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10/02/2023 | FRANCE | N°19/08092

France | France, Cour d'appel de Rennes, 2ème chambre, 10 février 2023, 19/08092


2ème Chambre





ARRÊT N° 88



N° RG 19/08092 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QKUM





(3)







SCA TRISKALIA



C/



GAEC DU MANOIR

SAS MIRO SERMAP



















Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours















Copie exécutoire délivrée



le :



à :

-Me David LE BLA

NC

-Me Marie-Charlotte JUILLAN

-Me Jean-Pierre MOLARD











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 FEVRIER 2023



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Mon...

2ème Chambre

ARRÊT N° 88

N° RG 19/08092 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QKUM

(3)

SCA TRISKALIA

C/

GAEC DU MANOIR

SAS MIRO SERMAP

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me David LE BLANC

-Me Marie-Charlotte JUILLAN

-Me Jean-Pierre MOLARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 FEVRIER 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Ludivine MARTIN, lors des débats, et Mme Aichat ASSOUMANI, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 08 Novembre 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Février 2023, après prorogations, par mise à disposition au greffe et signé par Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller, ayant participé au délibéré collégial, pour le Président empêché,

****

APPELANTE :

SCA TRISKALIA

[Adresse 7]

[Localité 3]

Représentée par Me David LE BLANC de la SELARL KOVALEX, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

INTIMÉES :

GAEC DU MANOIR

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Marie-Charlotte JUILLAN de la SELARL GRAIC - QUINTARD-PLAYE - JUILLAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

SAS MIRO SERMAP

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Pierre MOLARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO

2

EXPOSÉ DU LITIGE :

En 2009, l'Earl du Manoir de Roslogot, exploitant d'un élevage de vaches laitières à [Localité 5], a commandé à la société coopérative agricole Eolys Trieux, aux droits de laquelle vient la société Triskalia, la fourniture ainsi que la pose de deux robots racleurs à fumier hydrauliques de marque Sermap-Miro afin de les installer dans un bâtiment d'élevage.

Le matériel a été installé par la société coopérative agricole Eolys Trieux en juillet 2009 puis mis en service le 4 août 2009.

Le 25 août 2009, la société Eolys Trieux a édité une facture n°827510 d'un montant de 24 134,34 euros.

Le sol bétonné sur lequel repose le racleur a été réalisé par l'entreprise Le Normand qui a sous-traité son marché à l'entreprise Le Scanf.

Plusieurs dysfonctionnements sont apparus au mois d'avril 2010. La société Triskalia est donc intervenue, dans le cadre de la garantie légale, pour remplacer 6 mètres de rail et 40 taquets-butées.

Une attestation de réception d'une installation de raclage/hydrocurage a été signée par l'Earl du Manoir et Eolys le 19 juillet 2010.

De nouveaux désordres ont été constatés le 30 novembre 2010.

Une expertise amiable a été réalisée par le cabinet [Adresse 4], mandaté par l'assureur du Gaec du Manoir. Le rapport a été rendu le 15 janvier 2013.

Le Gaec du Manoir a fait constater la persistance des désordres par Maître [K], huissier de justice. Celui-ci a établi un procès-verbal le 5 décembre 2013.

Une nouvelle expertise a été réalisée par le cabinet [Adresse 4], mandaté par l'assurance protection juridique du Gaec. Le rapport a été rendu le 8 janvier 2014.

Se prévalant de la persistance de ces dysfonctionnements, le Gaec du Manoir a assigné, par acte du 15 mai 2015, les sociétés Triskalia et Miro-Sermap devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, aux fins de désignation d'un expert judiciaire.

M. [P], expert désigné par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc en date du 9 juillet 2015, a rendu son rapport le 9 décembre 2016.

Par acte du 24 octobre 2017, le Gaec du Manoir a assigné la société Triskalia devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc aux fins notamment de condamnation en paiement.

Par acte du 7 mars 2018, la société Triskalia a assigné la société Miro-Sermap en intervention forcée devant le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc aux fins de déclaration de jugement commun.

Le 23 avril 2018, ces deux procédures ont été jointes.

Par jugement du 26 novembre 2019, le tribunal a :

- déclaré les conclusions de la société Miro-Sermap irrecevables,

- déclaré le Gaec du Manoir recevable en ses demandes dirigées contre la société Triskalia,

- condamné la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 42 091,20 euros HT au titre du remplacement du racleur à fumier par un racleur à corde,

- condamné la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 38 517 euros HT au titre des préjudices subis,

- débouté la société Triskalia de sa demande en garantie formée contre la société Miro-Sermap,

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,

- condamné la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles,

- condamné la société Triskalia aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Par acte du 17 décembre 2019, la société Triskalia a relevé appel de ce jugement. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 mars 2020, elle demande à la cour de :

- déclarer la société Triskalia recevable et fondée en son appel du jugement du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc du 26 novembre 2019,

Y faisant droit,

- infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

En conséquence,

- déclarer le Gaec du Manoir irrecevable et en tous les cas mal fondé en son exploit introductif d'instance en ce que son action est prescrite et forclose,

En conséquence,

- débouter le Gaec du Manoir de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

À titre subsidiaire, si par extraordinaire le tribunal devait entrer en voie de condamnation à l'encontre de la concluante,

- ordonner la garantie de la société Miro-Sermap de l'ensemble des condamnations éventuellement prononcées contre la société Triskalia,

En conséquence,

- condamner la société Miro-Sermap à garantir intégralement la société Triskalia des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle,

En tout état de cause,

- condamner solidairement le Gaec du Manoir et la société Miro-Sermap aux dépens, en ce compris ceux exposés pour l'expertise judiciaire,

- condamner solidairement le Gaec du Manoir et la société Miro-Sermap à payer à la société Triskalia la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon ses dernières conclusions signifiées le 27 juillet 2020, la société Miro-Sermap demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc en ce qu'il a :

débouté la société Triskalia de sa demande en garantie formée contre la société Miro-Sermap ;

condamné la société Triskalia aux dépens comprenant les frais d'expertise judiciaire ;

Et statuant à nouveau,

- condamner la société Triskalia prise en la personne de son représentant légal, à payer à la société Miro-Sermap à titre d'indemnité de procédure, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros, et à supporter les dépens d'appel.

Au vu de ses dernières conclusions notifiées le 29 août 2022, le Gaec du Manoir demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc du 26 novembre 2019,

En conséquence,

- déclarer l'action du Gaec du Manoir bien-fondée en son exploit introductif d'instance et non prescrite,

- en conséquence, déclarer le Gaec du Manoir recevable en ses demandes diriges contre la société Triskalia,

- dire et juger que la société Triskalia a manqué à son obligation de résultat et de conseil et ainsi engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard du Gaec du Manoir,

- en conséquence, condamner la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 42 091,20 euros HT au titre du remplacement de l'installation existante inadéquate par un racleur à corde,

- condamner la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 38 517 euros HT au titre des préjudices subis,

- débouter la société Triskalia de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

Y additant,

- condamner la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Triskalia aux entiers dépens de première instance et d'appel (lesquels comprendront notamment les frais d'expertise pour un montant de 5 982 euros).

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 septembre 2022.

EXPOSÉ DES MOTIFS :

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription :

La société Triskalia soutient que l'action du Gaec du Manoir est fondée à tort sur la responsabilité contractuelle alors que le reproche fait aux matériaux livrés consiste, selon elle, en un défaut intrinsèque présenté par le produit, antérieur à la vente, caché et rendant impropres à leur destination les racleurs de sorte que l'action engagée par le Gaec du Manoir est en fait une action en garantie des vices cachés. Elle estime que c'est à tort que le premier juge a considéré comme inopérant le moyen tiré de la prescription de l'action en garantie des vices cachés au motif que l'action n'était pas engagée ni soutenue sur ce fondement alors qu'il lui appartenait de restituer aux faits leur exacte qualification juridique. Soulignant que les désordres allégués sont apparus dès le mois d'avril 2010, elle prétend que cette action est prescrite et ajoute qu'il en est de même pour l'action du Gaec du Manoir, fondée sur la responsabilité contractuelle, faisant remonter le point de départ du délai de prescription quinquennal à la livraison des matériaux.

La société Miro se joint à cette argumentation pour soutenir aussi l'irrecevabilité du Gaec du Manoir en ses demandes.

Toutefois, d'une part, l'expert n'a jamais conclu à l'existence d'un vice caché mais à l'inadéquation de l'installation à l'usage prévu et la société Triskalia ne produit aucun élément technique de nature à contredire cette conclusion. Ainsi, outre le fait qu'elle n'a jamais soutenu pendant les opérations d'expertise l'existence d'un vice caché, elle a été dans l'impossibilité de répondre aux demandes de l'expert quant à la production de la liste exhaustive et chronologique de toutes les interventions sur les deux robots effectuées par ses services puisque les personnes intervenues n'ont pas laissé de rapport d'intervention et sont parties à la retraite de sorte que l'expert n'a pu recueillir leur avis. Il s'ensuit que c'est à juste titre que le Gaec du Manoir fonde son action sur la responsabilité contractuelle de la société Triskalia qui a vendu le matériel de raclage Miro-Sermap et réalisé les travaux d'installation dans le bâtiment d'élevage.

D'autre part, cette action en responsabilité contractuelle n'est nullement prescrite, le délai de prescription n'ayant pu commencer à courir avant le dépôt du rapport d'expertise judiciaire le 9 décembre 2016 comme l'a relevé le premier juge. En effet, si de nouveaux désordres sont apparus le 30 novembre 2010, ce n'est qu'à partir du rapport de M. [P] que l'inadéquation de l'installation est révélée. Le rapport amiable déposé le 8 janvier 2014 qui constatait que le racleur ne reculait pas en butée, que les rails étaient vrillés et que des éléments en béton se soulevaient, n'avait envisagé le manquement de l'installateur à son obligation de conseil que comme un élément à démontrer dans le cadre d'une procédure judiciaire. Le rapport d'expertise judiciaire exclut qu'une remise en état des lieux puisse suffire à remettre l'installation en état de marche et conclut à des défauts résultant d'une inadaptation de l'installation à la configuration des lieux. Ce rapport a seul permis de déterminer la nature et les défauts de l'installation, donc au Gaec du Manoir de connaître précisément les faits lui permettant d'exercer son action en responsabilité. C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré l'action du Gaec recevable.

Sur la responsabilité contractuelle de la société Triskalia :

La société Triskalia conteste sa responsabilité contractuelle pour l'ensemble des désordres. Elle fait valoir d'une part, que l'expert n'a pas conclu à une pose inadaptée de l'installation dans son ensemble et que d'autre part, l'obligation de conseil sur la nécessité d'aménagements particuliers au sol relève en partie des sociétés intervenues pour réaliser le sol.

Il convient de rappeler que le Gaec du Manoir a acheté deux robots racleurs à fumier de marque Miro- Sermap au concessionnaire de machines agricoles Eolys, absorbé par Triskalia, pour un bâtiment d'élevage couvert et fermé à construire, devant recevoir son troupeau dans des logettes, prolongées sur le même plan par une fumière à plat arrêtée par un pignon du bâtiment. Il est constant qu'Eolys, désormais Triskalia, a fourni non seulement les robots racleurs mais réalisé les travaux d'installation du matériel de raclage, sa mise en route et le suivi après-vente. Il ne s'agit pas d'une seule vente de matériel mais d'une prestation de louage d'ouvrage. En conséquence, une prestation particulière d'installation est attendue par l'acquéreur qui recourt aux services de la société Triskalia.

L'installation a été mise en service le 4 août 2009. Des dysfonctionnements sont apparus en avril 2010 nécessitant une première intervention de la société Triskalia qui n'a pas été efficace puisque en novembre 2010, des dysfonctionnements étaient signalés à nouveau. Les dysfonctionnements du système de raclage automatique ont perduré jusqu'à l'arrêt définitif fin 2013. M. [P], l'expert judiciaire, a d'ailleurs constaté qu'un des robots racleurs était hors d'usage et était entreposé à l'extérieur du bâtiment.

Ainsi, comme relaté dans les rapports d'expertise, M. [C], gérant du Gaec du Manoir, a constaté que les racleurs ne poussaient pas ou pas suffisamment loin le fumier dans la fumière. Pour remédier à ce problème d'évacuation, il a pénétré dans le bâtiment une à deux fois par jour avec son chargeur muni d'un godet de grande capacité pour racler à même le sol et pousser le fumier vers le fond de la fumière. Pour vider la fumière, il a dû également traverser les ouvertures constituées par les portes donnant vers l'extérieur. Pour ces manoeuvres, il a roulé sur les rails métalliques de guidage permettant de faire avancer ou reculer les racleurs.

L'expert judiciaire a cependant souligné, tout au long de son expertise, qu'il ne lui avait pas été possible de recueillir des renseignements précis et fiables concernant les événements ayant eu lieu sur les deux robots racleurs et leur installation puisque ni le Gaec du Manoir ni la société Triskalia n'ont été en mesure de lui présenter un cahier des charges de l'installation ou des rapports des interventions.

A l'issue des deux réunions d'expertise, l'expert a retenu trois problèmes techniques rencontrés par le Gaec du Manoir :

- un problème du système d'inversion du sens de marche des racleurs : il a précisé que le fait que le système ait été non automatique à la mise en route a pu perturber le cycle normal de fonctionnement de l'installation et être au départ des désordres en bloquant les racleurs et que lorsque le système d'inversion automatique a été mis en place et a remplacé le système de butées, les dégâts déjà causés sur les rails et les caniveaux en béton ont fait qu'ils ne pouvaient plus assureur leurs fonctions,

- le passage répété du chargeur et du godet en soulignant que cela avait pu endommager considérablement les rails métalliques et les caniveaux en béton. Il a ajouté que les désordres étaient principalement localisés dans une zone à l'entrée de la fumière dans le passage délimité par les deux portes latérales du bâtiment.

- sur les plateformes supportant les vérins hydrauliques expliquant que les dommages pouvaient être causés par des calages de niveaux imparfaits par rapport aux rails métalliques, réparés sans soins particulier ni entretiens réguliers.

En conclusion, l'expert a indiqué que les principaux désordres apparus concernent l'installation et non les robots racleurs. Il a noté que les problèmes apparus avec les systèmes de butées et d'inverseurs automatiques des éléments mobiles des bras de raclage n'ont pas pu être expliqués précisément puisque la société Triskalia a été dans l'incapacité de fournir des rapports écrits de ses interventions. M. [P] a néanmoins noté, que si le limiteur de pression général du circuit hydraulique taré au maximum à 60 bars et plombé était prévu pour protéger le circuit hydraulique et le bon état des rails sollicités, il était indiqué sur la notice d'instruction de l'installation que 'toute accumulation excessive de fumier en extrémité du ou des racleurs et de la reprise provoquera des casses ou des ennuis de fonctionnement'. Or, M. [C] a constaté des accumulations de fumier et est intervenu avec son chargeur pour évacuer le fumier vers la fumière. Il est en outre, également intervenu avec le chargeur dans le bâtiment pour évacuer le fumier de la fumière vers l'extérieur, s'agissant d'une fumière à fond plat située en prolongement des logettes à l'intérieur du bâtiment. En passant sur les rails, il les a endommagés et détruits. L'expert a estimé qu'il en avait été de même pour les caniveaux de béton.

M. [P] a donc conclu à 'une inadéquation de l'installation située à partir de la fin des logettes des bovins en direction de la fumière, soit la conception de l'installation, la mise en oeuvre des plateformes des vérins hydrauliques et l'utilisation dans ces conditions'.

Il n'est pas contesté par la société Triskalia qu'elle avait une bonne connaissance du bâtiment, notamment de l'usage fait des ouvertures, des circuits empruntés par les rails métalliques dans les caniveaux en béton, traversés par la voie de passages possibles, ne serait-ce que pour vider la fumière vers l'extérieur, et ce tant au moment de la vente que pendant la préparation des caniveaux de béton de fabrication Miro Sermap, qu'elle a fournis, et la pose des rails. Il sera souligné que pendant les opérations d'expertise, la société Triskalia a été dans l'impossibilité de fournir à l'expert le cahier des charges relatif au projet de l'installation de raclage du Gaec du Manoir et à ses exigences, notamment le plan d'implantation au sol de tous les postes de l'installation comprenant les différents éléments de l'installation de raclage et qu'aucun des employés de la société Eolys devenue Triskalia, ayant effectué la mise en place de l'installation de raclage n'a pu être entendu par l'expert du fait de leur départ en retraite.

L'expert a clairement démontré que les travaux effectués par l'entreprise Le Scanf sur les instructions de l'entreprise Le Normand pour la réalisation du sol en béton sur toute la surface du bâtiment n'ont pas posé problème ; Il sera souligné que les mesures laser réalisées pendant l'expertise amiable ont mis la dalle hors de cause. C'est donc à tort que la société Triskalia soutient que l'obligation de conseil sur la nécessité d'aménagements particuliers au sol relève en partie des sociétés intervenues pour réaliser le sol alors que celles-ci n'étaient chargées que de la réalisation de la dalle et non de la mise en place des rails et des caniveaux en béton.

Il résulte des constatations de M. [P] que l'installation de racleurs hydrauliques sur des rails métalliques allant jusqu'à la fumière à fond plat située dans le prolongement des logettes, telle qu'elle a été conçue et posée par la société Triskalia, n'était pas adaptée à la configuration des lieux. La société Miro-Sermap qui n'a pas été consultée sur le choix de l'installation de raclage, a indiqué à l'expert qu'elle partageait ses analyses sur les erreurs commises dans la conception de l'installation et qu'informée au moment de la construction du bâtiment, elle aurait préconisé la mise en place d'une fosse à fumier ou d'un couloir de reprise tel que figurant page 17 de la notice d'instruction.

En outre, la société Triskalia n'a produit, au cours de l'expertise, aucun document permettant de déterminer les éléments et critères pris en compte pour le choix de racleurs hydrauliques et la pose de l'installation ni aucune pièce de nature à éclairer l'expert sur les différentes interventions effectuées à l'occasion des dysfonctionnements. Elle n'en produit pas davantage devant la cour. En conséquence, elle ne démontre pas avoir rempli ses obligations de conseil à l'égard du Gaec du Manoir ni lui avoir fourni une installation conforme à ses demandes, adaptée à la configuration des lieux.

C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que la société Triskalia avait engagé sa responsabilité contractuelle pour avoir réalisé une installation imparfaite des vérins hydrauliques, manqué à son devoir de conseil en n'alertant pas les époux [C], gérants du Gaec des conséquences de l'installation d'un racleur hydraulique dans un système de fumière à plat, sans fosse à fumier ou chute dans un couloir de reprise de fumier, ni en les alertant des conséquences des passages du chargeur sur les rails métalliques, les caniveaux en béton et des bordures en ciment des caniveaux et enfin manqué à son obligation de résultat de délivrer une installation conforme à l'usage attendu.

Sur la réparation des préjudices :

Contrairement à ce que soutient la société Triskalia, le lien de causalité entre ses manquements et les préjudices subis par le Gaec tant sur le plan matériel qu'économique ne fait pas discussion.

Les éléments recueillis par les experts amiables comme par l'expert judiciaire ainsi que les photographies figurant dans le rapport d'expertise de M. [P] en attestent.

C'est en vain qu'en appel, la société Triskalia soutient que le Gaec du Manoir en roulant sur les rails a contribué à son propre dommage et doit donc supporter une partie des préjudices.

En effet, il convient de souligner que la société Triskalia qui connaissait la configuration des lieux aurait dû se rendre compte que pour vider la fumière vers l'extérieur, M. [C] allait devoir inévitablement rouler sur les rails avec son chargeur. Elle se devait donc de choisir soit de conseiller son client de déplacer la fumière , soit de la doter d'un système de chute ou de fosse, soit de protéger les rails. De surcroît, il sera souligné que le dysfonctionnement des robots racleurs a obligé le gérant du Gaec du Manoir à racler et évacuer le fumier avec le chargeur jusqu'à la fumière, endommageant les rails et les caniveaux en béton un peu plus. Il s'en déduit que le passage du chargeur était inévitable en raison de la configuration des lieux et de l'existence d'une fumière à fond plat dans le même bâtiment que les logettes et qu'il a été rendu plus fréquent par les pannes affectant les robots. Il y a eu déformation et rupture des rails ainsi qu'effritement des caniveaux en béton dans leur partie supérieure.

La société Triskalia ne peut donc soutenir que le Gaec du Manoir par ses passages du chargeur a contribué à son propre dommage alors que d'une part, la fréquence de ces passages est due en partie à la défaillance de l'installation et que d'autre part, elle aurait dû anticiper, en sa qualité de vendeur professionnel, les inconvenients de ce passage inévitable pour vider la fumière . Il lui appartenait en tant que professionnel de la vente et de l'installation de ce matériel agricole de proposer la meilleure solution à son client en fonction de la configuration des lieux. En s'abstenant de le faire et d'alerter le Gaec sur les conséquences du roulement du chargeur sur les rails, elle est la seule responsable des dommages survenus.

M. [P] a clairement indiqué dans son rapport que la remise en état ne suffira pas à remettre l'installation en ordre de marche durable et qu'une solution de modification ou de transformation s'imposait afin de protéger complètement les rails de guidage.

Quatre solutions ont été proposées aux parties qui ne sont pas parvenues à se mettre d'accord lors des opérations d'expertise. L'expert a précisé toutefois que la solution retenue devrait être celle qui n'oblige pas à rouler et à racler le fumier sur les rails au risque de les abîmer et de provoquer des pannes.

Le tribunal a retenu la solution n° 4 avec l'installation d'un racleur à corde par un concurrent de Miro Sermap pour une somme totale de 42 091,20 euros HT, en précisant que c'était le choix considéré comme le plus satisfaisant par le Gaec du Manoir et également une solution proposée par la société Triskalia à l'expert.

Le Gaec du Manoir conclut à la confirmation de cette solution en appel. La société Triskalia souligne que le premier juge a choisi la solution la plus onéreuse sans qu'il ne soit démontré qu'elle est la plus appropriée. Elle préconise en appel la solution la moins onéreuse au motif qu'elle comprend un racleur hydraulique qu'il lui avait été reproché de ne pas avoir préconisé.

Toutefois, il résulte des pièces produites par les parties que la société Triskalia a elle même indiqué à l'expert dans un courrier en date du 7 octobre 2016 que la solution du racleur à chaîne n'était pas adaptée à la quantité de paille utilisée par le Gaec du Manoir et au nombre élevé de raclages demandés par jour et qu'elle a orienté son choix vers la solution chiffrée par la société CRD, concurrent de Miro-Sermap, de deux racleurs à corde.

La solution n° 4 de l'installation d'un racleur à corde avec les travaux de maçonnerie de reprise pour la somme totale de 42 091,20 euros HT doit donc être confirmée.

Il en sera de même pour le préjudice économique à hauteur de la somme totale de 38 517 euros HT, justifié par l'étude comptable produite par le Gaec du Manoir, étant observé que la société Triskalia ne conteste pas ce montant.

Sur la garantie de la société Miro-Sermap :

Compte tenu des conclusions de l'expert et de l'absence de tout document technique de nature à les contredire, la garantie de la société Miro-Sermap ne peut être recherchée à raison d'un désordre de conception de l'équipement incombant au fabricant. L'expert a en effet écarté tout désordre provenant des robots racleurs ou des rails et caniveaux de béton fournis par le fabricant.

Par ailleurs, comme le souligne la société Miro-Sermap , il est constant qu'elle n'est pas intervenue dans le choix de l'installation de raclage ni de son adaptation à la disposition du bâtiment d'élevage.

De même, la société Triskalia ne peut solliciter la garantie de la société Miro-Sermap au motif que celle-ci ne démontre pas avoir correctement formé ses concessionnaires à l'installation du matériel agricole fourni sauf à soutenir que son personnel n'était pas suffisamment formé pour installer le matériel acheté par le Gaec du Manoir et sans démontrer qu'elle a sollicité des formations particulières pour le matériel installé sans en bénéficier. Il sera rappelé en outre que l'expert a relevé une inadéquation du matériel à la configuration des lieux sans mettre en cause le montage et la mise en place de l'installation de raclage en elle même.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires :

Le présent arrêt confirmant le jugement dans ses dispositions principales, les dépens et frais irrépétibles seront également confirmés.

La société Triskalia qui succombe en son appel supportera la charge des dépens d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge du Gaec du Manoir et de la société Miro-Sermap la charge des frais non compris dans les dépens qu'elles ont dû exposer à l'occasion de l'appel. En conséquence, la société Triskalia sera condamnée à leur payer à chacune la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc ,

Condamne la société Triskalia à payer au Gaec du Manoir la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Triskalia à payer à la société Miro-Sermap la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Triskalia aux entiers dépens d'appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19/08092
Date de la décision : 10/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-10;19.08092 ?
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