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18/05/2022 | FRANCE | N°21/02106

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre commerciale, 18 mai 2022, 21/02106


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale















ARRET N° 275



DU : 18 Mai 2022



N° RG 21/02106 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FV43

VTD

Arrêt rendu le dix huit Mai deux mille vingt deux



Sur APPEL d'une ORDONNANCE rendue le 16 septembre 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 20/00854)



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Préside

nt

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire



En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Rémédios GLUCK l...

COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N° 275

DU : 18 Mai 2022

N° RG 21/02106 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FV43

VTD

Arrêt rendu le dix huit Mai deux mille vingt deux

Sur APPEL d'une ORDONNANCE rendue le 16 septembre 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n° 20/00854)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

M. François KHEITMI, Magistrat Honoraire

En présence de : Mme Christine VIAL, Greffier, lors de l'appel des causes et de Mme Rémédios GLUCK lors du prononcé

ENTRE :

M. [E] [V]

né le 2 juin 1960 à [Localité 2] (63)

demeurant à Chochat

[Localité 2]

Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL SEATTLE AVOCATS, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

Mme [X] [V]

née le 27 juin 1961 à [Localité 2] (63)

demeurant à Chochat

[Localité 2]

Représentants : Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et la SELARL SEATTLE AVOCATS, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

APPELANTS

ET :

La société CNA INSURANCE COMPANY LIMITE EUROPE venant aux droits de la CNA INSURANCE COMPANY LIMITED exerçant sous le nom commercial CNA HARDY

SA d'un Etat membre de la CE immatriculée au RCS de Paris sous le n° 844 115 030 00034 en son établissement en France

dont l'adresse de l'établissement situé en France est [Adresse 1]

[Localité 4]

prise en la personne de son représetat légal en France domiciliée en cette qualité audit siège.

Représentants : la SCP ARSAC, avocats au barreau de CLERMONT-FERRAND (postulant) et Me Céline LEMOUX de l'AARPI LAWINS AVOCATS, avocats au barreau de PARIS (plaidant)

La société ATLANTIS 63

SASU à associé unique immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le n° 485 356 422 00038

dont le siège social est [Adresse 5]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal Monsieur [S] [C] domicilié en cette qualité audit siège.

Représentant : Me François Xavier DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIMÉS

DEBATS : A l'audience publique du 16 Mars 2022 Madame [F] a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 18 Mai 2022.

ARRET :

Prononcé publiquement le 18 Mai 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président, et par Mme Christine VIAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par l'intermédiaire de la SASU Atlantis 63, M. [E] [V] et Mme [X] [V] ont effectué des investissements dans des collections de manuscrits réunies par une société spécialiste de ce marché, la société Aristophil, et constituées sous forme d'indivisions.

A ce titre, ils ont conclu le 23 juillet 2013 avec la société Aristophil un contrat de vente portant sur 173 parts de l'indivision 'Espace et grandeur de l'histoire de France' au prix de 86 400 euros.

M. et Mme [V] se sont vu remettre une convention de dépôt, garde et conservation, aux termes de laquelle les membres de l'indivision confiaient pour une durée d'un an, renouvelable par tacite reconduction jusqu'à cinq années, à la société Aristophil la garde, la conservation et les expositions par le dépôt de la collection et, promettaient au terme des cinq ans du contrat, de vendre la collection à la société Aristophil à un prix majoré par année de garde de 8 à 8,80 %, la société Aristophil se réservant le droit de lever ou non l'option ainsi consentie.

Consécutivement à l'enquête préliminaire ouverte à son encontre au printemps 2014 sur la base d'un rapport de la DGCCRF, la société Aristophil a été placée en redressement judiciaire le 16 février 2015, puis en liquidation judiciaire le 5 août 2015.

Son président, M. [V] [R] a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, présentation de comptes infidèles, abus de biens sociaux, abus de confiance et pratiques commerciales trompeuses le 8 mars 2015.

Par actes d'huissier du 11 février 2020, M. et Mme [V] ont fait assigner la SASU Atlantis 63 et la SA CNA Insurance Company Europe devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand, aux fins de les voir condamnées in solidum à leur verser :

- 69 200 euros correspondant à 80 % des sommes qu'ils ont investies au sein d'une collection de manuscrits réunis par la société Aristophil, avec intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2020 avec capitalisation des intérêts ;

- 8 600 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2020 et capitalisation des intérêts, correspondant à une perte de chance de faire fructifier le capital investi auprès de la société Aristophil dans un produit d'épargne classique ;

- 3 000 euros de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral.

Par conclusions d'incident, la SA CNA Insurance Company (Europe) et la SASU Atlantis 63 ont sollicité du juge de la mise en état que soit déclarée prescrite l'action initiée par M. et Mme [V].

Par ordonnance du 16 septembre 2021, le juge de la mise en état a :

- déclaré irrecevables les demandes formées par M. et Mme [V] à l'encontre de la SASU Atlantic 63 et de la SA CNA Insurance Company ;

- constaté le dessaisissement de la juridiction ;

- débouté M. et Mme [V] pour le surplus ;

- condamné M. et Mme [V] à verser à la SASU Atlantis 63 la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Pour retenir la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le juge de la mise en état a énoncé :

- que le dommage résultant d'un manquement à une obligation d'information, de mise en garde et/ou de conseil, consistait en la perte d'une chance de ne pas contracter et se réalisait, par conséquent, en principe, à la date de la conclusion du contrat litigieux ;

- que le délai de prescription commençait à courir lorsque la victime aurait dû connaître les faits pertinents lui permettant d'agir ;

- qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la prescription de l'action fondée sur la perte de chance de ne pas avoir contracté dès lors que les demandeurs ne justifiaient pas de l'existence d'un contrat de garde et de conservation ;

- que sur la perte de chance de contracter à un prix moindre, les demandeurs ne joignaient aucun élément permettant d'établir qu'ils avaient fait évaluer les quote-parts des biens dont ils étaient propriétaires, et les articles de presse communiqués portaient sur des biens étrangers au litige ;

- que la constitution de partie civile du 4 mai 2015 portait sur des faits reprochés à la société Aristophil qui n'était pas partie à la présente procédure, et les faits dénoncés par les demandeurs étaient différents de ceux portant sur la valorisation des oeuvres ;

- qu'en l'absence d'acte interruptif du délai de prescription, il avait expiré le 23 juillet 2018.

M. [E] [V] et Mme [X] [V] ont interjeté appel de cette ordonnance le 8 octobre 2021.

Par conclusions déposées et notifiées le 2 mars 2022, les appelants demandent à la cour au visa des articles 31 du code de procédure civile et 2224 du code civil, d'infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état et de :

- les déclarer recevables en leurs conclusions ;

- fixer la date de révélation du dommage aux consorts [V] au 14 avril 2021, date de la première vente publique des oeuvres composant les collections Aristophil au cours de laquelle les consorts [V] ont pris connaissance de leur dommage résultant de la surévaluation des oeuvres ;

- à défaut, fixer la date de révélation du dommage aux consorts [V] au plus tôt au 25 mars 2015, la date du courrier de l'administrateur judiciaire annonçant le redressement judiciaire de la société Aristophil et la suspension du rachat des contrats ;

- juger que la prescription quinquennale n'était pas acquise au jour de l'assignation ;

- en tout état de cause, débouter les intimées de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;

- renvoyer cette affaire à une audience ultérieure pour permettre aux parties de conclure utilement sur le fond ;

- condamner les société intimées à payer chacune aux consorts [V] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens.

Ils précisent qu'ils avaient versé aux débats le contrat de garde et de conservation les concernant, Mme [D] [K] étant la gérante de l'indivision 'Les Grandes Heures du Génie Humain' à laquelle ils ont souscrit.

Ils prétendent que le point de départ de la prescription ne peut être fixé à la date de conclusion des contrats litigieux puisqu'à cette date ils n'étaient pas en mesure de prendre conscience de leur dommage, résultant notamment du fait d'avoir acquis des parts de collections composées d'oeuvres manifestement surévaluées et éventuellement incessibles en l'absence de toute vérification par la société Atlantis quant aux caractéristiques substantielles des pièces vendues, et sans avoir bénéficié d'une information suffisante sur l'absence de garantie de rachat des parts à terme par la société Aristophil, la simple lecture des stipulations alambiquées contenues dans les contrats et le discours commercial trompeur délivré par la société Atlantis 63 ne leur permettant pas de comprendre la portée des engagements respectifs des parties.

Ils considèrent que c'est a minima à compter de la date à laquelle ils ont été informés de l'ouverture de la procédure collective de la société Aristophil, soit le 25 mars 2015 (courrier de l'administrateur judiciaire les informant de l'impossibilité de tout rachat par la société Aristophil), que leur préjudice, consistant principalement en une perte de chance de ne pas contracter, s'est révélé. En outre, c'est au plus tôt à la date du courrier du 14 avril 2021, ou à défaut, de la première vente publique le 20 décembre 2017 qu'ils ont pris connaissance de la très importante surestimation des manuscrits qu'ils avaient acquis et que doit être fixé le point de départ de la prescription quinquennale.

Ils soutiennent enfin que la prescription de leur action à l'égard de la société Atlantis 63 et de son assureur a été interrompue par leur constitution de partie civile, formalisée le 4 mai 2015, dans le cadre de l'information judiciaire ouverte le 5 mars 2015 des chefs notamment de pratiques commerciales trompeuses et escroquerie en bande organisée sous couvert de la société Aristophil, affirmant avoir ainsi manifesté sans équivoque leur intention de rechercher la responsabilité de l'ensemble des personnes susceptibles d'être mises en cause, dont les conseillers en gestion de patrimoine membres du réseau de distribution.

Par conclusions déposées et notifiées le 8 mars 2022, la société CNA Insurance Company Europe demande à la cour, au visa des articles 789 du code de procédure civile et 2224 du code civil, de confirmer l'ordonnance entreprise, et :

à titre principal :

- juger que le délai de prescription quinquennal attaché à l'action des consorts [V] a commencé à courir à la date de souscription de l'investissement litigieux, soit à compter du 23 juillet 2013 ;

- juger que les consorts [V] ne justifient d'aucun acte interruptif de prescription intervenu antérieurement à l'acte introductif d'instance du 11 février 2020 ;

- juger en conséquence l'action des consorts [V] prescrite ;

à titre subsidiaire :

- juger que les consorts [V] ont ou auraient dû avoir connaissance de ce que la société Aristophil ne lèverait pas l'option d'achat qui lui a été concédée, dès l'automne 2014 avec la révélation par la presse de l'enquête pénale diligentée à l'endroit de la société Aristophil et avec le courrier adressé par cette dernière, le 4 décembre 2014, à l'ensemble des investisseurs dont les consorts [V] ;

à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour infirmerait l'ordonnance :

- juger que la bonne administration de la justice n'impose en rien que la cour exerce son pouvoir d'évocation et renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand afin qu'il soit statué sur les demandes des consorts [V] ;

en tout état de cause :

- débouter les consorts [V] de toutes leurs demandes,

- condamner les consorts [V] à payer à la société CNA Insurance Company Europe la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que le point de départ du délai de prescription est le jour de signature du contrat et que ce n'est que par exception, lorsqu'il est démontré que la victime ne pouvait pas avoir connaissance, au jour de la conclusion du contrat, du dommage dont elle sollicite réparation, que le point de départ de la prescription est repoussé.

Elle fait valoir :

- que la constitution de partie civile invoquée par les appelants, à supposer qu'elle soit effective, n'a aucun effet interruptif de prescription à l'égard de la société Atlantis 63 qui n'est pas concernée par la procédure pénale dont s'agit ;

- que les stipulations contractuelles sont parfaitement claires sur le fait qu'il n'est consenti à la société Aristophil qu'une promesse de vente que cette dernière se réserve la faculté de lever ou non et qu'il n'y a pas de garantie de rachat à terme des parts et qu'aucun élément probant ne permet de retenir que la société Atlantis 63 aurait présenté les placements litigieux comme assortis d'une garantie de rachat, de sorte que les dommages allégués, à les supposer établis, existaient dès la souscription des contrats ;

- que les documents dont les consorts [V] se prévalent ne sont en rien de nature à corroborer l'assertion affirmée péremptoirement selon laquelle ils auraient été trompés par la société Atlantis 63 sur le caractère sécurisé de leur investissement ;

- que la durée de l'investissement, qui n'est pas d'une durée incompressible de 5 ans mais d'une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, est totalement indifférent sur la question de savoir si au jour de la conclusion des contrats, les investisseurs pouvaient ignorer qu'il n'y avait pas de garantie de rachat par la société Aristophil ;

- que la question de la surévaluation des oeuvres est un argument sans lien avec la question de l'éventuelle responsabilité de la société Atlantis 63 et de la prescription attachée à l'action engagée à son encontre ;

- que la surévaluation des collections acquises n'est pas en lien direct avec le préjudice de perte de chance de ne pas contracter l'investissement litigieux, elle ne peut concerner que le montant du préjudice et non pas son principe ;

- que subsidiairement, la prescription a commencé à courir au jour de la divulgation publique par voie de presse entre octobre et décembre 2014 de l'enquête préliminaire ouverte à l'encontre de la société Aristophil et de la mise sous séquestre des collections, période à laquelle la société Aristophil a par ailleurs communiqué auprès de tous ses clients et sur son compte Facebook au sujet de la procédure pénale ouverte à son encontre, ces divers éléments établissant que les appelantes 'auraient dû connaître', selon les termes de l'article 2224 du code civil les faits fondant leur action ;

- sur la demande d'évocation, que le pouvoir d'évocation prévu par l'article 568 du code de procédure civile suppose l'infirmation ou l'annulation d'un jugement et qu'alors que le litige ne présente aucun caractère d'urgence, une évocation porterait atteinte au principe du double degré de juridiction sans motif légitime.

Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 12 décembre 2021, la SASU Atlantis 63 demande de juger M. et Mme [V] non fondés en leur appel, de confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions, et de les condamner au paiement d'une indemnité de 3 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que les appelants ne démontrent pas l'impossibilité de comprendre des clauses du contrat au moment de sa signature et, réaffirme que le dommage résultant d'un manquement à une obligation d'information et de conseil consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se réalise à la date de la conclusion du contrat litigieux, et que la prescription de l'action en réparation de ce dommage commence à courir au jour de la conclusion dudit contrat.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.

La procédure a été clôturée le 16 mars 2022.

MOTIFS

Selon l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Si comme l'a énoncé le premier juge, le dommage résultant d'un manquement à une obligation d'information, de mise en garde et/ou de conseil, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se réalise en principe à la date de la conclusion du contrat litigieux, la prescription de l'action en responsabilité intentée contre l'auteur de ce manquement ne court qu'à compter de la date à laquelle ce dommage se révèle au contractant.

En l'espèce, M. et Mme [V] font valoir qu'à la date de souscription du contrat, ils n'étaient pas en mesure de prendre conscience du fait :

- qu'ils avaient acquis la propriété de parts indivises de collections composées d'oeuvres manifestement surévaluées et éventuellement incessibles pour certaines d'entre elles,

- qu'ils investissaient dans un placement inadapté à leurs attentes en l'absence de garantie de rachat des parts par la société Aristophil.

Il sera au préalable constaté que M. et Mme [V] ont versé aux débats le contrat de garde et de conservation les concernant en pièce n°2-5, contrairement à ce qu'a affirmé le premier juge. Mme [D] [K] est en réalité la gérante de l'indivision 'Les Grandes Heures du Génie Humain' à laquelle ils ont souscrit. Le contrat comporte la mention manuscrite par M. [V] : 'Je certifie avoir pris connaissance ce jour du contrat de garde et de conservation ci-dessus et d'en avoir reçu un exemplaire', et est signé de sa main.

Aucune clause ou mention des contrats d'achats de parts, des contrats de garde et de conservation ou de la convention d'indivision, signés ou reçus par les appelants au moment de la souscription, ne permet effectivement d'attirer leur attention sur un risque de surévaluation des oeuvres dont s'agit, prétendument expertisées selon le contrat de garde par la société Aristophil, elle-même présentée par ce même contrat comme spécialisée dans l'achat, la vente, l'expertise la garde, la conservation et les expositions, la valorisation de valeurs d'art et de collections, d'autant que la convention d'indivision réglementant les rapports entre les indivisaires, à laquelle les acheteurs de parts s'engagent à se conformer, fait l'objet d'un acte reçu par un notaire et comportant la description de la collection ainsi que sa valeur totale.

Les appelants, qui n'entraient pas physiquement en possession des oeuvres d'art dont ils avaient acquis une quote part et étaient convaincus par les termes du contrat de l'intérêt de ne pas les revendre avant le terme du contrat de garde, n'ont pas eu l'occasion de prendre conscience de la surévaluation qu'ils allèguent avant d'être informés sur l'ouverture de la procédure collective de la société Aristophil ouverte le 16 février 2015 et sur la procédure pénale, information judiciaire ouverte à partir de mars 2015.

S'agissant de l'absence de garantie de rachat des parts par la société Aristophil, il est vraisemblable, au regard du caractère complexe du montage juridique comportant trois actes signés entre des parties différentes et se référant les uns aux autres et du caractère peu explicite pour un non-juriste de la clause de promesse de vente insérée au contrat de garde, qu'une absence de mise en garde par la société Atlantis 63 ait pu laisser croire au souscripteur que le rachat des parts par la société Aristophil au terme de la période de garde de cinq ans présentait un caractère certain, d'autant que le contrat et la convention d'indivision conféraient à la société Aristophil un droit de préemption et un pouvoir d'agrément en cas de vente à un tiers.

La clause du contrat de garde relative à la promesse de vente est rédigée comme suit (article VI):

'Le propriétaire promet unilatéralement de vendre à la société la collection dont il est propriétaire au terme des 5 ans du contrat de garde et de conservation.

Cette promesse a une durée de 3 mois qui court à compter du terme de la convention de dépôt.

Cette promesse de vente s'effectuera :

- à un prix d'achat qui figure en Annexe 1 ou si ce prix n'est pas fixé,

- à un prix déterminé par expertise.

Ce prix ne pourra en aucun cas être inférieur au prix d'achat majoré de 8,00% à 8,80 %, en fonction de l'option choisie dans le contrat 'Arbitrage et échange de parts d'indivision', par an de la valeur déclarée au départ. L'expertise sera diligentée à la requête des parties par un expert dûment habilité.

Durant ces 3 mois, la Société aura l'option d'acheter la collection, au prix convenu ou à un prix d'expertise. Ce prix sera au minimum supérieur de : 8,00% à 8,80 %, en fonction de l'option choisie dans le contrat 'Arbitrage et échange de parts d'indivision', par an au prix d'acquisition tel qu'il figure à l'Annexe 1 pour la période de garde, de conservation et d'expositions de 5 années pleines et entières.'

Il n'est pas nécessairement évident pour un non-juriste que la promesse de vente n'engage que le promettant.

D'autre part, l'emploi du futur de l'indicatif et l'association dans une même phrase de l'option de la société avec une alternative entre deux modalités de fixation du prix peuvent contribuer à une mauvaise compréhension du principe de l'option qui peut sembler porter non sur le rachat lui-même mais sur ses modalités de fixation du prix.

M. et Mme [V] ont engagé leur action par un acte introductif d'instance du 11 février 2020.

Il appartient aux intimées qui leur opposent la prescription quinquennale de démontrer que les appelants ont eu avant le 11 février 2015, connaissance de faits leur permettant de prendre conscience que le contrat qu'ils avaient souscrit ne comportait aucune garantie sur la valeur des collections et aucun engagement de rachat par la société Aristophil et que par conséquent, faute d'avoir été suffisamment informés sur ces points, qui, s'ils les avaient connus, les auraient peut-être déterminés à ne pas contracter, ils avaient perdu une chance de ne pas se retrouver dans la situation défavorable dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui.

Il ne saurait être considéré que comme le soutient la société CNA Insurance Company (Europe), les appelants auraient dû connaître les faits fondant leur action en raison de la divulgation publique par voie de presse entre octobre et décembre 2014 de l'enquête préliminaire ouverte à l'encontre de la société Aristophil et de la mise sous séquestre des collections, période à laquelle la société Aristophil a par ailleurs communiqué auprès de tous ses clients et sur son compte Facebook au sujet de la procédure pénale ouverte à son encontre.

Outre le fait que l'intimée ne démontre pas l'envoi par la société Aristophil à M. et Mme [V] avant le 11 février 2015, d'informations susceptibles de leur révéler un possible dommage, la parution de plusieurs articles dans la presse nationale ne permet pas de faire présumer leur lecture par les appelantes.

L'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée en ce qu'elle a déclarée l'action introduite par M. et Mme [V] irrecevable comme prescrite.

S'agissant de l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état, il n'y a pas lieu à évocation de l'affaire par la cour, qui porterait atteinte au principe du double degré de juridiction.

Les parties seront renvoyées devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand pour la poursuite de l'instance.

Parties succombantes les intimées seront condamnées aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles comme il sera dit au dispositif.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes formées par M. [E] [V] et Mme [X] [V] à l'encontre de la SASU Atlantis 63 et de la CNA Insurance Company et condamné les demandeurs à payer à chacune des défenderesses une somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action ;

Dit n'y avoir lieu à évocation ;

Renvoie la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand pour la poursuite de l'instance ;

Condamne les sociétés Atlantis 63 et CNA Insurance Company (Europe) in solidum à verser à M. [E] [V] et Mme [X] [V] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Condamne les sociétés Atlantis 63 et CNA Insurance Company (Europe) aux dépens de première instance et d'appel afférents à l'incident.

Le greffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/02106
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;21.02106 ?
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