COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N° 275
DU : 18 Mai 2022
N° RG 21/00205 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQ56
ALC
Arrêt rendu le dix huit mai deux mille vingt deux
Sur APPEL d'une décision rendue le 7 janvier 2021 par le Tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND (RG n° 2019 007367)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire
En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Rémédios GLUCK, Greffier, lors du prononcé
ENTRE :
La société BPCE LEASE (anciennement dénommée NATIXIS LEASE)
SA immatriculée au RCS de Paris sous le n° 379 155 369 00125
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentants : la SELARL LEXAVOUE, avocats au barreau de CLERMONT- FERRAND (postulant) et la SCP BONIN & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS (plaidant)
APPELANTE
ET :
La société [C] ENERGIE
SAS immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 522 901 065 00030
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentants : Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL ABADA, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE (plaidant)
INTIMÉE
DEBATS : A l'audience publique du 16 Mars 2022 Madame CHALBOS a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 18 Mai 2022.
ARRET :
Prononcé publiquement le 18 Mai 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Rémédios GLUCK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 15 mai 2015, M. [B] [H] a souscrit auprès de la société Natixis Lease un contrat de crédit-bail portant sur un tracteur chenillard PT-175 équipé d'un broyeur forestier, d'une valeur de 176 000 euros HT.
Le contrat de crédit-bail a été publié le 5 juin 2015 au greffe du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 décembre 2018, la société Natixis Lease a mis en demeure M. [B] [H] de lui régler les échéances impayées à cette date, soit 8343,72 euros, sous peine de résiliation du crédit-bail avec restitution du matériel.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 février 2019, la société Natixis Lease a notifié à M. [B] [H] la résiliation du crédit-bail avec restitution du matériel et l'a mis en demeure de lui régler la somme de 102 236,64 euros, conformément au décompte de résiliation.
Le 14 mars 2019, le tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône a prononcé la liquidation judiciaire de M. [B] [H].
Par courriers du 2 avril 2019, la SA BPCE Lease (anciennement dénommée Natixis Lease) a déclaré une créance de 102 236,64 euros entre les mains du liquidateur judiciaire, et sollicité la restitution du matériel.
Par courrier du 6 juin 2019, le liquidateur a indiqué à la société BPCE Lease ne pas s'opposer à sa demande de restitution et l'a invitée à se rapprocher de la SCP François Touillier, huissier de justice, afin de reprendre possession de son matériel.
Le 17 juin 2019, la société BPCE Lease a mandaté la société Sodepar afin d'effectuer toutes les investigations nécessaires en vue de localiser et d'appréhender le matériel financé.
Dans un rapport en date du 3 juillet 2019, la société Sodepar a informé la société BPCE Lease que M. [B] [H] avait cédé l'engin objet du crédit-bail à la SAS [C] énergie le 30 mars 2018 au prix de 102 000 euros TTC, laquelle l'avait revendu à l'EURL Meric le 27 mars 2019 au prix de 96 000 euros TTC.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2019, la SA BPCE Lease a mis en demeure la SAS [C] énergie de lui régler la somme de 102 000 euros dont elle s'était injustement acquittée auprès de M. [B] [H] le 30 mars 2018.
Par acte du 20 août 2019, la société BPCE Lease a fait citer M. [B] [H] devant le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône aux fins d'entendre déclarer M. [B] [H] coupable du délit d'abus de confiance, et de l'entendre condamner sur intérêts civils à lui payer la somme de 102000 euros.
Par jugement contradictoire en date du 29 mai 2020, le tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône a déclaré M. [H] coupable d'abus de confiance commis le 30 mars 2018 à [Localité 6]. Sur l'action civile, le tribunal a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la BPCE Lease.
Parallèlement, par acte du 8 août 2019, la société BPCE Lease avait fait assigner la société [C] énergie devant le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand aux fins d'entendre :
- dire et juger que le droit de propriété de la société BPCE Lease sur le tracteur chenillard PT-175 était opposable à la société [C] énergie,
- constater que la société [C] énergie a acquis auprès de M. [B] [H] le tracteur Chenillard PT-175 en fraude des droits de la société BPCE Lease,
- condamner la société [C] énergie à régler à la société BPCE Lease, à titre de dommages et intérêts la somme de 102 000 euros, correspondant au prix d'acquisition du tracteur chenillard PT-175 par la société [C] énergie auprès de M. [B] [H],
- condamner la société [C] énergie à payer à la société BPCE Lease la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à venir,
- condamner la société [C] énergie aux entiers dépens.
Par jugement contradictoire en date du 7 janvier 2021, le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a :
- débouté la SA BPCE Lease (anciennement dénommée Natixis Lease) de toutes ses demandes,
- condamné la SA BPCE Lease (anciennement dénommée Natixis Lease) à payer et porter à la SAS [C] énergie la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA BPCE Lease (anciennement dénommée Natixis Lease) aux dépens de l'instance dont frais de greffe liquidés à 63,36 euros TVA incluse.
Le tribunal a retenu à cet effet :
- qu'il est établi, notamment par l'offre du matériel sur le site Leboncoin, que M. [B] [H] apparaît comme le propriétaire du matériel décrit qu'il a vendu à la société [C] énergie pour 102 000 euros, somme qu'il n'a jamais reversée au propriétaire, la société Natixis Lease,
- que victime de cet abus de confiance, la société Natixis Lease n'a pas porté plainte contre M. [B] [H] mais a porté son action contre la société [C] énergie, alors qu'est établi le lien direct et certain de son préjudice avec la faute (un délit) commise à son détriment par M. [B] [H],
- qu'il n'est pas contesté que le tracteur chenillard vendu à la société [C] énergie ne portait pas de plaque de propriété au nom de la société Natixis Lease, ni contesté que la banque qui a prêté à la société [C] énergie la somme nécessaire à l'acquisition du matériel - sur lequel elle a pris un nantissement - n'a pas vérifié l'identité réelle du titulaire des droits de propriété sur le matériel, or une banque est un professionnel averti en matière de crédit-bail et de sa publicité, ce que n'est pas la société [C] énergie, TPE dont le président et unique acteur, M. [G] [C], exerce une activité de bûcheron avec un chiffre d'affaires modeste, sans expérience professionnelle de l'achat et de la vente de véhicules ou de leur financement,
- que la société BPCE Lease n'établit pas que la société [C] énergie a eu connaissance de ses droits sur le tracteur chenillard PT-175, et échoue à démontrer une négligence fautive de la défenderesse et un lien direct et certain avec le préjudice qu'elle allègue,
- qu'en application de l'article 2279 du code civil la BPCE Lease ne pouvait qu'être déboutée de l'intégralité de ses demandes.
La SA BPCE Lease (anciennement dénommée Natixis Lease) a interjeté appel de cette décision par déclaration du 26 janvier 2021.
Par conclusions déposées et notifiées le 17 mai 2021, la SA BPCE Lease (anciennement dénommée Natixis Lease) demande à la cour de :
Vu la décision du Conseil constitutionnel 81-132 DC du 16 janvier 1982;
Vu l'article 1240 du code civil;
Vu les articles R.313-4 et suivants du code monétaire et financier;
Vu le contrat de crédit-bail du 15 mai 2015 consenti par la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, à M. [B] [H];
Vu la publication du contrat de crédit-bail au greffe du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône le 5 juin 2015;
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand du 7 janvier 2021 en ce qu'il a :
- débouté la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, de toutes ses demandes,
- condamné la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, à payer et porter à la société [C] énergie la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, aux dépens de l'instance,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que le droit de propriété de la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, sur le tracteur Chenillard PT-175 numéro de série 00383-150329 est opposable à la société [C] énergie,
- constater que la société [C] énergie a acquis le tracteur chenillard litigieux auprès de M. [B] [H], qui n'en était pas lui-même propriétaire,
- condamner la société [C] énergie à payer à la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, à titre de dommages et intérêts, la somme de 102 000 euros correspondant au prix d'acquisition du tracteur Chenillard PT-175 par la société [C] énergie auprès de M. [B] [H],
- condamner la société [C] énergie à payer à la société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease, la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société [C] énergie aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions déposées et notifiées le 6 mai 2021, la société [C] énergie, intimée, demande à la cour de :
Vu les articles R.313-4 et R.313-10 du code monétaire et financier,
Vu l'ancien article 1382 du code civil devenu l'article 1240,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
À titre principal,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand en date du 7 janvier 2021 dans toutes ses dispositions,
À titre subsidiaire,
- ramener la demande de la société BPCE Lease à de plus justes proportions,
En tout état de cause,
- condamner la partie demanderesse à verser la somme de 5 000 euros au titre du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens comprenant ceux de première instance, ceux d'appel distraits au profit de Maître Sébastien Rahon, avocat sur son affirmation de droit, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La procédure a été clôturée le 27 janvier 2022.
MOTIFS :
Il ressort des termes de ses écritures que la société BPCE Lease sollicite, au visa notamment de l'article 1240 du code civil, l'allocation d'une somme de 102000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait de la violation de son droit de propriété, en affirmant que la société [C] énergie aurait a minima manqué de diligence en ne consultant pas la liste des contrats publiés au greffe du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône.
Nonobstant les doutes exprimés par l'intimée, l'action engagée par la société BPCE Lease à son encontre est bien une action en responsabilité délictuelle.
Il appartient en conséquence à la société BPCE Lease de rapporter la preuve d'une faute commise par la société [C] énergie, en lien causal avec le préjudice qu'elle allègue.
L'appelante justifie, par la production d'un état des inscriptions délivré par le greffe du tribunal de commerce de Chalon-sur-Saône, de l'inscription en date du 5 juin 2015 au profit de la société Natixis Lease, [Adresse 1], d'un contrat de crédit-bail mobilier portant sur un bien désigné comme suit : 00383 + 150329 un tracteur chenillard PT-175
Il est également précisé le numéro de l'inscription au greffe et que l'inscription est prise contre [H].
Les numéros 00383 et150329 correspondent aux numéros de série mentionnés sur la facture d'acquisition du bien par Natixis Lease en date du 22 mai 2015.
La société BPCE Lease, anciennement dénommée Natixis Lease justifie par la production d'un extrait du BODACC que son changement de dénomination a été publié le 12 avril 2019 soit postérieurement à l'acquisition par la société [C] énergie du tracteur chenillard et à sa revente à la société Meric, de sorte que contrairement à ce qu'affirme l'intimée, ce changement de dénomination est insusceptible d'avoir une quelconque incidence sur l'appréciation de sa responsabilité.
L'inscription est conforme aux dispositions des articles R.313-3 du code monétaire et financier qui dispose que la publicité doit permettre l'identification de parties et des biens faisant l'objet de l'inscription, de sorte que c'est à juste titre que l'appelante soutient que ses droits sur le bien dont elle avait conservé la propriété étaient opposables aux créanciers et ayants cause à titre onéreux de M. [H].
C'est cependant à juste titre et par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont pu considérer qu'au regard des circonstances de l'espèce, le fait pour la société [C] énergie d'acquérir le tracteur de M. [H] en méconnaissance des droits de la société Natixis Lease ne caractérisait pas un comportement fautif dès lors :
- que la société [C] énergie avait été trompée par M. [H] qui s'est présenté faussement comme le propriétaire du bien et a été condamné pénalement pour ces faits,
- que la société [C] énergie est une très petite entreprise dont le président et unique acteur, M. [G] [C], exerce une activité de bûcheron avec un chiffre d'affaires modeste, sans expérience professionnelle de l'achat et de la vente de véhicules ou de leur financement,
- que la société Natixis Lease n'a pas pris la précaution de faire poser une plaque à son nom sur l'engin,
- que la société [C] énergie n'a pas été mise en garde par sa banque qui lui a consenti un prêt pour l'achat du tracteur chenillard et fait inscrire un nantissement sur le bien.
Ces circonstances font apparaître que la société [C] énergie a agi de bonne foi et n'étant pas un acquéreur averti, l'omission de vérifier la propriété du matériel auprès du greffe du tribunal de commerce ne caractérise pas une négligence fautive susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1240 ancien du code civil.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société BPCE Lease de sa demande en dommages et intérêts.
Partie succombante, la société BPCE Lease sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles d'appel conformément aux dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y ajoutant,
Condamne la société BPCE Lease à payer à la société [C] énergie la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société BPCE Lease aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le GreffierLa Présidente