8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°222
N° RG 20/02252 -
N° Portalis DBVL-V-B7E-QTGD
S.A.S.U. SOVEAMIANT
C/
M. [C] [T]
Réformation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Alexis CROIX
- Me Laurent JEFFROY
- Me Mélanie VOISINE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 JUIN 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Mars 2023
devant Madame Gaëlle DEJOIE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [I] [B], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 05 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE et intimée à titre incident :
La S.A.S.U. SOVEAMIANT prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[Adresse 6]
[Localité 3]
Ayant Me Alexis CROIX de la SELARL A-LEX AVOCAT, Avocat postulant du Barreau de RENNES et représentée à l'audience par Me Frédéric DANNEKER, Avocat plaidant du Barreau de PARIS
INTIMÉ et appelant à titre incident :
Monsieur [C] [T]
né le 13 Février 1960 à [Localité 7] (44)
demeurant [Adresse 1]
[Localité 5]
Ayant Me Laurent JEFFROY de la SELARL LAURENT JEFFROY, Avocat au Barreau de LORIENT, pour Avocat constitué
INTERVENANT VOLONTAIRE :
L'Etablissement Public POLE EMPLOI BRETAGNE pris en la personne de son représentant légal et ayant son siège :
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Charles PIOT substituant à l'audience Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Avocats au Barreau de RENNES
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M. [T] a été employé à compter du 1er juillet 2014 par la SASU SOVEAMIANT, avec reprise de l'ancienneté acquise depuis le 12 octobre 2009 au sein de la société TEMPO avant cession par celle-ci de son fonds de commerce, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, pour exercer les fonctions d'encadrement de chantier, fonctions assimilées à celles de chef d'équipe, niveau 4, position 1, coefficient 250 puis d'Opérateur désamianteur conducteur d'engins.
Le 21 janvier 2015, M. [T] a été victime d'un accident du travail provoquant des lésions importantes de sa main gauche, à la suite de la rupture du flexible d'une cisaille hydraulique, l'exposant à une projection d'huile hydraulique ; il a été placé en arrêt de travail jusqu'au 7 novembre 2016.
A l'issue d'une visite médicale de reprise du 7 novembre 2016, le médecin du travail a préconisé les aménagements suivants concernant M. [T] : "Organiser l'emploi du temps afin d'être à domicile le vendredi après-midi pendant un mois. Eviter l'usage d'outils pneumatiques manuels = réadaptation après accident du travail".
M. [T] a été de nouveau placé en arrêt de travail à compter du 8 décembre 2016.
Lors de la visite de reprise du 3 novembre 2017, le médecin du travail a constaté l'inaptitude de M. [T] dans les termes suivants : "Inapte à son poste. L'état de santé de M.[T] fait obstacle à tout reclassement dans un emploi à l'entreprise [sic]".
Par courrier du 8 novembre 2017, l'employeur a interrogé le médecin du travail sur les possibilités de reclassement de son salarié au sein des autres sociétés du groupe.
Le 9 novembre 2017, le médecin du travail a précisé que "M. [T] reste apte à occuper toute fonction (même à temps partiel) n'exposant pas son membre supérieur gauche à des secousses, - et ne nécessitant pas de manutention, - et ne nécessitant pas l'usage d'outils vibrants manuels, - et ne nécessitant pas d'effort de serrage d'outils avec la main gauche".
M. [T] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 décembre 2017.
Par courrier du 26 décembre 2017, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe.
Par décision du 31 décembre 2018 duTribunal des affaires de sécurité sociale du Morbihan, puis par arrêt confirmatif de la cour d'appel de Rennes du 21 octobre 2020, M. [T] a été débouté de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident du travail.
Le 7 décembre 2018, M. [T] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lorient aux fins de voir :
' dire le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
' dire la procédure irrégulière pour non-respect de l'article L.1226-2-1 alinéa 1 du code du travail,
' condamner la SASU SOVEAMIANT au paiement des sommes de :
- 54.601,20 € nets d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2.275,05 € nets de dommages et intérêts,
- 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par la SASU SOVEAMIANT le 12 mai 2020 du jugement de départage du 30 avril 2020 par lequel le Conseil de prud'hommes de Lorient a :
' déclaré que le licenciement de M. [T] décidé par la SASU SOVEAMIANT est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
' condamné la SASU SOVEAMIANT à payer à M. [T] la somme de 18.200,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du 30 avril 2020,
' ordonné le remboursement par la SASU SOVEAMIANT des indemnités de chômage versées par les organismes d'indemnisation chômage à M. [T] dans la limite de quatre mois d'indemnités,
' condamné la SASU SOVEAMIANT aux entiers dépens,
' condamné la SASU SOVEAMIANT à payer à M. [T] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 juillet 2021, suivant lesquelles la SASU SOVEAMIANT demande à la cour de :
A titre principal,
' confirmer partiellement la décision de première instance en ce qu'elle a :
- jugé, d'une part, que la SASU SOVEAMIANT a respecté son obligation de reclassement,
- débouté, d'autre part, M. [T] de sa demande au titre de l'article L.1226-2-1 alinéa 1 du code du travail,
' infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Lorient du 30 avril 2020 'en toutes ses dispositions critiquées par la SASU SOVEAMIANT',
Statuant à nouveau,
' dire et juger que la SASU SOVEAMIANT a respecté son obligation légale de sécurité à l'égard de M. [T] et en conséquence que le licenciement de M. [T] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
' débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,
' condamner en conséquence M. [T] à restituer à la SASU SOVEAMIANT la somme de 20.200,40 € perçue au titre de l'exécution provisoire de la décision de première instance,
' dire et juger en conséquence qu'il n'y a pas lieu, pour la SASU SOVEAMIANT, de procéder au remboursement auprès de l'assurance chômage des allocations perçues par M. [T], dans la limite de quatre mois, ou a fortiori dans la limite de 6 mois selon la demande introduite par Pôle Emploi, en qualité d'intervenant volontaire, à la procédure devant la cour de céans,
A titre subsidiaire, sur le quantum, dans l'hypothèse où la cour considérerait que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
' infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SASU SOVEAMIANT à payer à M. [T] la somme de 18.200,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Et, statuant à nouveau, en cas de condamnation de l'employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fondé sur un manquement à l'obligation de reclassement, en application de l'article L.1226-15 du Code du travail,
' en limiter le quantum à 13.650,30 €, soit l'équivalent de 6 mois de salaire,
' dire et juger que les indemnités fondées sur les articles L.1226-15 et L.1226-12-1 ne peuvent se cumuler,
' débouter en conséquence M. [T] de sa demande fondée sur l'article L.1226-12-1 du code du travail,
Ou, en cas de condamnation de l'employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse fondé sur un manquement à l'obligation de sécurité,
' limiter le quantum de la condamnation à la somme de 6.825,15 €, soit l'équivalent de 3 mois de salaire, en application de l'article L.1235-3 du code du travail,
En tout état de cause,
' condamner M. [T] à payer à la SASU SOVEAMIANT la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamner M. [T] aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 octobre 2020, suivant lesquelles M. [T] demande à la cour de :
' confirmer le jugement de départage du conseil de prud'hommes de Lorient en ce qu'il a dit le licenciement de M. [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
' réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande au titre de procédure irrégulière pour non-respect de l'article L.1226-2-1 alinéa 1 du code du travail et de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 2.275,05 €,
' condamner la SASU SOVEAMIANT au paiement de dommages et intérêts, au visa des dispositions de l'article L 1226-2-1 alinéa 1 du code du travail, à hauteur de 2.275,05 € nets,
A titre principal,
' réformer le jugement de départage du conseil de prud'hommes quant au quantum en ce qu'il a accordé à M. [T] une indemnité à hauteur de 18.200,40 €,
' condamner la SASU SOVEAMIANT au paiement d'une indemnité de 54.601,20 € nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire,
' condamner la SASU SOVEAMIANT au paiement d"une indemnité de 27.360 € nets, soit 12 mois de salaire, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre infiniment subsidiaire,
' confirmer le quantum de la condamnation intervenue à hauteur de 18.200,40 € nets,
' confirmer le jugement dont appel quant à la condamnation de la SASU SOVEAMIANT au paiement d'une somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Y additant,
' condamner sa SASU SOVEAMIANT au paiement d'une somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 juillet 2021, suivant lesquelles Pôle Emploi Bretagne demande à la cour de :
' condamner la SASU SOVEAMIANT à rembourser à Pôle Emploi les indemnités versées à M. [T], dans la limite de 6 mois d'allocations, soit 9.437,58 €,
' condamner la SASU SOVEAMIANT à verser à Pôle Emploi la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' condamner la même aux entiers dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 2 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, à leurs conclusions régulièrement notifiées.
MOTIVATION DE LA DÉCISION
Sur l'origine de l'inaptitude ayant motivé le licenciement
La société SOVEAMIANT fait valoir pour infirmation qu'aucun défaut de contrôle préventif de la cisaille hydraulique utilisée par M. [T] le jour de son accident ne peut être reproché à l'employeur, que notamment la notice technique d'utilisation et d'entretien de la cisaille ne prévoit pas de contrôle ni de démontage complet à échéances annuelle et trisannuelle comme le soutient M. [T].
La société soutient en outre que l'accident dont a été victime M. [T] était imprévisible, qu'aucune fuite sur le flexible défaillant n'avait été détectée avant l'accident, en particulier par le salarié, que la cause de la rupture du flexible est demeurée indéterminée, de sorte qu'aucun lien de causalité ne peut être établi avec un prétendu manquement de l'employeur aux règles d'entretien de la cisaille.
Elle ajoute qu'aucun défaut de formation de M. [T], en particulier à l'utilisation de la cisaille utilisée le jour de l'accident, ne peut être reproché à l'employeur ; elle souligne qu'aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'a été relevé par l'inspection du travail.
La société précise que M. [T] ne décrit pas en quoi les préconisations du médecin du travail lors de la reprise après son accident n'auraient pas été respectées, alors que la société employeur justifie avoir pris les mesures correspondant aux préconisations extrêmement précises du médecin du travail.
La société fait valoir enfin que suite à l'avis du médecin du travail quant à l'inaptitude de son salarié elle a sans délai procédé à une recherche de reclassement auprès des autres sociétés du Groupe, tenant compte de l'aptitude résiduelle de M. [T] parfaitement définie par le médecin du travail'; qu'en l'absence de toute possibilité de reclassement au sein du groupe, la société SOVEAMIANT était fondée à le licencier.
M. [T] soutient pour confirmation que son licenciement pour inaptitude découle des manquements de l'employeur, lequel est à l'origine de l'accident du travail par ses agissements fautifs tant au titre des manquements quant à la formation du salarié sur l'utilisation de la cisaille utilisée le jour de l'accident que de l'entretien de celle-ci ; qu'il manipulait cette cisaille hydraulique sous une pression de 1.300 bars, pour la première fois et n'avait jamais disposé d'une formation à ce titre ; que cette cisaille n'a pas bénéficié d'une maintenance suffisante, l'employeur n'ayant pas mis en place les contrôles qui devaient être effectués conformément aux préconisations d'usage'; que le seul contrôle dont il est justifié par l'employeur porte sur la mise sous pression, postérieurement à l'accident, d'un flexible dont rien ne permet de savoir s'il correspond à celui utilisé par M. [T].
M. [T] soutient en outre que lors de la reprise à compter du 7 novembre 2016, l'employeur n'a aucunement respecté les préconisations du médecin du travail le concernant, ce qui a engendré un nouvel arrêt de travail'; que l'inaptitude découle ainsi des agissements fautifs de l'employeur qui n'a pas pris en compte les recommandations du médecin du travail'; que le licenciement est alors sans cause réelle et sérieuse.
M. [T] soutient par ailleurs que la société SOVEAMIANT n'a pas respecté son obligation de reclassement prévue à l'article L1226-10 du code du travail'; qu'en effet notamment elle ne justifie pas des formations mises en 'uvre alors que, préconisée par le médecin du travail, cette formation s'impose à l'employeur et que la société n'a pas sollicité de nouveau le médecin sur les propositions de postes disponibles au sein d'autres entités du groupe ou pour l'interroger quant aux formations qui devaient être mises en place ; que le jugement doit être réformé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts en application des dispositions de l'article L1226-2-1 du code du travail que l'employeur n'a pas respectée.
Les règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Les juridictions prud'homales demeurent compétentes pour statuer sur les demandes indemnitaires relatives à des préjudices découlant directement du licenciement, les juridictions de sécurité sociale n'ayant compétence, exclusive, que pour réparer les préjudices issus de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, qu'il y ait eu ou non, un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ayant le caractère d'une faute inexcusable.
Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail':
'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent':
1° Des actions de prévention des risques professionnels';
2° Des actions d'information et de formation';
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'
L'article L.4121-2 ajoute':
'L'employeur met en 'uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques';
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités';
3° Combattre les risques à la source';
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé';
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique';
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux';
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1';
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les
mesures de protection individuelle';
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs'.
Il résulte de ces textes que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité dont il doit assurer l'effectivité en prenant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale de ses salariés.
C'est à l'employeur de rapporter la preuve du respect de ses obligations légales, de sorte que lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation.
En l'espèce il est établi par l'ensemble des pièces versées aux débats que l'accident dont a été victime M. [T] est la conséquence d'une rupture du flexible hydraulique équipant l'appareil de découpe de type cisaille qu'il utilisait sur le chantier le 21 janvier 2015.
Il a déjà été relevé que l'appareil utilisé par M. [T] au moment de son accident était une cisaille de marque HYDR'AM modèle CF80, ainsi que mentionné contrairement à ce que soutient le salarié sur le «'plan de retrait ou d'encapsulage'» (pièce n°24 de l'appelante) dans la rubrique n°8 «'identification des outillages utilisés'».
La notice de ce modèle de cisaille hydraulique de marque HYDR'AM de type CHU 180 (pièce n°23 de l'appelante) ne comporte, ainsi que déjà relevé par les premiers juges, aucune préconisation précise de maintenance périodique notamment par un service spécialisé.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont écarté l'argumentation du salarié tenant à l'existence de manquements de l'employeur du fait de l'absence d'expertise tous les 3 ans et de contrôle annuel par référence aux consignes de maintenance prévues pour un modèle de cisaille hydraulique de marque LUKAS et de type eDRAULIC, différent de celui utilisé par le salarié, bien que les deux outils soient proches dans leur conception, de sorte qu'il ne pouvait pas être fait grief à la société du non-respect de préconisations afférentes à un autre matériel que celui utilisé par son salarié.
C'est également à juste titre que les premiers juges ont relevé néanmoins d'une part que la notice de la cisaille HYDR'AM, valable pour tous les modèles visés de la gamme dont celui fourni à M. [T], mentionne pour tous les modèles au chapitre 5 'entretien et service' qu'il convient 'd'inspecter régulièrement tous les composants afin de détecter ceux nécessitant une intervention pour entretien ou service' et que cette préconisation constituait la traduction concrète du principe n°3 des principes généraux de prévention prévu a l'article L 4121-2 du code du travail devant guider l'employeur concernant son obligation de combattre les risques à la source.
C'est d'autre part à juste titre que les premiers juges ont retenu que le terme 'inspecter' figurant dans la notice ne vise pas à limiter les opérations à un simple contrôle visuel, la société SOVEAMIANT ne justifie la preuve d'aucune maintenance de cette la cisaille alors même qu'elle avait été acquise courant février 2012 par la société TEMPO soit trois ans avant l'accident.
Les pièces versées aux débats par l'appelante devant la cour d'appel ne modifient pas cette appréciation puisque l'engagement du chef de chantier, M [H] [M], du 12 janvier 2015, «'d'entretenir le matériel'» de manière générale, ne saurait satisfaire à une maintenance suffisante de nature à garantir un contrôle de prévention effectif de ce type de matériel, les premiers juges ayant déjà relevé que ni la compétence spécifique de cet intervenant ni le suivi de son contrôle n'étaient justifiés et qu'il appartenait à l'employeur de s'assurer de l'effectivité des procédures mises en place qui ne pouvaient se limiter à un simple contrôle visuel mais exigeaient un démontage et des tests permettant un contrôle plus approfondi.
La société SOVEAMIANT ne produit en appel toujours aucun autre justificatif de la maintenance de l'outil concerné, ne faisant référence (sa pièce n°14) qu'à la «'mise à l'épreuve de la cisaille'» sous une pression de 1 000 bars, sans qu'aucune référence permette d'identifier la cisaille concernée, cette opération ayant en tout état de cause été effectuée le 26 janvier 2015, soit postérieurement à l'accident du travail.
Par ailleurs, la conscience par l'employeur du risque encouru par son salarié n'est pas à prendre en compte dans le cadre de la présente instance relative non pas à la reconnaissance d'une faute inexcusable mais uniquement à la recherche d'un lien de causalité entre une inaptitude du salarié ' dont l'origine professionnelle en l'espèce n'est pas contestée ' et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Dans ces conditions il est indifférent que le type de fuite ait été prévisible ou non pour l'employeur, que la fuite n'ait pas pu être détectée du fait de la présence d'une gaine de protection rendant invisible la micro-fuite sur le flexible, ou que la cause de rupture du flexible soit restée indéterminée.
C'est également à juste titre que les premiers juges ont retenu que la société employeur, tenue de délivrer un outillage exempt de tout danger pour son salarié, dès lors qu'il est établi que c'est l'un des composants du matériel de travail qui est à l'origine du dommage (conf. son propre rapport interne), ne peut prétendre s'exonérer de sa responsabilité en invoquant une indétermination des causes ou une faute supposée de son salarié alors qu'il lui appartenait de procéder aux investigations nécessaires afin de déterminer les causes de la rupture du flexible. Il n'y a pas lieu dans ces conditions de rechercher si l'information et la formation du salarié à l'utilisation du matériel défectueux étaient suffisantes ou non.
De même l'absence de toute mise en cause de la société SOVEAMIANT par l'inspection du travail n'est pas de nature à remettre en question ces éléments relatifs à un défaut d'entretien du matériel imputable à la société SOVEAMIANT.
Dans ces circonstances, c'est à juste titre que le jugement attaqué a retenu l'existence d'un manquement de la société SOVEAMIANT à l'obligation de sécurité lui incombant, pour n'avoir pas pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Il n'est pas contesté que l'inaptitude médicalement constatée au terme de la visite du 3 novembre 2017 après étude de poste du 24 février 2017 est en lien avec l'accident du travail survenu le 21 janvier 2015.
Par conséquent en ne prenant pas les mesures nécessaires pour assurer de façon effective dans l'entreprise la protection de la santé et de la sécurité de son salarié, la société SOVEAMIANT ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat et ce manquement étant à l'origine de l'inaptitude du salarié, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens développés par les parties au soutien de leur argumentation et sans qu'il y ait lieu d'examiner par ailleurs la recherche de reclassement.
Sur les conséquences financières
En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié une indemnité, à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau qui prévoit, pour une ancienneté de huit années révolues, une indemnité comprise entre 3 et 8 mois de salaire.
À la date de la rupture du contrat de travail, M. [T] était âgé de 57 ans et totalisait 8 années d'ancienneté. Le salaire brut de référence à prendre en considération s'élève à 2.275,05 € par mois au vu des pièces versées.
M. [T] justifie (pièces n°15, 28) avoir perçu l'allocation de retour à l'emploi après son licenciement et jusqu'en mars 2019, avoir ensuite retrouvé un travail sous la forme d'un contrat d'insertion'; il ne justifie pas de sa situation plus récente.
Au vu de ces éléments d'appréciation et compte tenu des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il sera alloué au salarié une somme de 18.200,40 € par application de l'article L.1235-3 du code du travail, le jugement étant confirmé de ce chef.
***
Sur l'absence d'indication des motifs s'opposant au reclassement
M. [T] fait valoir, pour infirmation du jugement attaqué et au soutien de sa demande formée de dommages et intérêts formée au visa de l'article L.1226-2-1 du code du travail, que le non respect par l'employeur, lorsqu'il est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, de son obligation de lui faire connaître par écrit les motifs s'opposant à son reclassement, a causé un préjudice à M. [T] qui espérait, quand il a été convoqué à l'entretien préalable, que des mesures soient mises en place puisque cette information ne lui avait pas été donnée.
La société SOVEAMIANT fait valoir pour confirmation que M. [T] a fondé à tort sa demande sur l'article L.1226-2-1 alinéa 1 du code du travail alors que son inaptitude découle d'un accident du travail'; que sa demande est en réalité fondée sur l'article L.1226-12 alinéa 1 du même code'; que M. [T] en l'espèce ne fournit aucun élément de nature à établir l'existence du préjudice que lui aurait causé l'absence de notification écrite, avant l'engagement de la procédure de licenciement, de l'impossibilité de reclassement et doit être débouté de cette demande indemnitaire.
Aux termes de l'article L1226-12 du code du travail applicable à la situation, non contestée en l'espèce, d'une inaptitude consécutive à un accident du travail « Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement ».
Il est établi que l'absence de notification écrite des motifs s'opposant au reclassement du salarié victime d'un accident du travail rend l'employeur redevable d'une indemnité en réparation du préjudice subi, dans les limites de l'étendue de ce préjudice dont il revient au salarié d'établir la réalité.
Force est de constater que M. [T], dont le jugement attaqué avait pourtant déjà relevé qu'il était «'silencieux sur ce point'», ne produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à établir la réalité et l'étendue d'un préjudice, non déjà compris dans les indemnités allouées ci-dessus, découlant de ce manquement de l'employeur.
Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point et M. [T] débouté de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
Par application combinée des articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Sur ce fondement, il y a lieu de condamner la société SOVEAMIANT à rembourser à POLE EMPLOI les indemnités de chômage payées à M. [T] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de six mois d'indemnités, soit à hauteur de la somme 9.437,58 € conformément au décompte produit par l'organisme (pièce n°1), le jugement étant réformé sur ce point.
***
Sur les frais irrépétibles
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant en dernier ressort par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
REFORME partiellement le jugement entrepris,
Statuant de nouveau de ce seul chef,
CONDAMNE la SASU SOVEAMIANT à rembourser à POLE EMPLOI BRETAGNE les indemnités de chômage payées à M. [T] dans la limite de six mois d'indemnités à hauteur de 9.437,58 €';
CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SASU SOVEAMIANT à payer à M. [T] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel';
CONDAMNE la SASU SOVEAMIANT à payer à POLE EMPLOI BRETAGNE la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile':
DÉBOUTE la SASU SOVEAMIANT de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
CONDAMNE la SASU SOVEAMIANT aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, P/LE PRÉSIDENT empêché
Ph. BELLOIR, Conseiller