COUR D'APPEL DE RIOM Chambre Commerciale ARRET No DU : 15 Février 2006 N : 05/02185 JD JP Arrêt rendu le quinze Février deux mille six COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Mme Claudine BRESSOULALY, Président M. J. DESPIERRES, ET Mme M-Claude GENDRE, Conseillers lors des débats et du prononcé : Mme C. X..., Greffière Sur APPEL d'une décision rendue le 13.06.2005 par le Tribunal De grande instance de CUSSET ENTRE : S.A.S. MAISONS DU MONDE, anciennement dénommée S.A. POLYMAG. Siège social ... : la SCP GOUTET - ARNAUD (avoués à la Cour) - Représentant : la SCP BERGOT-BAZIRE avocat plaidant (barreau de BREST) APPELANT ET : S.A. THIERS VIROLES siège social ... Représentant : Me Martine-Marie Y... (avoué à la Cour) - Représentant : Me Patrick Z... avocat plaidant (barreau de CLERMONT- FERRAND) INTIME DEBATS : A l'audience publique du 18 Janvier 2006, la Cour a mis l'affaire en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience publique de ce jour à laquelle M. DESPIERRES Conseiller, a prononcé publiquement l'arrêt suivant conformément à l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile :
Le jugement du 13 juin 2005 du tribunal de grande instance de CUSSET a déclaré la demande principale en contrefaçon recevable et fondée, hormis en ce qui concerne la "Virole 42" et la demande de condamnation sous astreinte. En conséquence il a condamné la société MAISONS DU MONDE à payer à la société THIERS VIROLES la somme de 5.000 ç à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon de la virole "guirlande no1" et il a déclaré valable la saisie-contrefaçon réalisée le 5 mai 2003.
Par ailleurs il a condamné la société MAISONS DU MONDE à payer à la société THIERS VIROLES la somme de 10.000 ç à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et à procéder à la publication de la décision dans trois quotidiens et revues .
Il a enfin débouté la société MAISONS DU MONDE de ses demandes tendant à la nullité de la marque "guirlande no1" et à la restitution des objets saisis.
IL a enfin condamné cette société à payer à la société THIERS VIROLES la somme de 2.000 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Appelante la société MAISONS DU MONDE a conclu le 8 novembre 2005.
La société THIERS VIROLES, intimée, a conclu le 19 décembre 2005. SUR QUOI,
Attendu que la société THIERS VIROLES, implantée à THIERS, est spécialisée en orfèvrerie dans les décors d'art de la table et entre autre dans la fabrication des éléments de décors pour les couverts de haute et moyenne gamme ; qu'ayant acquis les catalogues d'anciennes maisons françaises en orfèvrerie pour les arts de la table elle dispose de nombreux moules et d'outillage permettant de fabriquer à l'ancienne ces décors ; qu'ainsi fabrique-t-elle notamment la virole dite "virole 42", virole Louis XVI, en feuille d'acanthe, et la virole dite "guirlande no1", variante de la précédente, constituée de la virole no 42 dotée d'une guirlande de style empire ;
Or attendu qu'il n'est pas contesté que, parmi les nombreuses viroles et décors dont la société THIERS VIROLE possède les moules la virole "guirlande no1" est devenue l'emblème de la société THIERS VIROLES ; Attendu qu'en cause d'appel, la société THIERS VIROLES ne formule plus aucune réclamation concernant la "virole no 42" et ne conteste pas l'irrecevabilité de l'action en contrefaçon décidée par le tribunal ; que seule la virole "guirlande no 1" demeure en cause ; Sur la contrefaçon de la marque "Virole guirlande no 1
Attendu que le modèle de virole "guirlande no 1" a été déposé comme marque emblématique le 7 novembre 2002 et a fait l'objet d'une publication le 20 décembre 2002 ;
Attendu qu'il est constant que les viroles sont des ornements de couverts qui ont été créés dans les années 1850 et que la virole ici en cause existe depuis plus de 100 ans ; qu'il n'est établi aucun droit de propriété privatif et que ce modèle est tombé dans le domaine public ; qu'il en résulte que toute entreprise peut ainsi procéder à la fabrication de couverts ornés par des viroles correspondant au type de décor de la virole "guirlande no1" ;
Or attendu qu'en l'espèce le reproche adressé par la société THIERS VIROLES à la société MAISONS DU MONDE est d'avoir distribué des couverts qui portent cette virole ;
Attendu que le dépôt de marque du 7 novembre 2002 concernant la "guirlande no 1" décrit comme suit l'objet déposé : "La marque est constituée par la forme caractéristique en volume de la virole no 1 motif guirlande forme manchette et mitre orfèvre" ;
Attendu que cette description tend à retenir comme marque l'objet ainsi décrit, et donc à protéger le déposant de la reproduction de la chose décrite ;
Or attendu que cette "guirlande no1", parfaitement identifiable et individualisée, appartient au domaine public et peut donc être fabriquée par tous ;
Attendu que la société THIERS VIROLES soutient qu'elle veut protéger cette marque à titre, selon ce qu'elle énonce elle-même, de "marque emblématique"; qu'elle en a fait un produit phare qui devient ainsi son fleuron commercial, l'emblème de son activité industrielle et commerciale ;
Or attendu que l'acte dé dépôt de marque susvisé n'exprime pas que ce
dépôt est fait à ce titre ; qu'il n'est pas dit que ce modèle constitue par exemple l'enseigne de la société, ou son logo, ou quelqu'autre signe distinctif de la société ; qu'ainsi, ne peut-on parler de marque emblématique, protégeable en tant que telle par un dépôt de marque ;
Attendu que ce dépôt reste donc limité à sa définition et vise à empêcher que la virole soit telle quelle reproduite ; qu'en ce sens il est donc inopposable à la société MAISONS DU MONDE ;
Attendu que ce modèle ancien et public, comme de très nombreux autres dont la représentation est produite par les parties, appartient au domaine public et n'est pas protégeable ;
Attendu qu'il ne saurait cependant être prononcé une nullité de ladite marque, laquelle peut servir à la société THIERS VIROLES à établir, sinon sur le terrain des marques, du moins sur celui de la concurrence déloyale, l'existence de la copie servile ou de quelqu'autre comportement déloyal dans l'utilisation faite du modèle en cause ;
Attendu en conséquence qu'il convient de débouter la société THIERS VIROLES de son action en contrefaçon de la marque "guirlande no1" et d'infirmer le jugement à ce titre ; Sur la concurrence déloyale
Attendu que la société THIERS VIROLES demande de condamner la société MAISONS DU MONDE pour concurrence déloyale et parasitaire, cette société introduisant en France les produits litigieux, à lui payer la somme de 150.000 ç à titre de dommages et intérêts ; qu'elle demande publication de la décision et condamnation sous astreinte à supprimer la présentation des modèles litigieux dans les boutiques de MAISONS DU MONDE en France et dans ses catalogues ;
Attendu qu'il faut préciser que le dispositif vise "les modèles litigieux" ("virole no 42" et "guirlande no1ä) et vise spécifiquement la "guirlande no1" ; que les motifs paraissent viser également la
"virole no42" ; que l'imprécision est regrettable ; que la Cour retiendra les deux modèles ;
Attendu que la société THIERS VIROLES soutient que la concurrence déloyale résulte d'une "copie servile" du produit (donc des deux produits), d'un parasitage d'une démarche commerciale haut de gamme pour ramener le produit vers du bas de gamme ; qu'elle estime que cette attitude vise à une désorganisation du marché pratiquée de manière "méthodique et implacable" ; qu'elle expose que la copie servile de la "virole guirlande" a été opérée "parce qu'au terme d'années de résurrection commerciale de ce produit dans les arts de la table et parmi des milliers de modèles, c'est celui-ci que la société THIERS VIROLES, avec la "virole 42" et la virole "guirlande no 1" avait porté au sommet de la notoriété et dont elle avait fait sa marque emblématique" ; qu'elle voit dans la "commercialisation massive du produit" un acte de concurrence déloyale découlant d'une activité imitante de la sienne ; qu'elle soutient qu'il s'agit d'un risque de confusion et d'une priorité d'usage ; qu'elle expose ainsi qu'en l'espèce même si le produit choisi comme marque emblématique a pu être commercialisé au XIX siècle, c'est elle-même qui, dans les années 1980 a, par le sauvetage des outillages de différentes sociétés en orfèvrerie de la table, relancé un important catalogue et fait de la "virole no42" et de la virole "guirlande no1" sa marque emblématique ; qu'une marque emblématique peut être constituée d'un objet pouvant se trouver dans le domaine public ; qu'en l'espèce, "parmi des centaines, voire des milliers de modèles, elle a choisi et extrait une virole, - et sa variante-, qui a remporté un vif succès" ; qu'ainsi elle peut défendre sa marque emblématique "virole 42" et la virole "guirlande no1" ; qu'elle considère que sa démarche de sélection d'un modèle et sa variante ne saurait la priver de sa propriété industrielle sur ces deux modèles ; qu'elle affirme que le
ciblage par les sociétés concurrentes de ces deux viroles qu'elle commercialise depuis plus de 20 ans est constitutif d'acte de parasitisme ; qu'elle ajoute que la similitude parfaite entre les produits litigieux et les marques emblématiques de THIERS VIROLES montrent la volonté de détourner ses efforts commerciaux et de tirer partie du prestige de ces marques pour écouler des produits bas de gamme ;
Attendu que la société MAISONS DU MONDE, pour dénier tout acte de concurrence déloyale rappelle que ces ornements font partie du patrimoine commun et peuvent être reproduits, qu'elle commercialise ces produits pour une clientèle distincte de celle de la société THIERS VIROLES, qu'il n'existe aucune confusion entre les différents modes de commercialisation et les clientèles des parties, que tout consommateur moyen est capable de faire la différence entre des couverts en métaux précieux et des couverts de gamme moyenne ;
Attendu que la société THIERS VIROLES établit que parmi les nombreux modèles anciens et publics dont elle dispose (est-il vraiment utile de parler de milliersä) elle a choisi un modèle, et sa variante, pour en faire celui qu'elle a fabriqué principalement et qui est devenu le fleuron de son activité ; qu'il est en effet établi et non contesté qu'elle l'a commercialisé abondamment depuis "plus de 20 ans" ; que ses catalogues et documents commerciaux (nombreuses pièces jointes non discutées) présentent ce modèle comme l'emblème de son activité ; qu'il n'est aucunement contesté qu'elle a monté la "virole 42" sur de très nombreux couverts haut de gamme et qu'il s'agit d'un décor d'art de la table très présent depuis longtemps dans les vitrines des boutiques d'art ; qu'elle affirme même, sans que ce soit contesté, qu'il s'agit du décor "le plus présent, depuis des décennies", et ce dans toute la France ;
Attendu qu'ainsi est-il établi que les deux modèles en cause
constituent, par l'effet du choix propre de cette entreprise, et par l'effet de l'activité industrielle et commerciale qu'elle a durablement déployée autour de ces produits, l'activité distinctive de cette société et la cause (ou une des causes) de son succès commercial et concurrentiel ; qu'elle est en droit d'en assurer la protection contre tout parasitisme commercial ou autre acte abusif de concurrence ;
Or attendu qu'il est également établi et non discuté que la société MAISONS DU MONDE importe en France, - et les pièces des procédures le montrent- des couverts portant les deux mêmes viroles, d'apparence exactement identique, de nature à entraîner nécessairement une confusion ; que cette confusion résulte de l'apparence visuelle immédiate, que la différence alléguée de métal, plus ou moins précieux, ne vient pas écarter, non plus que le montage de ces viroles sur des modèles de couverts dont la qualité, ou la gamme, est inférieure chez la société MAISONS DU MONDE ;
Attendu que le choix de ce modèle et de sa variante par la concurrence, alors même qu'il existe de nombreux autres modèles tombés dans le domaine public, choix opéré après que la commercialisation par la société THIERS VIROLES est devenue un succès, constitue à l'évidence une stratégie commerciale de concurrence ciblée et volontaire ; que celle-ci s'avère nécessairement, du fait du choix du seul même modèle (et sa variante) et de sa reproduction à l'identique, ainsi que de son exploitation systématique-, manifester que le concurrent a déloyalement cherché à concurrencer la société THIERS VIROLES sur le terrain très exact qui est le sien ; qu'il s'agit d'actes de parasitisme et d'atteinte à l'image constitutifs de concurrence déloyale ;
Attendu que le jugement sera, au titre de la concurrence déloyale, ainsi que par ses motifs non contraires à ce titre, notamment en ce
qu'il exprime l'existence d'une intention de la société MAISONS DU MONDE de bénéficier indûment des efforts commerciaux effectués par la société THIERS VIROLES, confirmé ;
Attendu sur le préjudice , que la faute établie entraîne nécessairement un préjudice réparable ; qu'en l'espèce l'image de la société THIERS VIROLES est affectée par une concurrence qui porte sur son produit emblématique, et la banalisation de celui-ci par la commercialisation en gamme inférieure ;
Attendu qu'il est justement exposé par la société THIERS VIROLES qu'elle a eu affaire à diverses attaques commerciales du même type ; que la persévérance même de celles-ci traduit et établit le caractère profitable, pour les concurrents, de la persistance de ces actes de concurrence, et, par suite, l'importance du préjudice commercial subi par la société THIERS VIROLES ;
Attendu dans ces conditions que la Cour, sans qu'il soit nul besoin de recourir à quelque expertise que ce soit, est en mesure d'apprécier le montant du préjudice, notamment commercial, et d'en fixer le montant à la somme de 100.000 ç, le jugement étant réformé à ce titre ;
Attendu que par ailleurs, le jugement doit être confirmé au titre des condamnations à publication, sauf à limiter, comme il est expressément demandé (sans qu'on comprenne bien pourquoi), à la représentation de l'emblème "guirlande no1"...
Attendu que le rejet par le tribunal de la demande de condamnation sous astreinte de la présentation des modèles litigieux est justement motivé, sans autres données d'appréciation, et doit être confirmé ;
Attendu qu'en cause d'appel la société MAISONS DU MONDE sera condamnée à payer une somme de 1.500 ç ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
En ce qu'il est appelé :
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société MAISONS DU MONDE pour contrefaçon de la marque virole "guirlande no1".
Statuant à nouveau :
Déboute la société THIERS VIROLES de son action en contrefaçon de la marque virole "guirlande no 1", et de ses demandes conséquentes.
Déclare ce dépôt de marque inopposable à la société MAISONS DU MONDE.
Déclare ce dépôt de marque inopposable à la société MAISONS DU MONDE. Déboute la société MAISONS DU MONDE de sa demande de prononcé de la nullité de cette marque.
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société MAISONS DU MONDE pour concurrence déloyale.
L'infirmant sur le montant des dommages et intérêts alloués à ce titre,.
Condamne la société MAISONS DU MONDE à payer à la société THIERS VIROLES la somme de 100.000 ç à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
Confirme le jugement :
- au titre des publications ordonnées, sauf à limiter comme demandé l'insertion à la virole "guirlande no1".
- au titre du rejet de la demande de suppression de la présentation des modèles litigieux, sous astreinte.
- au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ajoutant, condamne la société MAISONS DU MONDE à payer à la société THIERS VIROLES la somme de 1.500 ç au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux
dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. Le greffier
Le Président C.Gozard
C.Bressoulaly POURVOI EN CASSATION NoZ 0614697 du 10.5.2006 demandeur STE MAISONS DU MONDE arrêt transmis par voie électronique le 18.5.2006 - votre demande du 16 mai reçue à la CA RIOM LE 18.5.2006