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26/06/2023 | FRANCE | N°20/02417

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 26 juin 2023, 20/02417


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°259



N° RG 20/02417 -

N° Portalis DBVL-V-B7E-QUHL













Mme [H] [P]



C/



- S.A.S. DAVID [L] (Liquidation judiciaire de la S.A.S. SOCIÉTÉ DES VIANDES DU [Localité 6] (SOVIPOR)

- AGS, CGEA de [Localité 7]

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :

Me Armelle OMN

ES

Me Hélène HERY

Me Marie-Noëlle COLLEU



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JUIN 2023





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°259

N° RG 20/02417 -

N° Portalis DBVL-V-B7E-QUHL

Mme [H] [P]

C/

- S.A.S. DAVID [L] (Liquidation judiciaire de la S.A.S. SOCIÉTÉ DES VIANDES DU [Localité 6] (SOVIPOR)

- AGS, CGEA de [Localité 7]

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Armelle OMNES

Me Hélène HERY

Me Marie-Noëlle COLLEU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JUIN 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 31 Mars 2023

devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Juin 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

Madame [H] [P]

née le 24 Octobre 1955 à [Localité 5] (22)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Comparante à l'audience et représentée par Me Armelle OMNES, Avocat au Barreau de RENNES

INTIMÉE et appelante à titre incident :

La S.A.S. SOCIÉTÉ DES VIANDES DU [Localité 6] (SOVIPOR) ayant eu son siège [Adresse 8] aujourd'hui en liquidation judiciaire

Prise en la personne de son mandataire liquidateur :

la S.A.S. DAVID [L] prise en la personne de Me [I] [L] ès-qualités

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Hélène HERY de la SARL CABINET KERALIO, Avocat au Barreau de RENNES

.../...

INTERVENANTE FORCÉE :

L'Association UNEDIC, DÉLÉGATION AGS-CGEA DE [Localité 7] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocat au Barreau de RENNES

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=

Mme [H] [P] a été embauchée par la Société SOVIPOR au terme d'une lettre d'engagement du 3 juin 1985, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée jusqu'au 30 septembre 1985 en qualité de Comptable qui s'est poursuivi au delà de son terme, avant que lui soient confiées les fonctions de Chef comptable, les relations contractuelles étant régies par la Convention collective des industries de la transformation des volailles.

Mme [H] [P] était associée de la société SOVIPOR et a bénéficié du statut cadre à compter d'avril 1988.

A compter du 10 octobre 2016 Mme [P] a été placée en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 4 novembre 2016, puis du 15 décembre 2016 au 1er juillet 2018.

Par courrier du 23 août 2018, l'employeur a annoncé à Mme [H] [P] qu'il allait lui soumettre à son retour un avenant à son contrat de travail.

La salariée qui avait informé son employeur de sa reprise pour le début septembre 2018 à la suite de ses congés payés de juillet et août 2018, a été placée en arrêt de travail du 31 août 2018 au 26 octobre 2018.

Le 30 octobre 2018 Mme [P] a été placée arrêt de travail, prolongé jusqu'au 30 janvier 2019.

Le 21 décembre 2018 Mme [P] a saisi le Conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le 31 janvier 2019, à l'issue de la visite de reprise de Mme [H] [P], le médecin du travail a établi une attestation de suivi individuel indiquant :'reprise avec définition de son poste et moyens à disposition en fonction'.

Le 6 février 2019, après avoir fait délivrer à la société SOVIPOR une sommation interpellative concernant les conditions de sa reprise de travail le 1er février 2019, Mme [P] a quitté son poste en début d'après-midi.

Le 8 février 2019, Mme [H] [P] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

Le 21 décembre 2018, Mme [H] [P] a saisi le Conseil de prud'hommes de Vannes aux fins de voir :

' Dire que la société SOVIPOR est responsable de manquements graves imputables dans l'exécution du contrat de travail,

' Dire que la rupture est imputable aux torts de l'employeur,

' Dire qu'il y a lieu de requalifier la rupture du contrat de travail en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

' Indemniser le préjudice en résultant et lui allouer :

- 17.670 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis due au visa des articles L. 1234-5 du code du travail et 11 de la convention collective nationale volailles, industries de la transformation et correspondant à trois mois de salaire,

- 76.570 € au titre de l'indemnité de licenciement due au visa de l'article L. 1234-9 du code du travail et calculée sur la base des dispositions de l'article 12 de la convention collective nationale volailles, industries de la transfonnation,

- 153.140 € de dommages et intérêts en raison de l'absence de motif réel et sérieux, sur le fondement des dispositions de l'article D. 1235-21 du code du travail,

' La régularisation des salaires impayés :

- 4.050 € depuis le 7 mars 2017, soit une somme de 150 € par mois au titre de l'avantage en nature véhicule,

- 11.780 € au titre des 13ème mois 2017 et 2018,

- 1.092 € au titre du 13ème mois 2019,

- 1.087 € au titre des congés payés non pris en compte dans le solde de tout compte remis le 18 février 2019,

- 260,91 € au titre du salaire pour la journée travaillée le 31 janvier 2019,

- 1.600 € au titre de l'augmentation de salaire de 100 €/mois accordée aux cadres administratifs à compter du 1er janvier 2018,

' Condamner la société SOVIPOR à remettre le bulletin de salaire et à régulariser les documents sociaux de la rupture et une attestation Pôle Emploi rectificative,

' Prononcer le jugement à intervenir sous le bénéfice de l'exécution provisoire pour l'intégralité de ses dispositions,

' Débouter la Société SOVIPOR de toutes ses demandes, fins et conclusions,

' Condamner la Société SOVIPOR à payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dire et juger, en application de l'article L. 141-6 du code de la consommation, que la partie succombante supportera la charge de l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus aux articles L. 111-8 et L. 124-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Par jugement du 19 février 2020, le Tribunal de commerce de Rennes a placé la société SOVIPOR en redressement judiciaire et a nommé Maître [E] en qualité d'administrateur judiciaire et la SAS DAVID [L] & associés prise en la personne de Maître [I] [L] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement en date du 5 mai 2020, le Tribunal de commerce de Rennes a arrêté le plan de cession totale de la SAS société SOVIPOR, puis par jugement du 25 mai 2020, prononcé la conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire, la SAS DAVID-[L] & Associés, prise en la personne de Maître [L] étant nommé liquidateur.

La cour est saisie de l'appel régulièrement formé le 27 mai 2020 par Mme [H] [P] contre le jugement du 11 février 2020 notifié le 12 mars 2020, par lequel le Conseil de prud'hommes de VANNES a :

' Dit que la société SOVIPOR n'est pas responsable de manquements graves dans l'exécution du contrat de travail,

' Débouté Mme [P] de toutes ses demandes,

' Débouté la société SOVIPOR de sa demande

reconventionnelle,

' Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dit que les dépens seront partagés par Mme [P] et la société SOVIPOR.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 22 octobre 2020, suivant lesquelles Mme [H] [P] demande à la cour de :

' Dire que la Société SOVIPOR en redressement judiciaire est responsable de manquements graves imputables dans l'exécution du contrat de travail,

' Dire que la rupture est imputable aux torts de l'employeur,

' Requalifier la rupture du contrat de travail en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

' Fixer la créance indemnitaire de Mme [P] sur le passif de la Société SOVIPOR en redressement judiciaire :

- 17.670 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis due au visa des articles L. 1234-5 du code du travail et 11 de la convention collective nationale volailles, industries de la transformation et correspondant à trois mois de salaire,

- 76.570 € au titre de l'indemnité de licenciement due au visa de l'article L. 1234-9 du code du travail et calculée sur la base des dispositions de l'article 12 de la convention collective nationale volailles, industries de la transformation,

- 153.140 € de dommages et intérêts en raison de l'absence de motif réel et sérieux, sur le fondement des dispositions de l'article D. 1235-21 du code du travail,

' Régulariser les salaires impayés :

- 4.050 € depuis le 7 mars 2017, soit une somme de 150 € par mois au titre de l'avantage en nature véhicule,

- 11.780 € au titre des 13ème mois 2017 et 2018,

- 1.092 € au titre du 13ème mois 2019,

- 1.087 € au titre des congés payés non pris en compte dans le solde de tout compte remis le 18 février 2019,

- 260,91 € au titre du salaire pour la journée travaillée le 31 janvier 2019,

- 1.600 € au titre de l'augmentation de salaire de 100 €/ mois accordée aux cadres administratifs à compter du 1er janvier 2018,

' Ordonner la remise du bulletin de salaire correspondant et des documents sociaux de la rupture ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectificative,

' Prononcer du jugement à intervenir sous le bénéfice de l'exécution provisoire pour l'intégralité de ses dispositions,

' Débouter la Société SOVIPOR en redressement judiciaire de toutes ses demandes, fins et conclusions,

' Dire le jugement opposable au CGEA en application des dispositions de l'article L. 3253-6 et suivants du code du travail,

' Fixer au passif de la société SOVIPOR en redressement judiciaire une créance de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dire et juger, en application des dispositions de l'article L. 141-6 du code de la consommation, que la partie succombante supportera la charge de l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement et d'encaissement prévus aux articles L. 111-8 et L. 124-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 15 mars 2022, suivant lesquelles la société SOVIPOR agissant par Maître [L], ès qualités de mandataire liquidateur, demande à la cour de :

' Déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable au CGEA,

' Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes, en ce qu'il a :

- Dit que la société SOVIPOR n'est pas responsable de manquements graves dans l'exécution du contrat de travail,

- Débouté Mme [P] de toutes ses demandes,

' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SOVIPOR de ses demandes,

Statuant à nouveau,

' Condamner Mme [P] à verser à la société SOVIPOR la somme de 17.220 €, au titre du préavis de trois mois non effectué,

' Condamner Mme [P] à verser à la société SOVIPOR la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 28 septembre 2020, suivant lesquelles le CGEA de [Localité 7] demande à la cour de :

' Débouter Mme [H] [P] de l'ensemble de ses demandes,

Subsidiairement,

' Débouter Mme [H] [P] de toute demande excessive et injustifiée,

En toute hypothèse,

' Débouter Mme [H] [P] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,

' Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans le mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants du code du travail,

' Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas nature de créance salariale,

' Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L. 3253-17 et suivants du code du travail,

' Dépens comme de droit.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 16 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail :

- Quant à la prise d'acte de rupture du contrat de travail

Pour infirmation, Mme [H] [P] soutient que la prise d'acte de son contrat de travail est justifiée et doit être imputée aux torts de la société en ce que son employeur lui a imposé une rétrogradation (tentative d'imposer un avenant et conditions de travail imposées pour la reprise du travail) et une diminution de salaire (non versement de la prime de 13e mois et retrait du véhicule de fonction).

En ce qui concerne la rétrogradation, Mme [H] [P] fait valoir que l'employeur a tenté de lui imposer un avenant à son contrat de travail, en persistant malgré son refus et lui a imposé des conditions de reprise incompatibles avec son poste.

S'agissant de la diminution de salaire, Mme [H] [P] soutient que la prime de 13e mois devait lui être versée en application de l'usage selon lequel elle était versée aux cadres absents pour maladie même au delà de deux mois, que le véhicule de fonction lui avait été attribué et figurait en tant qu'avantage en nature sur son bulletin de salaire, que son retrait n'a été assorti d'aucune compensation.

Les organes de la procédure, suivis en cela par l'AGS, estiment que les faits reprochés par Mme [H] [P] ne sont pas établis et que, à les supposer avérés, ils ne présentent pas de caractère de gravité suffisante pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

L'attribution d'un véhicule de fonction à Mme [H] [P] est également contesté, comme résultant en réalité d'une appropriation sans l'accord de la direction, dont la salariée aurait elle-même fait mention sur son bulletin de paie.

Les organes de la procédure contestent l'existence de l' usage allégué, selon lequel la prime de 13ème mois serait versée aux cadres en cas d'absence, y compris supérieure à 2 mois, en précisant que les arrêts maladie des cadres cités par Mme [H] [P], ayant effectivement perçu la prime de 13ème mois, étaient inférieurs à deux ans ou fondés sur d'autres motifs.

S'agissant des conditions de la reprise, Maître [L] es-qualités affirme que tous les outils nécessaires à l'accomplissement de ses missions, ont été mis à la disposition de Mme [H] [P], que la mission confiée à Mme [H] [P] lors de sa reprise était en adéquation avec ses fonctions de Responsable des Ressources Humaines qu'elle exerçait avant son arrêt de travail, sans qu'il soit envisageable dès sa reprise de lui confier des missions de comptabilité ou d'établissement des paies du travail compte tenu des évolutions et modifications intervenus durant son absence.

L'AGS entend également préciser que les griefs invoqués par la salariée sont anciens et d'une gravité insuffisante pour justifier que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Lorsque qu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, ne fixe pas les limites du litige ; dès lors le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l'espèce, par courrier du 23 août 2018, M. [S] [Y], Directeur Général Adjoint de la SOVIPOR en suite du courrier de Mme [H] [P] l'informant de sa reprise du travail au 3 septembre 2018, lui a annoncé une réorganisation des différents services de l'entreprise, conduisant à la répartition au sein du service de comptabilité d'une partie de ses fonctions, en son absence non remplacée, qu'une redéfinition de son poste était nécessaire pour permettre la création d'un service uniquement dédié aux ressources humaines qui lui incombaient antérieurement en partie.

Au terme du même courrier, M. [S] [Y] indique que cette évolution n'entraînait aucune modification substantielle de son contrat de travail quant à votre statut, votre qualification et votre rémunération, pour lui préciser in fine qu'elle aurait en charge sous son autorité une liste non exhaustive d'attributions tenant essentiellement à la gestion des ressources humaines, qu'elle travaillerait désormais dans le bureau du service commercial, dès lors que lui-même occupait son précédent bureau et qu'un avenant à son contrat de travail lui notifiant sa mission et la nouvelle dénomination de son poste lui serait remis.

Il est constant que Mme [H] [P] a été engagée par la Société SOVIPOR au terme d'une lettre d'engagement du 3 juin 1985, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée jusqu'au 30 septembre 1985 en qualité de Comptable qui s'est poursuivi au delà de son terme, avant que lui soient confiées les fonctions de Chef comptable, étant précisé qu'il n'est produit au débat aucun autre document contractuel que ladite lettre d'engagement initiale.

Ceci étant, alors que Mme [H] [P] avait le statut de cadre et occupait un poste de chef comptable, il ressort du courrier précité de M. [S] [Y] que toutes ses attributions comptables lui étaient retirées dans le cadre de la réorganisation alléguée, que le bureau qu'elle occupait antérieurement étant occupé par M. [S] [Y], elle était affectée non dans un bureau comme le soutient l'employeur mais dans une salle de réunion, sommairement équipée d'un terminal d'ordinateur sans accès aux logiciels comptables ou mise immédiate à disposition d'un code d'accès mais dotée de fongibles tels que des crayons, une agrafeuse et des surligneurs ainsi que cela résulte des photographies produites par la salariée, le rajout épars de revues fiduciaires sur les photos produites par les organes de la procédure, ne palliant d'aucune manière, la vacuité du poste de travail.

En outre, interpellé par l'huissier mandaté par la salariée le 7 février 2019, M. [X] Président du Conseil de surveillance de la SOVIPOR a précisé que les horaires de Mme [H] [P] étaient du lundi au jeudi 8H30-12h30, 13h-30-18h30 et le vendredi 8H30-12h30, 13h-30-16h30, qu'elle occupait des fonctions de chef comptable mais occupait un espace partagé à la suite d'un changement du bureau, disposant d'un bureau, d'un ordinateur, d'un téléphone, de documentation, de logiciel et d'une imprimante multifonction, qu'elle conservait ses missions antérieures mais ne bénéficiait d'aucune assistance en dehors de la salariée en charge de la qualité, qu'elle rendait compte à la direction sans autre précision, n'avait pas d'interlocuteur extérieur à la société et ne détenait pas le pouvoir de signer les chèques.

Nonobstant l'absence de fiche poste, il résulte des développements qui précèdent que la salariée s'est non seulement vue retirer ses principales attributions de chef comptable, toute responsabilité hiérarchique, toute autonomie dans l'organisation de son travail mais de surcroît a été installée dans des conditions matérielles de nature à porter atteinte à sa dignité, étant reléguée dans un espace partagée, temporairement et formellement transformé en bureau.

De telles conditions faites à un cadre de retour des longs arrêts de travail constituent des manquements d'une gravité telle qu'ils faisaient à eux seuls obstacle à la poursuite son contrat de travail.

Il y a lieu toutefois d'examiner les autres griefs invoqués par la salariée.

Contrairement à ce que soutient la salariée, la création d'un échelon intermédiaire entre elle et le président de la société qui relève du pouvoir de direction de l'employeur, ne peut en soi caractériser un manquement imputable à ce dernier, de sorte que le grief invoqué à ce titre par l'intéressée n'apparaît pas fondé.

En revanche, s'agissant de la perte de rémunération et nonobstant les observations des organes de la procédure à ce titre, il appert que Mme [H] [P] a fait l'objet d'une différence de traitement en ce qui concerne le versement du 13ème mois pendant ses arrêts de travail malgré sa qualité de cadre. En effet bien que l'employeur invoque les dispositions de la convention collective ne prévoyant un tel versement que pour les arrêts inférieurs à deux mois et que deux des salariés cités par Mme [H] [P] n'entraient pas dans un tel cadre (arrêt inférieur à deux mois pour l'un, arrêt maladie pour l'autre) il résulte des développements de l'employeur qu'il a dérogé à la disposition qu'il oppose à la salariée concernant au moins deux salariés, peu important les justifications invoquées à ces titres, non prévues par les dispositions conventionnelles.

C'est donc à juste titre que la salariée invoque une pratique de la société plus favorable que les dispositions conventionnelles qui ne peut toutefois pas être qualifiée d'usage mais qui traduit à son égard une différence de traitement non fondée sur des éléments objectifs, la référence par l'employeur à une erreur commise par Mme [H] [P] en faveur de Mme [U] ne pouvant résulter de la pièce 34 invoquée à ce titre. Indépendamment de l'appréciation de la gravité de ce manquement qui doit être évaluée avec les autres manquements invoqués au titre de la perte de salaire, il doit être fait droit aux rappels de salaire de Mme [H] [P] à ce titre tel qu'il est dit au dispositif.

En ce qui concerne l'attribution contestée comme sa reprise, d'un véhicule qualifié par la salariée de fonction, il est produit par la salariée d'une part ses bulletins de salaire sur lesquels figure la valeur représentative de la mise à disposition d'un véhicule de fonction à titre d'avantage en nature, intégrée au salaire brut et d'autre part la lettre recommandée avec accusé de réception par laquelle M. [C] [Y] en qualité de Directeur Général adjoint adresse le 27 février 2017 un avertissement à la salariée lui enjoignant de restituer ledit véhicule, en précisant que la salariée s'était approprié ce véhicule acheté en 2011 qui n'avait vocation à être utilisé qu'à des fins professionnelles, à la faveur du départ du directeur de production en 2012 et qu'elle en avait également fait un usage privé en contravention des observations orales qui lui avaient été faites à ce sujet mais surtout qu'elle n'avait pas déféré aux instructions tendant à sa restitution.

Cependant il doit être observé qu'à aucun moment la relation contractuelle entre Mme [H] [P] et la SOVIPOR n'a été formalisée au delà de la lettre d'engagement initiale en contrat à durée déterminée, qu'il est reconnu que Mme [H] [P] avait l'usage de ce véhicule depuis 2012 sans qu'il soit justifié de la moindre observation autre que l'avertissement du 27 février 2017 contesté par la salariée, que ce soit sur l'usage qu'elle faisait dudit véhicule ou sur la mention figurant sur l'ensemble de ses bulletins de salaire de l'existence de l'avantage en nature afférent, y compris dans le cadre de l'avertissement précité, de sorte que l'employeur qui avait la faculté et l'obligation de contrôler le travail de sa salariée, ne peut lui objecter qu'en sa qualité de chef comptable, elle avait la maîtrise de l'élaboration des bulletins de salaire.

Dans le contexte rapporté, la réclamation tardive de restitution du véhicule au travers d'un avertissement, la remise en cause de l'avantage en nature qu'il représentait comme le non versement l'indemnité compensatrice liée à cette restitution revêt à l'égard de la salariée un caractère fautif. Indépendamment de l'appréciation de la gravité de ce manquement qui doit être évaluée avec les autres manquements invoqués au titre de la perte de salaire, il doit être fait droit aux rappels de salaire de Mme [H] [P] à ce titre tel qu'il est dit au dispositif.

Outre le fait que la gravité du premier manquement retenu à l'encontre de l'employeur suffit à lui seul à justifier la requalification de la prise d'acte, il appert que la combinaison des deux manquements concernant la perte de salaire revêt également un degré de gravité qui eu égard aux conséquences financières induites et au caractère déloyal de l'exécution du contrat de travail qu'il sous-tend, faisait obstacle à la poursuite du contrat de travail.

Il y a lieu en conséquence de requalifier la prise d'acte de rupture de Mme [H] [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

Sur les conséquences de la rupture :

- Quant aux dommages et intérêts :

Mme [H] [P] fonde sa demande sur l'article D. 1235-21 du code du travail. La salariée demande à ce titre 153.140 € afin de réparer le préjudice résultant de la perte de l'emploi tenu depuis 34 ans.

L'employeur, suivi en cela par l'AGS, rétorque que l'article L. 1235-3 du code du travail doit s'appliquer. Le montant de l'indemnité serait compris entre 3 et 20 mois de salaire, soit entre 17.220 € et 114.800 €. De plus, ils estiment que la salariée ne justifie d'aucun préjudice.

Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 33 ans et 8 mois pour une salariée âgée de 64 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à l'égard de l'intéressée qui devait percevoir un salaire moyen de 5.890 € ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L. 1235-3 du Code du travail dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 une somme de 110.000 € net à titre de dommages-intérêts ;

- Quant à l'indemnité compensatrice de préavis et à l'indemnité de licenciement :

Mme [H] [P] fonde sa demande sur l'article L. 1234-5 du code du travail et sur l'article 11 de la convention collective nationale des industries de la transformation des volailles pour demander le versement d'une somme de 17.670 € correspondant à trois mois de salaire sans moyen opposant des organes de la procédure et de l'AGS.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, Mme [H] [P] fonde sa demande sur l'article L. 1234-9 du code du travail et calculée sur la base de l'article 12 de la Convention collective nationale des industries de la transformation des volailles pour limiter sa demande à un an de salaire en y incluant la prime de 13ème mois, soit 76.570 €.

L'employeur objecte que le plafond de l'indemnité conventionnelle de licenciement s'établit à 70.680 € et qu'elle doit être calculée par référence à la règle de calcul du statut agent de maîtrise pour les années allant de 1985 à 1998 puisque Mme [H] [P] relève du statut cadre depuis le mois de juin 1998. De plus, l'employeur soutient que les périodes d'absence pour maladie ne sont pas assimilées à du temps de travail effectif pour le calcul de l'indemnité de licenciement.

L'AGS se contente de soutenir que les périodes pendant lesquelles la salariée a été en arrêt de travail devront être déduites du calcul de son ancienneté.

Aux termes de l'article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l'ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.

La prise d'acte étant requalifiée en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la salariée peut donc prétendre aux indemnités de licenciement, compensatrice de préavis sollicités, calculés sur la plus favorable des moyennes de salaire servant de base au salaire de référence tel qu'invoqué par la salariée tel qu'il est dit au dispositif et non pas selon les modalités décrites par les organes de la procédure, a fortiori dès lors que la rupture est imputable à l'employeur.

La prise d'acte étant requalifiée en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la demande reconventionnelle de la société au titre du préavis non effectué ne peut être accueillie. Il y a donc lieu de débouter la SOVIPOR de la demande formulée à ce titre, la décision entreprise étant confirmée de ce chef.

Sur les autres demandes :

- Quant au solde des congés payés :

Mme [H] [P] estime que des congés payés n'ont pas été pris en compte dans le solde de tout compte remis le 18 février 2019 car ses droits ont été majorés de trois jours pour ancienneté.

L'employeur soutient que dans le cadre de l'établissement de son solde de tout compte, les trois jours supplémentaires pour ancienneté ont été pris en compte et produit à ce titre un tableau mettant en évidence l'attribution de ces trois jours au mois de décembre 2019 sans argument opposant de la salariée sur ce point.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris qui l'a déboutée de la demande formulée à ce titre.

- Quant à la journée travaillée du 31 janvier 2019 :

Mme [H] [P] sollicite un rappel de salaire concernant la journée du 31 janvier 2019 au cours de laquelle s'est déroulée la visite de reprise. Cependant si le bulletin de salaire produit (pièce 36 employeur) fait à tort correspondre la mention 'absence maladie 0101019-300119 avec la somme de 5.740 €, que la mention maintien de salaire correspond également à ce montant, il n'en demeure pas moins que la somme de 5.740 € correspond à la rémunération antérieure figurant sur l'ensemble des bulletins de salaire produits par la salariée.

Il en résulte que c'est à juste titre que l'employeur objecte que la demande de la salariée est mal fondée, le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [H] [P] de la demande formulée à ce titre.

- Quant à l'augmentation de 100 € par mois accordée aux cadres :

Mme [H] [P] soutient que les cadres ont bénéficié de 100 € par mois à compter du 1er janvier 2018. L'employeur produit le bulletin de salaire de Mme [N] [J] du mois de janvier 2017 laissant en évidence l'attribution d'une somme de 100 € au titre d'une prime exceptionnelle et il n'est produit par la salariée aucun élément de nature à remettre en cause le caractère exceptionnel de cette prime, versée selon l'employeur pour avoir pallier l'absence de Mme [H] [P].

Il y a lieu par conséquent de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la salariée de la demande formulée à ce titre.

Sur la remise des documents sociaux :

La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; les organes de la procédure qui succombe en appel, doivent être déboutés de la demande formulée à ce titre et condamnés à indemniser l'appelante des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.

* * *

*

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME partiellement le jugement entrepris,

et statuant à nouveau,

REQUALIFIE la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Mme [H] [P] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

FIXE la créance de Mme [H] [P] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS SOCIETE DES VIANDES DU [Localité 6] (SOVIPOR) les sommes suivantes :

- 110.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 17.670 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 76.570 € au titre de l'indemnité de licenciement,

- 4.050 € de rappel de salaire à titre de compensation de l'avantage en nature véhicule depuis le 7 mars 2017,

- 11.780 € au titre des 13ème mois 2017 et 2018,

- 1.092 € au titre du 13ème mois 2019,

- 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE la remise du bulletin de salaire correspondant et des documents sociaux de la rupture ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectificative,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

DÉCLARE la présente décision opposable au CGEA de [Localité 7] en qualité de gestionnaire de l'AGS tenue à garantie dans les limites prévues aux articles L 3253-6 et suivants du code du travail et du plafond des articles L3253-17 et D 3253-5 du Code du travail au titre de l'année de référence 20,

DIT que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-6 du Code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du travail,

DIT que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme correspondant au montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

DIT que les dépens d'appel seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la SAS SOCIETE DES VIANDES DU [Localité 6] (SOVIPOR).

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 20/02417
Date de la décision : 26/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-26;20.02417 ?
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