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04/09/2024 | FRANCE | N°21/04018

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 04 septembre 2024, 21/04018


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/04018 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RZLH













Société [7] [Adresse 8]



C/



CPAM COTES D'ARMOR

[P] [C]





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAISr>


COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Madame Adeline TI...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/04018 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RZLH

Société [7] [Adresse 8]

C/

CPAM COTES D'ARMOR

[P] [C]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Madame Adeline TIREL lors des débats et Monsieur Philippe LE BOUDEC lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Mai 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré initialement fixé au 3 Juillet 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 25 Février 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de SAINT BRIEUC - Pôle Social

Références : 19/00385

****

APPELANTE :

La Société [7] [Adresse 8] venant aux droits de la SA CLINIQUE DU [Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représentée par Me Annaïc LAVOLE, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES COTES D'ARMOR

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Madame [O] [S] en vertu d'un pouvoir spécial

Madame [P] [C]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représentée par Me David QUINTIN de la SELARL ARMOR AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 6 avril 2017, la société [7] [Adresse 8], venant aux droits de la SA clinique du [Adresse 8] (la société) a déclaré un accident du travail, accompagné de réserves, concernant Mme [P] [H] épouse [C] (Mme [C]), salariée en tant qu'aide soignante, mentionnant les circonstances suivantes :

Date : 5 avril 2017 ; Heure : 23h10 ;

Lieu de l'accident : chambre [Adresse 5] ;

Lieu de travail habituel ;

Activité de la victime lors de l'accident : a maintenu en contention un patient en crise. Ce dernier a touché la poitrine de la salariée au cours de la crise ;

Nature de l'accident : la salariée a maintenu en contention par les épaules et le dos un patient en crise ;

Siège des lésions : tronc (poitrine) ;

Nature des lésions : contusion ;

Horaire de la victime le jour de l'accident : 20h00 à 08h00 ;

Accident connu le 6 avril 2017 par l'employeur.

Le certificat médical initial daté du 6 avril 2017 fait état de 'trauma costal - entorse rachis cervical - syndrome cervico brachial - syndrome anxio-dépressif réactionnel (implicite)'.

Par décision du 8 juin 2017, la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.

La date de consolidation a été fixée au 1er juillet 2018, avec attribution d'une rente calculée sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle de 27 % dont 7 % pour le coefficient professionnel. Le taux médical de 20 % a été contesté par la société auprès du tribunal judiciaire, lequel a par jugement du 19 octobre 2021 déclaré inopposable à la société la décision notifiant ce taux. La caisse a interjeté appel de cette décision puis s'est désistée, ce qui a été constaté par ordonnance de la cour du 15 mars 2022.

Mme [C] ayant été déclarée inapte à son poste, elle a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude notifié le 22 novembre 2018.

En parallèle, l'inspection du travail, après enquête, a dressé un procès-verbal faisant état des manquements ci-dessous :

- défaut dans l'évaluation par l'employeur des risques professionnels sans transcription dans un document de l'inventaire des résultats ;

- emploi des travailleurs sans organisation et dispense d'une information et formation pratique et appropriée en matière de santé et de sécurité.

Le dossier a été classé sans suite par le procureur de la République.

Par courrier du 24 avril 2017, Mme [C] a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur auprès de la caisse qui a dressé un procès-verbal de non-conciliation le 6 décembre 2018.

Mme [C] a alors porté le litige devant le pôle social du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc le 28 août 2019.

Par jugement du 25 février 2021, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc a :

- dit que la société a commis une faute inexcusable dans la réalisation de l'accident du travail du 5 avril 2017 dont Mme [C] a été la victime ;

- débouté la société de sa demande de voir juger que Mme [C] a commis une faute inexcusable ;

- dit que la majoration de la rente à intervenir sera fixée au maximum prévu par la loi ;

- condamné la caisse à verser à Mme [C] la somme de 5 000 euros à titre provisionnel à valoir sur l'indemnisation définitive ;

- condamné la société à rembourser à la caisse l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ;

- dit que ces sommes seront productives d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la première demande de remboursement et jusqu'à paiement effectif ;

- avant-dire droit sur l'indemnisation du préjudice personnel, ordonné une expertise judiciaire confiée au docteur [F] ayant pour missions celles figurant au dispositif du jugement ;

- condamné la société à verser à Mme [C] une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- réservé le surplus des demandes et les dépens.

Par déclaration adressée le 30 mars 2021 par courrier recommandé avec avis de réception, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 10 mars 2021.

Par ses écritures parvenues au greffe le 29 août 2023 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris ;

- juger qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable ;

- débouter Mme [C] et toutes parties de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- débouter la caisse de toute demande au titre de la majoration de rente dans le cadre de son action récursoire ;

- renvoyer les parties devant le pôle social de Saint-Brieuc pour la critique du rapport d'expertise et des contours de l'indemnisation revendiquée ;

- débouter Mme [C] de sa demande de provision ;

- débouter Mme [C] et la caisse de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

- condamner Mme [C] à lui payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe le 19 avril 2023 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice pour statuer sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;

En cas de confirmation de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur,

- condamner la société ou toute partie succombant à lui rembourser les sommes dues au titre de la majoration de préjudices octroyée à Mme [C] dans le cadre d'une faute inexcusable reconnue, dont elle devra faire l'avance des frais ;

- dire que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la première demande de remboursement et ce, jusqu'à paiement effectif.

Par ses écritures parvenues au greffe le 28 avril 2023 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, Mme [C] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a consacré la faute inexcusable de la société dans la survenance de son accident du travail dans la nuit du 5 au 6 avril 2017 ;

- en tant que de besoin, renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire sur la liquidation de ses préjudices personnels ;

- condamner la société à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- condamner les parties succombantes aux entiers dépens ;

- débouter la société de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la faute inexcusable de l'employeur

La société fait valoir que Mme [C] n'a pas été victime d'une agression mais d'un geste involontaire et qu'elle a pris seule, sans concertation avec ses collègues et sans prévenir les médecins, la décision de contenir le patient en crise, alors même qu'elle a reconnu avoir reçu des consignes claires de non-intervention concernant ce patient. Elle ajoute que dans le DUER, il est prévu qu'en cas d'agressivité du patient, l'intervention doit se faire à deux soignants avec l'intervention du médecin psychiatre. Elle précise encore que le patient en cause, victime d'un syndrome post-traumatique, était hospitalisé de manière volontaire et ne présentait aucun signe de dangerosité pour autrui, même s'il souffrait de crises pouvant le conduire à des signes d'auto-agressivité. Elle indique qu' à la suite d'un événement indésirable du 3 avril 2017, un comité de direction a été réuni et qu'ont été données des consignes claires de non-intervention physique pour entraver les mouvements du patient, sauf en cas de risque vital (détresse respiratoire, danger au regard des organes vitaux). Enfin, elle assure que Mme [C] a été formée spécifiquement aux risques de son poste, qui ont par ailleurs été évalués par la société dans le DUER, ce qui a conduit le procureur de la République à classer sans suite ce dossier.

Mme [C], pour sa part, explique que le patient en cause a été à l'origine de sept interventions entre le 11 mars et le 6 avril 2017 et a fait l'objet de multiples signalements de la part du personnel soignant, sans que la direction de l'établissement ne prenne la moindre mesure pour assurer la sécurité de son personnel. Elle estime que le classement sans suite de la procédure par le parquet n'est pas de nature à exonérer l'employeur de sa responsabilité. Elle invoque plus particulièrement une présomption de faute inexcusable en ce que le risque avait été signalé à l'employeur et que ce dernier n'a pas réagi de manière appropriée. Mme [C] soutient que l'analyse du risque figurant dans le DUER ne correspondait pas à la dangerosité du patient en cause, alors que son comportement problématique était connu, et que les consignes données peu claires étaient laissées à l'appréciation des soignants, s'agissant de l'existence d'un risque vital.

Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-25.021 ; Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.683 ; 2e Civ., 22 septembre 2022, pourvoi n° 20-23.725 sur l'évaluation des risques d'accident).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l'employeur de rapporter la preuve que celui-ci n'a pas pris les mesures nécessaires pour la préserver du danger auquel elle était exposée.

Le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure qu'il aurait dû prendre.

Il résulte des dispositions de l'article L. 4131-4 du code du travail que 'le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé.'

En l'espèce, Mme [C] était employée de la clinique, spécialisée en psychiatrie adulte, en qualité d'aide soignante depuis le 5 mai 2014. Elle disposait donc d'une ancienneté de trois ans à la date de l'accident.

Mme [C] a décrit la scène de la manière suivante :

Dans la nuit du 5 au 6 avril 2017, le patient 'MT' de la chambre 502 s'est présenté à l'office, le visage en sang et très agité. Alors qu'elle le ramenait dans sa chambre, il s'est énervé et, assistée de l'infirmière, elle a reçu le renfort d'un second aide soignant. Lors de cette crise, le patient a frappé des poings et de la tête contre le mur très violemment et s'est dirigé vers l'autre aide soignant voulant le frapper. Elle a alors interposé son bras entre le bras du patient et son thorax, en se tenant derrière lui, mais ce dernier a tenté de la basculer en arrière en enfonçant son épaule gauche au niveau de sa poitrine. Elle a résisté en restant sur ses appuis et l'infirmière et l'autre aide-soignant ont pu le maîtriser au sol. Dans cette action, elle a été blessée et a souffert d'un syndrome cervico-brachial, d'une entorse du rachis cervical et d'un trauma costal sans déssaturation.

Le caractère professionnel de l'accident ne fait l'objet d'aucune contestation. En revanche, Mme [C] invoque une présomption de faute inexcusable.

Dans son audition réalisée par les services de gendarmerie le 5 mars 2018, Mme [C] précise que les soignants ont reçu des consignes orales :

- de ne pas intervenir auprès de ce patient qui est le seul à avoir des crises violentes, depuis la fermeture des chambres d'isolement, deux ans auparavant.

- de laisser le patient faire sa crise, se taper, ou taper dans les murs et une fois la crise finie de le recoucher et le surveiller durant les rondes.

Elle précise que ces consignes lui ont été transmises le jour-même par l'infirmière de jour et que 'le personnel de nuit demandait depuis plusieurs semaines, un protocole particulier concernant MT (le patient en cause) qui est le seul à avoir des crises aussi violentes.'

Pour sa part, la directrice, Mme [X], entendue le 21 février 2018, indique que 'lorsque des situations difficiles sont susceptibles d'intervenir, des réunions avec les personnels soignants et le médecin psychiatre sont organisées afin que le médecin puisse entendre les craintes du personnel primo intervenant. Les décisions sont prises en commun avec l'équipe dirigeante médicale et moi-même.' Dans le procès-verbal de l'inspection du travail, elle précise que l'établissement n'accueille que des hospitalisations libres et que, depuis début mars 2017, il accueille un patient MT qui est un ancien légionnaire, victime de stress post-traumatique, qui fait régulièrement des crises d'angoisse (sept épisodes anxieux en un mois). Elles se caractérisent par des accès de violence où il tape les murs, adopte des positions d'attaque ou de défense, revivant manifestement des épisodes de sa carrière militaire. Mme [X] précise que des consignes ont été données au personnel soignant pour interdire toute intervention au cours des crises de MT, sauf risque vital pour le patient.

Dans le cadre de l'enquête de l'inspection du travail, Mme [C] précise que l'infirmière n'a pas jugé utile la venue du psychiatre, lorsqu'elle lui a demandé de le contacter. Elle indique également que suivant les consignes données, elle a pris un oreiller pour le mettre contre le mur et limiter les blessures du patient. Enfin, elle ajoute que lorsqu'un malade est agité, il est habituellement transféré vers un autre établissement psychiatrique plus adapté et que le corps médical a alerté à de nombreuses reprises sur les difficultés rencontrées avec MT.

Il est établi par les différents éléments de l'enquête que, la nuit, les soignants interviennent en binôme (un infirmier et un aide-soignant), ce qui était le cas le soir des faits. Il est également constant que le comportement de MT a été mentionné à sept reprises dans le cahier de garde et qu'il a fait l'objet d'un signalement d'événement indésirable le 1er avril 2017. La directrice a reconnu que le week-end précédent l'accident, elle a été informée d'inquiétudes et de difficultés du personnel soignant face aux crises de MT. Il en a été discuté en CODIR le lundi 3 avril et il a été donné comme consigne de ne pas intervenir sauf risque vital pour le patient, consigne transmise au personnel le 4 avril. Elle confirme que les patients qui sont opposants au traitement font l'objet d'un transfert pour la mise en place de soins sous contrainte.

M. [T], l'aide-soignant qui est venu en aide à Mme [C], estime également que MT est le seul patient de la clinique à être sujet à des crises aussi fortes et qu'il aurait dû être géré dans une unité psychiatrique plus adaptée à sa pathologie.

Dans un mail du 5 mai 2017, la direction rappelle à M. [T] qu'il a été demandé aux soignants, depuis le 4 avril 2017, de rester le plus neutre possible et de ne pas intervenir physiquement en cas de crise du patient MT

Il apparaît par ailleurs que le CHST, informé de cet accident, n'a pas souhaité la réalisation d'une enquête.

Dans le cadre de l'enquête diligentée par l'inspection du travail, la société a fourni le document unique d'évaluation des risques qui avait été mis à jour en 2016. Le risque lié au comportement des patients est bien identifié et fait l'objet d'un tableau avec une cotation, l'analyse des risques, les moyens de prévention existant et les mesures de prévention à mettre en place pour diminuer le risque. L'inspectrice reconnaît elle-même que les obligations de l'employeur à cet égard ont été satisfaites, pointant cependant 'la légèreté de la démarche et le caractère inadapté des mesures retenues'.

S'il est démontré que la situation particulière de ce malade était connue de l'employeur et que plusieurs mentions avaient été faites dans le cahier de garde, ayant conduit au déplacement du médecin psychiatre, seulement un événement avait été spécifiquement signalé le 1er avril 2017. En-dehors de cet événement, il est fait état de crises d'angoisse du patient, d'intervention en urgence, de la nécessité d'appeler un autre aide-soignant en renfort, mais en aucun cas d'un risque d'agressivité à l'égard du personnel soignant.

Mme [C] ne rapporte donc pas la preuve qu'elle et d'autres salariés auraient signalé à la société un risque de blessures pouvant être causées par le malade de la chambre 502, si bien qu'il ne peut être retenu une présomption de faute inexcusable.

En revanche, il est constant que la société devait avoir conscience du risque en raison de la personnalité atypique de ce patient et de sa pathologie. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il avait été donné comme consigne orale de ne pas pratiquer comme avec les autres patients et de ne pas intervenir sauf risque vital. Aucune des parties ne remet en cause la réalité des consignes particulières données par oral à l'équipe médicale de nuit pour ce patient, ni leur contenu, dérogeant ainsi au protocole habituel.

Les documents produits établissent qu'il avait été mis en place un 'protocole de prise en charge du patient' avec notamment l'intervention obligatoire de deux soignants en binôme, y compris la nuit, la désignation d'un médecin psychiatre et d'un médecin généraliste d'astreinte pouvant intervenir en moins de 15 minutes. Il était également prévu un cahier de signalement d'événement indésirable qui a été renseigné pour le patient MT.

L'inspection du travail a pu constater l'existence d'un document unique d'évaluation des risques très régulièrement mis à jour et l'appréciation qu'elle a pu faire de sa pertinence ne s'impose pas à la cour.

La société apporte également la preuve que Mme [C] a suivi des formations, notamment une formation à l'adaptation au poste de travail d'aide soignant en psychiatrie (deux sessions) suivie en mai 2014 et septembre 2015 et une formation intitulée 'gérer l'agressivité dans la relation de soin' suivie en juin 2016.

Aucun manquement ne peut donc lui être imputé de ces deux chefs et il y a lieu de considérer que l'employeur a respecté son obligation de tenir un DUER et d'assurer une formation adaptée à sa salariée.

S'agissant de la situation particulière du patient MT qui nécessitait une prise en charge spécifique, force est de constater que la société a pris les mesures nécessaires pour préserver ses salariés en leur imposant de ne pas intervenir en cas de crise, sauf danger vital. S'il peut être regrettable que cette consigne vienne en contradiction avec l'exercice habituel du travail de soignant qui est de soulager le malade et de lui venir en aide, il n'appartenait pas à l'aide soignante d'être juge de la pertinence de ces consignes, qui ne relevaient que de la seule responsabilité du médecin.

Alors qu'il n'est au demeurant pas démontré que le transfert de ce malade dans un service permettant de contenir les risques d'automutilation pouvait être envisagé, la cour constate que les mesures prises par la clinique étaient suffisantes pour prévenir un risque d'atteinte à l'intégrité physique du personnel soignant dans le cadre de son intervention auprès du malade MT.

Dans ces conditions, aucune faute inexcusable n'est caractérisée à l'égard de la société et le jugement sera en conséquence réformé.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Aucune considération tirée de l'équité ne justifie de faire droit à la demande de la société en remboursement de ses frais irrépétibles.

Les dépens de la présente procédure d'appel seront laissés à la charge de Mme [C] qui succombe à l'instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l'application des dispositions l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que la société [7] [Adresse 8] n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont a été victime Mme [C],

Déboute Mme [C] de l'ensemble de ses demandes,

Déboute la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor de l'intégralité de ses demandes,

Déboute chacune des parties de sa demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [C] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 21/04018
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;21.04018 ?
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