COUR D'APPEL DE RIOM Chambre Commerciale ARRET N° DU : 13 Octobre 2004 N : 03/01399 TF Arrêt rendu le treize Octobre deux mille quatre COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Sur APPEL d'une décision rendue le 10.04.2003 par le Tribunal de commerce de Clermont Ferrand ENTRE : Mme Françoise X... Représenté APPELANTE Y... : M. Marc Z... Représenté S.A. FIDUCIAIRE NATIONALE D EXPERTISE A... - FIDUCIAL EXPERTISE Représenté INTIMES DEBATS : A l'audience publique du 23 Septembre 2004, la Cour a mis l'affaire en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience publique de ce jour. A cette audience, M. le Conseiller faisant fonction de Président, a prononcé publiquement l'arrêt suivant conformément à l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile :
Par jugement du 2 avril 2003, le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a condamné Mme B..., venderesse d'un fonds de commerce, à payer à M. Z..., acheteur dudit fonds, un "trop-perçu" de 19.864, 35 euros, avec intérêts de droit. Le tribunal a débouté Mme X... de sa demande de garantie de cette condamnation, dirigée contre le cabinet d'expertise-comptable FIDUCIAL.
Par acte de son avoué en date du 22 mai 2003, Mme Françoise X... a interjeté appel général du jugement intervenu. Elle demande à la Cour, selon conclusions récapitulatives du 24 août 2004, de déclarer irrecevable, comme tardive, l'action qui était engagée par M. Z... contre elle. Subsidiairement, elle demande que FIDUCIAL la garantisse de toute condamnation à intervenir, fournisse sous astreinte de cent euros par jour de retard diverses pièces comptables que ce cabinet détient, paye 3000 euros de dommages et intérêts à l'appelante et paye aussi, conjointement avec M. Z..., la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
A l'appui de son recours, Mme F. X... expose principalement qu'elle a vendu son fonds de pharmacie à M. Z... selon compromis du 17.09.1999,
suivi d'un acte authentique sous condition suspensive du 21.01.2000 et d'une réitération le 30.03.2000 ; que le prix était fixé entre les parties à 85 pour 100 du chiffre d'affaires TTC de l'exercice 1999, chiffre avancé par FIDUCIAL dans une attestation du 12.01.2000 ; que M. Z... a pris possession du fonds le 01.04.2000 ; qu'il avait un an pour engager l'action en garantie, par application des articles L 141.3 et L 141.4 du Code de commerce, qui prévalent sur toutes autres dispositions plus favorables à l'acheteur ; qu'il n'a assigné sa venderesse que le 06.06.2001, en se réclamant des articles 1644 et 1645 du Code civil ; et qu'il est donc forclos. Subsidiairement et au fond, elle expose avoir pris toutes dispositions pour que l'acheteur du fonds soit mis dès que possible en possession des éléments d'évaluation du chiffre d'affaires de 1999, le professionnel contacté à cet effet -FIDUCIAL- devant répondre des suites éventuelles de ses erreurs ou de son inertie. Enfin, Mme X... répond aux griefs d'erreur sur la substance et de dol, que M. Z... invoque contre elle, et justifie sa réclamation de pièces comptables lui appartenant et que FIDUCIAL détiendrait toujours.
Premier intimé, M.Marc Z... conclut à la confirmation du jugement critiqué. Subsidiairement, il affirme que son consentement à la vente du fonds de commerce de pharmacie a été vicié, par erreur sur la substance de la chose et sur son prix, et encore par dol commis par Mme X..., venderesse, et par FIDUCIAL, dont l'attestation du 12.01.2000 s'est révélée plus tard fallacieuse, alors qu'elle avait servi de base au calcul du prix de vente du fonds. M. Z... réclame 5000 euros de dommages et intérêts à l'appelante ; il réclame aussi 6000 euros pour frais irrépétibles de procédure, par moitié entre ses deux adversaires.
M. Z... explique notamment qu'il ne pouvait pas agir en justice et se voir opposer une forclusion, avant d'avoir les chiffres définitifs
sur le C.A. de 1999, chiffres qui ont démontré la fausseté de l'attestation du 12.01.2000 ayant emporté son consentement ; qu'il n'a eu cette connaissance des vrais chiffres qu'en avril 2001 et a assigné immédiatement. Il estime aussi que l'action pour erreur ou l'action pour dol sont ouvertes même lorsque l'acheteur dispose de la voie de l'article L 141 du Code de commerce et de l'article 1644 du Code civil. Sur le fond, il relève que FIDUCIAL a annoncé au début de l'année 2000 un C.A. de 7.349.797 francs, qui s'est révélé en réalité de 7.196.501 francs, le prix de vente calculé sur le premier de ces chiffres ayant donc été nettement supérieur à ce qu'il aurait dû être.
Second intimé, la société Fiduciaire-Nationale d'Expertise A... "Fiducial Entreprise" (ci-après FIDUCIAL) demande à la Cour de retenir la forclusion contre M. Marc Z... ; subsidiairement, de confirmer le jugement de première instance, en ce qu'il a débouté Mme X... de sa demande de garantie dirigée contre l'expert comptable. Celui-ci réclame 2000 euros pour frais irrépétibles à l'appelante.
FIDUCIAL développe, sur la forclusion, le même raisonnement que l'appelante. Au fond, FIDUCIAL affirme que l'attestation du 12.01.2000, dont ses adversaires lui reprochent le ton affirmatif et l'erreur de chiffre, a été établie au vu d'éléments fournis par Mme X... elle-même ; qu'à cette période de l'année, suivant de quelques jours seulement la clôture de l'exercice, les deux pharmaciens ne pouvaient pas espérer avoir un chiffrage totalement fiable et qu'il leur appartenait donc, dès la remise des comptes vers avril selon l'usage universel des entreprises, de vérifier le C.A. de 1999 qui servait de référence à leurs accords, et d'ajuster au besoin ceux-ci, auxquels FIDUCIAL est étrangère en fait et en droit. La seconde intimée rétorque enfin longuement sur les erreurs d'appréciation grossières que lui imputent ses adversaires, sur la foi de travaux
signés par des tiers, MM. C... et A... . Sur la demande de délivrance ou restitution de documents, faite par Mme X... contre FIDUCIAL, cette dernière affirme qu'elle s'est acquittée de ses devoirs en temps voulu, comme l'ont dit les premiers juges. SUR QUOI LA COUR
Attendu que l'appel est recevable ; 1 - Sur l'action estimatoire
Attendu que dans tout acte constatant une cession amiable de fonds de commerce, le vendeur est tenu d'énoncer le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours des trois dernières années d'exploitation (art. L 141.1 C.com.) ;
Que l'omission de cette énonciation autorise l'acheteur à agir en nullité dans l'année de la vente (eodem loco) ; que l'inexactitude de l'énonciation autorise l'acheteur à agir en garantie, dans les conditions des articles 1644 et 1645 du Code civil (art. L 141.3, alinéa 1°, du C.com.) ;
Que dans cette seconde hypothèse, qui correspond à l'espèce, l'article 1648 du Code civil autorisant d'agir "à bref délai" n'est pas applicable, n'est d'ailleurs délibérément pas visé dans le renvoi qu'opère le Code de commerce au Code civil, et est finalement cantonné aux inexactitudes ou omissions que ne stigmatise pas l'article L 141.1 ; que, pour les inexactitudes que prévoit ce dernier article, le délai de l'action estimatoire est expressément et impérativement fixé à une année à compter de la prise de possession, selon ce qu'impose l'article L 141.3, alinéa 2, du Code de commerce ; que ce délai est préfix, insusceptible de suspension ou d'interruption, même dans la circonstance où, comme le prétend l'acheteur en l'espèce, la réalité de l'inexactitude n'est apparue que longtemps après la prise de possession du fonds ;
Attendu que M. Z... a pris possession du fonds de pharmacie que lui avait vendu Mme X..., le 01.04.2000 ; qu'en assignant sa venderesse le 06.06.2001, M. Z... est forclos, en quoi le premier jugement sera
réformé ; 2 - Sur l'action pour erreur ou pour dol
Attendu qu'ayant perdu le bénéfice de l'action en garantie, estimatoire ou rédhibitoire, l'acheteur du fonds conserve, selon une jurisprudence constante, le bénéfice éventuel de l'action fondée sur les articles 1110 et 1116 du Code civil, laquelle se prescrit par cinq ans ;
Attendu, s'agissant de l'erreur sur la substance d'un fonds de commerce, que ce vice n'est habituellement reconnu par les juges entre des professionnels, ce qu'étaient tant la venderesse du fonds que l'acheteur, que s'il affecte la nature de la clientèle du fonds cédé, ou la nature du commerce exercé dans le fonds, ou l'avenir d'un bail ou autre mode d'occupation des lieux, ou encore les conditions réglementaires ou administratives de l'exploitation du fonds ; que ces diverses hypothèses extrêmement graves sont étrangères à l'espèce, de sorte que M. Z... ne peut pas soutenir qu'il a été victime d'une telle erreur ;
Attendu, s'agissant de l'erreur sur le prix, qu'elle n'est pas reconnue comme vice en matière de vente de meubles, ne l'étant d'ailleurs en matière d'immeubles qu'à des conditions si restrictives qu'une interprétation in favorem des articles 1110 et 1118 est exclue ;
Attendu, s'agissant du dol, que l'article 1116 impose à l'acheteur la preuve d'une manoeuvre du vendeur ;
Qu'en l'espèce, M. Z... se contente d'écrire que Mme X... a "sciemment occulté certaines informations comptables" ; qu'il est cependant hors d'état de démontrer cette volonté dissimulatrice, pas plus qu'il ne peut prouver une collusion entre Mme X... et FIDUCIAL, ou plus simplement la conscience, en l'esprit de Mme X..., que le C.A. de 1999 serait finalement inférieur à ce qu'allait énoncer l'attestation FIDUCIAL du 12.01.2000 pour déterminer le prix de vente
du fonds de commerce ;
Que, par suite, l'action pour dol est vouée à l'échec, comme l'action pour erreur ; 3 - Sur la demande de délivrance de pièces par FIDUCIAL à Mme X...
Attendu que cette demande reconventionnelle formulée en première instance par un défendeur contre un autre, appelé en garantie sur le principal, était sans lien suffisant avec ladite prétention originaire, au sens de l'article 700 NCPC ;
Qu'en effet, la réponse à donner à Mme X... aux dépens de FIDUCIAL était sans aucun intérêt pour l'initiateur du procès, M. Marc Z..., n'influait en aucune façon sur l'analyse de la vente litigieuse, ne se fondait pas sur les mêmes textes et ne s'examinait même pas au vu de pièces communes avec celles qu'articulait le demandeur principal ; Qu'il appartenait donc au premier juge, et qu'il appartient maintenant à la Cour, d'en constater l'irrecevabilité, sinon le mal-fondé que suggère FIDUCIAL dans ses écritures ; 4 - Sur les accessoires
Attendu que M. Marc Z..., qui a engagé de manière téméraire un procès que finalement, il perd, devra supporter l'application de l'article 700 du NCPC, dans les termes du dispositif ci-après et dans les limites de ce qui a été demandé devant la Cour ;
Attendu que les autres parties, qui triomphent chacune en tout ou partie, échapperont, même entre elles, à l'application de ce texte et de l'article 1382 du Code civil ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré,
RÉFORME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 02.04.2003 par le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand
DÉCLARE M. Marc Z... forclos en sa demande de garantie et le déboute de sa demande de nullité pour vice dans la vente de fonds de commerce du 30.03.2000 ;
DÉCLARE irrecevable la demande de pièces et d'astreinte faite par Mme F. X... contre FIDUCIAL ;
CONDAMNE M. Marc Z... à payer à Mme F. X... la somme de 3000 euros (trois mille) sur le fondement de l'article 700 nouveau code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE M. Marc Z... aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le greffier
Le président