7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°99/2023
N° RG 19/04699 - N° Portalis DBVL-V-B7D-P52G
SCOP EBS LE RELAIS BRETAGNE
C/
M. [X] [S]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 Janvier 2023
En présence de Madame DUBUIS, médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
SCOP EBS LE RELAIS BRETAGNE
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [X] [S]
né le 07 Août 1970 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Stéphane FREGARD, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
INTERVENANTE :
Etablissement Public POLE EMPLOI Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me PIOT, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La société coopérative de production à responsabilité limitée, dénommée EBS Le Relais Bretagne, est une entreprise à But Socio-Economique ayant pour objet dans le cadre d'un projet social de lutte contre l'exclusion et de création d'emplois au profit de personnes en difficulté, la collecte de papiers et de vêtements, leur valorisation et leur vente, et exploite les bornes de collecte Le Relais et des magasins Ding Fring. Elle emploie plus de 10 salariés (140).
M. [X] [S] a été engagé le 29 avril 2011 par la SCOP EBS Le Relais Bretagne au poste de chargé d'insertion dans le cadre d'un contrat à durée déterminée jusqu'au 21 septembre 2011, en remplacement d'une salariée en congé maternité, prolongé par avenant en date du 19 septembre 201, jusqu'au 31 décembre 2011.
La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée avec prise d'effet au 1er janvier 2012. M.[S] s'est vu confier les fonctions d'accompagnateur socio-professionnel.
Travaillant au sein de l'établissement d'[Localité 6] (35), il exerçait en dernier lieu les fonctions de Chargé d'insertion et du recrutement.
Le 23 novembre 2017, la direction de la société était destinataire du témoignage d'une salariée Mme [V], conseillère d'insertion recrutée depuis le mois d'avril 2017, se plaignant des propos dégradants à connotation sexuelle qui lui ont été tenus à plusieurs reprises par son collègue de travail M. [S].
Par courrier remis en main propre le 27 novembre 2017, l'employeur a confirmé au salarié sa mise à pied immédiate à titre conservatoire dans l'attente de la décision à venir.
Le 30 novembre 2017, il l'a convoqué à un entretien préalable à licenciement fixé au 12 décembre suivant.
Le 14 décembre 2017, M. [S] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave dans un courrier ainsi libellé :
' Le jeudi 23 novembre 2017, M.[L] adjoint d'EBS Le Relais Bretagne a reçu un témoignage écrit sur feuille volante de Mme [V], votre collègue chargée d'insertion, faisant récit de votre comportement inacceptable vis-à-vis d'elle.
Etant en déplacement du 22 au 25 novembre 2017 dans un autre Relais au Nord de la France, j'ai demandé à M.[L] de me scanner et de m'envoyer par courriel le témoignage écrit de Mme [V].
Le vendredi 24 novembre 2017, vous étiez en congés et le lundi 27 novembre de retour à [Localité 6], j'ai vu Mme [V] en entretien pour faire le point de la situation et lui demander de rédiger son témoignage sous forme d'attestation officielle qui engage sa responsabilité en cas de fausses déclarations.
Mme [V] m'a retourné cette attestation rédigée de sa main dans la matinée.
Dans son témoignage, Mme [V] relate son début de contrat et votre comportement intrusif concernant sa vie privée et en particulier vis-à-vis de son nombre d'enfants pour lequel vous avez eu ces paroles ' 4 enfants , tu dois être une chaudasse et tu dois aimer çà'. Certains autres propos à caractère sexuel relatés dans le témoignage sont dégradants et assimilables à du harcèlement ' Lors de conversations, [X] m'a dit que j'étais bandante et cet été, que j'allais lui donner la trique.'.
Une mise à pied à titre conservatoire vous a donc été signifiée ce lundi 27 novembre 2017 dans l'attente d'une décision à venir. Mise à pied conservatoire que nous vous avons confirmée dans notre courrier du 30 novembre 2017.
Lors de l'entretien préalable au licenciement qui s'est tenu le mardi 12 décembre 2017, vous avez réfuté les faits et n'avez pas reconnu la faute.
Pour autant, les éléments en notre possession nous amènent à confirmer les faits de harcèlement sexuel à l'encontre de votre collègue Mme [V]. Ce harcèlement est constitutif d'une faute grave rendant impossible votre maintien dans l'entreprise.(..)
Mme [V] a déposé plainte le 27 décembre 2017 pour harcèlement sexuel à l'encontre de M.[S].
M. [S] dans un courrier de son conseil du 12 janvier 2018 a rejeté les accusations de harcèlement sexuel formulées à son encontre et considéré qu'il n'avait pas bénéficié d'une procédure contradictoire faute de pouvoir prendre connaissance de l'attestation de sa collègue.
Il a de son côté déposé plainte le 8 février 2018 pour dénonciation calomnieuse à l'encontre de Mme [V].
M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête du 27 mars 2018 afin de voir:
- à titre principal, ordonner sa réintégration et obtenir une lettre d'excuse officielle de la part de la SCOP EBS Le Relais Bretagne,
- Subsidiairement, en cas de refus de sa réintégration, dire son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,
- écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail en ce qu'il limite son indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 7 mois de salaire au regard de son ancienneté, compte tenu de la violation par l'article L. 1235-3 du Code du Travail de l'article 24 de la charte européenne du 3 mai 1996 ainsi que l'article 10 de la convention OIT du 22 juin 1982
- lui allouer les sommes suivantes:
' 14 134,89 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
' 3 331,35 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,
' 4 038,54 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés,
' 100 000 euros de dommages et intérêts pour rupture vexatoire et brutale,
' 5 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure Civile,
- Ordonner la délivrance des documents sociaux conformes sous astreinte de 150euros par jour.
La SCOP EBS Le Relais Bretagne s'est opposé aux demandes de M.[S] et a réclamé une indemnité de procédure.
Par jugement en date du 20 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Rennes a :
- Jugé que le licenciement de M. [S] est sans cause réelle et sérieuse.
- Ordonné la réintégration de M.[S] au sein de l'entreprise EBS Le Relais Bretagne avec maintien de ses avantages acquis.
- Dans l'hypothèse où l'EBS Le Relais Bretagne refuse la réintégration,
- condamné l'EBS Le Relais Bretagne à payer à M. [S] les sommes suivantes :
- 14 134.89 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3331.35 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 4 038.54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 403.85 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.
- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement prononcé dans des conditions brutales et vexatoires.
- 2 500 euros à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Dit que la moyenne des salaires de M.[S] est de 2019.27 euros.
- Ordonné à l'EBS Le Relais Bretagne de remettre à M. [S] les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle emploi, reçu pour solde de tout compte) sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 2ème mois après la notification de la présente décision ;
- Dit que le conseil de prud'hommes de Rennes se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte ;
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
- Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la citation, celles à caractère indemnitaire à compter du prononcé du jugement.
- Débouté M.[S] du surplus de ses demandes.
- Débouté l'EBS Le Relais Bretagne de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure Civile.
- Ordonné le remboursement par l'EBS Le Relais Bretagne à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [S] dans la limite de six mois.
- Condamné l'EBS Le Relais Bretagne aux dépens y compris ceux éventuels d'exécution du jugement.
La SCOP EBS Le Relais Bretagne a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 12 juillet 2019.
Par ordonnance de référé du 30 août 2019, le Premier Président de la cour d'appel, saisi par la société EBS Le Relais Bretagne d'une demande de suspension totale ou partielle de l'exécution provisoire du jugement, a ordonné l'arrêt partiel de l'exécution provisoire ordonnée par la décision rendue par le conseil des prud'hommes de Rennes le 20 juin 2019 à hauteur de 50 % des condamnations concernées.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 15 juillet 2020, la SCOP EBS Le Relais Bretagne demande à la cour de :
- Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de M.[S] dénué de cause réelle et sérieuse,
- L'infirmer en ce qu'il a ordonné la réintégration de M.[S] ou à défaut, en ce qu'il a condamné l'EBS LE RELAIS Bretagne à payer à M.[S] une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis, - L'infirmer en ce qu'il a appliqué aux indemnités de licenciement et compensatrice de préavis les dispositions de la convention collective Insertion Ateliers et Chantiers,
- L'infirmer en ce qu'il a reconnu le licenciement de M.[S] intervenu dans des conditions brutales et vexatoires,
- L'infirmer en ce qu'il a condamné l'EBS Le Relais Bretagne à verser à M.[S] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- L'infirmer en ce qu'il a condamné l'EBS Le Relais Bretagne à remettre sous astreinte les documents de fin de contrat rectifiés,
- L'infirmer en ce qu'il a condamné l'EBS Le Relais Bretagne à rembourser à Pôle Emploi les indemnités chômage versées à M. [S] dans la limite de 6 mois,
Statuant de nouveau,
- Dire que le licenciement de M.[S] repose sur une faute grave,
- Débouter M.[S] de toutes ses demandes,
A titre subsidiaire,
- Réformer le jugement en ce qu'il a alloué à M.[S] des dommages et intérêts 14 134,89 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et dire que l'indemnisation sera fixée à 3 mois de salaire, soit 6 057,81 euros,
- Reformer le jugement en ce qu'il a alloué des dommages-intérêts à M.[S] pour licenciement brutal et vexatoire, et dire que si indemnisation il devait y avoir, elle serait réduite à de plus juste proportion,
- Débouter M. [S] de sa demande de bénéficier des dispositions de la convention collective Insertion Ateliers et Chantiers,
En toute hypothèse,
- Condamner M.[S] au paiement de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 6 mai 2020, M. [S] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- Dit que le licenciement de M. [S] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,
- Condamné la SCOP EBS Le Relais Bretagne à régler à M.[S] les sommes suivantes :
- 14.134,89 Euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse,
- 3.331,35 Euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 4.038,54 Euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 403,85 Euros brut à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- 2.500 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la SCOP EBS Le Relais Bretagne à régler à Monsieur [X] [S] des dommages et intérêts pour licenciement réalisé dans des conditions brutales et vexatoires
- Dit et jugé que les montants alloués à Monsieur [X] [S] (et ayant le caractère de dommages et intérêts) porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement du conseil de prud'hommes de Rennes,
- Dit et jugé que les montants alloués à Monsieur [X] [S] (et ayant le caractère de salaire) porteront intérêt au taux légal à compter de la citation devant le conseil de prud'hommes de Rennes,
- Ordonné la rectification et la délivrance des documents sociaux conformes sous astreinte de 30 euros / jour à compter du prononcé du jugement,
- Réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] du surplus de ses demandes et notamment :
- Limité à hauteur de 25.000 Euros la condamnation de la SCOP EBS Le Relais Bretagne à régler à Monsieur [X] [S] des dommages et intérêts pour licenciement réalisé dans des conditions brutales et vexatoires
- Dit que M.[S] n'avait pas été victime d'une double sanction pour des mêmes reproches (changement de bureau et licenciement) alors que cette violation d'un principe de droit disciplinaire conduisait nécessairement à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,
- Dit que M. [S] avait bénéficié d'une procédure contradictoire alors que cette violation d'un principe de droit disciplinaire conduisait nécessairement à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,
- Débouté M.[S] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement réalisé dans des conditions brutales et vexatoires à hauteur de 100.000 Euros,
Et, statuant à nouveau :
- Dire que son licenciement est abusif et ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse,
- Constater le refus de la SCOP EBS Le Relais de réintégrer M.[S] et en tirer toute conséquence sur le plan indemnitaire dans le cadre des dommages et intérêts qui lui seront alloués,
- Condamner la SCOP EBS Le Relais à lui payer les sommes suivantes:
- 14.134,89 Euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.331,35 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement
- 4.038,54 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 403,85 euros de congés payés y afférents,
- Juger irrecevable et subsidiairement infondé l'appel incident de Pôle emploi et l'en débouter.
- Condamner la SCOP EBS Le Relais à lui verser la somme de 100.000 Euros à titre de dommages et intérêts et subsidiairement la somme de 25.000 euros, pour licenciement réalisé dans des conditions brutales et vexatoires et portant gravement atteinte à son avenir professionnel,
En toute hypothèse :
- Condamner la SCOP EBS LE RELAIS au paiement de 3.000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
En l'état des dernières conclusions transmises par RPVA le 7 février 2020, Pôle Emploi, intervenant volontairement en cause d'appel, a demandé à la cour de :
- condamner l'EBS Le Relais Bretagne à lui rembourser les indemnités chômage versées au salarié à concurrence des 6 mois représentant la somme de 7 017,50 euros ,
- condamner la même au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Leurs plaintes respectives ayant fait l'objet le 18 octobre 2018 d'une décision de classement sans suite par le Parquet de Rennes, une plainte de Mme [V] avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction est en cours.
L'affaire a été fixée initialement à l'audience du 13 juin 2022, date à l'issue de laquelle une mesure de médiation judiciaire a été ordonnée par arrêt de la cour du 7 juillet 2022.
Le médiateur ayant transmis un rapport de fin de mission au terme duquel les parties n'avaient pas trouvé d'accord, l'affaire a été rappelée à l'audience du 16 janvier 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement pour faute grave
Aux termes de la lettre de licenciement pour faute grave datée du 14 décembre 2017 qui fixe les limites du litige, l'employeur reproche à M. [S] des propos et agissements relevant d'un harcèlement sexuel commis à l'égard de sa collègue de travail, Mme [V].
Sur la violation du principe non bis in idem
M.[S] soutient que son employeur l'a sanctionné à deux reprises sur la base des accusations de sa collègue, la première fois en décidant de manière unilatérale de le changer de bureau et la seconde fois en le licenciant pour faute grave ; qu'il a ainsi violé le principe fondamental non bis in idem lui interdisant de prononcer un licenciement.
L'article L 1331-1 du code du travail dispose que constitue une sanction disciplinaire toute mesure, autre que des observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière, sa rémunération.
S'il résulte des pièces produites que M.[S] a quitté le 23 novembre 2017 le bureau commun qu'il occupait avec sa collègue Mme [V], rien ne permet de considérer que ce changement de bureau qui lui aurait été annoncé deux jours plus tôt constituait une sanction disciplinaire, s'agissant d'une décision ressortant des prérogatives de l'employeur dans l'organisation des conditions de travail des salariés. Au surplus, M.[S] occupait régulièrement ce bureau dont il n'est pas prétendu qu'il serait inadapté à ses fonctions, pour mener à bien des entretiens et des réunions dans le cadre de ses missions du recrutement et de suivi des stagiaires, et de ses relations avec des partenaires extérieurs 'afin de ne pas perturber le travail de sa collègue' selon un témoignage produit par le salarié (Mme [M] pièce 16 ). Outre le fait que M.[S] n'ait émis aucune protestation à cette période ni dans les courriers suivant sa mise à pied et son licenciement, les éléments ainsi recueillis permettent de considérer que ce simple changement de bureau ne constituait pas une sanction disciplinaire au sens de l'article L 1331-1 du code du travail.
Les premiers juges ont écarté à raison le moyen soulevé par le salarié sur le fondement de la méconnaissance de la règle non bis in idem.
Sur la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense
M.[S] fait valoir que durant l'entretien préalable à licenciement, l'employeur a méconnu le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense, en refusant de lui montrer ainsi qu'à son conseiller et de leur remettre la copie de l'attestation établie par Mme [V] et de lui permettre ainsi de se défendre contre de telles accusations; que le non-respect de ses droits les plus élémentaires dans le domaine disciplinaire, justifie que son licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse.
L'article L 1232-3 dispose qu'au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié.
Il résulte de ce texte que si l'employeur a l'obligation d'indiquer au cours de l'entretien le motif de la sanction envisagée au salarié dont il doit recueillir les explications pour instaurer un dialogue, il ne lui impose pas de communiquer à ce dernier les pièces susceptibles de justifier la sanction, l'entretien préalable n'ayant pas pour objet de procéder à une enquête. Le respect des droits de la défense n'impose pas la remise entre les mains du salarié des documents lors de l'entretien préalable dès lors que le salarié a eu connaissance des faits précis qui lui sont reprochés et que les éléments fondant la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ont vocation à être discutés devant les juridictions de jugement.
Dans ces conditions, les premiers juges ont considéré à juste titre que l'employeur en refusant de communiquer à M.[S] lors de l'entretien préalable l'attestation de sa collègue et de lui en délivrer une copie, n'a pas méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense, dès lors qu'il a donné connaissance au salarié des faits précis qui lui étaient reprochés et lui a laissé le temps de s'expliquer durant un entretien qui a duré 45 minutes. Le compte-rendu de l'entretien établi par M.[W] conseiller du salarié, confirme que l'employeur a satisfait à ses obligations légales et lui a permis d'entendre les explications de M.[S] qui a ' réfuté tous les termes injurieux qui lui sont attribués dans l'attestation écrite ( de sa collègue) et (qui ont été) rapportés par M.[R]'.
Le jugement a écarté à juste titre le moyen tiré de la violation par l'employeur du principe du contradictoire et des droits de la défense.
Sur les griefs
La société EBS Le Relais Bretagne conclut à l'infirmation du jugement qui a écarté la faute grave de M.[S] en retenant que le licenciement ne repose que sur l'attestation imprécise de Mme [V], et des témoignages reprenant les propos de la salariée, en l'absence de témoins directs, alors que les faits sont contestés par M.[S], que la plainte de Mme [V] a été classée sans suite, et qu'il n'existe aucun élément probant étayant un fait de harcèlement sexuel. L'employeur considère que:
- les juges ont dénié toute crédibilité aux déclarations de Mme [V] en se montrant sensibles aux multiples attestations produites par le salarié vantant son professionnalisme, son altruisme et son comportement adapté envers ses collègues féminines
- ils ont relevé à tort des différences entre les deux attestations établies par Mme [V] à un mois d'intervalle, alors que les faits même non datés sont décrits de manière précise et sont dénués d'équivoque, que ses confidences sont reprises par deux collègues ( Mmes [N] et [A]) qui l'ont incitée à signaler la situation à la Direction; qu'elle a eu besoin de temps pour affronter, verbaliser et se confier avant de dénoncer les faits, par crainte d'être stigmatisée ce qui ne peut pas lui être sérieusement reproché dans un tel contexte.
- la décision du Parquet de classement sans suite de sa plainte pour harcèlement sexuel à l'encontre de M.[S] est dépourvue de l'autorité de la chose jugée. Sa plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction à Rennes étant toujours en cours, aucun jugement de relaxe susceptible de lier la juridiction n'a été rendue.
- l'employeur devant prendre en application de l'article L 1153-1 du code du travail toutes les dispositions en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner, était fondé à licencier le salarié pour faute grave dès lors que les faits de harcèlement sexuel dénoncés par la victime étaient circonstanciés, répétés et qu'elle s'en était plainte de façon concordante auprès de l'entreprise et des forces de police.
M.[S] retorque que :
- son employeur a mis en place un stratagème pour le faire craquer et l'évincer à moindres frais de façon brutale et déloyale, dans le cadre d'une action coordonnée entre le gérant M.[R], le Responsable d'atelier M.[C] et Mme [V],
- la plainte de Mme [V] a fait l'objet d'un classement sans suite révélant l'inanité des accusations de la salariée,
- le licenciement n'est fondé que sur une attestation écrite de Mme [V] établie pour les besoins de la cause et manifestement faite sous la dictée de la Direction après la notification du licenciement pour tenter de rendre crédible une version des faits, plusieurs versions de l'attestation ayant été établies.
- l'attestation d'un collègue M.[D], également mis en cause par Mme [V], vraisemblablement en contrepartie d'une menace de licenciement, est inexploitable,
- l'attestation de Mme [A], qui a bénéficié d'une promotion peu de temps après, fournit une version peu crédible,
- le comportement de Mme [V] n'est pas cohérent avec les faits dénoncés le 23 novembre 2017 en ce qu'elle a accepté de faire un trajet avec son collègue en voiture le 16 octobre 2017, qu'elle n'a jamais bénéficié d'un arrêt pour cause de maladie lorsqu'elle se trouvait en présence de son collègue, en ce qu'elle a attendu un mois avant de déposer plainte pour harcèlement sexuel, finalement classée sans suite.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.
Le harcèlement sexuel est défini par l'article L.1153-1 du code du travail comme étant notamment constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Il résulte des articles L. 1153-5 et L. 4121-1 du code du travail que l'employeur tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner. Il manque à cette obligation, lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ;
L'employeur produit :
- un courriel adressé le 23 novembre 2017 par M.[L], Responsable adjoint de l'entreprise, à M.[R] en lui transmettant la lettre scannée de [F] ( [V]) comportant en annexe une feuille manuscrite, non signée, sur papier quadrillé (pièces 5 et 6) intitulée ' Propos de [F] le 23 novembre 2017:
' Dans les premiers mois au Relais, [Z] ( [D]) et [X] ( [S]) m'ont posé beaucoup de questions sur ma vie privée auxquelles je n'ai pas souhaité répondre car c'était sur ma vie privée. Un jour, ils ont appris que j'avais 4 enfants et ils m'ont dit que je devais être une ' chaudasse' que je 'devais aimer cela'. Ils m'ont alors questionné sur mon conjoint en me demandant ' qu'est ce qu'il avait de plus qu'eux'. C'était sur le ton de la plaisanterie, j'étais très mal à l'aise. Cette situation s'est reproduite plusieurs fois.
Depuis plusieurs mois, [Z] est respectueux et je n'ai pas de remarques à faire sur son comportement.
Lors de conversations, [X] m'a dit que ' j'étais bandante', que ' j'allais lui donner/ mettre la trique'. Il m'a demandé mon numéro de téléphone personnel et quand j'ai refusé, il m'a dit qu'il l'avait puisqu'il avait mon CV et que mon CV était quelque part dans son bureau ou chez lui'.
- la première attestation établie le 27 novembre 2017 par Mme [V] ( pièce 8) reprenant le premier paragraphe de la feuille manuscrite, complétée par : ' (...) c''était sur le ton de la plaisanterie, j'étais très mal à l'aise. Du coup, j'avais trouvé comme solution de quitter mon bureau quand je me sentais en danger.
Depuis cet été (août), [Z] est respectueux et je n'ai plus de remarques à faire sur son comportement.
Lors de conversations, [X] l'a dit que ' j'étais bandante' et que cet été, ' j'allais lui donner ou mettre la trique.
En juin ou juillet, il m'avait invitée à aller boire une bière avec lui au bar après le travail, invitation que j'ai refusée.
Une fois, je suis allée au travail avec un chemisier. Il m'a dit que ' je l'excitais, que je lui montrais mes seins.'. J'avais un chemisier fermé, sans décolleté et pas transparent.
Il m'a fait plusieurs remarques sur mon physique et m'a dit ' ma petite beauté'. J'étais vraiment mal à l'aide
En septembre, il vendait des pots de fleurs en terre vide et j'étais intéressée. Il m'a proposé de venir chez lui un jour précis car il serait seul à son domicile. Je suis restée sans voix et inquiète. Je ne le sentais pas, je lui ai dit que si je venais, c'était avec mon conjoint. Il m'a rétorqué ' pour qui elle se prend, la cougar'.
En septembre ou octobre, il m'a demandé mon numéro de téléphone personnel et quand j'ai refusé de lui donner, il m'a dit qu'il l'avait déjà chez lui ou dans son bureau et que c'était seulement pour des raisons professionnelles quand nous allons à des réunions. Je lui ai donné mon numéro.'
- la seconde attestation de Mme [V] datée du 27 décembre 2017 ( pièce 26) décrivant les mêmes faits que la précédente.
- la troisième attestation de Mme [V] datée du 2 septembre 2019 ( pièce 20) exprimant sa stupéfaction à la lecture des conclusions du conseil de M.[S] et des témoignages produits devant le conseil des prud'hommes, s'agissant de personnes n'ayant pas travaillé avec M.[S] ni partagé le même bureau. Elle a ajouté que ' M.[S] a eu depuis le début de son contrat de travail ( en avril 2017) un vocabulaire inadapté et déplacé et parfois grossier à mon encontre et ce tout au long de mon contrat au Relais. M.[S] voulait tout contrôlé au niveau de l'insertion et faisait pression sur moi. J'ai aussi remarqué qu'il pouvait manquer de respect envers certaines personnes qu'il accompagnait lors de rendez-vous où j'étais présente. Il se moquait d'eux en les infantilisant, en les prenant de haut.
La plainte contre moi pour dénonciation calomnieuse a été classée sans suite et ma plainte est toujours en cours. Les deux femmes qui ont occupé le poste de conseillère en insertion avant moi au relais ont été entendues lors de l'enquête par la gendarmerie de [Localité 7]. J'ai été extrêmement fragilisée par cette expérience professionnelle, c'est la pire que j'ai vécue et la plus traumatisante. J'étais dans un état de stress permanent quand je travaillais avec M.[S].'
- l'attestation de Mme [N], assistante comptable à laquelle Mme [V] s'est confiée : ' Le jeudi ou vendredi 23/24 novembre 2017 , Mme [V] est venue nous ( Mme [A] et moi-même) parler dans notre bureau car elle n'allait pas très bien. On lui a demandé si ça allait mieux depuis que [X] [S] a changé de bureau. Elle nous a répondu que non car il faisait toujours des allers et venues dans son bureau pour venir chercher des papiers et autre. Elle sentait une pression puis nous a raconté pourquoi elle était si tendue et que c'était non seulement une pression morale mais aussi des termes plus crus qui l'avaient choquée comme ' si elle avait 4 enfants, c'est qu'elle aimait ça' et qu'une fois, elle avait un bouton de son chemisier défait et il lui avait dit que ' ça lui donnait la trique'. Après cela, on lui a proposé qu'elle écrive ces dires pour en faire part à la direction. [E] [R] n''étant pas là, on lui a dit de le donner à [H] [L]. Ce qu'elle a fait. La semaine d'avant, je passais devant leur bureau, et j'ai surpris [X] [S] juste devant le bureau de [F] et lui dire ' Qu'est ce ( que) tu as encore été raconté''
- l'attestation de Mme [A], chargée des ressources humaines confirmant la venue de Mme [V] dans le bureau commun d'avec Mme [N] : ' [F] leur disant que ça n'allait pas. On lui a demandé si la séparation des bureaux l'avait aidée mais elle a répondu non, qu'elle avait très peur de lui(..)j'ai voulu la rassurer en lui disant qu'il ne pouvait pas avoir son adresse mais elle a répondu qu'il lui a dit une fois ' j'ai ton CV chez moi avec ton adresse. A partir de là, elle a dit, il s'est passé d'autres choses qui augmentent ma peur. Par exemple, il m'a déjà dit que j'étais une chaudasse car j'au eu 4 enfants, que je devais aimer ça, que je lui donnais la trique, etc', que des termes très déplacés. J'ai demandé à [F] si elle avait déjà raconté tous ces faits à la direction , elle m'a répondu que non, qu'elle en avait même pas parlé à son compagnon. Je lui ai donc suggéré de le faire rapidement que cela pourra l'aider, elle m'a répondu qu'elle ne savait pas trop comment s'y prendre, je lui ai proposé de le faire par écrit si c'est trop dur à faire. Après cet échange, nous sommes retournées travailler et un petit quart d'heure après, elle est revenue en me donnant son témoignage. Je lui ai donc dit que j'allais le transmettre à M.[L], l'adjoint, le PDG étant en déplacement.'
- le procès-verbal d'audition de Mme [V] lors de son dépôt de plainte le 27 décembre 2017 auprès de la gendarmerie de [Localité 7] pour des faits de harcèlement sexuel de la part de M.[S] ( pièce 29), confirmant l'intégralité des faits dénoncés dans ses attestations. Elle précisait que dès le premier jour de son arrivée dans le poste en avril 2017, M.[S] qui partageait le même bureau a adopté un comportement inadapté, 'trop gentil, charmeur' ce qui la mettait mal à l'aise, à poser des questions sur sa vie privée ce qui l'a amenée immédiatement à dire qu'elle avait quelqu'un dans sa vie afin de mettre une barrière; que dans les semaines suivantes, il lui a posé beaucoup de questions sur son conjoint ; que lorsqu'un collègue M.[Z] [D] les rejoignait dans le bureau et que les deux hommes la taquinaient en lui demandant ce que 'son compagnon avait de plus qu'eux deux', elle préférait ne pas répliquer et restait muette;
que par la suite, elle trouvait comme solution 'lorsqu'elle sentait que la situation allait dégénérer' de quitter son bureau. Une fois, [Z] [D] lui ayant dit qu'elle lui faisait penser à une ex-copine et qu'il avait envie de l'étrangler, elle a signalé la situation au Directeur qui a convoqué le salarié; qu'à partir de cette date, elle n'a plus rencontré de souci avec M.[D] dont le comportement est devenu irréprochable et ils ont travaillé ensemble sans qu'il y ait eu la moindre allusion. En revanche, M.[S] a continué à lui tenir, sur le ton de la plaisanterie, des propos grossiers et à connotation sexuelle et lorsqu'elle le remettait parfois à sa place , il lui répliquait qu'elle ' n'avait qu'à pas lui montrer ses seins' et ' pour qui elle se prend la cougar'. Elle a ajouté que M.[S] était assez tactile mais n'avait jamais eu de geste désobligeant ou déplacé à son encontre. Alors qu'elle allait bien physiquement et moralement avant son recrutement, elle est en arrêt de travail depuis le 1er décembre 2017 pour des problèmes aux cervicales et à l'épaule.
- les avis d'arrêt de travail de Mme [V] à compter du 1er décembre 2017 et jusqu'au 13 décembre, prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 31 mai 2018,
- l'attestation d'une psychologue confirmant avoir reçu en consultation Mme [V] à quatre reprises durant les mois de décembre 2017 et de janvier 2018.
- le courrier de son médecin traitant indiquant que la patiente lui a dit avoir été victime de harcèlement sur son lieu de travail de la part d'un collègue ce qui d'après elle aggraverait son état de santé actuel.
M.[S] critique l'attestation de Mme [V] qu'il estime avoir été établie pour les besoins de la cause, manifestement après le licenciement et sous la dictée de la Direction de la société, pour tenter de monter un dossier contre lui ; que l'employeur aurait extrapolé à partir des déclarations vagues et mensongères de Mme [V] l'existence d'une faute grave à son encontre ; qu'il a produit a priori une attestation de M.[D] vraisemblablement en contrepartie d'une menace de licenciement alors que ce dernier était également mis en cause par Mme [V].
Toutefois, la description des faits par Mme [V] dans ses attestations est à la fois précise et circonstanciée, même en l'absence de datation exacte, et parfaitement cohérente avec :
- les témoignages de ses collègues Mme [N] et Mme [A] qui ont recueilli le 23 ou 24 novembre 2017 les confidences de la salariée, laquelle demeurait inquiète et soumise à une forme de 'pression' de M.[S] 'continuant ses allers et venues dans l'ancien bureau commun' malgré son affectation dans un autre bureau. Les deux témoins confirment à la fois la teneur des propos vulgaires et dégradants à connotation sexuelle rapportés par Mme [V] mais également le désarroi de leur collègue 'ne sachant pas comment s'y prendre' pour dénoncer les faits par écrit auprès de la Direction au moyen d'un simple courrier. Elles décrivent un sentiment de crainte ressentie par Mme [V] à l'égard de M.[S], se montrant intrusif pour connaître les détails dans sa vie personnelle et pressant en l'invitant au bar et à son domicile personnel malgré les refus de sa collègue. Elles précisent avoir conseillé à leur collègue de dénoncer auprès de la Direction par écrit les faits dont elle souffrait et dont elle n'osait pas parler, même à son compagnon.
- la réitération des accusations de Mme [V] lors d'un entretien le 27 novembre 2017 avec le dirigeant de l'entreprise M.[L], à l'issue duquel Mme [V] a accepté de régulariser le jour même ses dires dans une attestation officielle.
- le dépôt de la plainte déposée le 27 décembre 2017 par Mme [V] auprès des services de la gendarmerie de [Localité 7].
- la plainte avec constitution de partie civile instruite actuellement par un juge d'instruction, après la décision de classement sans suite de sa plainte initiale par le Parquet de Rennes.
S'agissant de l'attestation de M.[D], salarié, en date du 27 novembre 2017 selon laquelle 'à l'heure actuelle, je ne suis pas en mesure de certifier que M.[B] [X] aurait tenu à l'égard de Mme [V] les propos suivants : 'tu as quatre enfants. Tu dois aimer cela. Tu es une chaudasse.'. Par ailleurs, je certifie que je n'ai jamais alimente(r) ce genre de propos', force est de constater que l'auteur ne conteste ni la réalité des propos à connotation sexuelle rapportés par sa collègue Mme [V] ni la présence de son collègue M.[S] au moment des faits et qu'il est catégorique sur le fait qu'il n'est pas l'auteur de tels propos. Contrairement à ce que soutient M.[S], la formulation prudente de ce témoignage permet d'écarter le fait qu'elle ait pu être rédigée sous la pression de son employeur, M.[D] ayant pris le soin de ne pas accuser formellement son collègue M.[S] des faits dénoncés par Mme [V] alors que tous les trois se trouvaient dans le bureau. Un tel témoignage, au demeurant corroboré par les autres éléments du dossier, ne fait que confirmer la crédibilité de Mme [V] sur la nature et la fréquence des agissements dénoncés.
Si des salariés et des proches ont témoigné dans des attestations produites par M.[S], en s'étonnant des accusations dirigées à l'encontre de ce dernier, décrit comme un bon professionnel :
- Correct, ne tenant pas de propos déplacés et ne faisant pas d'allusion à la vie privée des femmes de son entourage professionnel,
- n'ayant pas de conflit avec Mme [V] selon M.[P] collègue dans un bureau voisin, qui n'a jamais entendu de conflits entre ses deux collègues décrivant même 'une entente cordiale'. Il 'n'a jamais vu M.[S] harceler qui que ce soit et M.[S] soupirait lorsqu'il entendait des blagues de la part de ses collègues en passant devant leur bureau'.
- M.[K], collègue dans un bureau contigu dont la porte était ouverte, n'a jamais entendu de propos équivoque ou constaté de geste déplacé de M.[S] envers Mme [V], lesquels, une semaine avant la mise à pied, 'communiquaient convivialement ensemble,force est de constater que ces attestations sont rédigées dans des termes laconiques et généraux, émanent d'anciennes collègues et de stagiaires n'ayant pas partagé durant plusieurs mois un bureau avec M.[S], et ne relatent aucun fait précis sur les relations de travail entretenues par ce dernier avec sa collègue Mme [V]. En tout état de cause, ils ne sont pas de nature à infirmer les déclarations de cette dernière.
S'agissant de la volonté de la Direction d'évincer M. [S], pourtant reconnu pour la qualité de son travail et apprécié pour ' son grand professionnalisme'(page 19 conclusions), aucun élément sérieux ne confirme que le salarié a fait l'objet d'un licenciement, dans le cadre d'un montage grossier de la Direction, du Responsable des ateliers M.[C] et de sa collègue Mme [V], pour des motifs étrangers aux griefs visés dans la lettre de licenciement. Si le témoignage de Mme [I] évoque des reproches formulés en sa présence par M.[C] Responsable des ateliers à l'égard de M.[S], l'échange vif décrit durant l'après-midi du 23 novembre 2017, est isolé et s'est inscrit dans un contexte particulier, M.[S] ayant décidé de mener seul, ce jour-là , des entretiens de fin de période d'essai sans en informer le Responsable d'ateliers et en méconnaissance des usages de l'entreprise. Les éléments fournis par le salarié ne permettent pas de conforter sa thèse selon laquelle M.[C] ' voulait sa tête' et aurait participé à une action concertée de la Direction et de Mme [V] pour l'évincer de l'entreprise.
Contrairement à ce que soutient le salarié, le fait que Mme [V] ait accepté d'accompagner M.[S] lors d'un déplacement professionnel, dans un véhicule commun, le 16 octobre 2017, ne permet d'en tirer aucune conclusion et ne décrédibilise nullement les accusations de harcèlement de Mme [V] un mois plus tard, s'agissant de faits que sa collègue n'osait pas dénoncer à l'époque, au regard notamment de sa situation professionnelle (faible ancienneté, opportunité d'un emploi stable après un contrat aidé /pièce 29) .
Il ressort de ces éléments que les propos vulgaires et dégradants de M.[S] rapportés par Mme [V], accompagnés de questions intrusives sur la vie personnelle de celle-ci, d'invitations insistantes au bar ou à son domicile personnel, de réflexions humiliantes en cas de refus opposé par Mme [V], constituent des agissements répétés à connotation sexuelle ; que les réactions de la victime, en exprimant son malaise, son indignation, en restant muette et ses doléances recueillies incidemment par deux de ses collègues, confirment le désarroi et la souffrance exprimée par Mme [V], qui a fait l'objet d'un arrêt de travail et d'un suivi psychologique ; que la salariée a manifesté, au-delà de ses doléances auprès de son employeur, sa volonté dès le 27 décembre 2017 de réitérer ses accusations au travers d'une plainte devant les services de gendarmerie puis d'une plainte avec constitution de partie civile; que les explications de M.[S] en lien avec un montage grossier et concerté de la direction avec un responsable et Mme [V] de l'évincer de l'entreprise, ne sont corroborées par aucun élément objectif.
L'employeur, informé des doléances précises et circonstanciées de la salariée et des témoignages de ses deux collègues mises dans la confidence et confortant son témoignage, était tenu de prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité physique et morale de Mme [V] et fondé à prononcer le licenciement de M.[S] au regard de la nature des agissements de harcèlement sexuel rendant impossible son maintien dans une entreprise impliquant un travail d'équipe et de confiance entre les salariés.
Le licenciement de M.[S] pour faute grave étant justifié, le salarié, qui n'a pas maintenu en cause d'appel sa demande de réintégration à laquelle le conseil a fait droit, sera débouté, par voie d'infirmation du jugement, de ses demandes en paiement :
- de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
- d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- d'indemnité compensatrice de préavis
- de dommages-intérêts pour licenciement prononcé dans des conditions brutales et vexatoire.
Sur la demande de Pôle Emploi
Le licenciement de M.[S] pour faute grave étant validé, la demande de Pôle Emploi de remboursement de ses indemnités chômage sur le fondement de l'article L 1235-4 du code du travail n'est pas fondée et sera rejetée, par voie d'infirmation du jugement.
Sur les autres demandes et les dépens
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société EBS Le Relais Bretagne les frais non compris dans les dépens. M.[S] sera condamné à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l'article 700 du code de procédure civile.
M.[S] et Pôle Emploi seront déboutés de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
M.[S] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
- Dit que le licenciement pour faute grave notifié le 14 décembre 2017 à M.[S] est justifié,
- Déboute M.[S] de l'ensemble de ses demandes,
- Condamne M.[S] à payer à la société EBS Le Relais Bretagne la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- Rejette la demande de Pôle Emploi en remboursement des prestations chômage versées à M.[S] et sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamne M.[S] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président