1ère Chambre
ARRÊT N°148/2023
N° RG 20/06434 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RGQC
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE
C/
DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE BRETAGNE
RECETTE DE LA DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS DE BRETAGNE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
La société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, SAS immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Saint-Étienne sous le n°428.268.023, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Béatrice BOBET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Matthieu TORET du cabinet ENERLEX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
La Direction Régionale des douanes et Droits Indirects de Bretagne représentée par la Directrice Régionale, domiciliée en cette qualité
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Nolwenn TROADEC, Postulant, avocat au barreau de LORIENT
Représentée par Me Julien FOURNIER du cabinet ASTORIA AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
La Recette Régionale des Douanes et Droits Indirects de Bretagne représentée le Receveur Régional, domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Nolwenn TROADEC, Postulant, avocat au barreau de LORIENT
Représentée par Me Julien FOURNIER du cabinet ASTORIA AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS ET PROCÉDURE
La sas Casino Distribution France (ci-après la société Casino) dont l'activité consiste à acheter des produits de grande consommation (denrées alimentaires et boissons) commercialisés en France et hors de France à ses hypermarchés ou supermarchés affiliés, achète des boissons contenant des sucres ajoutés ou des édulcorants de synthèse entrant dans le champ d'application des contributions sur les boissons sucrées et édulcorées, prévues aux articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts, dite 'taxe soda', répercutées par ses fournisseurs sur les factures d'achat.
Soutenant que sur la période 2016, 2017 et 2018, certaines boissons exportées ont été soumises à tort à la taxe soda, la société Casino en a, par courrier du 8 juin 2018, sollicité le remboursement auprès du bureau des douanes de [Localité 4].
Par courrier du 1er août 2018, la direction régionale des douanes et droits indirects de Bretagne (ci-après l'administration des douanes) a rejeté cette demande motif pris de ce que les articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts n'en prévoyaient pas le remboursement en dehors du mécanisme d'attestation en franchise.
Par acte du 27 septembre 2018, la société Casino a assigné l'administration des douanes devant le tribunal de grande instance de Rennes (devenu tribunal judiciaire à compter du 1er janvier 2020) aux fins d'annulation de cette décision de rejet.
Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Rennes a :
- confirmé la décision de rejet,
- débouté la société Casino de ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles,
- condamné la société Casino aux dépens.
La société Casino a interjeté appel par déclaration du 29 décembre 2020.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
La société Casino expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 28 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour de :
- juger que la procédure de remboursement prévue par l'article 1965 FA du code général des impôts s'applique en matière de contribution sur les boissons sucrées,
- juger que la procédure de remboursement prévue par l'article 1965 FA du code général des impôts est applicable en l'espèce,
- juger que la décision de rejet de l'administration des douanes est contraire à l'interdiction de la taxation des marchandises exportées,
- juger que la décision de rejet du 1er août 2018 est insuffisamment motivée,
- en conséquence,
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Rennes,
- annuler la décision de rejet datée du 1er août 2018,
- ordonner l'application de l'article 1965 FA du code général des impôts,
- accorder le remboursement de la somme de 7.847,90 €, ainsi que les intérêts de retard au taux légal en vigueur à compter de la date de la demande de remboursement,
- en tout état de cause,
- condamner la direction régionale des douanes de Bretagne à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la direction régionale des douanes de Bretagne aux dépens.
L'administration des douanes expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 13 octobre 2021 auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour de :
- juger qu'elle a motivé sa décision de rejet du 1er août 2018,
- juger que la société Casino ne peut se prévaloir a posteriori du mécanisme de franchise des articles 1613 ter et quater du CGI,
- juger que la société Casino n'apporte pas la preuve d'une double imposition,
- juger que partant, l'article 1965 FA du CGI est inapplicable,
- en conséquence,
- juger que la société Casino est mal fondée en son appel,
- rejeter toutes les demandes de la société Casino,
- confirmer le jugement,
- en tout état de cause,
- condamner la société Casino à lui verser la somme de 3.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,
- la condamner aux dépens.
MOTIFS DE L'ARRÊT
À titre liminaire, il convient de rappeler que l'office de la cour d'appel est de trancher le litige et non de donner suite à des demandes de 'constater', 'dire' ou 'dire et juger' qui, hors les cas prévus par la loi, ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5 et 954 du code de procédure civile lorsqu'elles sont seulement la reprise des moyens censés les fonder.
1) Sur la demande d'annulation de la décision de l'administration des douanes fondée sur le défaut de motivation
L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration impose que les décisions administratives individuelles défavorables soient motivées en fait et en droit.
Selon l'article L211-5 du même code, 'la motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision'.
En l'espèce, la demande de remboursement de la société Casino du 8 juin 2018 ne citait aucun fondement légal, que ce soit les articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts et encore moins l'article 1965 FA du même code.
Néanmoins, la décision de rejet de l'administration des douanes du 1er août 2018 a été motivée comme suit : 'Je vous informe que votre demande de remboursement du mardi 19 juin 2018 qui a été réceptionnée par mes services le 19/06/2018 sous le numéro 201800016527 a dû être rejetée pour la raison suivante : saisie par mes soins de votre demande, la Direction générale des douanes et droits indirects a indiqué que les demandes de l'espèce ne sont pas recevables au motif que, pour les transactions passées, aucun mécanisme de remboursement n'est prévu par les articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts en dehors du mécanisme d'attestation en franchise'.
L'administration a ainsi rejeté la demande de remboursement en se fondant en droit sur les articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts et en motivant en fait son rejet par l'absence pour les transactions passées, ce qui est le cas d'espèce, de mécanisme de remboursement en dehors de celui de l'attestation en franchise.
Le jugement déféré, qui a considéré que la décision critiquée était motivée au regard des exigences de l'article L211-2 du code des relations entre le public et l'administration, sera confirmé sur ce point.
2) Sur la demande principale de remboursement de la taxe soda
La société Casino demande le bénéfice des dispositions générales de l'article 1695 FA du code général des impôts selon lesquelles 'Lorsqu 'une personne a indûment acquitté des droits indirects régis par le présent code, elle peut en obtenir le remboursement, à moins que les droits n'aient été répercutés sur l'acheteur'.
Elle soutient que pour les boissons sucrées qu'elle a exportées notamment en Guadeloupe, elle a indûment acquitté la taxe soda et en sollicite en conséquence le remboursement.
2.1) Sur le régime des articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts
En droit, les boissons sucrées et édulcorées sont soumises depuis 2012 à un régime spécial de taxation renforcée mentionné aux articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts qui prévoient que le paiement de cette taxe est dû lorsque les boissons :
- relèvent des codes de la nomenclature combinée 2009 et 2202,
- contiennent des sucres ajoutés ou des édulcorants de synthèse,
- sont conditionnées dans des récipients destinés à la vente au détail,
- ont un titre alcoométrique qui n'excède pas un certain seuil.
Il n'est pas contesté en l'espèce que les boissons concernées par le présent litige sont des boissons sucrées et édulcorées. Comme telles, elles relèvent donc de ces dispositions spéciales dont il convient d'examiner l'application avant d'envisager, le cas échéant, celle des dispositions générales de l'article 1695 FA du code général des impôts.
Contrairement à ce que soutient la société Casino, c'est à raison et sans dénaturer les faits que l'administration des douanes s'est située sur le terrain des articles 1613 ter et 1613 quater dans sa réponse du 1er août 2018, l'acquéreur de boissons sucrées et édulcorées ne pouvant s'affranchir à sa guise de ces dispositions d'ordre public.
A ce titre, la taxe soda est due par les fabricants établis en France, par leurs importateurs et par les personnes qui réalisent en France des acquisitions intracommunautaires, et ce sur toutes les quantités livrées à titre onéreux ou à titre gratuit.
Par exception, le 2ème alinéa du paragraphe IV de l'article 1613 ter du code général des impôts, dans sa version applicable au litige, dispose que 'Les personnes qui acquièrent auprès d'un redevable de la contribution des boissons et préparations mentionnées au I qu'elles destinent à une livraison vers un autre Etat membre de l'Union européenne ou un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou à une exportation vers un pays tiers acquièrent ces boissons et préparations en franchise de la contribution.'
Le 3ème alinéa dispose que 'Pour bénéficier des dispositions du deuxième alinéa du présent IV, les intéressés doivent adresser au fournisseur, lorsqu'il est situé en France, et dans tous les cas au service des douanes dont ils dépendent une attestation certifiant que les boissons et préparations sont destinées à faire l'objet d'une livraison ou d'une exportation mentionnée au même deuxième alinéa. Cette attestation comporte l'engagement d'acquitter la contribution au cas où la boisson ou la préparation ne recevrait pas la destination qui a motivé la franchise. Une copie de l'attestation est conservée à l'appui de la comptabilité des intéressés'.
Ainsi, pour les boissons destinées à être exportées vers un autre Etat membre de l'Union européenne ou un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou à une exportation vers un pays tiers, ces dispositions instaurent un régime dit de 'franchise' de la taxe soda.
Ce mécanisme de 'franchise de contribution' s'entend d'une dispense de taxe appliquée à l'acquisition des marchandises ainsi que l'impose le 2ème alinéa du paragraphe IV de l'article 1613 ter du code général des impôts ci-dessus rappelé, l'acquisition étant constituée par le transfert de propriété.
Déclinant la modalité pratique de cette dispense, le 3ème alinéa du paragraphe IV de l'article 1613 ter du code général des impôts impose la transmission par l'acheteur d'une attestation d'exportation au fournisseur situé en France et, dans tous les cas, au service des douanes.
Les modalités de transmission de cette attestation ont été précisées par la circulaire du 21 janvier 2015 (pièce n° 5 produite par la société Casino) dont le point VII.2 prévoit que 'L'attestation doit être délivrée au fournisseur préalablement à la livraison des marchandises. (')'. Et un modèle d'attestation des quantités destinées à l'exportation est préconisé pour permettre la mise en oeuvre du régime de la franchise de droits.
Ainsi, en possession de l'attestation d'achat en franchise, le fournisseur établit sa facturation en exonération de TVA. Ce qui implique que la transmission de l'attestation d'acquisition en franchise de contribution doit intervenir avant la facturation, laquelle intervient en pratique au moment de la livraison qui, par ailleurs, matérialise le transfert de propriété.
Autrement dit, les articles 1613 ter et 1613 quater du code général des impôts qui définissent les modalités du régime de la franchise ne prévoient pas de mécanisme de remboursement rétroactif de la taxe soda.
Au cas particulier, il n'est pas contesté que la société Casino n'a pas transmis, pour les marchandises acquises en 2016, 2017 et 2018 dont elle sollicite le remboursement de la taxe soda, les attestations d'acquisition en franchise au moment de leur facturation par les fournisseurs, de sorte qu'elle a acquis ces marchandises à un prix incluant la taxe soda.
La copie des 6 pièces intitulées 'attestations' versées aux débats par la société Casino font du reste état de ce qu'elle a acheté, entre le 1er janvier 2016 et le 30 avril 2018, les boissons sucrées avec la taxe soda incluse dans le prix de vente (sas Coca-Cola European Partners France du 26 juillet 2018, sas Teisseire France du 25 juin 2018, sa Groupe Fructa Partners du 12 septembre 2018, sas l'Abeille du 9 juillet 2018, sas Parot Eaux minérales naturelles gazeuses du 9 juillet 2018 et sas Refresco France du 26 juillet 2018).
La société Casino l'admet parfaitement puisqu'elle ne revendique pas le bénéfice du régime des articles 1613 ter et 1613 quater, mais celui de l'article 1965 du même code.
Ainsi, pour les marchandises litigieuses, la société Casino n'a pas recouru au mécanisme de l'achat en franchise de contribution.
Ainsi qu'il l'a été jugé en première instance, la contribution a en conséquence été légitimement payée au regard des factures incluant ladite taxe.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
2.2) Sur le régime de l'article 1965 FA du code général des impôts
En l'absence de mécanisme de remboursement de la taxe soda postérieurement à l'acquisition des marchandises, la société Casino entend se prévaloir, par défaut, des dispositions de l'article 1965 FA du code général des impôts qui prévoit que 'Lorsqu'une personne a indûment acquitté des droits indirects régis par le présent code, elle peut en obtenir le remboursement, à moins que les droits n'aient été répercutés sur l'acheteur'.
Toutefois, au cas particulier, la taxe soda légitimement payée en application des articles 1613 ter et 1613 quater ne saurait constituer un indu au sens juridique du terme.
Soutenir, ainsi que le fait la société Casino, que 'Une contribution sur les boissons sucrées acquittée sur des marchandises exportées constitue nécessairement un indu' revient en réalité à contester le mécanisme de l'achat en franchise et ses conséquences, ce qui est inopérant en l'espèce.
Surtout, ainsi que le souligne l'administration des douanes s'agissant de la condition de non-répercussion des droits sur les acheteurs finaux, la société Casino se garde bien d'affirmer dans ses écritures qu'elle n'a pas répercuté les droits sur les consommateurs. Et pour contourner l'exigence de cette 3ème condition posée par l'article 1965 FA, elle prétend inverser la charge de la preuve en exigeant de l'administration des douanes qu'elle rapporte cette preuve de la non-répercussion de ladite taxe sur les acheteurs.
C'est toutefois omettre que c'est à elle qu'il appartient de justifier des conditions de l'article 1965 FA dont elle entend obtenir le bénéfice.
Or, elle ne soutient effectivement pas qu'elle n'a pas répercuté la taxe soda sur les acheteurs finaux, d'où il faut en déduire qu'elle l'a bien répercutée, et elle ne produit aucun élément du circuit de facturation permettant d'attester de cette non-répercussion.
Deux des conditions cumulatives de l'article 1965 FA n'étant pas remplies, sa demande de remboursement sur le fondement de l'article 1965 FA ne peut qu'être rejetée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
3) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, la société Casino supportera les dépens d'appel.
Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.
Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner la société Casino à payer à l'administration des douanes la somme de 3.200 € au titre des frais irrépétibles exposés par elle en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.
Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de la société Casino de ce chef seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Rennes du 15 décembre 2020,
Y ajoutant,
Condamne la société Casino aux dépens d'appel,
Condamne la société Casino à payer à l'administration des douanes la somme de 3.200 € au titre des frais irrépétibles d'appel,
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE