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26/01/2023 | FRANCE | N°19/07926

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 26 janvier 2023, 19/07926


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°31/2023



N° RG 19/07926 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QJ5G













Société [V]



C/



M. [X] [U]



















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JANVIER 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :>


Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé





DÉBATS :



A l'audience publique du 22 Novembr...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°31/2023

N° RG 19/07926 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QJ5G

Société [V]

C/

M. [X] [U]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JANVIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Novembre 2022 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [C], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

SARL [V]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Claire LE QUERE de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [X] [U]

né le 19 Mai 1963 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Caroline VERDIER, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-MALO

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [X] [U] a été engagé par le garage [F] selon un contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er août 1984. Il exerçait les fonctions de mécanicien maintenance à temps plein.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de l'automobile.

Le 1er janvier 2017, le garage ayant été repris par la SARL [V], le contrat de travail de M. [U] a fait l'objet d'un transfert.

Les 17 et 20 mars 2017, le salarié s'est vu notifier deux avertissements pour fautes professionnelles, notamment la détérioration du véhicule d'un client lors d'une intervention.

À l'issue d'une altercation verbale avec Mme [V], épouse de M. [G] [V] affectée au secrétariat, M. [U] était placé en arrêt de travail du 30 mars au 13 avril 2018.

Le 10 avril 2018, M. [U] était reçu par le médecin du travail.

Par courrier en date du 14 avril 2018, la société convoquait M. [U] à un entretien préalable au licenciement prévu le 24 avril suivant et lui notifiait une mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé en date du 30 avril 2018, le salarié s'est vu notifier son licenciement pour faute grave, l'employeur lui reprochant un abandon de poste le 30 mars 2018 et des manquements dans l'exécution de ses fonctions.

***

M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Malo par requête en date du 09 octobre 2018 afin de voir :

- Condamner la SARL [V] au paiement des sommes suivantes :

- Rappel de salaire sur mise à pied conservatoire : 1 524,55 euros

- Indemnité légale de licenciement : 19 861,61 euros

- Indemnité de préavis : 3 854,08 euros

- Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 38 000,00 euros

- Dommages-intérêts pour préjudice moral : 5 000,00 euros

- Article 700 du code de procédure civile : 2 500,00 euros

- Ordonner l'exécution provisoire.

La SARL [V] demandait au conseil de prud'hommes de :

- Dire et juger fondé le licenciement pour faute grave de Monsieur [U]

- Débouter Monsieur [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

comme étant infondées

- A titre éminemment subsidiaire, si par impossible le conseil de céans considérait le licenciement de Monsieur [U] comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, réduire les dommages-intérêts sollicités à la somme de 5 781,12 euros représentant trois mois de salaire

En tout état de cause,

- Débouter Monsieur [U] de sa demande d'indemnité pour préjudice moral, comme étant infondée

- Condamner Monsieur [U] au paiement d'une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner le même aux entiers dépens.

Par jugement en date du 19 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Saint-Malo a :

- Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [U] est sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamné la SARL [V] à payer à Monsieur [U] les sommes de

- 1 524,55 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied

- 19 861,69 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 3 854,08 euros à titre d'indemnité de préavis

- 4 817,60 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 2 500,00 euros au titre du préjudice moral subi

- 1 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

- Dit qu'il appartient à la SARL [V] d'établir les documents de fin de contrats conformes à la présente décision

- Débouté les parties de leurs autres demandes

- Condamné la SARL [V] aux entiers dépens.

***

La SARL [V] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 10 décembre 2019.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 1er juillet 2020,la SARL [V] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de débouter M. [U] de toutes ses demandes.

A titre éminemment subsidiaire, il est demandé, si par extraordinaire la cour de céans considérait le licenciement de M. [U] comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à la somme de 4.817,60 euros les dommages-intérêts alloués de ce chef.

Elle sollicite en tout état de cause, de:

- Débouter M. [U] de sa demande d'indemnité pour préjudice moral

- Condamner M. [U] au paiement d'une indemnité de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- Débouter M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Condamner le même aux entiers dépens.

La société [V] fait valoir en substance que:

- Les faits visés dans la lettre de licenciement rendaient impossible toute poursuite du contrat de travail ; ces faits sont établis par l'attestation de Mme [V] ; celle-ci était légitime à demander à M. [U] des explications sur les ordres de réparation qu'il avait établis et sur la base desquels elle devait faire les factures;

- M. [U] a abandonné son lieu de travail en réaction aux remarques de Mme [V] ; il n'a sollicité aucune autorisation préalable ; l'allégation d'un malaise ne ressort d'aucun élément ; il s'agit d'un abandon de poste justifiant le licenciement;

- M. [U] adoptait une attitude d'opposition systématique vis à vis de son employeur ; il n'a tenu aucun compte des préconisations données sur la gestion des ordres de réparation, de la réception des clés, du process de gestion des véhicules, du temps passé pour l'entretien courant des véhicules ; il a refusé de se former ; l'ancien employeur de M. [U], Mme [F], atteste d'erreurs constatées dans l'exécution de son travail ; la secrétaire de l'entreprise atteste des difficultés rencontrées par l'employeur avec ce salarié ; des clients attestent de manquements de M. [U] ; certains font état d'une consommation d'alcool ;

- S'agissant d'une entreprise de moins de 11 salariés et en l'absence de preuve d'un préjudice spécifique, les dommages-intérêts pouvant être alloués en vertu de l'article L1235-3 du code du travail n'ont pas lieu d'excéder l'équivalent de 2,5 mois de salaire ;

- La preuve d'un préjudice moral distinct n'est pas rapportée.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 04 mai 2020, M. [U] demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement entrepris sur le quantum des dommages-intérêts alloués et sur le montant de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il demande à la cour le paiement des sommes suivantes:

- 38.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [U] demande pour le surplus la confirmation du jugement entrepris.

M. [U] fait valoir en substance que:

- Il n'a pas abandonné son poste de travail le 30 mars 2018 ; il a été agressé dès son arrivée au travail par l'épouse de M. [V] qui a remis en cause ses compétences et s'est emportée violemment ; elle n'exerçait pourtant pas d'autorité hiérarchique sur lui ; il était placé le même jour en arrêt de travail ;

- Il a travaillé pendant 37 ans au sein du garage sans jamais recevoir le moindre reproche ; plusieurs clients attestent de ses qualités professionnelles et son comportement exempt de reproches ;

- Il n'a pas retrouvé d'emploi, étant âgé de plus de 55 ans et a été plongé dans une forte dépression.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 25 octobre 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 22 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la contestation du licenciement:

L'article L 1232-1 du Code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La cause doit être objective, exacte et les griefs reprochés doivent être suffisamment pertinents pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave privative du préavis prévu à l'article L 1234-1 du même Code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l'employeur.

Le licenciement pour faute grave a un caractère disciplinaire, tandis que l'insuffisance professionnelle ne présente pas un caractère fautif.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 30 avril 2018 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée:

'(...) Le 30 mars 2018, vous avez pris vos fonctions à 8h45.

Mme [V] est venue s'adresser à vous pour vous signaler des omissions d'indications sur les ordres de réparation et des erreurs effectuées sur des tâches que vous aviez réalisées, à savoir:

Concernant deux ordres de réparation, Mme [V] est venue vous demander comment allait-elle facturer

- M. [P]: vous avez mis 2 heures pour changer 2 filtres, alors que le temps barème donne 0,60 centièmes / soit 40 minutes.

- M. [P]: une crevaison le même jour, vous avez passé 30 minutes alors que le temps maximum barème est de 15 minutes pour une crevaison.

Mme [V] vous a confirmé que vous passiez beaucoup trop de temps sur la réalisation de vos travaux. Elle vous a de nouveau expliqué que nous avions déjà facturé le forfait vidange 3 soit 1h25 centièmes (1h15mn) pour M. [P].

Mme [V] vous a également demandé quel type de travaux saviez-vous réalisé seul et qu'elle vous laissait jusque midi pour lister ' (vidange, plaquettes, distribution...). Vous lui avez répondu que vous n'aviez pas été formé.

Et Mme [V] de vous dire, nous souhaitions te former sur la valise pour les remises à zéro des véhicules après entretien, et ta réponse a été: Je n'y tiens pas.

Or, il ne s'agit pas là d'un fait isolé, l'entreprise vous ayant à de nombreuses reprises depuis le mois d'août 2017 alerté sur la nécessité de faire preuve de plus de vigilance lors de l'exécution des tâches demandées sur vos ordres de réparations.

Les erreurs et omissions que vous commettez dans le cadre de l'exercice de vos fonctions sont en effet particulièrement préjudiciables aux intérêts de l'entreprise. Comme vous le savez parfaitement, les travaux à effectuer indiqués sur nos ordres de réparation déterminent l'étendue des obligations contractuelles de l'entreprise à l'égard des clients, mais encore la facturation des interventions dont la réalisation lui est confiée.

Dans les faits, vous n'avez tiré aucune conséquence des observations qui vous ont ainsi été faites, vous inscrivant délibérément à l'encontre des directives et instructions reçues de votre employeur, ce qui n'est pas tolérable.

Vos manquements sont, par ailleurs, de nature à impacter fortement la qualité du service rendu et l'image de l'entreprise vis à vis de ses clients.

Pour simple rappel, des manquements dans l'exécution de vos fonctions ont conduit l'entreprise à vous notifier deux avertissements les 17 et 28 mars 2018, dont vous n'avez malheureusement tiré aucune conséquence.

La réaction brutale et immédiate qui a été la vôtre lorsque Mme [V] vous a interpellé sur l'existence de nouvelles anomalies ne fait qu'illustrer davantage encore votre insubordination, rendant résolument impossible toute poursuite de votre contrat de travail.

En effet, pour toute réponse aux légitimes observations qui vous étaient faites, vous vous permettiez de rétorquer 'j'en ai assez entendu pour aujourd'hui, je m'en vais'.

A 9h15 le 30 mars 2018, vous preniez vos affaires et vous quittiez de votre chef l'entreprise.

Non seulement ce faisant, vous marquiez votre volonté affichée de vous soustraire à toute subordination à l'égard de votre employeur, mais encore abandonniez, sans aucun motif légitime, votre poste de travail.

A 10h55 le 31 mars 2018, vous vous présentiez de nouveau à l'entreprise, accompagné de votre fille, non pas avec l'intention de reprendre votre poste et de présenter vos excuses à votre employeur du fait de votre emportement, mais pour lui remettre un arrêt de travail jusqu'au 13 avril 2018.

Vous comprendrez que de tels agissements, d'une particulière gravité, portent atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise (...)

Nous vous informons que nous avons en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave (...)'.

Le contrat de travail en date du 2 janvier 2017, régularisé à la suite de l'acquisition par la SARL [V] du garage [F] au sein duquel M. [U] était employé depuis le 1er août 1984, ne mentionne pas que ce dernier travaille sous une subordination autre que celle du représentant légal de la société, désigné au contrat comme étant M. [G] [V].

Dès lors, il ne peut être utilement reproché au salarié des actes d'insubordination envers une personne autre que son employeur, aucun élément du dossier ne permettant de considérer que Mme [H] [O] épouse [V], secrétaire comptable de l'entreprise, ait disposé d'un pouvoir hiérarchique sur M. [U], bien qu'en pratique celle-ci se soit manifestement et de fait investie d'un tel pouvoir, ainsi que cela ressort des termes de la lettre de rupture mais également de ceux de l'attestation établie par l'intéressée (pièce SARL [V] n°19).

A cet égard, la légitimité alléguée des demandes d'explications formées, non par le gérant de l'entreprise mais par son épouse, sur les temps d'intervention de M. [U] par rapport à des normes unilatéralement établies (pièce SARL [V] n°4) dont rien n'établit qu'elles aient été préalablement portées à la connaissance du salarié, est contestable, dès lors que, ainsi que cela résulte des termes mêmes de la lettre de licenciement, il ne s'agissait pas uniquement comme l'indique l'employeur dans ses écritures de 'solliciter des explications auprès de M. [U] sur les ordres de réparation', mais de reprocher au salarié des temps excessifs sur deux interventions réalisées pour le client [P] ('Mme [V] vous a confirmé que vous passiez beaucoup trop de temps sur la réalisation de vos travaux') et d'intimer l'ordre à ce dernier de se justifier dans un temps limité sur les travaux qu'il s'estimait capable de réaliser seul ('Mme [V] vous a également demandé quel type de travaux saviez-vous réalisé seul et qu'elle vous laissait jusque midi pour lister ' (vidange, plaquettes, distribution...)').

En second lieu, il est reproché à M. [U] des erreurs et omissions commises dans le cadre de ses fonctions.

Il est justifié de deux avertissements délivrés au salarié, par courriers datés des 17 et 20 mars 2018, mais la lettre de licenciement qui ne cite pas de faits précis et nouveaux survenus depuis la notification de ces sanctions disciplinaires, relie les erreurs et omissions reprochées à un non respect des ordres de réparation sur la base desquels les factures sont établies ('Comme vous le savez parfaitement, les travaux à effectuer indiqués sur nos ordres de réparation déterminent l'étendue des obligations contractuelles de l'entreprise à l'égard des clients, mais encore la facturation des interventions dont la réalisation lui est confiée (...)').

Les attestations dont se prévaut la SARL [V] sont relatifs, soit à des faits anciens, sans qu'il en résulte que M. [U] soit l'auteur des travaux mis en cause, soit à l'un des faits précédemment sanctionnés par voie d'avertissement (attestation de M. [Y]), soit encore à des faits d'intempérance qui ne sont pas visés dans la lettre de licenciement.

En tout état de cause, des faits relatifs à une insuffisance professionnelle reprochée par l'employeur ne peuvent recevoir une qualification disciplinaire en l'absence de preuve d'une intention du salarié de violer ses obligations professionnelles.

En troisième lieu, il est établi que le 30 mars 2018, date des faits visés dans la lettre de licenciement comme marquant l'insubordination reprochée à M. [U] à l'égard de son employeur, ou plus exactement à l'égard de l'épouse du représentant légal de l'entreprise, le salarié a été placé en arrêt de travail, arrêt prolongé jusqu'au 24 avril 2018, la dite prolongation visant un syndrome anxio-dépressif.

Cette mention de diagnostic apposée par le médecin traitant du salarié est à rapprocher de l'attestation de Mme [V], produite par la société intimée, qui indique, évoquant l'entretien du 30 mars 2018:

'(...) Ensuite, je lui ai demandé pourquoi il y avait eu des problèmes avec le camping car de la veille ! Il ne répondait pas, ne me regardait pas. Quand je lui parlais, tirait toujours sa jauge. Je lui ai demandé de me lister ce qu'il savait faire SEUL, que de toutes façons ça ne lui prendrait pas beaucoup de temps. Je lui ai dit, tu me donnes ta liste avant midi (...)'.

Ce témoignage est éclairant sur la tonalité adoptée par l'épouse du gérant vis à vis d'un salarié comptant plus de 33 ans d'ancienneté dans l'entreprise et les circonstances dans lesquelles M. [U] a été conduit le jour même à consulter un médecin qui a estimé devoir le placer en arrêt de travail.

Dans ces conditions, aucun abandon de poste ne peut être valablement reproché à l'intéressé.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a jugé le licenciement pour faute grave de M. [U] sans cause réelle et sérieuse et la décision entreprise sera confirmée de ce chef.

Elle sera par voie de conséquence également confirmée en ce que la société [V] a été condamnée à payer à M. [U] les sommes suivantes:

- 1 524,55 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied

- 19 861,69 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 3 854,08 euros à titre d'indemnité de préavis.

En vertu des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail et s'agissant d'une entreprise de moins de onze salariés, l'indemnité minimale pouvant être allouée à M. [U] est de 2,5 mois de salaire.

En l'espèce, compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'ancienneté du salarié (plus de 33 ans), de son âge au moment de la rupture (près de 55 ans) induisant des difficultés accrues dans la recherche d'un nouvel emploi et du salaire de référence (1.927,04 euros brut), il est justifié de condamner la société [V] à payer à M. [U] la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé du chef du quantum des dommages-intérêts alloués.

2- Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral:

Il résulte du dossier médical de la médecine du travail versé aux débats que M. [U] évoquait auprès de ce professionnel au mois d'avril 2018 les difficultés qu'il rencontrait avec son nouvel employeur et son incompréhension des reproches formulés à son encontre alors qu'il comptait près de 34 ans d'ancienneté dans le garage, sans que l'ancien exploitant de l'entreprise ne l'ait jamais sanctionné.

Il est établi que les faits du 30 mars 2018 ont entraîné un arrêt de travail prescrit pour la survenance d'un syndrome anxio-dépressif, tandis que les termes mêmes de l'attestation de Mme [V], permettent de relever le ton particulièrement directif de l'épouse du gérant de la société envers le salarié, mettant en demeure ce dernier de lister ses compétences dans un temps limité, requête à caractère manifestement vexatoire, s'agissant de surcroît d'un salarié qui comptait une importante ancienneté.

En outre, si l'employeur se prévaut d'attestations qui évoquent des faits d'intempérance qui n'ont cependant pas été visés dans la lettre de licenciement, une telle allégation n'en est pas moins de nature à jeter le discrédit sur la personnalité et le comportement du salarié, tandis que ce dernier produit pour sa part divers témoignages qui vantent ses qualités humaines et professionnelles.

En considération des circonstances qui entourent le licenciement, il est justifié par le salarié d'un préjudice moral distinct qui lui a été causé de façon directe.

Bien que M. [U] évoque dans ses écritures un quantum de 5.000 euros en réparation du préjudice causé de ce chef, force est de constater qu'aux termes du dispositif de ses conclusions qui saisit la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, il demande l'infirmation du jugement entrepris uniquement sur le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société [V] à payer au salarié la somme de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

3- Sur les dépens et frais irrépétibles:

La société [V], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

Elle sera donc déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en revanche de la condamner à payer de ce dernier chef à M. [U] une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, le jugement entrepris étant infirmé sur le quantum alloué.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris, mais uniquement sur le quantum des sommes allouées à M. [U] à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau de ce chefs,

Condamne la SARL [V] à payer à M. [U] la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SARL [V] à payer à M. [U] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirme pour le surplus le jugement le jugement entrepris ;

Déboute la SARL [V] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL [V] aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/07926
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;19.07926 ?
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