RENVOI DE CASSATION
8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°211
N° RG 22/05051 -
N° Portalis DBVL-V-B7G-TA4K
Mme [V] [H]
C/
- S.E.L.A.R.L. SBCMJ (Liquidation Judiciaire de la SARL JARDINERIE LE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD)
- Association UNEDIC, CGEA-AGS DE [Localité 9]
RENVOI DE CASSATION :
Réformation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Bertrand SALQUAIN
Copie certifiée conforme à :
- Me [F] [C]
- Association UNEDIC, Délégation AGS-CGEA DE [Localité 9]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Février 2023
En présence de Madame [P] [X], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 22 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE sur renvoi de cassation du jugement du CPH du MANS du 12/12/2018:
Madame [V] [H]
née le 25 Mars 1979 à [Localité 4] (72)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Gwénola VAUBOIS substituant à l'audience Me Bertrand SALQUAIN de la SELARL ATLANTIQUE AVOCATS ASSOCIES, Avocats au Barreau de NANTES
INTIMÉES sur appel du jugement du CPH du MANS du 12/12/2018 après renvoi de cassation :
La S.E.L.A.R.L. de Mandataires Judiciaires SBCMJ prise en la personne de Me [F] [C] ès-qualités de Mandataire liquidateur de la SARL JARDINERIE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD ayant son siège:
[Adresse 2]
[Localité 4]
INTIMÉE NON CONSTITUÉE
.../...
L'Association UNEDIC, Délégation AGS-CGEA DE [Localité 9] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 3]
[Adresse 7]
[Localité 9]
INTIMÉE NON CONSTITUÉE
=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=
Mme [V] [H] a été embauchée le 25 février 2002 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de vendeuse par la société GEORGES DELBARD SA, aux droits de laquelle est venue à compter de sa création la société SARL JARDINERIE LE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD.
En vertu d'un avenant au contrat de travail du 1er juillet 2010, Mme [H] est devenue responsable de rayon, statut non cadre, au coefficient 190 de la convention collective nationale des jardineries et graineteries.
Mme [H] a exercé à compter de 2011 un mandat de déléguée du personnel.
La société JARDINERIE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce du [Localité 4] du 18 novembre 2014. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du même tribunal du 2 décembre 2014 qui a également désigné Me [N] [E] en qualité de liquidateur judiciaire, Mme [H] étant désignée en qualité de représentante des salariés.
Par ordonnance du juge-commissaire du 10 décembre 2014, le liquidateur judiciaire a été autorisé à procéder au licenciement pour motif économique des 15 salariés de la société JARDINERIE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD parmi lesquels Mme [H].
Le 18 décembre 2014, elle a accepté le contrat de sécurisation professionnelle proposé par le liquidateur judiciaire, la date de fin du délai de réflexion étant fixée au 2 janvier 2015.
Par décision du 5 janvier 2015, la Direccte Pays de la Loire ' Unité territoriale Sarthe a autorisé le licenciement pour motif économique de Mme [H], qui a été licenciée le 6 janvier 2015.
Le 8 décembre 2015, Mme [H] a saisi le Conseil de prud'hommes du Mans aux fins de :
' avant dire droit, surseoir à statuer et renvoyer à titre de question préjudicielle au tribunal administratif de Nantes, l'application de la légalité de la décision d'autorisation de licenciement de l'inspectrice du travail en date du 5 janvier 2015 ;
' dire et juger que la rupture du contrat de travail de Mme [H] est nulle ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ;
' fixer en conséquence, au passif de la liquidation judiciaire de la SARL JARDINERIE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD les sommes suivantes :
- 3.300 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 330 € au titre des congés payés,
- 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour nullité ou subsidiairement absence
de cause réelle et sérieuse de cette rupture du contrat de travail ;
' ordonner à Me [E] es-qualité de remettre à Mme [H] une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au jugement à intervenir, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de 75 € par jour de retard et par document ;
' dire et juger le jugement opposable à l'AGS CGEA de [Localité 9] ;
' débouter Me [E] es-qualités et l'AGS CGEA de [Localité 9] de leurs demandes ;
' ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions en application de l'article 515 du code de procédure civile ;
' condamner Me [E] es-qualités à verser à Mme [H] une somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Par jugement en date du 12 décembre 2018, le Conseil de prud'hommes du Mans a :
' dit que Mme [H] est forclose en son action ;
' débouté Mme [H] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné Mme [H] aux entiers dépens.
Par arrêt du 29 octobre 2020, la Cour d'appel d'Angers a infirmé le jugement prononcé le 12 décembre 2018 par le Conseil de prud'hommes du Mans et statuant à nouveau, a :
' constaté que Mme [H] ne sollicite plus devant la cour une indemnité compensatrice de préavis ;
' rejeté la fin de non-recevoir tirée de la forclusion soulevée par Me [E], es-qualités et par le CGEA-AGS de [Localité 9] ;
' déclaré en conséquence recevable l'action engagée par Mme [H] ;
' constaté que le licenciement pour motif économique de Mme [H] a été autorisé par l'inspection du travail le 5 janvier 2015 ;
' débouté en conséquence Mme [H] de sa demande en fixation au passif de la liquidation judiciaire de la SARL JARDINERIE DELBARD d'une créance de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
' débouté Mme [H] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' condamné Mme [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La cour est saisie par déclaration du 5 août 2022 formée par Mme [H] sur renvoi après un arrêt de cassation partielle du 29 juin 2022 par lequel la Chambre sociale de la Cour de cassation a :
' cassé et annulé, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par le liquidateur judiciaire de la SARL JARDINERIE DELBARD et par l'AGS-CGEA de Rennes, l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel d'Angers ;
' remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la Cour d'appel de Rennes ;
' condamné la SELARL SCBCM, prise en la personne de Me [C], en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL JARDINERIE DELBARD aux dépens ;
' condamné, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la SELARL SCBCM ès qualités, à payer à Mme [H] la somme de 3.000 € ;
' dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la décision partiellement cassée.
Vu les dispositions de l'article 1037-1 du code de procédure civile dans sa version en vigueur'aux termes desquelles :
«'En cas de renvoi devant la cour d'appel, lorsque l'affaire relevait de la procédure ordinaire, celle-ci est fixée à bref délai dans les conditions de l'article 905. En ce cas, les dispositions de l'article 1036 ne sont pas applicables.
La déclaration de saisine est signifiée par son auteur aux autres parties à l'instance ayant donné lieu à la cassation dans les dix jours de la notification par le greffe de l'avis de fixation. Ce délai est prescrit à peine de caducité de la déclaration, relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président.
Les conclusions de l'auteur de la déclaration sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration.
Les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration.
La notification des conclusions entre parties est faite dans les conditions prévues par l'article 911 et les délais sont augmentés conformément à l'article 911-2.
Les parties qui ne respectent pas ces délais sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.
[...]'» ;
Vu l'absence de conclusions de la part de Mme [H], après sa saisine de la cour, avant celles notifiées par voie électronique le 8 décembre 2022 ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 5 avril 2019 par lesquelles Mme [H] demandait à la cour d'appel d'ANGERS de réformer le jugement du conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions et sur le fond, statuant à nouveau, de :
' dire le licenciement intervenu le 2 janvier 2015 dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
' fixer sa créance au passif de la société Jardinerie Delbard comme suit :
- 30.000 € à titre de dommages et intérêts en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse';
- 3.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
' ordonner à Me [E] ès-qualités de lui remettre un bulletin de paie et une attestation Pôle emploi conformes, sous astreinte de 75€ par jour de retard et par document, à compter de la notification de la décision ;
- condamner Me [E] ès-qualités en tous les dépens ;
- dire la décision opposable à l'AGS-CGEA de [Localité 9].
Vu l'absence de constitution des intimées';
La clôture a été prononcée par ordonnance du 16 février 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions régulièrement notifiées.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Mme [H] demandait dans ses dernières écritures que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse au motif, d'une part que la cessation de l'activité de la société résultait d'une faute de l'employeur, d'autre part que le liquidateur avait manqué à son obligation de reclassement.
En application de l'article L. 2411-1 du code du travail, tout licenciement d'un salarié protégé doit être préalablement autorisé par l'inspection du travail y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ; en application de l'article L. 2421-6 du même code, le salarié représentant des salariés dans le cadre d'une procédure collective bénéficie de la même protection.
Lorsqu'il s'agit du licenciement de salariés protégés, il est constant que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique ou du respect par l'employeur de son obligation de reclassement.
Le moyen soulevé par Mme [H] tenant au non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement, qui ne relève pas de la compétence de la présente juridiction, doit donc être écarté.
La décision d'autorisation de licenciement prise par l'inspecteur du travail, à qui il n'appartient pas de rechercher si la cessation d'activité est due à la faute de l'employeur, ne fait en revanche pas obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions judiciaires compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui aurait causés une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, y compris le préjudice résultant de la perte de son emploi.
Sur l'existence d'une fraude
Mme [H] fait valoir au soutien de ce moyen que les agissements de l'employeur sont constitutifs d'une fraude, que la cessation d'activité de l'entreprise résulte d'une faute de l'employeur caractérisée par les éléments suivants :
- au moment de la cession de l'entreprise à la société BI INVEST en octobre 2013, le chiffre d'affaires était en progression ainsi qu'en atteste l'ex-directeur,
- la progression du chiffre d'affaires s'est poursuivie jusqu'au 31 août 2014,
- ses collègues et elle-même ont été étonnés de recevoir des appels de fournisseurs demandant le règlement de factures impayées et ils ne comprennent pas où est passé l'argent de la société,
- le collaborateur de l'administrateur judiciaire s'est interrogé au sujet de la disparition d'une somme de 60.000 € des comptes de la société,
- le chèque correspondant à cette somme aurait été encaissé le 1er septembre 2014 par la SARL FLOR APPRO qui a pour gérant M. [K] [Y], lequel était également gérant de la société JARDINERIE DELBARD ainsi que de la société BI INVEST,
- le mandataire judiciaire avait déclaré devant le tribunal de commerce, au moment de la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire, qu'il conviendrait de rechercher comment la société avait été gérée et ce qu'il était advenu de la trésorerie,
- le tribunal de commerce de Caen a prononcé à l'encontre de M. [Y] le 18 avril 2018 une mesure de faillite personnelle pour une durée de 15 ans après avoir constaté, à propos de la SARL JARDINERIE [Localité 6] DELBARD, une absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours, une absence de comptabilité, une absence de remise de mauvaise foi de la liste des créanciers et des renseignements prévus par les textes légaux, un usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci ou à des fins personnelles et un détournement de l'actif de cette SARL pour un montant de 312.000 € auquel s'ajoutait le stock de marchandises parti par camion à DIEPPE,
- cette pratique était courante puisque M. [Y] et son associé ont commis des agissements frauduleux dans d'autres sociétés telle que la SARLJARDINERIE DELBARD de [Localité 8],
- M. [Y] a reconnu avoir viré 300.000 € sur le compte de la société BI INVEST,
- un déstockage massif ayant affecté la société JARDINERIE DELBARD de [Localité 10] est également à l'origine de sa mise en liquidation judiciaire.
Si le tribunal de commerce de Caen a prononcé le 18 avril 2018 une mesure de faillite personnelle à l'encontre de M. [K] [Y] (A14), cette décision ne concerne que la gestion de la société JARDINERIE DELBARD de [Localité 6] et le fait que M. [Y] ait été également le dirigeant de la société JARDINERIE LE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD par laquelle était employée Mme [H] ne permet pas d'établir la matérialité d'agissements frauduleux commis au préjudice de cette dernière société et qui seraient directement à l'origine de sa liquidation judiciaire'; en particulier la constatation de détournements ou de dissimulation d'une partie de l'actif de la société exploitant la jardinerie de [Localité 6] au profit de la société BI INVEST et celle d'une absence de comptabilité de cette dernière ne constitue aucune preuve de l'existence d'agissements similaires au détriment de la société qui employait Mme [H].
De même, les agissements décrits dans le témoignage de M. [I] (pièce n°8), qui auraient été commis au préjudice d'autres sociétés du groupe dirigées par M. [Y], notamment celles exploitant la jardinerie de [Localité 8] ou celle de [Localité 10], ne permettent pas de présumer l'existence d'une fraude concernant la société qui employait Mme [H].
Le témoignage de M. [T] (pièce n°A5), ancien directeur du magasin, qui fait état de différents faits constitutifs selon lui d'anomalies de gestion (mouvements de fonds, déstockage de marchandises etc), ne permet pas de conclure à l'existence d'une fraude, ces faits n'ont donné lieu à aucune action civile ou pénale devant les juridictions compétentes et n'étant étayés par aucune pièce probante.
La circonstance que le mandataire judiciaire ait déclaré devant le tribunal de commerce lors de l'audience d'ouverture de la liquidation judiciaire (pièce n°A13) qu'il «'conviendra[it] de rechercher comment la société a été gérée et ce qu'il est advenu de la trésorerie'» en l'absence d'autres éléments relatifs à la nature des investigations qui auraient été menées et permettant d'en connaître le résultat, n'est pas suffisant.
La salariée ne rapporte pas la preuve de faits qui seraient de nature à démontrer une gestion fautive de la SARL JARDINERIE [Localité 4] [Localité 5] DELBARD, ni même, au-delà d'une simple erreur de gestion, de décisions prises en toute connaissance de cause tendant à créer intentionnellement et artificiellement la mise en liquidation judiciaire de la société.
Les éléments invoqués par Mme [H] ne permettent pas de rapporter la preuve que son licenciement, quoique autorisé par l'inspection du travail le 5 janvier 2015 à la suite de l'ordonnance du juge-commissaire du 10 décembre 2014, aurait été obtenu par fraude.
Sur les frais irrépétibles
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit prononcé aucune condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile dans cette instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt rendu par défaut par mise à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement dans les limites de la saisine du renvoi après cassation selon l'arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation en date du 29 juin 2022, sauf en ce qu'il a déclaré Mme [H] forclose en son action,
Et statuant à nouveau,
DÉBOUTE Mme [H] de toutes ses demandes,
CONDAMNE Mme [H] aux entiers dépens,
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.