La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2022 | FRANCE | N°18/08122

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 01 décembre 2022, 18/08122


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°510



N° RG 18/08122 -

N° Portalis DBVL-V-B7C-PMF2













M. [T] [I]



C/



- S.C.P. [V] [Y] (Liquidation judiciaire de la SARL EARTA)

- Association UNEDIC - AGS CGEA de [Localité 9]

















Infirmation partielle















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÃ

‡AISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 1er DECEMBRE 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,



GREFFIER :



Monsi...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°510

N° RG 18/08122 -

N° Portalis DBVL-V-B7C-PMF2

M. [T] [I]

C/

- S.C.P. [V] [Y] (Liquidation judiciaire de la SARL EARTA)

- Association UNEDIC - AGS CGEA de [Localité 9]

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 1er DECEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Septembre 2022

En présence de Madame [X] [Z], Médiatrice Judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 1er Décembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT et intimé à titre incident :

Monsieur [T] [I]

né le 07 Février 1957 à [Localité 8] (75)

demeurant [Adresse 4]

[Localité 6]

Représenté par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Isabelle GUIMARAES de la SELARL GUIMARAES & POULARD, Avocat au Barreau de NANTES, pour conseil

INTIMÉE et appelante à titre incident :

La SARL EARTA ayant eu son siège [Adresse 1] aujourd'hui en liquidation judiciaire

Représentée par son mandataire liquidateur :

La S.C.P. de Mandataire Judiciaire [V] [Y] agissant par Me [V] [Y], appelée en intervention ès-qualités

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Marie VERRANDO substituant à l'audience Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Pascal LANDAIS, Avocat au Barreau de LAVAL, pour conseil

INTERVENANTE FORCÉE, de la cause :

L'Association UNEDIC, DÉLÉGATION AGS-CGEA DE [Localité 9] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :

[Adresse 3]

[Localité 9]

Représentée par Me Louise LAISNE substituant à l'audience Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocats au Barreau de RENNES

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=

M. [T] [I] a été embauché dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 28 juin 1999 en qualité d'Opérateur/Agent de production, statut ouvrier par l'Association ARTA devenue association EARTA puis SARL EARTA, établissement de service d'aide par le travail pour les victimes de traumatisme crânien.

M. [I] a exercé des Mandats de représentant du personnel à partir de l'année 2000 et de délégué syndical CGT à compter de mars 2003.

M. [I] a été convoqué le 26 septembre 2011 à un entretien préalable en vue d'un licenciement fixé au 5 octobre 2011 avec une mise à pied conservatoire.

Après consultation du comité d'entreprise, la société EARTA a sollicité la DIRECCTE, laquelle a refusé d'autoriser le licenciement de M. [I] par décision du 21 novembre 2011.

Cette décision de refus a été contestée par la SARL EARTA dans le cadre d'un recours hiérarchique. Le 6 avril 2012, le ministre du travail a annulé la décision de l'inspectrice du travail et autorisé le licenciement de M. [I].

Par courrier du 23 avril 2012, M. [I] a été licencié pour faute grave.

La décision rendue par la cour administrative d'appel de NANTES le 17 avril 2015 annulant le jugement du tribunal administratif et la décision du ministère du travail est devenue définitive après un arrêt du Conseil d'État du 9 novembre 2015 déclarant non admis le pourvoi de la SARL EARTA.

M. [I] a demandé le 21 avril 2015 sa réintégration et des dommages-intérêts.

La SARL EARTA lui a alors notifié son impossibilité de le réintégrer sur son ancien poste, tout en lui proposant un poste d'agent de production équivalent dans l'établissement du Mans.

M. [I] a refusé ce poste et a saisi la formation des référés du conseil de prud'hommes de Nantes aux fins d'obtenir sa réintégration.

Par ordonnance de départage en date du 22 septembre 2015, le conseil de prud'hommes de Nantes a ordonné la réintégration de M. [I] sur le site de [Localité 7].

Le 7 décembre 2016, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins notamment d'indemnisation des préjudices subis du fait de la discrimination syndicale d'une part et du harcèlement moral d'autre part, de paiement de rappel de salaires sur la période entre son licenciement et sa réintégration, d'indemnisation du préjudice moral subi durant cette période de chômage, d'indemnisation du préjudice résultant du retard de paiement des salaires et notamment l'incidence fiscale de ce paiement différé.

La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par M. [I] le 14 décembre 2018 du jugement du 15 novembre 2018 par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que M. [I] n'a pas été victime de fait de discrimination syndicale,

' Dit que M. [I] n'a pas été victime de faits de harcèlement moral,

' Débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes tant principales de rappel de salaires tenant au préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration et subsidiaire d'indemnisation de la perte financière subie au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration et de perte de chance de pouvoir partir à la retraite en bénéficiant du dispositif de carrière longue.

Par jugement en date du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Nantes a placé la SARL EARTA en redressement judiciaire.

Par jugement en date du 10 février 2021, le tribunal de commerce de Nantes a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL EARTA. La SCP [Y] représentée par Me [Y] a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.

L'AGS CGEA a été appelée en intervention forcée par M. [I] le 8 juin 2021.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 28 juillet 2022, suivant lesquelles M. [I] demande à la cour de :

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes relatives à la discrimination et au harcèlement moral, au préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement et la réintégration et de dommages-intérêts dans la fixation de l'ordre des départs en congés payés,

' Juger que M. [I] a été victime de faits de discrimination syndicale et de harcèlement,

' Juger que les sommes suivantes seront imposées à l'état des créances salariales de la liquidation judiciaire de la SARL EARTA pour paiement au bénéfice de M. [I], en tout ou partie, sur les fonds disponibles, et à défaut par le CGEA :

- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait de la discrimination syndicale,

- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait du harcèlement moral,

- 1.000 € net à titre de dommages-intérêts du fait de l'abus dans la fixation de l'ordre des départs en congés payés,

- 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- sur le préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration :

* A titre principal la somme de 30.250,87 € brut à titre de rappel de salaires et la somme de10.000 € net à titre de dommages-intérêts pour retard de paiement des salaires et notamment l'incidence fiscale de ce paiement différé,

* A titre subsidiaire la somme de 26.565,54 € au titre de la perte financière subie au cours de la période et la somme de 10.000 € net à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de pouvoir partir à la retraite en bénéficiant du dispositif carrière longue,

* En toute hypothèse sur ce point,

- 25.000 € net à titre de dommages-intérêts dus pour préjudice moral subi durant cette période de chômage subie à tort,

' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Reçu M. [I] en sa demande de congé payé pour fractionnement au titre de l'année 2016 et ordonné de lui accorder un jour de congés payés à ce titre,

- Alloué à M. [I] la somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

' Juger que la décision à intervenir sera opposable au CGEA régulièrement appelé à la cause,

' Juger que ces sommes porteront intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour celles ayant le caractère de salaire, et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes,

' Juger que les intérêts se capitaliseront en application de l'article 1154 du code civil,

' Juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification de décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la liquidation judiciaire de la SARL EARTA,

' La condamner à remettre à M. [I] des bulletins de salaires récapitulatifs établis année par année, tous documents conformes à la décision à intervenir et sous astreinte de 100 € par jour de retard,

' Condamner la liquidation judiciaire de la SARL EARTA aux entiers dépens de la présente instance.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, suivant lesquelles la SCP [Y] (mandataire liquidateur) et la SARL EARTA demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit que M. [I] n'a pas été victime de faits de discrimination syndicale ni de harcèlement moral,

- Débouté M. [I] de l'ensemble de ses demandes (à titre principal et à titre subsidiaire),

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Reçu M. [I] en sa demande de jour de congé payé pour fractionnement au titre de l'année 2016 et ordonné à la SARL EARTA de lui accorder un jour de congé payé à ce titre,

- Condamné la SARL EARTA à verser à M. [I] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la SARL EARTA de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 €,

Statuant à nouveau,

' Débouter M. [I] en sa demande de jour de congé payé pour fractionnement au titre de l'année 2016,

' Condamner M. [I] à verser la somme de 3.000 € à la SCP [Y], ès-qualité de mandataire liquidateur de la SARL EARTA, au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

En tout état de cause,

' Débouter M. [I] de sa demande d'indemnité d'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 4.000 €,

' Rejeter la demande de M. [I] tendant à la remise de ses bulletins de salaire récapitulatifs établis année par année sous astreinte de 100 € par jour de retard,

' Condamner M. [I] à verser à la SCP [Y],ès-qualité de mandataire liquidateur de la SARL EARTA la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

' Subsidiairement, si la cour devait infirmer le jugement entrepris sur la demande de salaire de M. [I] au titre de sa période d'éviction de la SARL EARTA, chiffrer celle-ci à hauteur de 25.570,71 € brut.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 30 août 2021, suivant lesquelles le CGEA de [Localité 9] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris,

' Débouter M. [I] de ses demandes,

Subsidiairement,

' Débouter M. [I] de toute demande excessive et injustifiée,

' dire que les créances indemnitaires relatives à « la période de chômage subie à tort », ou « au préjudice fiscal », ou encore à la « perte de chance de pouvoir partir à la retraite en bénéficiant du dispositif carrière longue » ne sauraient être garanties par l'AGS,

En toute hypothèse,

' Débouter M. [I] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,

' Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail,

' Dire que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale,

' Dire que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles

L.3253-17 et suivants du code du travail,

' Dépens comme de droit.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 8 septembre 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la demande d'indemnité au titre de la période d'éviction avant réintégration

M. [I] fait valoir pour infirmation qu'en qualité de salarié protégé dont l'autorisation de licenciement a été retirée par les juridictions administratives il peut prétendre à une indemnisation de son préjudice qui doit inclure l'indemnisation de l'intégralité de son préjudice tant matériel que moral.

Le mandataire liquidateur de la société EARTA soutient que le montant de l'indemnité d'éviction sollicitée par M. [I] doit tenir compte des allocations chômage qu'il a effectivement perçues pendant cette période'; que sa comparaison avec la situation de M. [G] ne tient pas compte de l'indemnité de licenciement que ce dernier a été contraint de restituer à son employeur en compensation des salaires versés'sur la période précédant sa réintégration ; que les demandes formées au titre d'une prétendue incidence fiscale et de sa perte de chance au regard de ses droits à la retraite ne sont pas fondées.

L'AGS-CGEA indique s'associer aux développements des organes de la procédure et soutient en toute hypothèse que les créances qui ne résultent pas de l'exécution du contrat de travail ne sauraient être garanties par l'AGS, de même que les créances de dommages et intérêts qui ne constituent pas des créances salariales.

Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.

Il est justifié en conséquence d'allouer à M. [I] au titre de la réparation de son préjudice matériel la somme brute qu'il demande à titre subsidiaire de 26.565,54€ correspondant (voir ses pièces n°89 et 90) à la différence entre les salaires qu'il aurait perçus et les sommes effectivement perçues de POLE EMPLOI sur la période comprise entre son licenciement annulé et sa réintégration effective.

Doit être ainsi écartée comme non justifiée d'une part la demande formée à titre principal par M. [I] du versement de la somme de 30.250,87€ correspondant au total des salaires qu'il aurait perçus sur la période, demande fondée sur la comparaison avec la situation d'un autre salarié, M. [G] au motif que l'application du principe de l'égalité de traitement devrait conduire à ce que M. [I] bénéficie du même traitement que celui de M. [G], sans néanmoins qu'aucune explication soit donnée sur la situation de ce salarié ni sur les conditions de la rupture d'égalité alléguée.

Doit être également écarté l'argument de la société à laquelle s'associe l'AGS faisant valoir, sans justifier du calcul, que la somme allouée à M. [I] devrait se limiter à une somme de 25.570,71 €.

La demande de paiement d'une indemnité supplémentaire de 10.000 € liée au retard de paiement en considération de son «'incidence fiscale'», qui n'est soutenue par aucune argumentation ni aucune pièce, ne peut qu'être rejetée.

S'agissant de la demande de M. [I] au titre d'une «'perte financière immédiate et à la perte de droits à la retraite'» qu'il expose sans aucune autre explication (page 47 de ses écritures) que l'affirmation selon laquelle il a dû «'travailler plus longtemps pour bénéficier de sa retraite à taux plein, alors que celui-ci avait espéré pouvoir arrêter toute activité professionnelle avant l'âge légal de la retraite, via le mécanisme de départ en retraite anticipée pour carrière longue'» et sans en justifier par aucun autre élément qu'un courrier du «'syndicat CGT des retraités de la construction'» (sa pièce n° 93) du 5 mars 2016, elle n'est pas fondée et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il en a débouté M. [I].

M. [I] justifie en outre par les pièces qu'il produit d'un préjudice moral constitué pendant ces trois années de chômage entre le licenciement dont l'autorisation a été annulée et sa réintégration par «'l'insomnie, le manque de confiance en lui, l'impression d'être inutile'» (pièce n° 95, attestation de sa compagne Mme [S]), un état de déprime, la crainte «'de ne pouvoir se réinsérer dans la vie professionnelle, vu son âge'», de ne pas pouvoir «'assurer le quotidien financier de son foyer » (pièce n° 94 : attestations de M. et Mme [VX]) et qui sera indemnisé par l'attribution d'une somme de 10.000 €, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur la discrimination syndicale

M. [I] soutient pour infirmation sur ce point que la révélation n'est pas la simple connaissance de la discrimination mais le moment où le salarié dispose des éléments de comparaison qui lui permettent de mettre cette discrimination en évidence, de sorte que tant que le salarié ne dispose pas d'éléments probants, la discrimination ne peut pas être considérée comme révélée et le délai de prescription ne peut pas courir. Il soutient en outre que n'est pas prescrite la discrimination s'étant poursuivie pendant toute la carrière d'un salarié et dont il résulte que les faits sur lesquels celui-ci se fonde n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription.

Il soutient enfin que dès lors qu'il satisfait à cette condition de saisine dans le délai quinquennal le salarié peut faire état de l'ensemble des faits discriminatoires même si certains remontent à plus de cinq ans dans la mesure où c'est l'entier préjudice qui doit être réparé.

Le mandataire de la société EARTA soutient à ce titre que M. [I] sollicite la réparation d'une discrimination syndicale fondée sur des faits très anciens, de sorte que les faits antérieurs au 7 septembre 2011 sont prescrits'; que les autres faits allégués n'établissent pas l'existence des éléments caractérisant une discrimination.

L'AGS-CGEA s'associe aux développements de la SCP [Y] es qualités s'agissant d'une part de la prescription des éléments antérieurs au 7 septembre 2011, d'autre part de l'absence de preuve par le salarié d'éléments laissant présumer l'existence d'une discrimination'; l'AGS soutient également que M. [I] ne rapporte aucunement la preuve du préjudice qu'il invoque, qui serait de surcroît distinct de ceux allégués au titre de ses autres demandes indemnitaires et notamment de celle formée au titre du harcèlement moral.

Par application de l'article L.1132-1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations:

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

- la discrimination inclut tout agissement lié à l'un des motifs précités et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par application de l'article L.1134-5 du code du travail, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

Le délai de prescription commence à courir seulement à la date à laquelle le salarié dispose de tous les éléments l'amenant à estimer qu'il est discriminé.

Il ressort des pièces versées aux débats que la plupart des faits invoqués par M. [I] au soutien de ses demandes relatives à une discrimination syndicale dont il aurait été victime (page 15 à 29 de ses écritures) se sont déroulés entre 2001 et le mois de novembre 2011 et que les pièces qu'il produit sont antérieures de plus de cinq ans à la saisine de la juridiction prud'homale s'agissant d'attestations fournies à l'intéressé (ses pièces n°28 à 33), de courriers rédigés par lui-même adressés par lui-même à l'employeur ou à l'inspection du travail (ses pièces n°36, 40, 48, 62, 65) ou de courriers adressés par le syndicat à la direction ou à l'inspection du travail (pièces n°35, 42, 44, 46, 48, 49, 50, 57, 58), des procès verbal de réunion du CE ou comptes rendus de réunion préparatoire de CE (pièce n°44 et 59) ou de réunion des délégués du personnel (pièce n°71), de courriers reçus de l'inspection du travail (pièces n°45, 47, 60) ou de la direction (pièce n°63, 66), de décisions administratives (pièces n°37 à 39, 43), d'une plainte avec constitution de partie civile de 2002 (pièce n°41) ou des pièces relatives à une précédente procédure de licenciement le concernant dont l'autorisation administrative a été refusée en 2007 (pièces n°51 à 56), relatives à une sanction disciplinaire en mai 2011 (pièce n°67 à 70) ou à la procédure de licenciement dont l'autorisation a été annulée et à l'issue de laquelle il a sollicité et obtenu sa réintégration (pièce n°4).

L'ensemble de ces éléments, antérieurs au mois de novembre 2011, étaient donc connus du salarié plus de cinq ans avant l'introduction de sa demande devant la juridiction de première instance le 7 décembre 2016.

Pour faire valoir que son action ne serait pour autant pas prescrite et qu'il pourrait faire état de l'ensemble des faits discriminatoires y compris ceux révélés plus de cinq ans auparavant, M. [I] soutient qu'il satisfait à cette condition de saisine dans le délai quinquennal pour les faits plus récents qu'il invoque'; mais force est de constater que M. [I] n'explique pas en quoi ces éléments récents caractériseraient une discrimination à son égard s'agissant des éléments qu'il vise successivement :

- en page 15 de ses écritures ses pièces n° 97 (courrier de l'inspection du travail à la société EARTA du 4 juillet 2016), n° 98 (mise en demeure du secrétaire du CE et du CHSCT du 21 juillet 2016), n° 99 (courrier d'envoi de la mise en demeure à l'inspection du travail), n° 86 (courrier de Monsieur [I] à l'inspection du travail du 23 mai 2016)', aucune de ces pièces ne faisant référence à la situation individuelle de M. [I] ni à titre personnel ni à titre syndical et l'appelant n'explique pas en quoi ces pièces caractériseraient les éléments d'une discrimination le concernant';

- en page 25 de ses écritures ses pièces n° 119 et 120 (comptes-rendus «'réponses aux questions DP'» du 22/09/2017' et du 13/01/2018) dont M. [I] affirme qu'il y est «'posé clairement la question de ce traitement différencié pour les représentants CGT en matière de prises d'heures de délégation'» alors que le sujet des heures de délégation syndicales n'y apparaît pas et qu'il n'est pas davantage explicité sur quoi porterait la discrimination à son égard';

- en page 28 de ses écritures, sa pièce n° 75 (courrier de M. [I] au médecin du travail du 22 octobre 2015) et dans lequel il fait référence à la circonstance que cinq salariés, ayant le même poste de travail auparavant occupé par lui, auraient été «'invités à constituer un dossier CHU'» alors que lui-même ne s'était rien vu proposer, sans expliquer sur quoi porte le dossier considéré ni par conséquent en quoi aurait consisté la discrimination';

- en page 29 de ses écritures, sa pièce n°130 dans laquelle Mme [C] décrit des événements dont la date n'est pas indiquée et dont il n'est pas établi, alors que nombre des circonstances peuvent faire référence à des faits antérieurs à 2011, qu'ils correspondent à des faits qui auraient été révélés à M. [I] dans le délai de la prescription quinquennale.

M. [I] évoque également':

- en page 29 de ses écritures une «'inégalité de traitement en matière de salaire'» dont M. [I] «'viendrait de s'apercevoir'» alors que l'examen des pièces qu'il vise montre que la comparaison avec les salaires notamment de M. [M] ne lui est pas défavorable et ne caractérise pas les éléments d'une discrimination entre lui et M. [B] (Pièces n° 121, 122, 123, 124';

- en page 27 de ses écritures ses pièces n°72 (attestation de M. [G]) et 73 (attestation de M. [B]) aux termes desquelles [D] [W] l'aurait «'traité de connard'» le mardi 17 janvier 2012 à 11h45 dans l'atelier de production devant la chef d'équipe [H] [N] », témoignages dont il retient qu'ils «'démontrent que la société EARTA ne se place effectivement pas systématiquement dans un schéma disciplinaire, mais n'est en réalité prompte à l'initier que lorsque l'on prête à Monsieur [I] des propos insultants'»'; ce seul fait isolé n'étant pas de nature à caractériser, par le seul fait d'une absence de sanction à l'égard d'une autre salariée, une discrimination à l'égard de l'appelant.

M. [I] ne peut donc prétendre modifier le point de départ de la prescription de son action sur la base d'éléments qui, même pris dans leur ensemble, ne sont manifestement pas de nature à laisser présumer l'existence d'une discrimination.

Ainsi M. [I], qui d'une part ne justifie pas que des éléments constitutifs d'une discrimination syndicale le concernant auraient été portés à sa connaissance moins de 5 ans avant sa saisine de la juridiction, qui d'autre part affirme de manière purement théorique (page 13 de ses écritures) que « n'est pas prescrite la discrimination s'étant poursuivie pendant toute la carrière de la salariée en termes d'évolution professionnelle, tant que personnelle, et dont il résulte que les faits sur lesquels se fonde la salariée n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription'» sans indiquer en quoi les faits dont il avait une parfaite connaissance avant même sa réintégration au sein de l'entreprise après l'annulation de son licenciement aurait continué à produire leurs effets sur sa propre situation, doit se voir opposer la prescription de son action.

Sur le harcèlement moral

Pour infirmation à ce titre, M. [I] soutient, pour l'essentiel, que tant avant qu'après sa réintégration effective au 14 octobre 2015 la société EARTA a maintenu une attitude ouvertement hostile à son égard et que les débordements de langage, l'intimidation physique et morale, l'exclusion, la mise à l'écart, la dévalorisation et le pouvoir de direction abusif subi par M.[I] ont eu pour effet la dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé. Il soutient que les derniers faits qu'il invoque sont postérieurs à sa réintégration dans l'entreprise en 2015 de sorte qu'il ne peut se voir opposer la prescription de son action.

Pour confirmation, le mandataire judiciaire de la société EARTA réplique que M. [I] n'est pas fondé à invoquer des faits qui seraient antérieurs de plus de 5 ans à sa saisine du Conseil de prud'hommes et que les premiers faits évoqués par le salarié sont donc atteints par la prescription'; elle soutient ensuite qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve d'agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail ou susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, ce que M. [I] échoue à faire en l'espèce.

L'AGS-CGEA s'associe aux développements de la SCP [Y] es qualités s'agissant d'une part de la prescription des éléments antérieurs au 7 septembre 2011, d'autre part de l'absence de preuve par le salarié d'éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral'; l'AGS soutient également que M. [I] ne rapporte aucunement la preuve du préjudice qu'il invoque, qui serait de surcroît distinct de ceux allégués au titre de ses autres demandes indemnitaires et notamment de celle formée au titre de la discrimination syndicale.

Selon l'article L.4121-1 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige :

'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

Selon les termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, même sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte de ces dispositions et de l'article L.1154-1 du même code en sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 qu'il appartient au juge d'apprécier si les éléments de fait établis par le salarié, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Sur la prescription

En application de'l'article 2224 du code civil, l'action pour harcèlement moral est soumise, à une prescription de'cinq ans'à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, de sorte que le délai de prescription ne court qu'à compter du dernier acte invoqué.

Par ailleurs, dès lors que l'action d'un salarié au titre d'un harcèlement moral n'est pas prescrite, il convient d'examiner l'ensemble des faits invoqués par le salarié permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral,'quelle que soit la date de leur commission.

En l'espèce, dès lors que le salarié se plaint d'actes commis postérieurement à sa réintégration en octobre 2015 après annulation de l'autorisation de son licenciement, la prescription quinquennale ne peut avoir commencé à courir avant cette date'; la prescription a donc été interrompue'par la saisine, dans le délai, du conseil de prud'hommes en'décembre 2016.

Il n'y a pas lieu à prescription de l'action de M. [I] en reconnaissance de faits de harcèlement moral.

Sur le fond

En l'espèce, M. [I] vise dans ses écritures et produit aux débats :

S'agissant des faits antérieurs à sa réintégration :

- sa pièce n° 36 (courrier des opérateurs de l'APARTA du 19 novembre 2001) dans lequel il indique que dès le 19 novembre 2001, M. [I] dénonçait avec le soutien de ses collègues de travail des faits de harcèlement moral de la part de M. [U]'; mais force est de constater que ce courrier, dont le contenu n'est corroboré par aucun élément, ne fait qu'énoncer en terme vague «'des injures'» sans précision ni description de fait précis';

- ses pièces n° 43 (procès-verbal de l'inspection du travail du 11 février 2003) et n° 45 (courrier de signalement de l'inspection du travail au Procureur de la République du 21 août 2003), dans lesquels sont dénoncés notamment les éléments d'un harcèlement moral à l'encontre de M. [I] prenant la forme de brimades, d'un traitement particulier en matière de frais de déplacement et d'un changement de poste pour motif disciplinaire à l'origine d'une dégradation de ses conditions de travail'; M. [I] rappelle avoir fait l'objet au cours de sa relation de travail de plusieurs procédures de licenciement dans le cadre desquelles l'autorisation de licenciement a toujours été soit refusée par l'inspection du travail soit annulée ensuite';

- sa pièce n° 46 (courrier de l'Union Locale CGT à l'inspection du travail du 15 février 2006) et n°49 (courrier de la CGT a l'inspection du travail du 30 mars 2006) et sa pièce n° 35 (courrier du syndicat CGT à l'inspection du travail du 28 novembre 2011) évoquant le comportement de la société EARTA notamment à l'encontre de Monsieur [I]';

- sa Pièce n° 62 (courrier de Monsieur [I] à la société EARTA du 9 mai 2011 faisant état d'un certain nombre de doléances ou d'explications sur des faits compris entre mars 2011 (courrier du 28 mars 2011 relatif à un dépassement d'heures de délégation) et mai 2011 («'dès ma reprise, je me suis vu isolé en papeterie contre le mur'»)';

- sa pièce n° 76 : attestation de M. [E] [B] qui indique «'J'atteste sur l'honneur que Mr [T] [I] a demandé à Mr [A] [J] lors de la réunion de CE du 30 juillet 2015, pourquoi celui-ci l'avait invité, ne lui versant pas de salaire et ne l'avait pas réintégré. Celui-ci a répondu qu'il paierait le temps de présence de cette réunion'»';

- sa pièce n° 77 (attestation de M. [B]) selon laquelle M. [J], gérant d'EARTA avait «' osé préciser, le 14 mai 2013, jour de la réunion sur le protocole d'accord préélectoral qu'il ne voulait pas que Mr [I] 'homophobe' soit présent dans l'entreprise pour les élections des représentants du personnel »';

S'agissant des faits postérieurs à sa réintégration :

- sa pièce n°75 (courrier de M. [I] au médecin du travail du 22 octobre 2015 dans lequel il se plaint des conditions de sa reprise de travail «'qui ne se passe pas tout à fait comme elle le devrait'», et dans lequel il évoque successivement le contrôle par le gérant de son activité «'en matière de câbles HDMI'», le fait que lorsqu'il se rendait aux toilettes son employeur lui aurait intimé à son retour de «'travailler », la circonstance qu'aurait été évoquée en entretien informel du 15 octobre 2015 sa « vitesse au travail'» sans que lui soit accordé le droit de se faire assister par M. [B], délégué, alors que le gérant M. [J], était assisté de Mme [YX], Responsable des ressources humaines et M. [F] l'Animateur superviseur du travail de M. [I]), le fait qu'au cours d'un autre entretien le 20 octobre 2015 pour le même motif, le gérant lui aurait parlé «'de façon autoritaire, tout en faisant avancer son siège vers [moi]'»), l'attitude du gérant à son égard le 21 octobre 2015 en salle de pause qui avait évoqué sa réintégration en «'oubliant pas de dire que j'avais été un menteur », qu'il avait bien traité un autre salarié de «'PD'» et que «'lorsqu'un salarié fait une faute, il doit la payer »';

- sa pièce n°78 (courrier de la société EARTA du 19 novembre 2015) concernant les demandes ci-dessus évoquées concernant le niveau de production de M. [I]'; sa pièce n° 79 (courrier de M. [I] du 24 novembre 2015) par lequel il répondait au précédent ; ses pièces n° 80 et 82 (courriers de la société EARTA du 8 décembre 2015, 4 janvier 2016) et ses pièces 81 et 83 (ses réponses des 15 décembre 2015, 17 janvier 2016) toujours sur le sujet de sa production';

- sa pièce n° 84 (courriel du 18 décembre 2015 adressé à l'inspection du travail) dans lequel il se plaint que «'les réunions DP-CE sont de plus en plus invivables'», qu'après une réunion du 17 décembre il avait été «'obligé de poser une délégation de 20 mn, car le gérant avait demandé à l'animateur, si j'avais travaillé de 8h30 à 8h50, devant tous les salariés, il lui a répondu que je n'étais pas là ['] j'ai remis un bon de délégation, par obligation, pour couvrir ce temps de travail, que j'avais parfaitement exécuté ['] Le 15/12/2015 au midi, après avoir fait une photocopie, autorisée par la RRH, le gérant m'a empêché physiquement d'aller déjeuner, prétextant que je n'avais pas à faire des photocopies [...]'»'; il n'est pas allégué qu'aucune suite aurait été donnée à ce courrier par l'inspection du travail';

- sa pièce n° 85 (courrier de la société EARTA du 4 janvier 2016 relatif aux délégations du 17 décembre 2015) dans lequel le gérant le second bon de délégation pour la période de 8h30 à 8h50 et mentionnant à l'adresse de M. [I] «Vous êtes épuisant a toujours être limite, voire être, dans ce cas, sur du vol d'heures de travail en vous servant de votre mandat et surtout en donnant une piètre image de l'exécution de votre mandat. »';

- sa pièce n°29 (attestation de M. [O]) indiquant notamment «'[sic] Lorce que je travaillé avec Mr [I], le geran et intervenu vaire Mr [I] en lui disan quil étai la pour travaille et non donné des renseignement et qua tous renseignemen donne il devai faire un bon de delegation et a un moment je les entendu dir qu 'il avai casse des délégue et qu 'il en avai pas longten avec lui »'; cette attestation est à mettre en perspective avec la pièce n°50 du mandataire liquidateur de la société intimée dans laquelle M. [O] atteste que M. [I] lui a demandé de témoigner d'un échange entre M [J] et lui et que n'ayant «[sic] pas entendu et conpris ['] Mr [I] ma dictée le courier que j'ai écrie'»';

- sa pièce n°86 (courrier du 23 mai 2016 de M. [I] à l'inspection du travail) se plaignant du refus de son employeur de prendre en compte ses demandes d'explications dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire ou lors des réunions de délégués du personnel'; il n'est pas allégué qu'aucune suite ait été donnée à ce courrier par l'inspection du travail';

- sa pièce n° 87 (courrier de M. [I] à la société EARTA du 28 mai 2016) dans lequel il indique notamment «'vous recherchez une nouvelle fois, un moyen de vous débarrasser du délégué syndical Cgt et pour le moins, vous vous fabriquez une nouvelle raison de me licencier »';

- sa pièce n°88 (courrier de M. [I] du 28 juillet 2016 auquel est joint une fiche de frais au seul nom de M. [B]) concernant une demande de remboursement par l'employeur, en raison de l'impossibilité d'utilisation du véhicule mis à disposition par la société, des frais d'utilisation du véhicule personnel de M. [B] et des frais de péage d'autoroute exposés par M. [I]';

- ses pièces n°115 (attestation de consultation) et n°116 (dépôt de plainte) correspondant à la dénonciation par M. [I] d'une agression physique commise le 14 janvier 2019 par M. [J] qui, en présence de Mme [R] et de M. [F], lui aurait «'porté deux coups violents de ses mains, au thorax et [l'aurait] traité de con'»'; ces pièces sont contredites par les attestations, produites par l'employeur, de M. [F], représentant du personnel qui indique « Mais en aucun cas, je n'ai vu M [J] agresser M [I] physiquement alors que j'étais présent » (pièce n°81 de l'intimée), ce que confirme le témoignage de Mme [R] (pièce n°82)';

- ses pièces n° 126 (deux comptes rendus d'entretien de médiation) et n°128 (jugement du Tribunal de Police de NANTES du 15 novembre 2021 et certificat de non appel) aux termes desquelles M. [L] [P] a été condamné à 100 € d'amende pour des faits du 21 mai 2019 qualifiés de violence sans incapacité sur la personne de M. [I], outre 500 € de dommages et intérêts, le médiateur notant que M. [P] entendait se justifier d'avoir'«'saisi M [I] par le col par le fait que ce dernier l'aurait gêné dans son espace de travail. M [P] ne conçoit pas en quoi cela a pu porter atteinte à M [I] et en quoi c'est contraire à la loi.'»'; sa pièce n°129 (jugement du Pôle social du Tribunal Judiciaire de NANTES du 8 avril 2022) relatif à la reconnaissance du caractère professionnel de ces faits déclarés comme accident du travail'; La position hiérarchique de M. [P] n'est pas précisée';

- sa pièce n°125 (courrier de M. [K], secrétaire général de l'union locale CGT de Carquefou à M. [J], gérant de la société EARTA, daté du 1er juillet 2019) qui rapporte les propos de M. [I] concernant «'de nouveaux faits de violences à son encontre par un des salariés Monsieur [P]'» ainsi que concernant les faits décrits du 14 janvier 2019 au cours desquels M'. [J] l'aurait «'repoussé physiquement et de manière violente'»'; M. [K] ajoute': «'par le passé et par deux fois, alors que je suis venu accompagné [sic] Monsieur [T] [I] dans votre entreprise, j'ai constaté que vous aviez une attitude inapproprié [sic] et ouvertement hostile à son égard': railleries et refus de lui dire bonjour...' ['] Votre qualité de gérant vous oblige a respecté [sic] une certaine partialité [sic] vis-à-vis des élus et mandatés [...]'»

- sa pièce n°130 (attestation de Mme [C], précitée) qui évoque des faits sans aucune mention de date.

Quant à son état de santé, M. [I] ne produit aucun autre document que le certificat de consultation précité (pièce n°115).

S'agissant de la dégradation de ses conditions de travail, il convient de rappeler que M'. [I], après annulation de l'autorisation de son licenciement prononcé en avril 2012, a demandé sa réintégration au sein de la société EARTA, réintégration qui a été effective en octobre 2015'; qu'il ne fait état s'agissant de la période postérieure à cette réintégration d'aucun élément caractérisant la dégradation de ses conditions de travail.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les pièces produites par M. [I], constituées en grande partie par ses propres courriers qui s'attachent à décrire, sur la base d'affirmations de nature subjective pour l'essentiel, des désaccords avec sa direction sur les conditions dans lesquelles il travaillait, constituées pour le surplus de dénonciations de faits isolés contredits par d'autres pièces versées aux débats, insusceptibles autant en appel qu'en première instance à établir des éléments de fait susceptibles de caractériser des agissements répétés envers sa personne et qui pris dans leur ensemble laisseraient présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens des dispositions légales précitées.

Parmi l'ensemble des éléments évoqués, seuls les éléments décrits par l'inspection du travail en 2003 serait de nature à laisser présumer l'existence de tels agissements, éléments sur lesquels la société EARTA prise en la personne de son mandataire ne rapporte aucun élément de réponse, se contentant de soutenir que ces faits seraient atteints par la prescription, sans justifier qu'ils auraient été motivés par des éléments étrangers à toute discrimination.

Pour autant, M. [I] ne justifie par aucun élément ni n'argumente à aucun endroit de ses écritures de l'existence et de la nature du préjudice qui découlerait de faits dont il ne justifie pas que les conséquences en termes d'atteinte à sa santé ou de dégradation de ses conditions de travail se soient poursuivies au-delà de la réintégration qu'il a lui-même sollicitée en 2015 après annulation de son licenciement prononcé en 2012. M. [I] ne peut donc prétendre à l'indemnisation d'un préjudice dont il ne démontre pas l'existence.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes au titre d'un harcèlement moral.

Sur les demandes au titre de rappels de salaire

Sur la demande au titre du fractionnement des congés de l'année 2016

En application de l'article L3141-23 du Code du travail en vigueur depuis le 10 août 2016 (et de l'article L3141-19 du même code dans sa version antérieure), il est attribué deux jours ouvrables de congé supplémentaire lorsque le nombre de jours de congé pris en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année est au moins égal à six et un seul lorsque ce nombre est compris entre trois et cinq jours. Il peut y être dérogé après accord individuel du salarié.

Il ressort des pièces produites qu'au cours de la période du 1er mai au 31 octobre 2016, M. [I] a posé 16 jours de congés payés, du 8 août au 26 août et le 30 septembre, de sorte qu'en application des dispositions susvisées les 4 jours de congés payés pris en dehors de la période de référence lui ont ouvert le droit à une journée de congé supplémentaire pour fractionnement. Or il ressort de ses bulletins de salaire que cette journée ne lui a pas été accordée (pièce n°102). La seule argumentation de la société selon laquelle aucun congé de fractionnement ne lui a été octroyé au motif que ce fractionnement ne lui a pas été imposé par la société EARTA est totalement dénué de pertinente et doit être écarté.

C'est ainsi à juste titre qu'il a été fait droit à cette demande par les premiers juges dont la décision sera confirmée sur ce point.

Sur l'ordre des départs en congés sur l'année 2017

M. [I] soutient pour infirmation que la société EARTA lorsqu'elle est revenue sur sa décision de fermeture du site de [Localité 7] où il travaillait aurait dû, pour fixer l'ordre des départs en congés, prendre en compte des critères objectifs tels que la situation de famille ou l'ancienneté'; que le fait de ne pas avoir effectué de demande de congés payés durant une période de fermeture de l'entreprise ne saurait constituer un critère objectif permettant de fixer 1'ordre des départs'; que cette situation a causé un préjudice à M. [I] qui n'a pu bénéficier de l'intégralité de ses congés en même temps que ceux de sa compagne.

Le mandataire de la société rétorque pour confirmation que M. [I] n'avait remis aucune demande de souhait de congés payés à la date butoir du 28 février 2017 dont tous les salariés avaient été informés'; que la société EARTA, ayant besoin de 3 salariés pendant la fermeture d'été pour répondre au besoin du client Free sur le site de [Localité 7], a fait le choix objectif de retenir les 3 salariés qui n'avaient pas déposé de demande de congés au plus tard le 28 février 2017, dont M. [I].

L'AGS-CGEA fait valoir pour confirmation qu'en l'absence de remise par le salarié de toute demande de congés avant le 12 avril 2017 malgré relance de l'employeur il ne peut être constaté aucun abus dans la fixation de l'ordre des départs en congés.

Vu les dispositions de l'article L3141-16 du Code du travail

Il ressort en l'espèce des pièces versées aux débats que':

- la société EARTA a fait connaître dès le 25 janvier 2017 aux salariés par une note d'information (pièce n°103 du salarié) que le site de [Localité 7] serait fermé du 31 juillet 2017 au 18 août 2017, cette note d'information prévoyant que la demande de congés devait pour la période allant jusqu'au 31 octobre être déposée avant le 28 février 2017';

- M. [I]'n'a déposé aucune demande de congés payés, «'considérant légitimement que ces derniers correspondraient à la date de fermeture de l'entreprise'» (page 51 de ses écritures)';

- lors de la réunion du CE du 3 mars 2017 (pièce n°104) il a été annoncé par la direction «'le besoin en personnel pour 3 salariés pendant la période de fermeture initiale sur le site de [Localité 7] pour le client FREE'» la direction se disant «'prête à les désigner s'il le faut'»

- lors de la réunion CE du 24 mars 2017 il était de nouveau indiqué que le site serait fermé du 31 juillet 2017 au 18 août 2017 (pièce n°105)';

- aucune demande de congés n'a été formée par M. [I] avant le 12 avril 2017 (pièce n°108) portant sur la période du 24 juillet au 18 août 2017';

- en indiquant par courrier du 10 avril 2017 (pièce n°106) en réponse à un courrier de M. [I] du 27 mars 2017 qu'il ne pourrait pas prendre ses congés payés sur la période du 31 juillet 2017 au 18 août 2017, la société a fait état de «'besoins impératifs de production'» et de la circonstance qu'elle n'avait «'aucune demande de congés d'état de [sa] part'» (voir également pièces n°109 et n°110).

La circonstance que les trois salariés choisis pour travailler en août l'aient été en considération de ce qu' ils n'avaient pas formulé de demande de congés payés constitue un critère objectif et ne porte pas atteinte aux dispositions susvisées concernant l'ordre des départs en congés.

M. [I] n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation d'un préjudice résultant du décalage de ses congés avec ceux de sa compagne.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande sur ce point.

Sur la remise des documents sociaux

La demande de remise de documents sociaux rectifiés conformes à la présente décision est fondée en son principe. Il conviendra d'y faire droit, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur la capitalisation des intérêts

Aux termes de l'article L622-28 du code de commerce dans sa version en vigueur depuis le 01 octobre 2016, le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus. Nonobstant les dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts.

Ce chef de demande doit être rejeté.

Sur les frais irrépétibles

L'équité et la situation économique des parties commandent qu'il ne soit prononcé aucune condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

* * *

*

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME partiellement le jugement entrepris,

FIXE au passif de la société EARTA les créances suivantes de M. [I]':

- 26.565,54 € brut au titre du préjudice financier sur la période comprise entre son licenciement dont l'autorisation a été annulée et sa réintégration effective,

- 10.000 € net au titre de son préjudice moral sur la même période,

Ordonne la remise par le mandataire liquidateur de la société EARTA des bulletins de salaire et documents de fin de contrat rectifiés conforme à la présente décision ;

CONFIRME le jugement entrepris en ses autres dispositions,

Y ajoutant,

DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉCLARE la décision opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 9]';

RAPPELLE que l'AGS ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans les limites des dispositions des articles L3253-6 et suivants du code du travail';

RAPPELLE que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L3253-17 et suivants du code du travail';

CONDAMNE M. [I] aux dépens d'appel';

DEBOUTE les parties du surplus de ses demandes.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 18/08122
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;18.08122 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award