N° RG 20/03343 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ISSY
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 24 AOUT 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
17/01771
Tribunal judiciaire d'Evreux du 21 avril 2020
APPELANT :
Monsieur [E] [H]
né le 15 octobre 1960 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté et assisté par Me Corinne GAUTHIER, avocat au barreau de l'Eure
INTIMEE :
Madame [G] [I] épouse [Z]
née le 15 juin 1953 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Franck GOMOND de la Selarl GOMOND , avocat au barreau de Rouen et assistée par Me Vincent GICQUEL de la Scp LAUDRAN-GICQUEL, avocat au barreau de Vannes
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 avril 2022 sans opposition des avocats devant Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme [V] [B],
DEBATS :
A l'audience publique du 27 avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 24 août 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 août 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
M. [K] [H] a épousé en secondes noces Mme [D] [I] le 4 octobre 2008. L'épouse est décédée le 10 décembre 2013, l'époux le 16 avril 2015.
Ils ont laissé pour leur succéder, s'agissant de leurs enfants':
- l'épouse, une fille unique, Mme [F] [S] épouse [J], née de sa première union avec M. [T] [S],
- l'époux, un fils unique, M. [E] [H], né de sa première union avec Mme [W] [U], décédée le 5 janvier 1980.
Mme [G] [I] épouse [Z] est la nièce de Mme [D] [I]'; elle a entretenu des relations privilégiées avec sa tante mais également avec M. [K] [H].
Des modifications sont intervenues quant aux clauses bénéficiaires de contrats d'assurance-vie, objets du litige.
M. [K] [H] avait ouvert entre 1990 et 2010 cinq contrats d'assurance-vie auprès de la Caisse nationale de prévoyance et Préviposte dont la bénéficiaire était jusqu'au 5 février 2014, son épouse Mme [D] [I].
Par avenant du 5 février 2014, la clause bénéficiaire de l'un de ces contrats, Assurdix n° 366'633'790 13 a été modifié pour désigner Mme [G] [Z].
Le 11 mars 2014, le capital de 168'652,82 euros perçu à la suite du décès de son épouse a été investi sur ce même contrat.
Par avenants du 21 mai 2014, la clause bénéficiaire de trois de ces cinq contrats d'assurance-vie a été modifiée au profit de Mme [G] [Z]':
- le contrat Vivaccio n° 500'277'360 13,
- le contrat Gmo Dsk n° 969'758'540 19,
- le contrat Assurdix n° 366'633'790 13 a fait l'objet d'une correction à la suite de l'erreur matérielle affectant le nom de jeune fille de la bénéficiaire, née [I] et non [I].
Contestant ces actes, M. [E] [H] a fait assigner Mme [G] [Z] afin d'en obtenir leur annulation, à tout le moins leur requalification afin que les montants soient réintégrés dans la succession.
Par jugement contradictoire du 21 avril 2020, le tribunal judiciaire d'Évreux a':
- déclaré recevables les demandes de M. [E] [H],
- débouté M. [E] [H] de sa demande tendant à ce que soit prononcée l'annulation des avenants du 21 mai 2014 aux contrats d'assurance-vie Vivaccio n° 500'277'360 13, Gmo Dsk n° 969'758'540 19 et Assurdix n° 366'633'790 13,
- dit que la prime de 168'652,82 euros versée sur le contrat d'assurance-vie Assurdix n° 366'633'790 13 dont a bénéficié Mme [G] [I]-[Z] n'est pas manifestement exagérée,
- déboute M. [E] [H] de sa demande de rapport à la succession de cette prime,
- dit n'y avoir lieu à requalification en donations indirectes des avenants du 21 mai 2014 aux contrats d'assurance-vie Vivaccio n° 500'277'360 13, Gmo Dsk n° 969'758'540 19 et Assurdix n° 366'633'790 13,
- débouté M. [E] [H] de sa demande de rapport à la succession de la somme de 255'718,52 euros correspondant au capital des contrats d'assurance-vie dont a bénéficié Mme [G] [I]-[Z],
- condamné Mme [G] [I]-[Z] à payer à la succession de M. [K] [H] la somme de 3'600 euros «'et M. [E] [H] de sa demande de dommages et intérêts'»,
- débouté Mme [G] [I]-[Z] de sa demande de mettre à la charge de la succession de M. [K] [H] la somme de 114,95 euros au titre des frais d'obsèques avancés pour la famille,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chacune des parties conservera la charge des dépens engagés,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe le 21 octobre 2020, M. [E] [H] a formé appel du jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 30 mars 2022, M. [E] [H] demande à la cour, au visa de l'article L 132-13 du code des assurances, de':
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la prime de 168'652,82 euros versée sur le contrat Assurdix n'était pas manifestement exagérée,
- dire que cette prime est manifestement exagérée,
- condamner Mme [G] [Z] à payer à la succession de M. [K] [H] la somme de 255'718,52 euros au titre des primes d'assurance-vie,
à titre subsidiaire,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit n'y avoir lieu à requalification en donations indirectes des avenants du 21 mai 2014 aux contrats d'assurance-vie Vivaccio, Gmo Dsk et Assurdix,
- juger que ces trois contrats constituent des donations déguisées,
- condamner Mme [G] [Z] à payer à la succession de M. [K] [H] la somme de 255'718,52 euros au titre des primes,
- débouter MmeSylvie [Z] de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [G] [Z] à payer à la succession la somme de 3'600 euros,
-condamner Mme [G] [Z] à payer à M. [E] [H] la somme de
6'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [G] [Z] aux dépens.
Sur le caractère manifestement exagéré de la prime de 168'652,82 euros et la demande de restitution à la succession, M. [E] [H] soutient que le tribunal a commis une erreur d'appréciation en retenant que même si le 11 mars 2014, elle représentait plus de huit fois le montant du revenu annuel de M. [K] [H], il n'était pas établi au regard du montant de l'ensemble du patrimoine et de l'utilité que pouvait présenter un tel versement pour lui, de l'ancienneté du contrat et des habitudes de placement un caractère exagéré du versement.
Il rappelle les critères d'appréciation imposant notamment de se placer au moment du versement, au regard de l'âge, de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur ainsi que de l'utilité pour celui-ci'; qu'en l'espèce, les fonds ont été versés le 7 janvier 2014 et non le 11 mars 2014, alors que son père se trouvait au domicile de Mme [G] [Z] et de son époux'; que si le tribunal au vu des éléments retenus a pu situer la prime à 41,41 % de la valeur du patrimoine, la somme représentait en réalité 58,63 % de la succession au moment du versement de la prime, 57,67 % au moment du décès, soit aussi 2,6 fois l'actif net de la succession'; qu'elle correspondait non pas à huit années de revenus annuels mais plutôt à douze années de revenus en raison de ressources à hauteur de 14'369 euros selon son avis d'imposition de 2013'; que M. [K] [H] n'était propriétaire d'aucun immeuble lors de son décès puisqu'il ne détenait qu'un quart de la propriété sise à [Adresse 5] en sa qualité de conjoint survivant.
Quant à l'utilité de l'opération, il précise que M. [K] [H] était âgé de 85 ans lors du versement de la prime'et souffrait de différentes pathologies importantes notamment d'une insuffisance cardiaque mais ne sera hospitalisé qu'en novembre 2014'; que son état de santé n'a cessé de se dégrader à la suite du décès de son épouse'; que ces soucis et la perte de l'élan vital ne pouvait que laisser présager une issue fatale à terme'; que dans ce contexte, le versement de la prime litigieuse ne présentait pas d'utilité pour son père qui, alors que les relations familiales étaient cordiales avec la fille de son épouse, Mme [F] [J], aurait pu d'autant plus gratifier celle-ci que les fonds provenaient d'un contrat souscrit par sa mère'; que le placement n'était nécessaire ni pour l'hébergement de son père, bénéficiaire de différentes prestations, ni pour prévenir des besoins de la vie courante'; qu'il s'agissait en réalité d'exhéréder le fils.
Les arguments de Mme [G] [Z] tirés du remploi des sommes perçues par le défunt lors du décès de son épouse, d'un taux d'intérêt plus intéressant, de la référence à la date de souscription du contrat, sont inopérants. La bénéficiaire soutient en vain, encore, qu'elle ne peut faire rapport à la succession puisqu'elle n'a pas la qualité d'héritière s'agissant d'une demande de restitution.
A titre subsidiaire, il demande la requalification des actes litigieux en donation déguisée, écartée par le tribunal qui aurait procédé à une analyse erronée des faits. Il reprend les termes d'une décision prononcée par la cour d'appel de Lyon le 15 avril 2014 selon laquelle': «'lorsque la modification de la clause bénéficiaire des contrats d'assurance-vie au profit de tiers traduit la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable au profit des bénéficiaires, à une époque où, compte tenu de son âge et de la dégradation importante de son état de santé, les contrats n'offraient plus d'intérêt véritable pour lui et où la faculté de rachat présentait un caractère illusoire, alors les avenants modificatifs des contrats d'assurance doivent être qualifiés de donations déguisées et ces libéralités doivent être réintégrées dans l'actif de succession. »''
Il souligne qu'il verse des attestations démontrant que son père voulait le déshériter'; que malgré ces réticences, ce dernier a été contraint de produire, auprès du notaire chargé des opérations de liquidation de la succession de Mme [D] [I], les informations relatives à ces contrats d'assurance-vie'; que l'examen détaillé de l'ensemble des contrats souscrits établit le niveau de gratification déjà consenti au profit de Mme [D] [I]'; que les fonds perçus par Mme [G] [Z] sont clairement des donations déguisées.
Quant à l'appel incident formé par cette dernière, il indique que la somme de
3'600 euros à laquelle Mme [G] [Z] a été condamnée correspond à un chèque de 3'000 euros et un retrait de 600 euros dont elle avait bénéficié et qui n'avaient pas été remplis ou ordonnés par M. [K] [H], les règles applicables aux libéralités telles que le don manuel n'étant pas réunies pour le premier juge'; que cette disposition doit être confirmée, la mauvaise foi de Mme [G] [Z] étant patente.
S'agissant particulièrement du retrait de la somme de 600 euros effectué le 17 décembre 2014, il démontre que M. [K] [H] était hospitalisé et n'a pu pratiquer ce retrait'; que Mme [G] [Z] reconnaît en être l'auteure et ne justifie pas avoir remis ce montant à l'intéressé'; que l'intimée doit dès lors rembourser la somme telle que la décision en a été prise en première instance.
Il conteste le bien-fondé'de la demande de Mme [G] [Z] en dommages et intérêts alors qu'il n'a pas commis d'abus de droit en utilisant le recours possible contre le jugement'; qu'elle ne prouve aucun préjudice au soutien de sa demande d'indemnisation.
Par dernières conclusions notifiées le 13 avril 2022, Mme [G] [Z] demande à la cour de':
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la succession de M. [K] [H] la somme de 3'600 euros avec intérêt légal à compter de ma décision,
et statuant à nouveau,
- débouter M. [E] [H] de cette demande,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts et d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, laissé à chaque partie la charge des dépens par elle engagés,
et statuant à nouveau,
- condamner M. [E] [H] à lui payer la somme de 5'000 euros à titre de dommages et intérêts, de 6'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
- débouter M. [E] [H] de ses demandes,
- condamner M. [E] [H] à lui payer la somme de 6'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour l'instance en appel,
- condamner M. [E] [H] aux dépens d'appel.
S'agissant des assurances-vie, elle indique que d'une part en cas de primes manifestement exagérées justifiant le rapport à la succession, seul le montant des primes versées doit être réintégré dans l'actif successoral à l'exclusion du capital versé'; que d'autre part, n'ayant pas la qualité d'héritière, elle ne peut être tenue au rapport à la succession.
A titre surabondant, elle soutient que M. [E] [H] échoue à démontrer que la prime versée était manifestement exagérée. Elle souligne notamment que M. [K] [H] disposait d'un patrimoine significatif dont un immeuble, avait les moyens suffisants pour faire face à ses besoins et n'a fait que remployer sur des contrats d'assurance-vie ouverts huit ans plus tôt, le capital provenant de placements de son épouse perçu à son décès'; que le tribunal a relevé à juste titre l'intérêt financier de l'opération'; qu'elle n'a elle-même joué aucun rôle dans les choix du défunt.
Quant à l'existence d'une donation déguisée, le tribunal a retenu de façon conforme que rien ne démontrait la volonté de M. [K] [H] de déshériter son fils de manière irrévocable et qu'en conséquence, en l'absence des critères de la donation déguisée, les prétentions de M. [E] [H] devaient être écartées.
Elle soutient qu'elle ne peut être tenue au paiement de la somme correspondant au chèque signé par M. [H] qui voulait faire un geste de reconnaissance à son égard en raison de la prise en charge assurée à son domicile et même durant des vacances.
Le retrait de la somme de 600 euros a été effectué à la demande de M. [K] [H] et a fait l'objet d'une remise entre ses mains pour faire face à ses besoins de la vie courante.
Elle défend sa demande indemnitaire en faisant valoir les accusations erronées formées à son encontre alors que le père de l'appelant était sain d'esprit et qu'elle n'a commis aucun abus de faiblesse, le préjudice moral qu'elle supporte.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 avril 2022.
MOTIFS
Sur la demande de rapport à la succession
L'article L 132-13 du code des assurances dispose que le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.'
L'article 843 du code civil précise que tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale. Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant.
Les articles suivants du code civil définissent les conditions de mise en 'uvre et indiquent notamment que le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier ; il n'est pas dû aux légataires ni aux créanciers de la succession. Le rapport se fait en moins prenant, sauf dans le cas du deuxième alinéa de l'article'845.
M. [E] [H] ne répond pas au moyen soulevé par Mme [G] [Z] qui relève que n'ayant pas cette qualité d'héritière, elle ne peut être tenue à rapport, se bornant à affirmer que «'Madame [Z], consciente du caractère manifestement excessif des primes, tente manifestement d'échapper à son obligation de restitution des primes qui excèdent la part réservataire.'».
Les pièces d'état civil et l'attestation notariée rédigée le 9 juin 2015 par Me [N] [A], notaire à [Localité 3], permettent de vérifier que le seul héritier de M. [K] [H] est son fils [E] [H], Mme [G] [Z] étant la nièce de l'épouse défunte, Mme [D] [I]. Comme retenu par le premier juge, l'action sur le fondement susvisé applicable entre héritiers ne peut aboutir, le jugement entrepris étant dès lors confirmé sur ce moyen.
Dans ses conclusions, M. [E] [H] analyse la situation financière du défunt avec pour objectif de démontrer le caractère manifestement excessif des primes. Dans le développement de ses conclusions, et exclusivement dans la phrase rappelée ci-dessus, il évoque l'action en réduction. Toutefois, le dispositif de ses écritures vise la demande de condamnation de l'intimée à payer à la succession la somme de 255'718,52 euros perçue au titre des primes d'assurance-vie. A défaut de débats et prétentions, qui seraient en outre concordants, sur le respect de la réserve, ses conséquences sur la quotité disponible et donc sur les actes discutés, M. [E] [H] ne peut prospérer en son action.
Sur la requalification en donation déguisée
L'article 894 du code civil définit la donation entre vifs comme l'acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte.
Un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable.
La demande de M. [E] [H] porte sur la somme de 255'718,52 euros correspondant aux montants liés aux conséquences des avenants signés le 21 mai 2014 aux contrats d'assurance-vie suivants':
- le Vivaccio n° 500'277'360 13 a été souscrit le 21 avril 2010'; à la date du décès de Mme [D] [I] le 10 décembre 2013, le contrat représentait, en capital, la somme de 8'493,03 euros';
- le GMO DSK n° 969'758'540 19 a été souscrit le 12 février 1999'; à la même date, il portait, sur une somme de 53'987,13 euros';
- l'Assurdix n° 366'633'790 13 a été souscrit le 29 mai 1991'; le 10 décembre 2013, le contrat représentait, en capital, la somme de 19'579,11 euros. Par avenant du 5 février 2014, M. [K] [H] a désigné comme bénéficiaire Mme [G] [Z] née «'[I]'», par défaut son mari, puis par défaut ses descendants.
M. [K] [H] a bénéficié de la perception de fonds provenant de contrats d'assurances-vie à la suite du décès de son épouse'; il a ainsi perçu la somme de 168'652,82 euros placée, le 11 mars 2014, sur cette assurance-vie. Il était alors âgé de presque 85 ans pour être né le 26 avril 1929.
Le 21 mai 2014, M. [K] [H] a signé trois avenants afin de désigner en qualité de bénéficiaire, Mme [G] [Z], à défaut son mari M. [O] [Z] et à défaut les descendants de Mme [G] [Z], l'erreur orthographique glissée dans l'avenant du 5 février 2014 étant ainsi rectifiée.
Il sera hospitalisé du 26 décembre 2014 au 8 janvier 2015': le compte-rendu de l'hospitalisation établi par le service de gériatrie vise «'un syndrome confusionnel sur fragilité cognitive'»'; «'Monsieur [H] présente effectivement une fragilité, un bilan cognitif de débrouillage est réalisé qui retrouve un MMS à 23/30 avec toutefois le refus de la réalisation du calcul. Le [X] est à 10/10 et l'horloge 7/7 ' Le résultat du MMS est à pondérer au vu de l'hospitalisation et de l'état anxieux dans lequel Monsieur [H] se trouve. Un avis psychiatrique est demandé qui ne retrouve pas de réel syndrome dépressif mais évoque l'exacerbation d'une tristesse car nous sommes dans la période de deuil de ses deux épouses (l'une décédée en décembre, l'autre au mois de janvier'».
M. [E] [H] verse aux débats un certificat d'un médecin généraliste établi le 26 août 2016 précisant qu'il a soigné M. [K] [H] pour dépression du 2 mai 2014 au 20 janvier 2015, information qui n'est pas soutenue par le psychiatre ayant examiné le patient en centre hospitalier dans les conditions susvisées.
M. [K] [H] sera hospitalisé de nouveau le 3 avril 2015 en raison d'une tumeur à l'origine d'une insuffisance rénale pour s'éteindre le 16 avril 2015.
L'appelant produit une attestation émanant de Mme [L] du 7 juillet 2015 reprenant des propos tenus par M. [K] [H]':'«'durant mon activité M. [H] m'a dit qu'il voulait déshériter son fils car il était fâché avec lui depuis 30 ans après le décès de son épouse.'».
Le conseiller en patrimoine de la Banque postale, Mme [C] [M], déclare, devant les militaires de la brigade de gendarmerie de [Localité 3], suivant procès-verbal du 5 juillet 2016'avoir reçu M. [K] [H] pour la modification des clauses de bénéficiaires : « Je n'ai jamais géré son portefeuille mais je suis intervenue au moment de la succession de son épouse'Je l'ai vu une fois au moment du décès de Madame [H]. Il est venu ce jour-là avec sa nièce et l'époux de celle-ci'il n'a jamais été évoqué un quelconque changement de clause, c'était plus axé comment allait se dérouler la succession de son épouse.
Je l'ai revu une deuxième fois, il était seul. A ce moment on a effectué les contrats d'assurances-vie de madame sur les contrats de monsieur. Du coup, je l'ai informé qu'il fallait qu'il pense à changer les clauses bénéficiaires. Il a dit ok je vais réfléchir, on lui a refixé un troisième rendez-vous et il nous a expliqué qu'il avait un fils et qu'il souhaite avantager d'autres personnes de la famille. A aucun moment il ne parle de le déshériter complètement.
Au troisième rendez-vous, je lui ai expliqué que lorsqu'on a un enfant il y a une réserve héréditaire qui est la moitié pour un enfant. Concernant l'autre moitié il avait le droit d'en faire ce qu'il voulait. En toute connaissance de cause il a refusé et a souhaité avantager sa nièce. Il aurait même pu tout donner à quelqu'un d'autre. Il n'a cependant jamais émis le souhait de déshériter son fils.'»
Le second conseiller en patrimoine, M. [R] [Y] confirme les explications données, la lucidité de M. [K] [H] dans les choix opérés et sa volonté de garder deux contrats susceptibles de revenir à son fils.
Les éléments médicaux et les témoignages recueillis démontrent ainsi que M. [K] [H] avait la capacité d'effectuer des choix et a procédé, le 21 mai 2014, au changement de la bénéficiaire des contrats d'assurance-vie en voulant clairement disposer de ses actifs dans le cadre de l'organisation de sa succession. Les avenants ont été régularisés après règlement de celle de son épouse, s'agissant de ce type de placement, et donc dans un contexte lui permettant d'apprécier l'état de son patrimoine'et le sort devant lui être réservé ; M. [K] [H] a reçu toutes les explications utiles au cours des différents rendez-vous et a exprimé sa détermination à donner à Mme [G] [Z] partie de ses avoirs sans pour autant dénier à son fils ses droits en qualité d'héritier réservataire.
Si M. [K] [H] gardait théoriquement la libre gestion des contrats, le compte-rendu des entretiens tenus avec les conseillers en patrimoine révèlent sa volonté de fixer les droits de chacun lors de son décès et de façon irrévocable, en raison de son âge et des risques auxquels il était exposé.
Les avenants aux contrats d'assurance-vie constituent des donations déguisées contrairement à l'analyse retenue par le premier juge.
Toutefois, sur ce fondement juridique aboutissant à la requalification des actes, M. [E] [H] ne sollicite pas une réintégration des montants avec calcul de la part qui excèderait la quotité disponible, correspondant en l'espèce à la moitié de la masse successorale, mais la condamnation de Mme [G] [Z] à payer à la succession la somme totale des fonds versés au décès de son père soit
255'718,52 euros. Cette prétention, au regard du fondement juridique soutenu, est voué à l'échec. Aucune condamnation ne peut être prononcée en ces termes.
M. [E] [H] sera débouté de sa demande et le jugement en ce sens confirmé.
Sur la condamnation de Mme [G] [Z] au paiement de la somme de
3'600 euros
M. [E] [H] demande la confirmation du jugement'; Mme [G] [Z] son infirmation.
- Sur le chèque de 3'000 euros
Mme [G] [Z] ne conteste pas avoir encaissé la somme. Le débat porte sur l'auteur du chèque du 8 janvier 2015 d'un montant de 3'000 euros, M. [E] [H] soutenant essentiellement que son père n'a pu signer ce titre, Mme [G] [Z] maintenant que le défunt l'a régularisé le même jour que la formalisation d'une procuration sur ses comptes.
L'intimée ajoute qu'il s'agissait d'une marque de reconnaissance pour l'aide apportée.
Le premier juge a considéré par comparaison de la signature sur différentes pièces qu'il existait des éléments suffisants pour écarter la possibilité d'une signature de la main de M. [K] [H] et en conséquence, l'existence d'un don manuel.
L'article 288 du code de procédure civile dispose qu'il appartient au juge de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s'il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d'écriture. Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l'une des parties, qu'ils aient été émis ou non à l'occasion de l'acte litigieux.
Si la signature apposée sur le chèque litigieux peut sembler différente de celles qui sont portées sur les avenants du 21 mai 2014 ou des chèques des 19 mai et 10 septembre 2014, elle présente aussi des similitudes quant à la lettre t, l'espace entre les t et le a, le trait sur le nom. L'existence d'une falsification n'est pas manifeste. En outre, M. [K] [H] sortait, à cette date, d'une hospitalisation d'une quinzaine de jours au cours de laquelle il avait reçu des traitements ayant vocation à l'apaiser et à stabiliser sa santé. Les incertitudes sont trop grandes pour affirmer qu'il ne s'agit pas de la signature du titulaire du compte.
En conséquence, par ce titre de paiement, et compte tenu de l'intention libérale déjà révélée par les affectations des contrats d'assurance-vie, M. [K] [H] a donné à M. et Mme [Z] la somme de 3'000 euros. Il ressort amplement d'une vingtaine d'attestations et de photographies que M. et Mme [Z] prenaient soin de l'intéressé, en l'accueillant chez eux, l'emmenant en vacances et veillant à ses besoins courants, notamment son suivi médical pendant ou hors les périodes d'hospitalisation.
Ce don manuel, entrant dans les facultés de M. [K] [H] au regard de son patrimoine, ne justifie pas de remboursement à la succession du défunt, le jugement étant infirmé de ce chef.
- Sur le retrait de la somme de 600 euros
Mme [G] [Z] expose qu'il s'agit d'un retrait effectué avec la carte bancaire de M. [K] [H] lors de son hospitalisation': celui-ci l'aurait sollicitée en lui confiant la carte et le code afin de pouvoir disposer de liquidités pour faire face à ses dépenses. Les espèces auraient été remises à M. [K] [H] pour son retour à domicile dans la mesure où elles n'avaient pas été utilisées.
Cette analyse relative au retrait de la somme comme de sa restitution n'est justifiée par aucune pièce'alors qu'il est constant que Mme [G] [Z] a détenu ses fonds appartenant à M. [K] [H]. La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle condamne Mme [G] [Z] à payer cette somme, à la succession de M. [K] [H], en réalité à M. [E] [H] pour le compte de la succession, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
Sur les dommages et intérêts
Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Mme [G] [Z] démontre par les nombreuses attestations et photographies produites qu'elle a accompagné la vie de M. [K] [H], son oncle en lui prodiguant de l'attention, de l'affection et des soins durant plusieurs décennies. Les liens affectifs étaient d'autant plus forts que ce père était fâché avec son fils depuis une trentaine d'années, précisément le 11 novembre 1990 selon l'appelant, et demeurait sans contact avec celui-ci.
M. [E] [H] qui explique pour sa part avoir été rejeté par son père lors de la réunion familiale qui a eu lieu à cette date, ne s'est pas rapproché de lui avec le temps, particulièrement en raison de l'âge atteint par celui-ci.
Sans qu'il y ait lieu de formuler des griefs en raison de son absence auprès de son père dans des conditions qui ne relèvent pas de l'actuel débat, il convient cependant d'observer qu'il n'a pas hésité à mettre en cause l'honnêteté de Mme [G] [Z]. Sans produire d'éléments susceptibles de nourrir ses suspicions, il lui a reproché d'avoir abusé de la fragilité de M. [K] [H] en déposant une plainte et en concluant notamment en ces termes'le 30 mars 2022 : «' Madame [G] [I] épouse [Z] et son époux ont été omni présents dans les derniers mois de la vie de [K] [H] 'Cette présence systématique des époux [Z] auprès de Monsieur [H] est troublante et démontre l'emprise que ces derniers avaient sur [K] [H], lequel était psychologiquement et physiquement très affaibli après le décès de son épouse [D]. 'il est pourtant constant qu'elle était présente 'lorsqu'il a fallu régulariser les avenants des contrats d'assurance-vie, qu'elle a accepté la procuration sur les comptes de [K] [H] alors qu'il sortait le jour même de l'hôpital.'»
L'enquête des services de gendarmerie a démontré que M. [K] [H] avait été reçu seul lorsqu'il s'est agi du changement des bénéficiaires des assurances-vie et que Mme [G] [Z] n'avait reçu procuration que sur un seul compte.
Les accusations persistantes portées à l'encontre de Mme [G] [Z], qui plus est sans élément confortant ses allégations, ont causé un préjudice moral certain à l'intimée qui sera compensé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Mme [Z] demande la réformation du jugement en ce qu'il a laissé à chacune des parties les dépens par elle engagés et dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
En définitive, à l'exception d'une somme de 600 euros, soit un faible montant au regard des enjeux de la procédure, M. [E] [H] succombe à l'instance et supportera en conséquence les dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Mme [G] [Z] réclame une somme de 6'000 euros au titre de la première instance et de 6'000 euros au titre de la procédure d'appel. Il lui sera alloué la somme de 10'000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort,
Dans les limites de l'appel formé,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné Mme [G] [I] épouse [Z] à payer à M. [E] [H] la somme de 3'600 euros, débouté Mme [G] [I] épouse [Z] de sa demande de dommages et intérêts, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, laissé à chacune des parties la charge des dépens par elle engagés,
Infirme le jugement entrepris de ces chefs,
Et statuant à nouveau, y ajoutant,
Condamne Mme [G] [I] épouse [Z] à payer à M. [E] [H], pour le compte de la succession de M. [K] [H], la somme de'600 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
Condamne M. [E] [H] à payer à Mme [G] [I] épouse [Z] les sommes suivantes':
- celle de 3'000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- celle de 10'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus des demandes,
Condamne M. [E] [H] aux dépens.
Le greffierLa présidente