9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 20/02659 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QVWK
[5]
C/
[R] [D]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 Juin 2022
devant Madame Elisabeth SERRIN, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Novembre 2022 par mise à disposition au greffe après prorogations du délibéré initialement fixé au 26 octobre 2022, date indiquée à l'issue des débats, puis le 9 novembre 2022 ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 18 Mai 2020
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal Judiciaire de VANNES - Pôle Social
Références : 19/00027
****
APPELANT :
LA [5]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Madame [U] [E] en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMÉE :
Madame [R] [D] née [L]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Michel PEIGNARD, avocat au barreau de VANNES substitué par Me Graziella RAUT, avocat au barreau de VANNES
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [R] [D] a été présidente de la société « [6] » du 11 juin 2014 au 30 décembre 2017.
Elle a été placée en arrêt de travail du 30 août 2017 au 31 octobre 2017 puis à compter du 3 janvier 2018.
Le 19 juin 2018, la [5] (la caisse) lui a notifié une décision de refus d'indemnisation de son arrêt de travail à compter du 3 juillet 2018.
Le 3 août 2018, Mme [D] a saisi la commission de recours amiable de l'organisme qui, par décision du 23 novembre 2018, a confirmé la décision de refus d'indemnisation.
Contestant cette décision explicite de rejet, Mme [D] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Vannes.
Par jugement du 18 mai 2020, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Vannes a :
- déclaré le recours de Mme [D] recevable et bien fondé ;
- annulé la décision rendue par la commission de recours amiable de la caisse du 3 décembre 2018 ;
- fait droit à la demande de Mme [D] ;
- ordonné à la caisse de réintégrer Mme [D] dans ses droits ;
- rejeté la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la caisse aux dépens.
Par déclaration adressée le 11 juin 2020, la caisse a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 25 mai 2020.
Par ses écritures récapitulatives et responsives parvenues au greffe le 19 avril 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour :
- d'infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
En conséquence, de dire et juger que Mme [D] ne peut prétendre à aucune indemnité journalière, à compter du 3 juillet 2018, date de son arrêt maladie ;
- rejeter l'ensemble des prétentions de Mme [D], y compris celle formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme [D] aux dépens.
Par ses écritures parvenues par le RPVA le 2 mars 2022 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, Mme [D] demande à la cour, au visa des articles R. 313-3 et R. 313-7 du code de la sécurité sociale, de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il a :
* annulé la décision rendue par la commission de recours amiable de la caisse du 3 décembre 2018 ;
* fait droit à sa demande ;
* ordonné à la caisse de la réintégrer dans ses droits ;
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la caisse ;
- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions telles que présentées devant la cour ;
- condamner cette dernière en 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens tant de première instance que d'appel.(sic)
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Depuis l'année 2000, Mme [D] avait pour activité l'exploitation de chambres d'hôtes. A compter du 11 juin 2014, elle a exercé cette activité en optant pour une forme sociale et a créé la SASU « [6] » dont elle a été la présidente jusqu'au 30 décembre 2017.
Par application des dispositions des articles L. 311-2 et L.311-3 (23°) du code de la sécurité sociale rappelés par la caisse, le président d'une SAS est bien assimilé à un travailleur salarié au titre de son affiliation obligatoire aux assurances sociales du régime général.
Au terme d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'assujettissement au régime général procède, lorsqu'il est fait application des dispositions de l'article L.311-3 du code de la sécurité sociale, de la seule réunion objective des conditions fixées par celles-ci et est indifférente à l'existence ou non, dans les faits, d'un lien de subordination ainsi qu'à la qualification de la situation de l'intéressé au regard d'une autre branche du droit. (Soc., 29 mars 2001, pourvoi 99-19.111).
Dès lors qu'une personne est assujettie au régime général par l'effet des dispositions de l'article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, il lui est fait application, sauf dérogation expresse, des règles de droit qui régissent autant les prestations du régime que les cotisations et contributions qui concourent à son financement.
Pour confirmer la décision de refus de versement des indemnités journalières à compter du 3 juillet 2018, la commission de recours amiable a rappelé que pour pouvoir y prétendre au-delà du sixième mois d'arrêt de travail, l'assurée doit remplir les conditions d'ouverture des droits fixées par les articles L 313-1, R 313-1, R 313-3 et R 313-7 du code de la sécurité sociale.
Les conditions d'ouverture du droit aux prestations doivent s'apprécier à la date de la cessation d'activité, soit au cas particulier au 30 août 2017, le dernier jour travaillé étant le 29 août 2017.
Selon l'article R. 313-3 2° du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, lorsque l'arrêt de travail se prolonge sans interruption au-delà du sixième mois, l'assuré social, pour avoir droit aux indemnités journalières après le sixième mois d'incapacité de travail, doit avoir été immatriculé depuis douze mois au moins à la date de référence prévue au 2° de l'article R. 313-1.
Cette condition d'immatriculation depuis douze mois minimum à la date d'interruption du travail est effective, Mme [D] étant affiliée au régime général depuis le 1er avril 2015 (pièce 11 de l'intimée).
Il importe peu que sur les bulletins de salaires ne figure aucun précompte au titre des cotisations chômage ou AGS dès lors qu'en qualité de mandataire social, Mme [D] ne peut prétendre bénéficier du revenu de remplacement servi par Pôle Emploi.
C'est bien en sa qualité d'assurée sociale que la caisse a versé à Mme [D] des indemnités journalières pour les six premiers mois d'arrêt de travail.
En revanche, pour le versement des indemnités journalières au-delà du 6° mois d'arrêt de travail, les parties sont en désaccord sur la condition d'activité.
L'assuré doit en effet justifier en outre :
a) Soit que le montant des cotisations dues au titre des assurances maladie, maternité, invalidité et décès assises sur les rémunérations qu'il a perçues pendant les douze mois civils précédant l'interruption de travail est au moins égal au montant des mêmes cotisations dues pour un salaire égal à 2 030 fois la valeur du salaire minimum de croissance au 1er janvier qui précède immédiatement le début de cette période ;
b) Soit qu'il a effectué au moins 600 heures de travail salarié ou assimilé au cours des douze mois civils ou des 365 jours précédant l'interruption de travail.
S'agissant de l'assiette des cotisations au regard des douze mois civils précédant la cessation d'activité, la période de référence s'étend au cas particulier du 1er août 2016 au 31 juillet 2017.
S'agissant de l'accomplissement de 600 heures de travail salarié ou assimilé, la période de référence s'étend comme précédemment soit du 1er août 2016 au 31 juillet 2017, ou encore du 30 août 2016 au 29 août 2017 si l'on retient les 365 jours précédant la cessation d'activité.
Au regard des bulletins de salaires rectifiés qui lui ont été communiqués, la caisse fait valoir :
- qu'il ressort du relevé de carrière (pièce5) que pour l'année 2016, aucun revenu n'a été déclaré ; elle en déduit qu'il ne peut être tenu compte des 303,34 heures mentionnées sur cette période ;
- qu'il est fait état de 151h67 heures et d'une rémunération de 1 289,08 euros pour le mois d'août 2017 alors que ce mois n'est pas compris dans la période de référence.
En réponse, Mme [D] ne remet pas en cause la période de référence en ce que la caisse la limite exclusivement à la période s'étendant du 1er août 2016 au 31 juillet 2017.
Elle souligne que c'est en parfaite contradiction avec ses propres écritures de première instance (pièce 6 page 4) que la caisse vient indiquer que les heures accomplies en 2016 ne doivent plus être prises en compte, ce qui correspond bien à un estoppel dont la cour se doit de tirer les conséquences. Elle ajoute que cette affirmation ne correspond à aucune réalité, les bulletins de salaire des mois d'août et septembre 2016 faisant état d'un travail sur cette période (pièce n°4) d'une part et d'autre part, elle a, pendant toute l'année 2016, réglé des cotisations y compris des cotisations retraite (pièces 7 à 10).
Sur ce :
Il convient de retenir que sur le relevé de carrière édité le 28 mai 2021 (pièce 10 des productions de l'intimée) pour l'année 2015 et pour l'année 2017, les sommes retenues pour la validation de trimestres dans le régime de base correspondent aux salaires bruts mentionnés sur les bulletins de salaire respectifs au 31 décembre (12 000 euros et 6 989 euros).
Il s'agit donc bien d'une rémunération assimilée à un salaire, comme telle incluse en totalité dans l'assiette soumise à cotisations et permettant de valider des trimestres au titre des droits à pension de retraite du régime général.
C'est sur la base de cette même rémunération qu'il convient d'apprécier les droits aux prestations en espèces.
La caisse relève à juste titre que sur le relevé de carrière édité le 28 mai 2021 (pièce 10 des productions de l'intimée) il ne figure aucun salaire pour la validation de trimestres s'agissant du régime de retraite de base au titre de l'année 2016.
Pour autant, les relevés de compte produits (pièce 7 des productions) permettent de vérifier le paiement de chèques correspondant à la rémunération nette versée à l'intéressée (1 000 euros) les 15 août 2016, les 8 et 13 septembre 2016.
Il est également établi que des prélèvements ont bien été effectués par l'URSSAF sur le compte bancaire de la société et il n'est ni allégué ni établi que cette société aurait eu d'autres salariés.
Il s'agit donc bien des cotisations sociales dues par la société et versées du chef de Mme [D], les prélèvements effectués par l'URSSAF correspondent aux rémunérations qui lui ont été déclarées.
S'agissant de prélèvements trimestriels, il doit être retenu que le prélèvement de janvier 2016 correspond aux charges afférentes aux salaires des mois d'octobre à décembre 2015, celui d'avril 2016 correspond aux charges afférentes aux salaires des mois de janvier à mars 2016, celui de juillet correspond aux charges afférentes aux salaires des mois d'avril à juin 2016 et celui d'octobre 2016 correspond aux charges afférentes aux salaires des mois de juillet à septembre 2016.
Il a été prélevé 2 835 euros en janvier 2016, 1 828 euros en avril et juillet 2016 et 1 827 euros en octobre 2016. Selon les salaires portés sur les bulletins pour les mêmes périodes, le montant des cotisations versées aurait dû être de respectivement de 3 719,26 euros, 2 527,77 euros et 2 376 euros.
mois
cotisations salariales
cotisations patronales
total mensuel
total trimestriel
octobre 2015
224,53
431,60
656,13
3.719,26
novembre 2015
224,53
431,60
656,13
décembre 2015
822,00
1.585,00
2.407,00
janvier 2016
282,85
559,74
842,59
2.527,77
février 216
282,85
559,74
842,59
mars 2016
282,85
559,74
842,59
avril 2016
245,74
546,26
792,00
2.376,00
mai 2016
245,74
546,26
792,00
juin 2016
245,74
546,26
792,00
juillet 2016
245,74
546,26
792,00
2.376,00
août 2016
245,74
546,26
792,00
septembre 2016
245,74
546,26
792,00
Il y a donc bien une insuffisance de versement au regard des bulletins de salaires produits, les sommes prélevées au titre du troisième trimestre 2016 et portant pour partie sur la période de référence ne correspondant pas aux salaires allégués.
Quoiqu'il en soit, les cotisations réglées à l'URSSAF en octobre 2016 sont au moins égales aux cotisations des mois d'août et septembre 2016. Les cotisations réglées représentent 76,89 % des cotisations dues ce trimestre.
Il ne peut donc être affirmé que Mme [D] n'a accompli aucune heure de travail salarié ou assimilé pour les mois d'août et septembre 2016 en se fondant sur le seul relevé de carrière au titre du régime général, d'autant que des points ont bien été validés au titre de la retraite complémentaire, calculés sur un salaire de base correspondant au salaire brut cumulé mentionné sur le bulletin de salaire au 30 septembre 2016 (11 546 euros).
Il demeure exact qu'il s'agit de cotisations payées à la suite d'un « ajustement » effectué le 14 septembre 2018 dans le cadre d'un écart constaté sur déclarations de salaires (pièce 9 de l'intimée) et dont le recouvrement, confié à un huissier de justice, a été achevé le 27 juillet 2021 (pièce 8 de l'intimée).
Il a été dit que le président d'une SAS est assimilé à un travailleur salarié et que la rémunération versée à Mme [D] est assimilée à un salaire, comme telle incluse en totalité dans l'assiette soumise à cotisations.
Nonobstant l'absence d'indication expresse sur les bulletins de salaires du nombre d'heures effectuées compte tenu de son statut, la rémunération versée à Mme [D] peut être convertie en heures au regard du SMIC horaire applicable (soit 9,76 euros pour la rémunération versée en 2017), montant horaire au demeurant rappelé sur les bulletins de salaires.
La même conversion peut être effectuée pour les rémunérations de 2016 (avec un taux horaire également rappelé sur les bulletins de 9,67 euros).
En retenant une période de référence de 365 jours (du 30 août 2016 au 29 août 2017) le nombre d'heures travaillées résultant des bulletins de salaire s'établit ainsi qu'il suit :
mois
heures déclarées
rémunération soumise à cotisations
heures converties selon le smic horaire
août 2016 (2/31°)
151,67
1282,85
8,56
septembre 2016
151,67
1282,85
132,66
avril 2017
1289,08
132,08
mai 2017
1289,08
132,08
juin 2017
1289,08
132,08
juillet 2017
1289,08
132,08
août 2017 (29/31°)
1289,08
123,56
Total des heures assimilées :
793,09
Heures assimilées en 2017 :
651,87
Total heures assimilées d'avril 2017 à juillet 2017 :
528,31
Force est bien de retenir que la condition tenant au nombre d'heures accomplies pendant la période de référence est remplie si l'on retient les 365 jours ayant précédé l'arrêt de travail (total : 793,09 heures).
Il en est de même si sont exclues en totalité les heures cotisées en 2016 (total 651,87 heures).
Pour la période de référence s'étendant du 1er août 2016 au 31 juillet 2017, les bulletins de salaires permettent de retenir les heures de travail suivantes :
mois
heures déclarées
rémunérations soumise à cotisations
heures converties selon le smic horaire
août 2016
151,67
1282,85
132,66
septembre 2016
151,67
1282,85
132,66
avril 2017
1289,08
132,08
mai 2017
1289,08
132,08
juin 2017
1289,08
132,08
juillet 2017
1289,08
132,08
Total des heures assimilées :
793,64
Si les heures cotisées en 2017 uniquement sont insuffisantes pour arriver à un cumul de 600 heures (528 heures), il est possible de retenir, au regard des cotisations versées à l'URSSAF en octobre 2016, des heures assimilées à concurrence de 200 pour les mois d'août et septembre 2016 (2 X 132,66 X 76,89 % ).
La condition tenant aux 600 heures de travail salarié ou assimilé est encore remplie, en sorte que le jugement entrepris sera confirmé, sans que l'équité commande d'allouer à l'intimée d'indemnité pour ses frais de procédure.
S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale étant abrogé depuis le 1er janvier 2019, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la caisse qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Dit que Mme [D] peut prétendre au bénéfice des indemnités journalières, au titre de son arrêt de travail du 3 janvier 2018, à compter du 3 juillet 2018 ;
Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,
Déboute Mme [D] de sa demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la [5] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT