2ème Chambre
ARRÊT N°39
N° RG 19/07776
N° Portalis DBVL-V-B7D-QJLJ
CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
C/
M. [P] [O]
Mme [J] [V] épouse [O]
Infirme la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me NAUX
- Me DAVID
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 JANVIER 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Novembre 2022
devant Monsieur Jean-François POTHIER, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Janvier 2023, après prorogation, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE BRETAGNE - PAYS DE LOIRE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Louis NAUX de la SELARL L.R.B. AVOCATS CONSEILS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
INTIMÉS :
Monsieur [P] [O]
né le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 8] (72)
[Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [J] [V] épouse [O]
née le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 7] (53)
[Adresse 4]
[Localité 6]
Tous représentés par Me Jean-Christophe DAVID, postulant, avocat au barreau de NANTES
Tous représentés par Me Vincent CADORET de la SELARL R&C AVOCATS ASSOCIES, plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte sous seing privé en date du 9 mars 2013 et acceptée le 22 mars 2013, Caisse d'Epargne et de Prévoyance Bretagne Pays de Loire a consenti à M. et Mme [O]:
1°) Un prêt immobilier Primo report plus n°8339676 d'un montant nominal de 55 000,00 euros sur une durée de 96 mois.
2°) Un prêt Primolis 2 paliers n°8339677 d'un montant nominal de 69 134,04 euros sur une durée de 180 mois.
Se prévalant de ce que le taux d'intérêt était calculé sur une année de 360 jours et d'erreurs du taux effectif global des prêts, M et Mme [O] ont par acte du 13 février 2017 assigné la banque devant le tribunal de grande instance de Nantes qui par jugement du 26 novembre 2019 a :
Prononcé la nullité de la clause d'intérêts du contrat de prêt du 22 mars 2013 ;
Ordonné la substitution du taux légal au taux conventionnel pour toute la durée du prêt avec les variations périodiques prévues par la loi pour le taux légal ;
Condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Bretagne Pays de Loire à rembourser à M. [P] [O] et Mme [J] [V] épouse [O] une somme égale à la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal conformément aux dispositions qui précèdent ;
Condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Bretagne Pays de Loire à communiquer à M. [P] [O] et Mme [J] [V] épouse [O] un nouveau tableau d'amortissement conforme aux dispositions qui précèdent pour chacun des prêts ;
Condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Bretagne Pays de Loire aux dépens de l'instance avec recouvrement direct dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamné la Caisse d'épargne et de prévoyance Bretagne Pays de Loire à payer à M. [P] [O] et Mme [J] [V] épouse [O] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Débouté les parties de leurs autres demandes.
Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.
La Caisse d'épargne et de Prévoyance Bretagne Pays de Loire est appelante du jugement et par dernières conclusions notifiées le 11 juillet 2022, elle demande de :
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et,
Statuant à nouveau,
Juger irrecevable la demande formulée par M. et Mme [O] de nullité de la clause d'intérêts.
Débouter purement et simplement M. et Mme [O] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Condamner reconventionnellement et solidairement les époux [O] à payer à la Caisse d'épargne une somme de 5000 en réparation du préjudice subi par cette dernière
Subsidiairement, juger que le taux applicable devra subir les fluctuations auxquelles la loi le soumet,
En tout état de cause,
Condamner solidairement M. et Mme [O] à payer à la Caisse d'épargne une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner solidairement M. et Mme [O] en tous les dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile
Par dernières conclusions notifiées le 22 mai 2020, M. et Mme [O] demandent de :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire et si la Cour infirmait le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la stipulation d'intérêts :
Vu les anciens articles L.312-8, L.312-10, L.312-33 et L.313-1 du Code de la consommation,
Constater que les offres de crédit relatives aux prêts Primo report plus et Primolis 2 paliers sont irrégulières, notamment en ce que le taux effectif global du prêt est erroné ce qui est contraire au 3° de l'article L.312-8 du Code de la consommation,
En conséquence :
Prononcer la déchéance des intérêts pour les prêts Primo report plus et Primolis 2 paliers,
Ordonner la substitution du taux légal au taux conventionnel pour toute la durée des prêts,
Condamner la Caisse d'épargne à payer à M. et Mme [O] une somme égale à la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal conformément aux dispositions qui précèdent,
Condamner la Caisse d'épargne à communiquer à M. et Mme [O] un nouveau tableau d'amortissement conforme aux dispositions qui précèdent,
En tout état de cause :
Condamner la Caisse d'épargne aux entiers dépens, dont distraction en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Condamner la Caisse d'épargne à payer à M. et Mme [O] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La question de la nature de la sanction applicable au prêteur en cas d'inexactitude du taux effectif global ou de calcul des intérêts conventionnels sur une base autre que l'année civile relève du débat au fond, et non d'une fin de non-recevoir.
La fin de non-recevoir soulevée à ce titre par la Caisse d'épargne sera donc écartée.
L'offre de crédit comporte une clause aux termes de laquelle 'les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû au taux indiqué ci-dessus sur la base d'une année bancaire de 360 jours, d'un semestre de 180 jours, d'un trimestre de 90 jours et d'un mois de 30 jours, le coût total du crédit, et le TEG ne (tenant) pas compte des intérêts intercalaires, de la prime de raccordement d'assurance et le cas échéant des primes d'assurance de la phase de préfinancement'.
Les emprunteurs soutiennent qu'une telle clause serait illicite et sanctionnable en tant que telle, le calcul du taux effectif global étant inévitablement erroné et l'équivalence des résultats obtenus plaidé par la banque ne signifiant pas que celle-ci n'aurait pas appliqué la clause litigieuse.
Cependant, si, dans un contrat de prêt conclu avec des emprunteurs non professionnels, les intérêts conventionnels et le taux effectif global doivent en effet être calculés sur la base de l'année civile, il demeure que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, la seule existence de cette clause ne saurait suffire à justifier, si cette sanction était applicable, l'annulation de la stipulation d'intérêts, ou en tous cas la déchéance du droit du prêteur aux intérêts, étant de principe qu'il leur appartient d'établir que l'application de la clause litigieuse a pu concrètement affecter l'exactitude du taux effectif global mentionné dans l'offre et jouer en leur défaveur.
Or, la Caisse d'épargne fait à juste titre observer que, pour le calcul du taux effectif global d'un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d'un mois de 30 jours sur une année de 360 jours, produit un résultat mathématique strictement équivalent à l'application du rapport d'un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l'annexe à l'article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause, dont aucune disposition n'exclut son application aux prêts autres que ceux dont le taux effectif global est calculé selon la méthode d'équivalence.
D'autre part, si, même en présence d'un prêt à périodicité mensuelle, la réalisation d'un tel calcul sur la base d'une année de 360 jours peut, lorsqu'il existe des intérêts intercalaires produits par les portions du crédit débloquées par tranches successives ou par le capital libéré à une date autre que la date d'échéance prévue par le tableau d'amortissement, être de nature à affecter le coût du crédit et, partant, le taux effectif global M. et Mme [O] ne prétendent pas qu'il existerait en la cause des échéances brisées autre que la première échéance, étant observé que le concours de la Caisse d'épargne avait pour objet de procéder à un regroupement impliquant a priori le déblocage des fonds en une seule tranche, ils démontrent moins encore qu'il en serait résulté un écart de taux effectif global au delà de la marge d'erreur d'une décimale prévu par l'annexe à l'article R. 313-1 du code de la consommation, ou, en tous cas, suffisamment significatif pour générer un préjudice indemnisable qui ne résulte pas d'une différence de 0,04 euros sur la première échéance du prêt Primo report Plus et de 0,08 euros sur la première échéance du prêt Primolis 2 paliers.
Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a, au seul motif de l'illicéité de la clause de calcul des intérêts sur 360 jours, prononcé la nullité de la stipulation d'intérêts, et il n'y a pas davantage matière à déchéance du droit du prêteur aux intérêts.
Les époux [O] soutiennent subsidiairement le caractère erroné des taux effectif global mentionnés dans l'offre faute d'avoir pris en compte l'ensemble des frais.
Ils rappellent à bon droit que l'assiette de calcul du taux effectif global doit inclure l'ensemble des frais conditionnant l'octroi du prêt.
Les époux [O] font grief à la Caisse d'épargne d'avoir calculé les taux effectif global des prêts sans tenir compte de l'incidence de la période de préfinancement, alors que, quand bien même la durée effective de cette période n'était pas précisément connue au moment de l'émission de l'offre, il appartenait au prêteur de déterminer le montant maximum des intérêts et des primes d'assurance obligatoire échus durant celle-ci pour intégrer ces frais, qui sont liés à l'octroi du crédit, au capital en amortissement, ce qui, faute de l'avoir fait, impliquerait nécessairement une minoration du taux effectif global et, en tous cas, du coût total du crédit.
Pour s'opposer à cette contestation, le Caisse d'épargne fait quant à elle valoir que, la durée de cette période de préfinancement au cours de laquelle l'emprunteur procède au déblocage des fonds, ainsi que le nombre et l'importance des tranches débloquées étant à la discrétion de l'emprunteur, les intérêts intercalaires et primes d'assurance générés durant cette période n'étaient pas déterminables au moment de l'octroi du crédit et, partant, ne pouvaient être pris en compte dans le calcul du taux effectif global.
Il résulte en effet de l'article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la cause, que les frais liés à l'octroi d'un prêt immobilier ne sont pas pris en compte dans le calcul du TEG lorsqu'ils ne peuvent être déterminés antérieurement à la conclusion définitive du contrat.
Il résulte des conditions particulières et générales de l'offre que la période d'amortissement des prêts en 96 et 180 mensualités étaient précédées d'une période de préfinancement de 36 mois, laissée à la discrétion des emprunteurs pour débloquer en totalité le capital. Les cotisations de l'assurance emprunteur obligatoire et les intérêts échus durant cette période n'étaient donc pas déterminables, puisque la durée de cette période dépendait du libre choix des emprunteurs.
Le prêteur ne disposait dès lors d'aucun moyen de déterminer la durée effective de la période d'anticipation pour calculer, au moment de l'émission de son offre, un taux effectif global tenant compte des intérêts et cotisations d'assurance susceptibles d'être dus durant cette période de sorte que ces frais et intérêts n'avaient pas à être intégrés dans le calcul du taux effectif global et que les emprunteurs n'établissent pas que l'existence d'erreurs dans les taux mentionnés dans l'offre.
Il n'y a donc pas lieu d'annuler la stipulation d'intérêts ou de prononcer la déchéance du droit du prêteur aux intérêts pour une inexactitude du taux effectif global non démontrée.
La Caisse d'épargne ne démontre pas que le droit des époux [O] d'agir en justice ait en l'espèce dégénéré en abus, ceux-ci ayant pu se méprendre sur la nature et la portée de leurs droits et ayant au demeurant convaincu les premiers juges de la pertinence de leurs prétentions.
Le demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la Caisse d'épargne l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme le jugement rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Nantes ;
Déboute M. [P] [O] et Mme [J] [V] épouse [O] de leurs demandes ;
Déboute la Caisse d'Epargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;
Condamne M. [P] [O] et Mme [J] [V] épouse [O] à payer à la Caisse d'Epargne et de prévoyance Bretagne-Pays de Loire une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [P] [O] et Mme [J] [V] épouse [O] aux dépens de première instance et d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT