s'induire du seul fait que le geste du patient ne présenterait aucun caractère anormal au regard de la situation de travail du personnel soignant notamment dans un service d'addictologie.
La décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de cet accident, par infirmation du jugement entrepris, sera par conséquent déclarée opposable à l'employeur.
4. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la caisse ses frais irrépétibles.
S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale étant abrogé depuis le 1er janvier 2019, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de [3] qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
DECLARE opposable à la [3] la décision de prise en charge par la caisse, au titre de la législation professionnelle, de l'accident subi par Mme [M] le 18 juin 2016 ;
DEBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan de sa demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la [3] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT