N° RG 21/03558 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I4BK
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 1er MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/02093
Tribunal judiciaire de Rouen du 30 août 2021
APPELANT :
Monsieur [G] [X]
né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 8] (Algérie)
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté et assisté par Me Arnaud ROUSSEL de la SELARL ARNAUD ROUSSEL, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me SISSAOUI
INTIMES :
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée et assisté par Me Arnaud VALLOIS de la SELARL ARNAUD VALLOIS-CLAIRE MOINARD AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen
Sas SAIPOL
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée et assistée par Me Yves MAHIU de la SELARL DE BEZENAC ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de Rouen
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 7 décembre 2022 sans opposition des avocats devant M. Jean-François MELLET, conseiller, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 7 décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 1er mars 2023.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 1er mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par jugement du 14 septembre 2010, le tribunal de police de Troyes a condamné M. [G] [X], pour des faits de violences ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas huit jours, en l'espèce deux jours, commis le 15 août 2007, sur la personne de M. [W] [C]. Les faits ont été commis sur le lieu de travail des deux intéressés, qui étaient employés de la Sas Saipol.
Le 25 juillet 2011, M. [C] a saisi la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions de [Localité 9] (ci-après la Civi) d'une demande d'indemnisation. Par décision du 5 juin 2012, la Civi a ordonné l'expertise médicale de M. [C]. Le Dr [Y] a déposé son rapport le 1er octobre 2012. Par décision du 1er octobre 2013, la Civi a alloué à M. [C] la somme de
16 000 euros en réparation de ses préjudices. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (ci-après le Fgti) a versé cette somme.
Le Fgti a ensuite assigné M. [X], au titre de son action récursoire, ainsi que la Sas Saipol, sur le fondement de l'article 1242-5 du code civil.
Par jugement du 30 août 2021, le tribunal judiciaire de Rouen a notamment :
- déclaré irrecevables les demandes du Fgti formées à l'encontre de la Sas Saipol du fait de la prescription de son action ;
- déclaré recevable l'action du Fgti à l'encontre de M. [G] [X] ;
- condamné M. [G] [X] à payer au Fgti la somme de 16 000 euros ;
- rejeté la demande de délais de paiement formée par M. [G] [X] ;
- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- condamné M. [G] [X] aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 9 septembre 2021, M. [G] [X] a interjeté appel de la décision.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2021, M. [G] [X] demande à la cour, au visa des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale et 1242 et 1343-5 du code civil, de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes du Fgti formées à l'encontre de la Sas Saipol, déclaré recevable l'action du Fgti à son encontre, l'a condamné à payer au Fgti la somme de 16 000 euros, dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté ses autres demandes, l'a condamné aux dépens ;
statuant à nouveau,
à titre principal,
- débouter le Fgti de l'intégralité de ses demandes ;
à titre subsidiaire,
- ramener le recours du Fgti a de plus justes proportions sur l'ensemble des préjudices ;
- condamner la Sas Saipol à le garantir des sommes réclamées en raison des dommages causés à M. [C], sur le fondement de l'article 1242 al 5 du code civil ;
- lui accorder un délai de règlement de deux ans en vertu de l'article 1343-5 du code civil ;
en tout état de cause,
- condamner le Fgti à lui payer une indemnité de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance ;
- condamner le Fgti aux dépens de la première instance ;
- ordonner le remboursement des sommes qui auront pu être versées en vertu de l'exécution provisoire de la décision entreprise, avec intérêts au taux légal à compter de leur versement, et ce au besoin à titre de dommages intérêts ;
- condamner le Fgti à lui payer une indemnité de 2 238 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel ;
- condamner le Fgti aux dépens de la procédure d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 2 mars 2022 , le Fgti demande à la cour, au visa des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale, 1231-7 et 1343-5 du code civil de confirmer le jugement et de :
- débouter M. [G] [X] et la Sas Saipol de l'ensemble de leurs demandes à son encontre,
- condamner M. [G] [X] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2022, la Sas Saipol demande à la cour, au visa des articles 1242 alinéa 5 du code civil, 2226 et 2241 du code civil, 32 et 122 du code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement en ce que le tribunal a déclaré irrecevables les demandes du Fgti formées à son encontre du fait de la prescription de son action, rejeté en conséquence la demande en garantie formée par M. [X] à son encontre,
subsidiairement,
- dire et juger que M. [X] a commis un abus de fonction ;
- rejeter les demandes ;
très subsidiairement,
- réduire le montant des sommes allouées au Fgti ;
en tout état de cause,
- débouter M. [G] [X] de l'ensemble de ses demandes à son encontre ;
- débouter le Fgti de l'ensemble de ses demandes à son encontre ;
- condamner M. [G] [X] et le Fgti à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 novembre 2022.
MOTIFS
A titre liminaire, il y a lieu de relever que le Fgti ne demande plus la condamnation de la Sas Saipol, si bien que le moyen tiré de la prescription de cette demande est sans objet.
Dans le dispositif de ses conclusions, qui seules saisissent la cour, la Sas Saipol ne soulève pas la prescription de l'appel en garantie formé contre elle par M. [X].
Elle conclut uniquement au rejet de ses demandes, au motif que la prescription des demandes du Fgti est quant à elle acquise. Il s'agit pourtant de deux actions distinctes. La cour n'est donc pas saisie de la prescription du recours en garantie de M. [X] contre la Sas Saipol. Il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.
Il en va de même du défaut de qualité à défendre qui n'est soulevé qu'à l'égard du Fgti.
Sur l'action dirigée contre l'auteur des faits
M. [X] conclut en premier lieu au rejet, sur le fondement de l'article 14 du code de procédure pénale et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Il soutient qu'en application de ces textes, le Fgti aurait dû l'appeler en cause devant la commission d'indemnisation des victimes d'infraction de [Localité 9] ; que le rapport d'expertise qui a donné lieu à cette condamnation n'est pas contradictoire à son égard et ne lui est donc pas opposable ; qu'il n'est pas en mesure de débattre de l'imputabilité, du partage de responsabilité, et de l'évaluation des préjudices.
En application de l'article 706-1 du code de procédure pénale, le Fgti est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction le remboursement de l'indemnité versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes.
Ainsi que l'a rappelé le tribunal, la procédure sui generis suivie en application des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale ne se déroule qu'entre la victime et le fonds d'indemnisation.
Il ne saurait dès lors être reproché au Fgti de n'avoir pas appelé en cause l'auteur devant la Civi, quand bien même cette dernière a ordonné une expertise médicale : la commission a fixé souverainement le montant de l'indemnisation due à la victime, ainsi que la loi le prévoit, selon les règles spécifiques qui gouvernent cette procédure. Ce montant a été réglé et le Fgti subrogé, ces points ne sont pas contestés.
Dans le cadre son recours subrogatoire, M. [X] responsable du dommage causé par l'infraction, peut, comme il le soutient lui-même, opposer toutes les exceptions qu'auraient été en mesure d'opposer la victime subrogeante, et notamment de discuter l'existence et le montant des indemnités allouées en réparation.
Au cours de la présente instance, il a été placé en situation de discuter les pièces et documents soumis à la juridiction qui a indemnisé la victime, notamment le rapport d'expertise, si bien qu'il ne peut se prévaloir d'un défaut de contradictoire ou d'une violation des règles du procès équitable.
Il faut en outre relever que l'imputabilité est établie par le jugement, revêtu de l'autorité de la chose jugée, rendu le 14 septembre 2010 par le tribunal de police de Troyes. M. [X] est en mesure de plaider l'existence, non d'un partage de responsabilité, mais une faute de la victime, moyen qu'il soulève d'ailleurs en l'espèce.
Le moyen tiré d'un défaut de respect du contradictoire sera rejeté.
Ainsi que l'a estimé le tribunal, M. [X] ne rapporte pas la preuve d'avoir été insulté par la victime avant de la frapper au visage d'un coup de poing. Cette version, avancée dans son audition par les services de police le 18 avril 2008, n'est corroborée par aucune autre pièce.
L'existence d'une faute de la victime n'est donc pas démontrée et en conséquence, il n'y a pas lieu de minorer le montant des indemnités mises à sa charge.
Le tribunal a considéré que le montant de 6 000 euros au titre des souffrances endurées étaient justifié en relevant que l'expert avait évalué le poste à 3/7 en raison de symptômes post-traumatiques en lien avec les violences subies, à savoir des cauchemars répétés, une hyper anxiété diurne, des ruminations morbides et un sentiment prégnant de dévalorisation et d'inutilité. M. [C] a justifié d'un suivi psychiatrique. L'expert a décrit une modification durable de sa personnalité. Ces éléments, auxquels s'ajoutent la souffrance physique liée aux violences subies sur la pyramide nasale et l'apparition d'épistaxis récidivante justifient donc le montant alloué qui n'appelle pas d'infirmation.
Le montant de 2 000 euros accordé au titre du préjudice sexuel est justement apprécié au vu de l'inhibition de la sexualité constatée par l'expert et de la difficulté de nouer des relations sentimentales compte tenu de son inhibition sociale générale.
Le préjudice d'établissement consiste en la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap. Ce préjudice ne se confond pas avec le préjudice sexuel.
M. [C], âgé de 28 ans au moment des faits, ne souffre pas de handicap physique. L'expert ne s'est pas prononcé expressément sur l'existence d'un préjudice d'établissement. Si l'état psychique, constaté par l'expert et décrit par la Civi, ne permettait pas d'envisager qu'il s'engage dans une relation amoureuse et familiale à court terme, ces constats ont plus de 10 ans. La cour n'est pas renseignée sur la situation amoureuse ou familiale de l'intéressé, dont les séquelles constatées, essentiellement de nature psychologique, peuvent n'avoir été que transitoires, et n'empêchent pas d'envisager, par principe, la réalisation d'un projet familial.
Le jugement sera infirmé pour défaut de preuve, au titre de la somme de 7 000 euros accordé par le tribunal pour préjudice d'établissement.
La condamnation à payer une somme de 1 000 euros au titre d'un préjudice d'agrément doit également être infirmée, puisque M. [C] n'a justifié d'aucune pratique de loisirs particulière.
Le montant de la créance sera donc fixée à 8 000 euros et M. [X] condamné à payer ce montant.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les délais de paiement
En application de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Il exerce un pouvoir souverain.
M. [X], qui ne justifiait pas, en première instance, de sa situation financière, démontre aujourd'hui qu'il perçoit l'allocation de retour à l'emploi depuis le 25 août 2021 pour un montant de 1 560 euros. Il vit en couple ; son épouse est salariée. Il a un enfant à charge. Le patrimoine du couple est inconnu de la cour. Il verse copie d'un tableau d'amortissement relatif à un prêt de 61 865 euros, sans plus de précision, outre un autre prêt 'achat travaux' de 15 000 euros.
M. [X], qui n'a effectué aucun règlement alors qu'il était en situation d'emploi, réclame aujourd'hui, non pas un échéancier, mais un report de deux ans, sans faire état de perspectives de remboursement particulières à l'issue de ce délai. Il n'a effectué aucun paiement spontané de cette créance dont il a connaissance depuis le mois de mars 2019 au plus tard, selon le préavis de saisie sur rémunération qui lui a été adressé.
Sa situation ne justifie pas qu'il bénéficie de reports de paiement vis-à-vis du Fgti qui s'est substitué à lui dans l'indemnisation de la victime selon quittance du 25 octobre 2013, soit il y a près de 9 ans.
La demande sera rejetée.
Sur l'action en garantie dirigée contre l'employeur
Si l'article 1242 du code civil instaure un régime de responsabilité des commettants au titre des dommages causés par leurs préposés dans l'exercice de leurs fonctions, cette responsabilité n'a lieu que vis-à-vis de tiers, mais ne garantit pas les commettants eux-mêmes contre leurs propres fautes.
M. [X] n'allègue aucune faute de son employeur ayant concouru aux préjudices indemnisés par la Civi, ni à l'infraction pénale intentionnelle dont il s'est rendu coupable dans l'exercice de ses fonctions. Il n'est donc pas fondé à agir en garantie contre lui.
Sur les frais de procédure
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et frais irrépétibles n'appellent pas de critique.
Si le montant de la condamnation est moindre en appel, M. [X], demeurant débiteur, succombe à l'instance et sera condamné aux dépens d'appel.
Il sera en outre condamné à payer une somme pour frais irrépétibles qu'il est équitable de fixer à 1 500 euros à l'égard du Fgti et 1 500 euros à l'égard de la Sas Saipol.
Le présent arrêt constitue un titre : il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire de la décision entreprise.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement en ce que le tribunal a condamné M. [G] [X] à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 16 000 euros ;
Le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau du chef infirmé, et y ajoutant,
Condamne M. [G] [X] à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions la somme de 8 000 euros ;
Condamne M. [G] [X] à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions d'une part, et à la Sas Saipol d'autre part, la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [G] [X] aux dépens.
Le greffier, La présidente de chambre,