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09/03/2023 | FRANCE | N°19/08388

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 09 mars 2023, 19/08388


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°91/2023



N° RG 19/08388 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QLTT













Mme [N] [B]



C/



ALLIANZ VIE SA



















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 MARS 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :




Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère, faisant fonction de Président

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et l...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°91/2023

N° RG 19/08388 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QLTT

Mme [N] [B]

C/

ALLIANZ VIE SA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 09 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère, faisant fonction de Président

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 Décembre 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS et Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrats, tenant seuls l'audience, en la formation double rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame DUBUIS, médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 09 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 02 Mars 2023

****

APPELANTE :

Madame [N] [B]

née le 24 Avril 1973 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Karim CHEBBANI de la SELARL CABINET CHEBBANI, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE substitué par Me TARBOURIECH, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE :

ALLIANZ VIE SA

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Véronique CHILD de la SELAS DELOITTE SOCIETE D'AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

substituée par Me HENDERONS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA Allianz Vie exerce une activité de vente et de services de responsabilité de vie, santé, retraite, prévoyance et de banque auprès de particuliers et de professionnels.

Mme [N] [B] a été engagée le 2 octobre 2006 par la société AGF Vie aux droits de laquelle vient désormais la SA Allianz Vie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de Conseiller AGF Finance Conseil.

Par avenant à effet au 1er janvier 2011, Mme [B] a été promue au titre d'Inspecteur Patrimonial dont le statut était régi exclusivement par la convention collective de l'Inspection d'assurance du 27 juillet 1992. Il était précisé que 'comme défini par accord d'entreprise, la salariée bénéficiait d'un système de commissionnement de sa production adapté à ses performances.'

A la suite de la signature d'un protocole d'accord du 27 septembre 2011 conclu entre la société et les organisations syndicales et constituant le nouveau statut des Conseillers Allianz Finance Conseil, la rémunération de Mme [B] était régie par le nouveau protocole à effet au 1er janvier 2012.

A l'issue des élections du 26 janvier 2015, Mme [B] a été élue membre titulaire Déléguée du personnel CFTC pendant un mandat de quatre années.

Elle a exercé les fonctions déléguée syndicale CFTC à partir du mois juillet 2017.

Un nouvel accord d'entreprise a été signé le 16 octobre 2017, avec une entrée en vigueur pour le 1er janvier 2018, et définit de nouveaux critères et modalités de rémunération applicables à l'ensemble des conseillers de la société.

Dans le cadre de ce nouvel accord d'entreprise se substituant au précédent du 27 septembre 2011, la société Allianz Vie a proposé le 6 novembre 2017 à Mme [B] un avenant contractuel substituant à sa fonction de Conseiller en Gestion de Patrimoine celle de Conseiller en Gestion de Patrimoine Expert.

Mme [B] a refusé de le signer dans le délai imparti de 3 semaines.

Par courrier en date du 18 décembre 2017, reçu le 22 décembre 2017, l'employeur a informé Mme [B] de sa décision unilatérale définissant les dispositions qui lui seront applicables à compter du 1er janvier 2018 en lui transmettant en annexe les ' Dispositions applicables à compter du 1er janvier 2018 aux salariés n'ayant pas adhéré à l'accord d'entreprise du 16 octobre

2007 ...'

' Le protocole d'accord du 27 septembre 2011 définissant la rémunération des conseillers Allianz Finance Conseil a été dénoncé le 23 novembre 2016 et continue de produire ses effets jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord qui lui est substitué.

Cet accord de substitution a été conclu avec les trois organisations syndicales représentatives le 16 octobre 2017 et prendra effet au 1er janvier 2018.

A compter de cette date et par la présente décision unilatérale de l'entreprise, les salariés n'ayant pas adhéré au nouveau dispositif de rémunération continueront de se voir appliquer à titre individuel les dispositions issues du protocole du 27 septembre 2011 et ses avenants à l'exception de celles incompatibles avec la Directive Européenne relative à la Distribution d'Assurance ( DDA). Par souci de simplification, la présente décision unilatérale est présentée sous forme d'une reprise amendée des termes de l'accord.

(...) Les dispositions relatives à l'annexe II-6- Grilles de Chiffre d'Affaires Commissionnable sont modifiées pour l'Epargne/Retraite individuelle taux Qi 0,75 , Ki 2,40 , transferts Qi 0,10 et Prévoyance Ki 11.(...).

Dans un courrier du 13 février 2018, Mme [B], par l'intermédiaire de son conseil a rappelé ne pas avoir signé la nouvelle grille de rémunération soumise à sa signature, s'agissant d'une modification de son contrat de travail pour laquelle l'employeur ne lui avait transmis aucune simulation pour vérifier les conditions de rémunération, a exprimé 'le souhait d'un départ négocié ayant le sentiment que dans cette nouvelle réorganisation à laquelle elle n'adhère pas, sa place était compromise.'

Le 14 février 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail pour cause de maladie en raison d' 'un burn out' . Cet arrêt initial a été renouvelé régulièrement jusqu'au 15 septembre 2018 pour ' souffrance au travail-anxiété majeure, réaction à un facteur de stress sévère, troubles du sommeil, pensées intrusives.'

Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper par requête du 3 août 2018 d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Allianz Vie.

Son arrêt de travail a été prolongé de manière continue jusqu'au 2 mai 2021.

La salariée est classée en invalidité seconde catégorie depuis le 14 février 2021.

À l'issue des visites de reprise des 13 et 16 juillet 2021, le médecin du travail a déclaré Mme [B] inapte à son poste de travail en précisant que tout maintien de la salariée dans son emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Par courriel du 15 septembre 2021, Mme [B] a demandé à son employeur de régulariser le paiement de l'allocation mensuelle d'inaptitude dès l'émission de l'avis d'inaptitude et tant que dure la procédure de reclassement, en vertu de l'accord d'entreprise.

Le 31 janvier 2022, la société Allianz Vie a sollicité le médecin du travail afin de lui confirmer que son avis d'inaptitude du 16 juillet 2011 exclut toute possibilité de reclassement de Mme [B].

En réponse, le 21 février 2022, le médecin du travail lui a indiqué que la société était dispensée de reclassement et a attiré son attention sur le fait que l'avis d'inaptitude avait été rendu depuis plus de 7 mois.

Le 30 mars suivant, la société Allianz Vie a convoqué Mme [B] à un entretien préalable au licenciement fixé au 14 avril, après avoir recueilli l'avis favorable des représentants du CSE.

Le 26 avril 2022, Mme [B] s'est vue notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Aux termes de ses dernières conclusions devant le conseil de prud'hommes de Quimper, Mme [B] a présenté les demandes tendant à voir :

- Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et dire qu'elle s'analyse en un licenciement nul ;

- Condamner la société Allianz vie à lui verser les sommes suivantes :

- 14 113,96 euros d'indemnité de licenciement ;

- 11 725,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 172,55 euros à titre de congés payés sur préavis ;

- 15 526,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés-CET-RTT ;

- 42 993,30 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;

- 46 901,78 euros à titre de dommages et intérêts pour méconnaissance du statut protecteur ;

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination en raison des mandats représentatifs;

- 23 324,94 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la santé au travail ;

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA Allianz vie a conclu au rejet des demandes de Mme [B] et la condamnation de la salariée au paiement d'une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle a conclu à la limitation des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 11 724 euros et à titre infiniment subsidiaire à la limitation des dommages et intérêts pour licenciement nul à 23 450 euros.

Par jugement en date du 28 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Quimper a :

- Dit que la SA Allianz vie n'a pas manqué à ses obligations ;

- Dit que la demande de résiliation judiciaire par Mme [B], aux torts exclusifs de son employeur - la SA Allianz vie - est injustifiée ;

- Dit que Mme [B] n'a pas été victime de discrimination en raison de ses mandats représentatifs ;

- Dit et jugé que Mme [B] ne démontre aucun lien de causalité entre ses conditions de travail et son état de santé ;

- Débouté Mme [B] l'intégralité de ses demandes ;

- Débouté la SA Allianz vie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Mme [B] aux éventuels dépens de l'instance

Mme [B] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe du 31 décembre 2019.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 17 octobre 2022, Mme [B] demande à la cour de :

- Réformer le jugement;

Et, statuant à nouveau,

A titre principal :

- Juger qu'elle a été victime de discrimination en raison de ses mandats représentatifs, de harcèlement moral commis par la société Allianz vie , que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail et à son obligation de sécurité ;

- Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et dire qu'elle s'analyse en un licenciement nul ou, à défaut, sans cause réelle et sérieuse;

A titre subsidiaire :

- Juger que le licenciement pour inaptitude est nul ou, à défaut, sans cause réelle et sérieuse ;

- en tout état de cause,

- Condamner la société Allianz vie à lui verser les sommes suivantes :

- 80 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à défaut, 50 810 euros, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 46 901,78 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur ;

- 14 982,50 euros d'indemnité de licenciement ;

- 11 725,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 172,55 euros à titre de congés payés sur préavis ;

- 15 526,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés-CET-RTT ;

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral en raison des manquements commis par l'employeur durant l'exécution du contrat de travail ;

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Juger que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;

- Juger que les sommes à caractère non salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

Y ajoutant,

- Condamner la société Allianz vie à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant de la procédure de première instance, et la somme de 5 000 euros s'agissant de la procédure d'appel ;

- Condamner la société Allianz vie à remettre à Madame [B] un bulletin de salaire, un solde de tout compte conforme et une attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;

- Juger que la cour se réserve la possibilité de liquider cette astreinte ;

- Condamner la société Allianz vie aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels comprendront les frais d'exécution forcée de la décision à intervenir.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 28 novembre 2022, la SA Allianz vie demande à la cour de :

- A titre principal, constater la péremption de la présente instance

- A titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [B] de l'intégralité de ses demandes

- A titre infiniment subsidiaire, limiter sa condamnation à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 11 724 euros ;

- A titre très infiniment subsidiaire, limiter la condamnation à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul à la somme de 23 450 euros ;

- En toutes hypothèses, débouter Mme [B] de ses demandes de dommages et intérêts au titre de l'exécution de son contrat de travail,d'indemnité au titre de son statut de salariée protégée, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- A titre d'appel incident , condamner Mme [B] au paiement de 1 500euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 12 décembre 2022 avec fixation de l'affaire à l'audience du 12 décembre 2022.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la péremption

La société Allianz Vie soulève la péremption de l'instance au motif qu'aucune diligence n'a été accomplie pendant deux ans entre la communication des conclusions de l'intimée le 14 novembre 2020 et les conclusions de l'appelante du 17 novembre 2022.

Mme [B] n'a pas conclu sur ce point.

En application de l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans. Pour être interruptif de péremption, un acte doit faire partie de l'instance et la continue. Tel est le cas de l'avis du conseiller de la mise en état de fixation de l'affaire à une audience de la cour.

L'avis de fixation de l'affaire étant intervenu le 15 décembre 2021 et ayant interrompu le délai de péremption écoulé depuis les conclusions de l'intimée du 14 novembre 2020, il convient de constater que la péremption n'était pas acquise lors de la communication des conclusions de l'appelante du 17 novembre 2022. La fin de non-recevoir soulevée par la société Allianz Vie sera donc rejetée.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et que le licenciement intervient ultérieurement en cours de procédure, le juge doit rechercher au préalable si la demande de résiliation était justifiée en raison de manquements suffisamment graves de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

La salariée, licencié le 26 avril 2022 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, invoque à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire présentée le 3 août 2018, les manquements suivants de l'employeur :

- une modification unilatérale des termes de son contrat de travail,

- une dégradation objective de ses conditions de travail portant atteinte à son état de santé et qualifiable de harcèlement moral,

- un manquement à son obligation de sécurité,

- une exécution déloyale du contrat de travail,

- une discrimination syndicale.

Sur la modification unilatérale des termes de son contrat de travail

Mme [B] soutient que:

- alors que sa rémunération était constituée d'un salaire fixe et de commissions calculées sur la base du protocole du 27 septembre 2011, et malgré son refus de signer un avenant lié au nouveau protocole du 16 octobre 2017, l'employeur a pris la décision unilatérale le 18 décembre 2017 de modifier son contrat de travail en lui imposant de nouvelles modalités de rémunération variable à effet au 1er janvier 2018,

- il s'agit objectivement d'une modification de son contrat de travail de surcroît au préjudice d'un salarié protégé,

- l'employeur n'a pas répondu aux sollicitations de la salariée sur le nouveau mode de calcul de la rémunération lié à l'application du protocole d'accord du 16 octobre 2017 et ce n'est qu'à partir de janvier 2018, qu'il a mis à la disposition des seuls salariés signataires de l'avenant un simulateur leur permettant de se projeter sur leur future rémunération variable,

- les nouvelles dispositions de la décision unilatérale et individuelle du 18 décembre 2017 aboutissent à une baisse de rémunération, du fait de la suppression et la limitation de certains critères de rémunération, par rapport aux dispositions du précédent protocole du 27 septembre 2011,

- l'employeur qui explique la modification unilatérale du contrat de travail par les nécessités d'une harmonisation avec la Directive européenne du 20 janvier 2016 n'en justifie pas, s'agissant de la directive européenne n'avait pas vocation à s'appliquer en France avant le 1er octobre 2018.

La société Allianz Vie fait valoir que :

- la rémunération de la salariée fixée par voie d'accord collectif peut être modifiée par accord collectif à tout moment,

- les normes européennes s'imposant en droit français, l'employeur devait mettre en conformité les modalités de fixation de rémunération de ses commerciaux avec les dispositions de la Directive européenne du 20 janvier 2016, ce qui a été fait avec un protocole d'accord signé le 16 octobre 2017 par l'ensemble des organisations syndicales représentatives. La quasi-totalité des salariés a donné son adhésion à l'évolution de leur rémunération variable à l'exception de quelques uns plus rares comme Mme [B] certains qui ont saisi la juridiction prud'homale.

- la directive européenne ayant été transposée en droit interne par ordonnance du 16 mai 2018, l'employeur ne pouvait plus appliquer dès le 1er octobre 2018 les dispositions de l'accord collectif du 27 septembre 2011 lequel prévoyait une rémunération variable en fonction de la nature des produits vendus de sorte qu'il n'a commis aucun manquement justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [B], ledit manquement devant être apprécié au jour où les juges statuent.

- il est faux de prétendre que le nouveau dispositif de rémunération variable résultant de l'accord collectif du 16 octobre 2016 est moins favorable compte tenu de la conclusion de l'accord avec l'ensemble des syndicats

- la modification de la rémunération de Mme [B] n'étant pas contractualisée et renvoyant aux dispositions d'un accord collectif pouvait être effectuée par la voie d'un nouvel accord collectif sans que l'accord de la salariée soit nécessaire et ce, conformément à une jurisprudence de la cour de cassation.

Le principe est que sauf disposition légale contraire, un accord collectif ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l'accord express du salarié.

La rémunération contractuelle d'un salarié qui constitue un élément du contrat de travail, ne peut être modifiée unilatéralement par l'employeur.

Mais lorsque la structure salariale a une origine conventionnelle et non contractuelle, celle-ci peut être modifiée par voie conventionnelle sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord du salarié si elle n'entraîne pas de baisse de la rémunération. Dans cette hypothèse, la modification ne constitue pas une modification du contrat de travail.

L'article 5 du contrat de travail de Mme [B] du 2 octobre 2006 prévoit que 'les conditions de rémunération sont régies par les accords d'entreprise en vigueur dans l'entreprise et peuvent être modifiées à tout moment, notamment par accord d'entreprise'; qu'il s'agissait à l'époque du protocole d'accord d'entreprise du 3 juin 2005 .

Le 12 janvier 2012, Mme [B] à laquelle il a été proposé d'accéder au niveau de Conseiller en Gestion du Patrimoine dans le cadre du nouveau statut des Conseillers Allianz Finance Conseil régi par l'accord du 27 septembre 2011 à effet du 1er janvier 2012, a opté de manière irrévocable pour ce poste et pour ce nouveau dispositif relatif à la rémunération, les frais et les dispositions spécifiques des salariés de la filière vente(pièce 8 et pièce adverse 2). La salariée était informée au préalable dans la proposition de l'employeur que sans réponse de sa part, ' sa rémunération restera régie par le protocole d'accord de 2005 ou 2011" qui était actuellement le sien.

Il est établi que :

- M.[R], supérieur hiérarchique de la salariée, lui a soumis le 6 novembre 2017 l'avenant aux termes duquel elle acceptait les modalités de calcul de rémunération résultant de l'application du nouveau protocole d'accord du 16 octobre 2017, se substituant à celles du protocole du 27 septembre 2011( pièce 17)

- la salariée exprimait dans son courriel transmis à Mme [X] Responsable des ressources humaines le 19 novembre 2017 de nombreuses inquiétudes et interrogations au motif que cet avenant constituait une modification de son contrat de travail, qu'elle ne disposait pas des éléments pour se positionner en l'absence de simulation de sa future rémunération. Elle a reçu le lendemain une réponse de la directrice lui fournissant des informations d'ordre général.

- elle a été relancée par courriel du 27 novembre 2017 par la directrice des ressources humaines constatant qu'elle n'avait pas retourné ' l'avenant à son contrat de travail' ( pièce 16) et il lui était proposé de la recevoir le 1er décembre 2017 avec le Délégué Régional.

- elle a reçu un courrier daté du 18 décembre 2017 l'informant que faute d'avoir adhéré à l'accord relatif à la rémunération des conseillers Allianz Expertise et Conseil prenant effet au 1er janvier 2018, l'employeur a pris la décision unilatérale définissant les dispositions qui lui seront applicables à compter du 01/01/2018, avec en annexe les nouvelles modalités de calcul de sa rémunération variable.

- son courriel du 17 novembre 2017 à l'inspection du travail afin de savoir si l'accord d'entreprise avait bien été enregistré auprès des services de la Direccte 92, et en l'alertant sur l'absence de communication par l'employeur d'un simulateur sur l'impact de la nouvelle grille sur la rémunération variable et en l'interrogeant sur le devenir des salariés refusant de signer l'avenant entraînant une minoration de l'ordre de 30 % de leur rémunération.( Pièce 50)

- la réponse de l'inspection du travail du 30 janvier 2018 précisant que l'accord d'entreprise a été déposé le 15 janvier 2018 auprès des services de la Direccte et qu'il lui appartenait de saisir la juridiction prud'homale si elle jugeait l'accord salarial trop défavorable par rapport à l'ancienne grille.

- son courriel du 25 janvier 2018 pour informer l'inspection du travail des difficultés rencontrées tant par elle que par la cinquantaine de conseillers ayant refusé de signer l'avenant et qui se sont vus appliquer de manière unilatérale une grille de rémunération ' dégradée' avec une baisse de rémunération de l'ordre de 35 % ( pièce 50) .

Le contrat de travail en son article 5 indiquant que les conditions de rémunération peuvent être modifiées à tout moment par accord d'entreprise, permet d'en déduire que les éléments de rémunération de la salariée ont une origine conventionnelle et non contractualisée dès lors qu'ils sont fixés conformément aux dispositions de l'accord collectif applicable à tous les salariés de l'entreprise.

Toutefois, il ressort des pièces produites :

- la société Allianz, en informant et en demandant expressément à chacun des salariés entrant dans le champ d'application du nouvel accord de 2017 d'y adhérer par écrit, a entendu maintenir l'usage en vigueur, et non dénoncé, au sein de l'entreprise aux termes duquel les salariés ne se positionnant pas en faveur du nouvel accord continuent de bénéficier des dispositions du précédent accord, comme le confirment les termes de la décision unilatérale du 18 décembre 2017 ainsi que ceux du préambule du protocole du 27 septembre 2011 (page 2 ' les salariés qui ne se positionneront pas dans le nouveau statut resteront soumis soit aux dispositions du protocole du 31 juillet 2000, à celles du protocole du 3 juin 2005 et à ses avenants pour les salariés qui appartiennent à ce statut et qui constituent à partir du 1er janvier 2012 un second groupe fermé.'

- l'employeur renonçant à appliquer à Mme [B] les dispositions découlant du nouvel accord de 2017, a créé de manière unilatérale un dispositif spécifique au profit des salariés ayant refusé d'adhérer au nouveau dispositif lesquels ont continué à se voir appliquer, à compter du 1er janvier 2018, 'à titre individuel les dispositions issues du protocole du 27 septembre 2011 et ses avenants à l'exception de celles incompatibles avec la Directive Européenne relative à la Distribution d'Assurance'.

Il s'ensuit que la société Allianz Vie en fixant de manière unilatérale à compter du 1er janvier 2018 des nouvelles modalités de rémunération combinant des dispositions du protocole du 27 septembre 2011 pourtant dénoncé, expurgées de celles jugées incompatibles avec la future réglementation issue de la Directive Européenne du 20 janvier 2016, lesquelles n'ont au demeurant été mises en application en droit interne qu'à partir du 1er octobre 2018, n'a pas respecté les dispositions découlant du contrat de travail de Mme

[B]. Celle-ci démontre au surplus au travers d'une simulation à partir du chiffre des affaires commissionnées ( CAC) des trois années précédentes que les nouvelles modalités de calcul lui étaient particulièrement défavorables par rapport à la précédente grille de sa rémunération variable, avec des coefficients limités et un maintien du seuil de déclenchement. ( pièces 33 à 36).

Il s'en déduit que l'employeur a méconnu gravement les dispositions contractuelles en modifiant de manière unilatérale les modalités de calcul de la rémunération variable.

S'agissant des autres griefs, Mme [B] ne peut pas se prévaloir des manquements de l'employeur postérieurs à la saisine de la juridiction prud'homale du 3 août 2018 à l'appui de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

Sur la discrimination

Mme [B] considère qu'elle a subi une discrimination du fait de l'exercice de son activité syndicale et de ses mandats représentatifs en ne mettant pas en oeuvre les garanties prévues par l'accord collectif du 3 mai 2000 sur le droit syndical sur le plan de l'information sur les heures de délégation, sur la rémunération de ses formations syndicales, l'employeur n'organisant pas les entretiens individuels de prise de mandat et annuels, en n'appliquant pas les règles spécifiques de l'indemnisation des vendeurs et de la fixation des objectifs commerciaux.Elle ajoute qu'elle s'est vue supprimer tout matériel informatique par courrier du 22 octobre 2018 l'empêchant d'utiliser la messagerie professionnelle pour les besoins de son mandat.

L'employeur a contesté toute mesure discriminatoire à l'égard de Mme [B] qui ne produit selon lui aucun élément concret à l'appui de ses allégations. Il affirme avoir respecté les règles d'information et de rémunération garantie à la salariée dans le cadre de l'accord sur le droit syndical du 3 mai 2000. Il soutient enfin que la salariée a bénéficié d'une majoration forfaitaire de sa rémunération variable et d'une minoration de ses objectifs commerciaux. Enfin, la salariée s'est vue retirer son matériel informatique après 8 mois d'arrêt de travail continu en vertu des règles internes, la loi ne prévoyant la mise à disposition que d'un local et non pas du matériel informatique au profit des délégués du personnel (l 2315-6 du code du travail).

Mme [B] titulaire d'un mandat électif de Déléguée du personnel titulaire sur la région [Localité 4] depuis le 26 janvier 2015 pendant un mandat de quatre années et exerçant les fonctions de déléguée syndicale CFTC depuis le 10 juillet 2017, fonctions dont elle a été déchargée en mars 2018, verse aux débats :

- l'avenant n° 3 du 5 juillet 2012 de l'accord d'entreprise sur le droit syndical du 3 mai 2000 (pièce 86) prévoyant un certain nombre de garanties, et notamment :

- l'envoi par le Directeur des ressources humaines un message informant individuellement chaque représentant élu ou désigné de ses mandats et de ses crédits d'heures de délégation (article 3 D)

- l'entretien de prise de mandat au début du nouveau mandat avec son responsable hiérarchique pour identifier les aménagements de son activité professionnelle rendus nécessaires par l'exercice de son ou ses mandats,

- l'entretien annuel entre tout salarié investi d'un mandat désignatif ou électif et son responsable hiérarchique, en étroite collaboration avec le directeur ressources humaines local (article 26) afin de faire le point sur les réalisations professionnelles de l'année écoulée ( atteinte des objectifs, compétences, formations accomplies..), et d'établir un bilan de l'année écoulée sur l'équilibre trouvé entre l'activité professionnelle du salarié et sa mission représentative.

- la mise à disposition d'un accès internet au profit de l'ensemble des représentants du personnel et de la messagerie électronique Allianz pour les communications des CE relatives aux oeuvres sociales

( article 18)

- les règles spécifiques de rémunération des élus commerciaux, selon les articles 33 et 34 en rapport avec les temps passés en réunion convoquée par l'employeur, les crédits d'heures attachés aux mandats représentatifs,

- son entretien professionnel du 27 février 2017 au titre de l'année 2016 à l'issue duquel elle a sollicité un entretien avec le responsable ressources humaines pour le suivi de la charge de travail ( pièce 54), et dans lequel il est fait mention de son évolution en tant qu'élue DP ( formations à venir 3 en 2017) et remplacement RS de façon régulière à la réunion CE distribution. Les objectifs lui sont fixés pour 2017 'évolution du CAC ' l'année 2017 va être une année où [N] va dépasser les 1.5 ME de CAC'alors qu'elle a atteint 1.2 M euros en CAC en 2016 Mme [B] étant dans le top 10 de la délégation régionale.

- un échange de courriels du 16 juin et du 18 juillet 2017 de la salariée demandant des explications sur le mode de calcul des indemnités forfaitaires quadrimestrielles pour la période de janvier 2016 à mai 2017 et les réponses très sommaires apportées par service du personnel appliquant un taux de réunion variable allant de 14.50 % à 16.75 %

- le courriel du 25 janvier 2018 de Mme [B] au service Ressources Humaines ( pièce 88) rappelant 'ne pas avoir eu de rendez-vous malgré plusieurs sollicitations et son EAD de 2017 pour comprendre les indemnités versées par rapport au temps de travail non effectué en temps commercial, , je souhaiterai avoir plus d'information concernant le taux de réunion. Comment est-il déterminé ' les heures consacrées pour les permanences syndicales sont elles incluses ' Le temps de déplacement et journées consacrées à des réunions en conseil est-il indemnisé' Les heures de mandats effectués font-elles parties de ce taux de réunion''

- un courriel du service Ressources humaines du 18 mai 2018 répondant à Mme [B] à propos d'une régularisation sur des indemnités syndicales mal calculées sur le 1er quadrimestre 2018.

- un courriel du 4 septembre 2018 de Mme [B] à la Responsable Ressources humaines 'à la suite d'une question précédente restée sans réponse à la réunion Délégués du personnel de juillet 2018, pour obtenir le détail du plan de rémunération de ses primes variables versées sur Q, Q2 et Q 3 de 2015 et de 2016 étant donné qu'elles ne sont plus accessibles sur intranet ; pour obtenir des explications sur le détail du Q1 2018 où est indiqué un taux de présence de 50 % .'

- un échange de courriel des 10 et 11 mai 2017 entre Mme [B] et ses supérieurs hiérarchiques ( pièce 91) sur ses résultats personnels Q1 2017

( attendus 400 000 euros et réalisés 365 693 euros) en encourageant la salariée à augmenter son chiffre d'affaires sur le prochain quadrimestre et de bien faire le distingo entre ton job de Conseillère de gestion de Patrimoine et ta mission de représentant syndicale ;'

- un courriel du 22 mai 2017 de Mme [B] à son supérieur hiérarchique M.[R] de réclamation Prime Q1 impact salaire ( pièce 89) rappelant que deux dossiers ont été omis sur la liste des ventes commissionnées au mois d'avril 2017, représentant une perte de CAC de 13 844 euros et de 25 000 euros, en raison de bugs informatiques récurrents 'alors que M.[R] a conscience que ses missions autres ( électives et syndicales) lui demandent du temps prévu par les textes qui n'est pas pris en compte malheureusement pour elle dans les objectifs d'engagement que l'entreprise lui demande.'

- un échange de courriels des 2 et 13 novembre 2017 avec M.[R]( pièce 90) alors que la salariée lui demande de l'aide pour atteindre les objectifs commerciaux qui lui ont été fixés au dernier quadrimestre 2017 ( 400 000 euros de CAC et si possible 500 000 euros) , son supérieur hiérarchique lui demande de ' se concentrer, car l'organisation est essentielle car je ne suis pas sans savoir que tu as des missions complémentaires, raison de plus de bien planifier tes actions et d'aller à l'essentiel'

Enfin, la salariée invoque à juste titre à l'appui de sa demande pour discrimination du fait de son appartenance syndicale la modification unilatérale par l'employeur dans son courrier du 18 décembre 2017 de la rémunération variable dans la mesure où il appartenait à la société Allianz Vie confrontée au refus de Mme [B] en sa qualité de salariée protégée de signer l'avenant issu du protocole d'accord du 16 octobre 2017, de poursuivre son contrat de travail aux conditions antérieures ou de solliciter les autorisations administratives nécessaires.

Mme [B], qui exerçait une activité syndicale en qualité de déléguée et qui disposait d'un mandat électif de déléguée du personnel CFTC, présente ainsi des éléments de fait lesquels pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une discrimination du fait de son appartenance syndicale.

La société Allianz Vie se borne à justifier qu'elle a informé Mme [B] le 11 juillet 2017 sur le crédit mensuel de 24 heures de délégation au titre de son mandat syndical, lui a proposé un entretien de prise de mandat syndical le 22 septembre 2017 (pièces 32 et 33) et l'a indemnisée au titre des journées de formation. Toutefois, la société intimée ne critique pas utilement les carences dénoncées par Mme [B] et ne s'explique pas sur le fait qu'elle a méconnu de manière récurrente les obligations prévues en matière d'information et d'organisation des entretiens prévus par l'accord d'entreprise sur le droit syndical durant l'exercice de son mandat électif à compter du mois de janvier 2015.

Elle ne rapporte pas la preuve de la mise en place des aménagements de l'activité professionnelle de la salariée et de modulation de ses objectifs commerciaux rendus nécessaires par l'exercice de ses mandats électif et syndicaux, les pièces produites révélant à l'inverse des pressions de l'employeur pour lui fixer des objectifs commerciaux croissants en lui demandant de manière explicite 'de bien faire le distingo entre ton job de Conseillère de gestion de Patrimoine et ta mission de représentant syndicale'. La société Allianz ne démontrant pas que les faits matériellement établis de discrimination par la salariée sont étrangers à ses activités syndicales, elle sera condamnée à verser à la salariée la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, par voie d'infirmation du jugement.

Au vu des éléments ainsi établis, le fait pour l'employeur d'imposer à Mme [B] de manière unilatérale, au regard de son statut de salariée protégée, une modification de la structure de sa rémunération véritable et d'avoir commis des faits de discrimination en lien avec ses activités syndicales caractérise des manquements de la société Allianz Vie à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail et il s'agit d'atteintes suffisamment graves pour justifier la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement et de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [B] avec effet à la date du licenciement intervenu ultérieurement, soit le 26 avril 2022

Sur le harcèlement moral

Selon l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L1152-1 du code civil. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Mme [B] considère qu'elle a été victime d'une succession de manquements continus de la part de son employeur, se caractérisant par une inertie totale et une absence de considération de son mal-être et de ses demandes pourtant légitimes sur le plan professionnel, lesdites circonstances ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et son état de santé, ce qui illustre une situation de harcèlement moral.

La société Allianz Vie conteste les dénonciations de la salariée à propos d'une situation de harcèlement moral, estimant que les plaintes de Mme [B] concernent des procédures internes à respecter au sein de l'entreprise, que le service des ressources humaines a fait suite à sa demande de rendez-vous en juillet 2016, que les dysfonctionnements informatiques fréquents dans les entreprises ne peuvent pas constituer des conditions anormales nuisant à la santé des salariés alors que l'employeur met à leur disposition une hotline performante et n'a aucun intérêt financier à les pénaliser; que la détérioration des relations humaines invoquée par Mme [B] n'est illustrée que par un échange isolé en mars 2017, plus d'une année avant son arrêt de travail, avec un collègue qui s'en est excusé auprès d'elle; que Mme [B] bénéficiait du soutien et des conseils de son supérieur hiérarchique direct. Enfin, l'employeur fait valoir l'absence de lien de causalité entre les conditions de travail de la salariée avec son état de santé, les médecins ayant seulement rapporté les dires de celle-ci, la demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle ayant été rejetée par la CPAM.

A l'appui de ses allégations relatives à la dégradation objective de ses conditions de travail, à un management et un encadrement jugé 'soit inexistant soit agressif' et à la dégradation de son état de santé, Mme [B] verse aux débats :

- des échanges de mails avec sa hiérarchie et des collègues exerçant des responsabilités syndicales, des compte rendu de réunions, de ses derniers entretiens d'évaluation annuels ( 2015, 2016 et 2017) se plaignant des dysfonctionnements internes en lien avec des incidents informatiques perdurant depuis la fin de l'année 2017 ( pièces 57 et 58), s'agissant d'une situation dénoncée par elle et lors d'une réunion des délégués du personnel du 17 janvier 2018 ( pièce 60).

- un courrier établi par ses soins (pièce 75) récapitulant la chronologie des événements subis depuis plusieurs années, décrivant à la fois des pressions de sa hiérarchie pour réaliser des objectifs commerciaux inatteignables, à l'origine d'un premier arrêt de travail d'un mois pour ' burn out' en décembre 2015, un entretien avec sa hiérarchie l'ayant particulièrement affectée en décembre 2016 vécu comme un ' véritable réquisitoire sur sa communication interne et ses résultats alors qu'elle avait terminé l'année 2016 la plus performante', l'absence de soutien de son supérieur M.[R], à la différence de certains collègues, sur l'organisation d'événements partenaires ( septembre 2017)

- un échange de couriels des 2 et 13 novembre 2017 au terme desquels les soutiens promis par M.[R] à Mme [B] au cours du premier quadrimestre 2018 auraient été finalement été annulés (pièce 57). Elle invoque également un incident survenu durant le mois de mars 2017, au cours duquel un collègue M.[H] a manifesté à son égard une agressivité verbale 'sous l'oeil impassible de leur supérieur hiérarchique M.[R] 'ce qui a provoqué le départ de la salariée en pleurs du bureau( pièce 75).

Si la matérialité de l'incident du mois de mars 2017 résulte du témoignage d'une collègue Mme [U] présente lors de l'intervention agressive de M.[H] et de la teneur du courriel d'excuses transmis le 26 mars 2017 par M.[H] à la salariée (pièces 68 et 69), Mme [B] n'établit pas la matérialité des autres faits dénoncés imputés à sa hiérarchie ou à des collègues de travail de nature à créer une situation de harcèlement moral à son égard. A ce titre, les courriels transmis par son supérieur hiérarchique M.[R] et celui de M.[I] ( N+1) du 22 décembre 2017 ( pièce 55) ne comportent aucun terme désobligeant ou dégradant envers la salariée, lui prodiguant des encouragements et la remerciant pour 'sa très belle contribution au résultat de l'équipe et de la délégation régionale'tout en reconnaissant que 'cette année ( 2017) a été faite de hauts et de bas sur le plan professionnel, mais maintenant tout cela est derrière toi, donc cap ensemble sur 2018". Le courriel de Mme [B] adressé, dans des termes généraux et succincts, le 20 janvier 2017

( pièce 71) à M.[I] ne permet d'en tirer aucune conclusion sur les sujets évoqués par la salariée qui ' l'oppressaient'.

Les problèmes informatiques récurrents auxquels Mme [B] a été confrontée à la fin de l'année 2017 et au début de l'année 2018 étaient similaires à ceux constatés par ses collègues commerciaux et dénoncés par des représentants syndicaux. Rien ne permet d'établir que la salariée aurait fait l'objet d'un traitement différencié et défavorable par rapport à ses collègues en ce qui concerne les dysfonctionnements informatiques et le soutien de la hiérarchie dans son action commerciale. Il n'est pas davantage démontré que M.[R] n'a pas respecté les engagements pris envers Mme [B] dans son courriel du 13 novembre 2017, prévoyant des entretiens de préparation (3) en novembre et décembre 2017 et des accompagnements lors du 1er quadrimestre 2018 ( pièce 90) Le fait que ses supérieurs hiérarchiques soient destinataires en copie du message d'excuses de M.[H] à l'origine de l'incident du mois de mars 2017, révèle que ces derniers ont pris les mesures nécessaires en confortant les doléances de Mme [B] qui en avait immédiatement alerté son supérieur N+2 et en obtenant de M.[H] une démarche d'apaisement avec sa collègue. La lecture du message révèle qu'il s'agissait d'une réaction excessive et disproportionnée de la part de M.[H] dans un contexte de surcharge de travail , dont la salariée ne prétend pas qu'il se soit renouvelé.

Si les documents de nature médicale établissent que la salariée très investie dans son travail et dans sa mission de représentante du personnel, présentait un état d'épuisement physique et moral et qu'elle était en proie à des troubles d'anxiété majeure, ils ne rapportent aucun fait précis que la salariée aurait pu relater et pouvant s'analyser comme une situation de harcèlement moral sur son lieu de travail.

Il ressort de ces éléments que la salariée, à l'exception d'un incident isolé avec un collègue de travail survenu 12 mois avant un arrêt de travail continu pour burn out, n'établit pas la matérialité des faits laissant présumer à son égard des agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par voie de confirmation du jugement, Mme [B] sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Sur le manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité

Mme [B] soulève le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité au motif que :

- l'employeur, informé de la dégradation objective des conditions de travail, se traduisant par des dysfonctionnements informatiques récurrents, des objectifs commerciaux devenus inatteignables, des demandes infructueuses de rendez-vous avec le service ressources humaines, une modification unilatérale de sa rémunération variable vécue comme 'un passage en force', n'a mis en oeuvre aucune mesure concrète pour protéger la santé de la salariée,

- la salariée a été placée en arrêt de travail continu de février 2018 au 2 mai 2021, pour un syndrome anxio dépressif de gravité sévère, nécessitant un traitement antidépresseur,

- il n'a pas mis à jour le document unique d'évaluation des risques en 2015 et en 2017 en méconnaissance de ses obligations légales,

- il l'a laissée dans l'ignorance totale à la fin de son arrêt de travail le 2 mai 2021 sans solliciter la visite médicale de reprise ce qui a contraint la salariée à solliciter elle-même début juillet 2021 l'organisation de cette visite, qui s'est déroulée le 16 juillet 2021,

- il a enfin attendu plus de 7 mois après l'avis d'inaptitude de la salariée avant d'initier la procédure de licenciement,

- ce comportement était d'autant plus répréhensible qu'elle bénéficiait depuis le 16 octobre 2018 de la qualité de travailleur handicapé.

La société Allianz Vie soutient que les médecins et la psychologue consultés par la salariée ne sont pas compétents pour établir un lien entre l'état de santé et la dégradation supposée de ses conditions de travail ; que le médecin du travail seul habilité à le faire ne l'a pas fait; que la CPAM a émis un avis défavorable à la prise en charge de la maladie déclarée par son médecin traitant au titre de la législation relative aux risques professionnels. Elle ajoute que particulièrement soucieuse du bien-être de ses salariés, elle a mis à disposition une ligne anonyme d'écoute et de soutien psychologique ; qu'enfn, la salariée ne rapporte pas la preuve de son préjudice à l'appui de sa demande indemnitaire;

En application de l'article L4121-1 du code du travail, le chef d'entreprise est tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise et doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l'assurer.Il doit le faire notamment par des actions de prévention des risques professionnels, par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Mme [B] produit aux débats :

- l'entretien annuel d'évaluation établi le 15 février 2016 pour l'année 2015 évoquant des dysfonctionnements informatiques réguliers, des difficultés pour réaliser l'ensemble des objectifs quantitatifs qui lui avaient été fixés. L'appréciation de son supérieur hiérarchique demeure positive à charge pour la salariée de ' travailler sur le flux'. Il n'est fait aucune mention sur le suivi de la charge de travail de la salariée soumise à un forfait jours et sur l'articulation entre son activité professionnelle et la vie personnelle de Mme [B]( pièce 53).

- l'entretien annuel établi le 27 février 2017 au titre de l'année 2016, faisant apparaître des doléances de la salariée par ' rapport au changement de réseau, des difficultés quotidiennes sur le terrain, dysfonctionnements informatiques fréquents'. L'avis de M.[R] est positif sur les performances de Mme [B], qui a dépassé les objectifs fixés malgré un Q1 compliqué, elle se situe dans le top 10 de la délégation régionale.

Dans le paragraphe consacré au suivi de la charge de travail, que le supérieur hiérarchique n'a toujours pas rempli, la salariée sollicite un entretien avec la Responsable Rh ( page 2 de l'EAD)et fait mention de l'évolution de ses missions en tant qu'élue DP ( formations à venir 3 en 2017, remplacement RS de façon régulière). Son supérieur hiérarchique qui lui demande pour l'année 2017 de développer son portefeuille, de gagner du temps commercial avec une évolution du CAC, ne tire aucune conséquence sur les objectifs commerciaux qui lui sont fixés et sur l'aménagement de son temps de travail.

- son courriel du 25 janvier 2018 ( pièce 88) se plaignant de ne pas avoir eu de rendez-vous courant 2017 auprès des services ressources humaines ' malgré plusieurs sollicitations via ma hiérarchie et mon EAD 2017 pour comprendre les indemnités versées par rapport au temps de travail non effectué en temps commercial.'

- son courriel transmis le 9 juin 2017 à un représentant syndical ( pièce 87) dénonçant le fait que 'le temps de travail d'un délégué quel qu'il soit dans ses missions syndicales n'est pas pris en compte par l'entreprise, les objectifs quadrimestres et annuels étant les mêmes que les autres ce qui me semble discriminatoire.' et l'autorisant à évoquer son cas auprès de la Direction.

- les arrêts de travail pour 'burn out, anxiété majeure, détresse morale , souffrance liée au travail, anxiété majeure' entre le 14 février 2018 et le 2 mai 2021, des prescriptions d'anxiolytique entre le 23 février 2018 et le 15 octobre 2018.

- l'examen médical du 27 août 2018 réalisé par un psychiatre désigné par la compagnie d'assurance, aux termes duquel la salariée présente une personnalité correctement structurée, les premiers signes du syndrome anxio dépressif reliés par la patiente à des difficultés professionnelles sont apparus au cours de l'année 2017,

- le compte rendu du 11 juin 2018 de M.[M] psychologue clinicien ayant reçu la salariée en consultation à plusieurs reprises en 2018.

- son courriel du 24 août 2021 transmis au médecin du travail ' je n'ai au aucune nouvelle de mon employeur' depuis l'avis d'inaptitude du 16 juillet 2021, 'après avoir subi une dégradation de mes conditions de travail, des pressions hiérarchiques, une ambiance interne tendue, des objectifs devenus inatteignables, une incertitude de mon avenir professionnel et de ma rémunération et le manque de transparence de mon employeur avant et pendant mon arrêt de travail, vous comprendrez que cette situation m'est insupportable et m'affecte ' je me sens sous emprise et impuissante face au comportement de mon employeur... je vous adresse le mail du responsable de Mme [X] (en congé) et qui prend les décisions concernant les licenciements dans mon réseau.'

- son courriel du 15 septembre 2021 à Mme [X] responsable des ressources humaines, rappelant qu'elle a dû compte tenu du silence de son employeur à la fin de son arrêt de travail le 2 mai 2021 réclamer le 1er juillet 2021 l'organisation d'une visite médicale de reprise, que la visite du 16 juillet 2021 a conclu à une inaptitude à son poste, que depuis cette date, elle n'a pas perçu l'allocation mensuelle d'inaptitude prévue par l'accord d'entreprise.( Pièces 91, 97, 107)

- un échange de courriels du 26 mars 2019 de la salariée avec M.[P] élu du CSE de l'entreprise expliquant à Mme [B], confrontée à l'absence de réponse du service Ressources humaines à ses demandes concernant ses bulletins de salaire que ' son dossier est désormais géré par les services juridiques' et non plus par le service Rh.

- son courriel du 20 juin 2022 à Mme [T] de la Direction des ressources humaines dans l'attente des documents suite à son licenciement du 28 avril 2022, aux termes desquelles Mme [B] constate de nombreuses erreurs (temps de travail) et omissions (absence de mention des salaires et primes perçues au cours des 36 derniers mois, sommes versées au moment de la rupture) dans l'attestation Pôle Emploi qui lui a été transmise. ( pièces 111 et 103)

- le courrier de son employeur du 25 février 2022 lui annonçant que sa situation sera examinée le 8 mars 2022 par les représentants du CSE à la suite de l'avis d'inaptitude rendu le 16 juillet 2021, (pièce 100)

-des éléments de son dossier de la médecine du travail (pièce 73) faisant ressortir que, en sa qualité de DP et de déléguée syndicale, elle signalait lors de la visite du 15 novembre 2017, 'des difficultés dans le travail de façon générale dans la structure nationale, avec une réorganisation, une demande de prise de risque plus importante du client, un sentiment de travail contre éthique, du matériel informatique et des connections qui ne fonctionnent pas(..).'

- divers documents, compte rendus de réunions et messages des représentants de son syndicat sur le plan national et régional dénonçant au 1er trimestre 2018 'le désarroi du réseau, l'angoisse des collaborateurs liée au déblocage du variable du 1er quadrimestre 2018 en l'absence des outils indispensables aux commerciaux impactés par des nombreux changements structurels'. (pièces 60, 62.)

Par ces éléments concordants, contrairement à ce que soutient la société intimée, Mme [B] établit des éléments de fait caractérisant des conditions de travail dégradées susceptibles d'engager l'obligation de sécurité de l'employeur en ce qu'il :

- n'a pas procédé à l'organisation des entretiens annuels de la salariée en vue de l'aménagement du poste de travail au regard des contraintes liées à ses mandats électifs et syndicaux,

- lui a ainsi imposé une charge de travail excessive sans aménagement ni limitation de ses objectifs commerciaux.

- n'a pas répondu à la demande spécifique d'entretien avec les services ressources humaines dans son EAD du 27 février 2017, en ce qui concerne le suivi de la charge de travail d'une salariée soumise à un forfait jours,

- a soumis à la signature de la salariée dans un délai très court (3 semaines) un avenant modifiant les modalités de calcul de sa rémunération variable, sans lui fournir le simulateur qu'il s'était engagé à fournir à ses collaborateurs avant la fin du délai imparti, et qu'il n'a fait qu'à partir du mois de janvier 2018,

- n'a pas résolu les dysfonctionnements informatiques rencontrés de manière récurrente par la salariée pour enregistrer les dossiers en fin de quadrimestre.

L'employeur qui évoque seulement le rendez-vous fixé par le service ressources humaines le 5 juillet 2016 au profit de Mme [B], se garde d'en justifier pour l'année suivante malgré la demande explicite et réitérée de la salariée. Il n'est pas davantage justifié de l'organisation des entretiens annuels prévus au profit de Mme [B], d'une part en raison du suivi lié à son forfait annuel et d'autre part en raison de l'aménagement de son poste et de ses objectifs commerciaux en raison des mandats électifs et syndicaux. Le fait pour l'employeur de lui fixer des objectifs équivalents aux autres salariés a entraîné une situation de surcharge de travail pour Mme [B], soumise à des objectifs chiffrés correspondant à 400 000 euros voire 500 000 euros par quadrimestre. Il y a lieu d'observer l'engagement professionnel, connu de l'employeur, de la salariée placée dans le Top 10 de sa délégation régionale et de ses craintes portant sur l'évolution de sa rémunération variable, représentant une partie susbtantielle de son revenu de plus de 30 %, à partir de l'année 2018. Mme [B] attirait systématiquement au moins depuis 2016 l'attention de son employeur sur les difficultés rencontrées au quotidien, ce qui constituait des signaux d'alerte que l'employeur ne justifie pas avoir pris en considération au travers de mesures concrètes de prévention de la santé et de la sécurité de la salariée.

Le lien des conditions de travail dégradées avec le burn out, effectivement constaté par le médecin traitant de la salariée qui lui a prescrit un arrêt de travail continu en visant cette affection, est parfaitement établi. Ce diagnostic est confirmé par le médecin psychiatre dans son rapport du 27 août 2018 et par le médecin du travail, dans son avis définitif du 16 juillet 2021.

La société Allianz Vie ne rapporte pas la preuve qu'elle a procédé à une évaluation de la charge de travail de la salariée depuis son mandat électif en janvier 2015, qu'elle ne pouvait pas ignorer et dont la salariée démontre qu'elle était excessive au regard de ses missions complémentaires électives et syndicales.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est ainsi établi et le préjudice que Mme [B] justifie avoir subi du fait de cette carence doit être réparé par la condamnation de la société à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts, par voie d'infirmation du jugement.

Sur le manquement de l'employeur à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi

Mme [B] fonde sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi sur le fait que :

- la société Allianz Vie après avoir tenté de la contraindre à signer un avenant en dépit de sa réticence et en refusant de lui communiquer dans le court délai imparti les documents nécessaires et notamment les simulations chiffrées de l'impact de la nouvelle grille, lui a imposé de manière unilatérale un changement dans le calcul de sa rémunération variable,

- elle ne répondait pas aux demandes d'information sur le changement du régime de prévoyance mis en place le 1er janvier 2017, sur le plan des garanties et des montants de cotisation

Elle verse aux débats:

- divers messages se rapportant aux réunions organisées en novembre et décembre 2017 par la direction afin de recueillir dans un délai de trois semaines l'adhésion des conseillers sous forme d'avenant à signer, à la suite de l'accord d'entreprise du 16 octobre 2017 sur la modification de leur rémunération variable,

- le témoignage de Mme [O], ancienne conseillère d'Allianz vie ( pièce 113) confirmant le manque de transparence de la part de la Direction après la signature du protocole du 16 octobre 2017 signé par les 3 syndicats pour éclairer les salariés sur l'impact de cette nouvelle grille, et les pressions et intimidations subies de la part de sa hiérarchie pour signer l'avenant.

-le courriel de la direction du 18 janvier 2018 annonçant la mise à disposition d'un simulateur 'à titre transitoire' destiné au calcul de la rémunération variable conforme au protocole du 16 octobre 2016, avec les annotations critiques de Mme [B]( pièce 27)

- les courriels restés sans réponse du 4 février 2020 pour connaître le détail des indemnités de prévoyance servies depuis son arrêt de travail du 14 février 2018 et le courrier recommandé du 27 février 2020 de son conseil juridique réitérant cette demande.( Pièce 108)

- les documents confirmant que la salariée est à l'origine de la demande de l'organisation de la visite médicale de reprise le 1er juillet 2021, après une fin de son arrêt maladie au 2 mai 2021, que l'employeur n'a pas réagi avant le mois de février 2022 soit plus de 7 mois après l'avis d'inaptitude du 16 juillet 2022, et a été interpellé pour régulariser l'allocation mensuelle d'inaptitude prévue par l'accord d'entreprise, demeurée impayée depuis l'avis d'inaptitude.

Ces éléments, établis au regard des pièces produites et non sérieusement contestées, permettent d'établir des manquements de l'employeur aux obligations résultant de l'exécution de bonne foi du contrat de travail à l'égard de la salariée et justifient l'octroi de la somme de 10 000 euros à ce titre par voie d'infirmation du jugement.

Sur les conséquences de la résiliation judiciaire

La résiliation judiciaire aux torts de l'employeur prenant effet à la date du licenciement ultérieur du 26 avril 2022, doit produire les effets d'un licenciement nul au regard des faits de discrimination subis par la salariée.

Compte tenu d'une ancienneté de 15 ans, de l'âge de la salariée (49 ans) au moment de la rupture et d'un salaire moyen de 3908,48 euros brut par mois, la cour dispose des éléments permettant de lui allouer:

- une indemnité compensatrice de préavis de 11 725,45 euros brut, et les congés payés afférents, l'inexécution du préavis étant imputable à la faute de l'employeur,

- une indemnité légale de licenciement de 14 982,50 euros, selon le calcul non contesté de la salariée,

- des dommages-intérêts de 50 000 euros au titre du licenciement nul, la salariée justifiant à ce jour de la perception d'une pension d'invalidité de 1605 euros par mois .

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur les dommages et intérêts pour violation du statut protecteur

Mme [B] sollicite le versement de la somme de 49 901,78 euros pour violation du statut protecteur en ce qu'elle bénéficiait d'une protection en lien avec ses mandats électifs et syndicaux jusqu'au mois d'août 2019 et ce en application de l'article L 2411-8 et L 2411-5 du code du travail.

La société Allianz Vie s'y oppose au motif que la protection des représentants du personnel dont la salariée bénéficiait a pris fin en juin 2019, de sorte qu'elle n'est pas recevable à réclamer des dommages et intérêts pour violation du statut protecteur.

La résiliation judiciaire produisant ses effets à la date du licenciement du 26 avril 2022, il convient de constater que la salariée ne bénéficiait plus à cette date de la protection liée à ses mandats de représentante du personnel et de déléguée syndicale, expirant 6 mois après la fin de son mandat électif du 26 janvier 2019.

Sa demande indemnitaire sera donc rejetée par voie de confirmation du jugement.

Sur le rappel de salaires au titre des congés payés/CET et RTT

Mme [B] maintient sa demande de rappel de salaires de 15 526,28 euros au titre des congés payés /CET et RTT, sur laquelle le conseil a omis de statuer.

L'employeur conteste le tableau récapitulatif établi par la salariée, la valorisation de la journée de RTT et considère que la salariée a été remplie de ses droits, au vu de l'attestation Pôle emploi du 23 mai 2022.

A l'appui de sa demande, Mme [B] produit:

- un tableau synthétique du solde de ses congés payés acquis (28 jours) de ses RTT (3,38 jours) et de son compte épargne temps de 25,42 jours,

- l'attestation Pôle emploi délivrée le 23 mai 2022 par son employeur mentionnant le versement d'une indemnité compensatrice de 4 656,60 euros pour les congés payés et d'une somme de 10 913,59 euros au titre de l'indemnité du compte épargne temps.

Toutefois, les éléments versés aux débats démontrent que la salariée ayant procédé à calcul erroné de sa journée de travail évaluée à 273,35 euros, a été remplie de ses droits et n'est donc pas fondée en sa demande de rappel de salaire. Le jugement sera complété en ce sens.

Sur les autres demandes et les dépens

Aux termes de l'article R 1234-9 du code du travail, l'employeur doit délivrer au salarié au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications lui permettant d'exercer son droit aux prestations sociales.

Il convient en conséquence d'ordonner à l'employeur de délivrer à Mme [B] l'attestation Pôle Emploi et le solde de tout compte conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans le mois de la notification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu de l'assortir d'une astreinte.

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [B] les frais non compris dans les dépens. L'employeur sera condamné à lui payer la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de 3 000 euros en cause d'appel, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile sauf en ce qu'il a rejeté la demande de l'employeur de ce chef.

L'employeur qui sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette l'exception de péremption de l'instance d'appel,

- Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande de l'employeur fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et la demande de Mme [B] de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur.

- Infirme les autres dispositions du jugement.

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

- Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [B] aux torts exclusifs de l'employeur à la date du 26 avril 2022,

- Condamne la SA Allianz Vie à payer à Mme [B] les sommes suivantes:

- 11 725,45 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 172,54 euros pour les congés payés y afférents,

- 25 000 euros de dommages-intérêts pour discrimination ,

- 15 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 10 000 euros de dommages-intérêts pour manquement à l'exécution de bonne foi du contrat de travail

- 14 982,50 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 1 500 euros en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- 3 000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

- Ordonne à la SA Allianz de délivrer à Mme [B] l'attestation Pôle Emploi et le solde de tout compte conformes aux dispositions du présent arrêt et ce au plus tard dans le mois de la notification du présent arrêt.

- Déboute Mme [B] de sa demande au titre du rappel de salaire,

- Déboute la société Allianz Vie de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société Allianz Vie aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/08388
Date de la décision : 09/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-09;19.08388 ?
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