N° RG 21/02467 - N° Portalis DBV2-V-B7F-IZUE
COUR D'APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 15 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/02880
Tribunal judiciaire d'Evreux du 25 mai 2021
APPELANTS :
Monsieur [Y] [E]
né le 13 septembre 1976 à [Localité 10]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Dédé GABA, avocat au barreau de l'Eure et assisté de Me Christophe FABRE, avocat au barreau de Paris
Madame [D] [L] épouse [E]
née le 16 février 1976 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Dédé GABA, avocat au barreau de l'Eure et assistée de Me Christophe FABRE, avocat au barreau de Paris
INTIMEES :
Madame [S] [I] épouse [T]
née le 27 octobre 1933 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée et assistée par Me Laurent SPAGNOL de la SCP SPAGNOL DESLANDES MELO, avocat au barreau de l'Eure
Sarl ADELYS IMMO
RCS d'Evreux 791 058 829
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Edouard POIROT-BOURDAIN de la SELARL HERCE MARCILLE POIROT-BOURDAIN, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Axel PEROT de la Selarl AVOX, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 11 janvier 2023 sans opposition des avocats devant Mme Magali DEGUETTE, conseillère, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre
M. Jean-François MELLET, conseiller
Mme Magali DEGUETTE, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l'audience publique du 11 janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
*
* *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 20 août 2013, la Sarl Adelys Immo, mandatée par Mme [S] [I] épouse [T] en vue de la vente de sa maison d'habitation située [Adresse 6], a réalisé un diagnostic de performance énergétique. Elle a classé celle-ci dans la catégorie C comme consommant 146 kwh/m²/an représentant une dépense annuelle d'énergie de 1 902 euros.
Par compromis du 27 juin 2014, Mme [S] [I] épouse [T] a vendu sa maison à M. [Y] [E] et à Mme [D] [L], son épouse pour le prix de 246 000 euros.
Cette vente a été réitérée par acte notarié du 21 août 2014.
Estimant que la consommation énergétique de leur immeuble ne correspondait pas à celle indiquée dans le diagnostic de la Sarl Adelys Immo, M. et Mme [E] en ont fait réaliser un nouveau le 12 mars 2015 par le cabinet Servex. Celui-ci a conclu que la consommation était de 390 kwh/m²/an représentant une dépense annuelle d'énergie de 5 317,80 euros et a classé l'immeuble en catégorie F.
Par ordonnance du 23 décembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Evreux, saisi le 24 novembre 2015 par M. et Mme [E], a fait droit à leur demande de réalisation d'une expertise judiciaire au contradictoire de leur venderesse. Cette mesure a été étendue à la Sarl Adelys Immo par ordonnance du 7 juin 2017. L'expert désigné a établi son rapport d'expertise le 4 janvier 2019.
Suivant actes d'huissier de justice des 3 et 4 juillet 2019, M. et Mme [E] ont fait assigner leur venderesse et la Sarl Adelys Immo devant le tribunal de grande instance d'Evreux en indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire d'Evreux a :
- déclaré irrecevables les demandes de M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse à l'encontre de la société Hiscox,
- débouté M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse de leur demande tendant à ce que les pièces 7 de la société Adelys Immo et 5 de Mme [I] soient écartées des débats,
- débouté M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse de leur demande en paiement à l'encontre de la Sarl Adelys Immo,
- déclaré recevable l'action de M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse sur le fondement de la garantie des vices cachés,
- débouté M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse de leurs demandes à l'encontre de Mme [S] [I] épouse [T],
- déclaré sans objet les appels en garantie,
- débouté la Sarl Adelys Immo de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse à payer la somme de 1 500 euros à Mme [S] [I] épouse [T], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse de leur demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse au paiement des entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 15 juin 2021, M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse ont formé appel du jugement.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 6 janvier 2023, M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse demandent de voir en application des articles 1382 devenu 1240, 1147 devenu 1231-4, 1134 alinéa 3 devenu 1104, 1135 devenu 1194, 1602, 1641 et suivants du code civil, 1 du protocole n°1 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable leur action en garantie des vices cachés à l'encontre de Mme [S] [I] épouse [T],
- pour le surplus, réformer ledit jugement,
au principal,
- recevoir le rapport d'exertise de M. [Z],
- condamner la Sarl Adelys Immo à leur payer la somme de 88 000 euros de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de ne pas acheter,
- condamner Mme [S] [I] épouse [T] à leur payer 10 000 euros au titre de l'action estimatoire en garantie des vices cachés,
- condamner in solidum la Sarl Adelys Immo et Mme [S] [I] épouse [T] à leur payer la somme de 2 000 euros de frais irrépétibles de première instance et celle de 2 000 euros supplémentaires de frais d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens en ce compris les frais d'expertise,
subsidiairement,
- recevoir le rapport d'exertise de M. [Z],
- condamner la Sarl Adelys Immo à leur payer la somme de 50 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas obtenir une réduction de prix de la maison,
- condamner Mme [S] [I] épouse [T] à leur payer 10 000 euros au titre de la violation de son obligation contractuelle d'information et de conseil,
- condamner in solidum la Sarl Adelys Immo et Mme [S] [I] épouse [T] à leur payer la somme de 2 000 euros de frais irrépétibles de première instance et celle de 2 000 euros supplémentaires de frais d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.
Ils font valoir que le tribunal a bien établi la faute de la Sarl Adelys Immo ; que celle-ci leur a causé un préjudice de perte de chance ; qu'il s'agit de la perte de chance de ne pas acheter qu'ils n'ont pas à démontrer au moyen d'éléments supplémentaires sur leurs chances de trouver un bien similaire présentant de meilleures caractéristiques ; que la jurisprudence constante selon laquelle toute perte de chance ouvre droit à réparation a été méconnue par le tribunal en inversant la charge de la preuve. Au surplus, ils prouvent ces éléments supplémentaires en produisant des évaluations de cinq maisons similaires dans la même commune ou dans un rayon proche avec des prix voisins voire moindres et dont les Dpe étaient meilleurs, ce qui prouve que la valeur de leur maison était inférieure au regard de sa catégorie énergétique. La réduction du prix de vente de 270 000 euros à 246 000 euros lors de l'achat n'a pas été motivée par la performance énergétique et la nécessité d'entreprendre des travaux, mais par la liberté contractuelle et la libre négociation du prix ainsi que les effets d'une vente conclue sans l'intermédiaire de l'agence immobilière initialement intervenue.
Ils ajoutent qu'ils ne sont pas des professionnels de l'immobilier ou de la construction ; que les cours pour se présenter au concours d'ingénieur de la voirie et des espaces publics ont été dispensés à M. [Y] [E] postérieurement à la vente ; que leur impossibilité de louer leur immeuble au 1er janvier 2023, date de la nouvelle réglementation sur les locations dites de passoires énergétiques, engendrera aussi une dépréciation de sa valeur vénale ; qu'au final leur perte de chance de ne pas acquérir est égale à 80 % appliquée sur l'estimation de l'expert judiciaire de
110 000 euros.
Ils exposent à titre subsidiaire qu'ils ont subi un préjudice de perte de chance d'obtenir une réduction du prix de vente égale à l'économie de 50 000 euros qu'ils auraient réalisée sur 17,5 ans en moyenne par rapport aux six possibilités d'acquérir dans la même gamme de prix des biens beaucoup plus performants énergétiquement.
S'agissant de l'action en garantie des vices cachés intentée contre leur venderesse, ils soutiennent que le délai de l'article 1648 du code civil a été suspendu et/ou interrompu en application des articles 2241, 2242 et 2239 du même code de sorte que leur action est recevable.
Ils ajoutent sur le fond que les vendeurs avaient participé à la construction de la maison qu'ils occupaient depuis 1979 de sorte qu'ils connaissaient nécessairement l'absence d'isolation ; que lors des visites de l'immeuble la venderesse n'a rien dit sur l'absence d'isolation des murs et la très faible performance énergétique de la maison qu'elle ne pouvait pas ignorer de sorte qu'elle ne peut pas bénéficier de la clause exclusive de garantie des vices cachés.
Ils indiquent à titre subsidiaire que le fait d'avoir fait réaliser un Dpe par la Sarl Adelys Immo ne dispensait pas la venderesse de son devoir général d'information et de renseignement sur l'absence d'isolation des murs ; qu'elle ne pouvait pas ignorer ayant vécu dans l'immeuble dès 1979, et sur la difficulté de chauffer celui-ci.
Par dernières conclusions notifiées le 3 janvier 2023, la Sarl Adelys Immo sollicite de voir confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. et Mme [E] de leur demande en paiement à son encontre et les a condamnés au paiement des dépens, en ce compris les frais d'expertise,
subsidiairement, si la cour d'appel venait à infirmer le jugement, même partiellement,
- limiter le préjudice de perte de chance de M. et Mme [E] à un faible pourcentage du prix d'acquisition,
en tout état de cause,
- condamner Mme [I] épouse [T] à la garantir intégralement de toute éventuelle condamnation mise à sa charge,
- débouter Mme [I] épouse [T] de ses demandes formées contre elle,
- condamner M. et Mme [E] ou tout succombant à lui payer une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner tout succombant aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par Me Jérôme Hercé pour ceux dont il aura fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément à l'article 699 du code précité.
Elle expose que le Dpe n'est pas une expertise thermique ; que la prestation du diagnostiqueur consiste seulement à saisir dans un logiciel spécialisé certaines caractéristiques de l'immeuble ou les données des factures d'énergie et non tous les éléments ; que ce logiciel calcule et fournit une estimation très approximative de la consommation énergétique de l'immeuble en fonction des conditions standard d'utilisation et du climat habituel de la région ; que le résultat obtenu n'est pas parfaitement conforme à la réalité et n'a qu'une valeur informative comme indiqué par l'article L.271-4 du code de la construction et de l'habitation.
Elle ajoute que le Dpe effectué par la société Diagtherm, ès qualités de sapiteur, est contestable sur plusieurs points et contient des erreurs importantes, ce qui ne permet pas de connaître le classement énergétique exact de l'immeuble et l'écart pouvant exister avec celui qu'elle a déterminé, que :
- s'agissant de la surface de l'immeuble, elle lui a été donnée par la venderesse comme mentionné dans son ordre de mission à 150 m² ; que la surface retenue par l'expert judiciaire de 137 m² a nécessairement eu un impact sur l'étiquette énergétique ; que si elle avait retenu cette surface, le classement de l'immeuble aurait été en D ; que l'arrêté fixant le coût moyen des énergies sur lequel elle s'est appuyée datait du 15 août 2011, alors que celui sur lequel la société Diagtherm s'est fondée date du 15 août 2015 ; qu'il existe donc un grand écart sur le coût estimé des consommations ;
- concernant l'isolation des murs, la venderesse lui avait indiqué la présence de 3 centimètres d'isolant, ce qu'elle a reporté dans le Dpe et qui a été confirmé par l'expert judiciaire ; qu'elle n'était pas tenue d'effectuer un sondage destructif pour le vérifier ; que le Dpe de la société Diagtherm qui mentionne l'absence d'isolation dans les murs est donc erroné ; qu'une faute sur l'épaisseur des murs extérieurs n'aurait eu aucune incidence sur le classement énergétique du bien dans la mesure où la résistance thermique des murs dépend de la nature du matériau qui les compose et de l'épaisseur de l'isolant éventuellement présent ;
- s'agissant de l'isolation de la toiture, le Dpe de la société Diagtherm qui indique que le bien ne dispose d'aucune isolation est erroné, dès lors que l'existence d'une isolation a été constatée dans les combles ; qu'elle a aussi mentionné la présence de 10 centimètres d'isolant, ce qui est confirmé par le cabinet Servex et le bureau thermique Sarl 4 ETB mandaté par M et Mme [E].
Elle en conclut que sa faute n'est pas démontrée ou pour le moins pas dans l'ampleur alléguée.
Elle expose ensuite que les appelants ne démontrent pas qu'ils auraient pu négocier à la baisse le prix de vente de l'immeuble même si le classement énergétique avait été moins favorable ; qu'un écart entre la performance énergétique annoncée et celle réelle est assez restreint et n'aurait pas eu d'influence sur le prix de vente ; que la perte de chance alléguée n'est pas fondée ; que, subsidiairement, celle-ci devrait être calculée sur le coût des seuls travaux propres à remettre le bien dans la catégorie C ; que ce coût n'inclut pas le remplacement des huisseries et de la cheminée, ni l'isolation des murs extérieurs, des combles et des rampants ; qu'il serait compris entre 17 000 et 44 000 euros après crédits d'impôts ; que le pourcentage de chance perdue doit tenir compte des prix du marché à l'époque de la vente et de la marge de négociation qui aurait pu exister laquelle n'excède jamais 2 à 3 % du prix de vente d'une maison ancienne.
Elle indique enfin que M. [Y] [E] est un professionnel de la construction dont les compétences lui permettaient d'apprécier le mode constructif et l'isolation de l'immeuble ; qu'il n'est donc pas fondé à demander la moindre indemnisation au titre d'une éventuelle erreur du Dpe ; que Mme [I] épouse [T] avait la qualité de constructeur et de sachant de sorte que sa responsabilité est engagée à son égard et envers les acquéreurs pour manquement à son devoir d'information sur la surface habitable.
Par dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2021, Mme [S] [I] épouse [T] demande de :
à titre principal,
- voir infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables M. et Mme [E] en leur action à son encontre,
- en vertu de l'article 1648 du code civil, voir déclarer irrecevables comme prescrites les demandes formées par les époux [E] à son encontre,
subsidiairement,
- voir confirmer le jugement en ses autres dispositions,
- en vertu des articles 1134 et 1147 du code civil, voir débouter M. et Mme [E] de l'ensemble de leurs demandes à son encontre,
très subsidiairement, en vertu de l'article 1231-1 du code civil, si par impossible la cour d'appel estimait devoir réformer le jugement et accueillir M. et Mme [E] en leurs demandes à son encontre,
- se voir accorder recours et garantie intégrale contre la Sarl Adelys Immo à raison de la faute commise à l'occasion de l'établissement de son Dpe,
en tout état de cause,
- en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, voir confirmer les condamnations prononcées par le tribunal au titre des frais irrépétibles de première instance,
y ajoutant,
- voir condamner in solidum M. et Mme [E] et la Sarl Adelys Immo à lui payer, en couverture d'une partie de ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel, la somme de 3 500 euros,
- en vertu de l'article 696 du code de procédure civile, voir confirmer les condamnations prononcées à ce titre en première instance et condamner in solidum M. et Mme [E] et la Sarl Adelys Immo aux entiers dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la Scp d'avocats Spagnol Deslandes Melo conformément à l'article 699 du code précité.
Elle fait valoir que M. et Mme [E] ont eu connaissance du vice allégué au plus tard le 12 mars 2015 lors de la réalisation de son Dpe par le cabinet Servex et bien avant le dépôt du rapport d'expertise judiciaire ; que le délai de forclusion, et non pas de prescription comme retenu par le tribunal, n'a pas été suspendu, ni interrompu, avant son expiration ; que M. et Mme [E] ne l'ayant assignée au fond que le 4 janvier 2019, leur action est tardive et donc irrecevable.
Elle indique subsidiairement que la clause élusive de garantie contenue dans l'acte de vente doit lui profiter ; qu'elle n'est pas un professionnel de l'immobilier et n'est pas de mauvaise foi ; qu'au contraire, M. [E] est un professionnel de la construction doté de facultés d'appréciation très largement supérieures aux siennes ; que l'acquéreur ne peut pas se prévaloir à l'encontre du propriétaire des informations contenues dans le Dpe en application de l'article L.271-4 du code de la construction et de l'habitation ; qu'elle a rempli son obligation légale de délivrance d'un tel diagnostic établi par un professionnel et n'est pas responsable d'erreur l'affectant ; qu'elle n'a aucun pouvoir sur les conclusions de ce diagnostic ; que l'estimation réalisée par [Adresse 11], qui mentionne les points négatifs de l'immeuble qu'étaient la présence d'huisserie bois petits carreaux simple vitrage et une facture énergétique pour un chauffage au fioul, a été portée à la connaissance de M. et Mme [E] ; qu'elle a satisfait à son obligation d'information.
Elle recherche à titre très subsidiaire la garantie intégrale de la Sarl Adelys Immo pour la faute commise dans l'accomplissement de sa mission à l'origine d'un préjudice des appelants. Elle précise que la réparation de celui-ci ne peut pas être l'indemnisation du montant des travaux de remise en état, mais d'une perte de chance de négocier une réduction du prix.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 9 janvier 2023.
MOTIFS
Sur la mise en cause de la responsabilité délictuelle de la Sarl Adelys Immo
L'article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, le Dpe réalisé par la Sarl Adelys Immo le 20 août 2013 précisait :
- une surface habitable de 150 m²,
- des frais annuels d'énergie de 1 902 euros TTC, obtenus par la méthode 3CL-DPE, version 1.3, par rapport au logement et aux prix moyens des énergies indexés au 15 août 2011,
- une consommation conventionnelle de 146,95 kWhEP/m² an, classant le logement dans la catégorie C,
- une épaisseur des murs simples en briques pleines de 45 centimètres et de l'isolation intérieure de 3 centimètres,
- une épaisseur de l'isolation intérieure de 10 centimètres de la toiture constituée de combles perdus et de bois sous solives bois,
- des menuiseries composées de fenêtres battantes simple vitrage bois munies de volets battants en bois sauf dans une pièce,
- un système de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire composé d'une chaudière à fioul à condensation de 1997,
- une ventilation mécanique auto réglable.
Le Dpe établi par la société Diagtherm le 13 mars 2018 mentionnait les données suivantes :
- une surface habitable de 137,91 m²,
- des frais annuels d'énergie de 4 967,72 euros TTC abonnements compris, obtenus par la méthode 3CL, version 1.3, par rapport au logement et aux prix moyens des énergies indexés au 15 août 2015,
- une consommation conventionnelle de 500,30 kWhEP/m²/an, classant le logement dans la catégorie G,
- une épaisseur des murs en briques pleines simples de 28 centimètres avec doublage brique non isolé,
- une absence d'isolation des parois entre les locaux chauffés et le local non chauffé, ainsi qu'entre le local non chauffé et l'extérieur,
- l'existence de combles aménagés sous rampant non isolé,
- des menuiseries composées de fenêtres battantes simple vitrage bois munies de volets battants en bois,
- un système de chauffage et de production d'eau chaude sanitaire composé d'une chaudière à fioul standard depuis 1994,
- une ventilation par ouverture des fenêtres, la majorité des ouvrants étant sans joint d'étanchéité, et la présence d'une cheminée sans trappe.
S'appuyant sur ce Dpe, l'expert judiciaire précise que :
- la surface habitable de la maison est de 138 m²,
- les parois verticales comportent 15 centimètres de brique, 3 centimètres d'isolant (lame d'air), et 5 centimètres de brique7, ce qui prouve qu'aucune isolation n'a été constatée, ni posée,
- la chaudière date de 1996-1997,
- même si, lors de la réalisation de son Dpe la Sarl Adelys Immo ne pouvait pas faire d'incursions destructives, les ratios employés lors des différentes périodes pouvaient laisser penser que la consommation énergétique était bien supérieure.
N'est pas démontrée une erreur de la Sarl Adelys Immo dans la description de l'isolation intérieure des murs et de la toiture, comme l'a exactement jugé le tribunal.
Ensuite, le premier juge a retenu une erreur de la Sarl Adelys Immo sur la superficie de l'immeuble en retenant 150 m² au lieu de 138 m².
Toutefois, dans son Dpe du 12 mars 2015, le cabinet Servex a retenu une surface habitable de 158 m². Dans son descriptif extrait de son rapport d'audit énergétique de juin 2016, la Sarl 4ETB, mandatée par M. et Mme [E], a mentionné une surface habitable de 148 m². Enfin, le compromis contracté le 27 juin 2014 a stipulé une surface utile ou habitable de 150 m².
L'expert judiciaire et son sapiteur n'indiquent pas qu'ils ont procédé ou fait procéder à un mesurage de la surface habitable. L'expert judiciaire évoque uniquement des constats visuels qu'il a pu faire au contradictoire des parties et aux écarts par rapport au Dpe de la Sarl Adelys Immo. Les différences notables entre les valeurs précitées qui se rapprochent soit de 138 m², soit de 150 m², ne permettent pas de savoir quelle est la superficie exacte de l'immeuble. Les appelants ne caractérisent pas la faute reprochée à la Sarl Adelys Immo sur ce point. Ils n'explicitent pas l'obligation contractuelle qu'elle aurait dû accomplir ou qu'elle a mal réalisée.
Bien plus, l'annexe 2 de l'arrêté du 15 septembre 2006 modifié par l'arrêté du 8 février 2012 relatif au Dpe prévoit que, pour un bâtiment ou une partie de bâtiment à usage principal d'habitation, le diagnostiqueur obtient la surface habitable sur la base des informations fournies par le propriétaire. A défaut, il estime lui-même la surface habitable du bien par des relevés appropriés.
Dans le cas présent, la surface habitable de 150 m² a été fournie à la Sarl Adelys Immo par la venderesse comme cela ressort de l'ordre de mission rempli par cette dernière et versé aux débats. Elle n'était donc pas tenue d'engager des mesures d'investigation sur ce point.
Par ailleurs, le premier juge a considéré que la Sarl Adelys Immo avait commis une faute dans l'appréciation des matériaux utilisés puisqu'elle a retenu que les briques étaient pleines alors que l'ensemble des autres intervenants notamment l'expert judiciaire avait retenu qu'elles étaient creuses.
Cependant, dans son rapport d'expertise, l'expert judiciaire n'a pas donné de renseignement sur la nature des briques composant les murs extérieurs.
Au contraire, son sapiteur a précisé comme indiqué ci-dessus que les murs étaient en briques pleines, comme l'avait mentionné la Sarl Adelys Immo.
Seul le cabinet Servex a décrit les murs extérieurs en briques creuses. Ce renseignement n'est corroboré par aucun constat objectif. La Sarl 4ETB n'a donné aucune indication sur ce point.
La preuve d'une faute de la Sarl Adelys Immo n'est pas apportée.
En revanche, cette dernière reconnaît qu'elle a commis une erreur sur l'épaisseur des murs extérieurs. Elle l'a mesurée à 34 centimètres alors que cette valeur est de
45 centimètres dans les données précitées de la fiche technique de son Dpe. Elle l'explique par la survenue d'un 'bug' informatique.
Les appelants ne démontrent pas que la différence de 17 centimètres avec la mesure effectuée par la société Diagtherm ou celle de 25 centimètres avec celles effectuées par l'expert judiciaire et le cabinet Servex a eu une incidence sur le résultat final de nature à faire passer leur immeuble dans la catégorie D ou dans les catégories suivantes des consommations énergétiques comme le présentent les Dpe de la société Diagtherm et du cabinet Servex.
D'une part, pour les raisons spécifiées ci-dessus, les données contenues dans le Dpe de la société Diagtherm relatives à la surface habitable, à l'isolation intérieure des murs qui a été vérifiée par l'expert judiciaire alors que la société Diagtherm l'a écartée, et à l'isolation de la toiture qui a été constatée tant par le cabinet Servex que par la Sarl 4ETB, ne permettent pas d'aboutir à un résultat final fiable et certain sur les performances énergétiques réelles de l'immeuble. De plus, le calcul des consommations annuelles par énergie a été effectué à partir de la méthode 3CL, version 1.3, par rapport au logement et aux prix moyens des énergies indexés au 15 août 2015, alors que le Dpe en cause l'a été sur les prix moyens indexés au 15 août 2011.
D'autre part, les données renseignées dans le Dpe du cabinet Servex ne permettent pas davantage une comparaison utile car celui-ci fait référence à une surface de
158 m², n'a pas mentionné d'isolation intérieure des murs alors que celle-ci est visée par l'expert judiciaire et a décrit les briques composant les murs extérieurs comme creuses alors que la société Diagtherm les a qualifiées pleines.
La preuve du lien de causalité direct et certain entre la faute de la Sarl Adelys Immo sur l'épaisseur des murs extérieurs et le classement de l'immeuble qu'ils ont acquis dans une classe plus énergivore que la catégorie C n'est pas établie par les époux [E]. Ils seront déboutés de leur action en responsabilité contre la Sarl Adelys Immo. Le jugement du tribunal ayant statué en ce sens sera confirmé.
Sur la mise en cause de Mme [I] épouse [T]
Sur la garantie des vices cachés
L'article 122 du code de procédure civile prévoit que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Selon l'article 1648 du code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
L'article 2220 du même code précise que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par les textes sur la prescription extinctive.
L'article 2241 du même code prévoit que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
L'article 2242 du même code indique que l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.
Le délai de deux ans dans lequel doit être intentée l'action résultant de vices rédhibitoires, prévu par l'article 1648, est un délai de forclusion. Il peut être interrompu par une demande en justice jusqu'à l'extinction de l'instance. En revanche, il n'est pas susceptible de suspension telle que celle prévue par l'article 2239 du code précité lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. Ce texte régit uniquement le délai de prescription.
En l'espèce, M. et Mme [E] expliquent dans leurs écritures que, lors des premiers mois de l'automne et au cours de l'hiver 2014-2015, ils ont été désagréablement surpris par la consommation en énergie de leur immeuble et ont fait effectuer un Dpe par le cabinet Servex le 12 mars 2015 pour préciser la discordance entre les prévisions du diagnostic de la Sarl Adelys Immo et la réalité.
Déduisant du diagnostic du cabinet Servex que la consommation énergétique de leur logement était 2,67 fois plus élevée que celle sur la foi de laquelle ils s'étaient portés acquéreurs de leur immeuble et désormais confrontés à des factures de chauffage de 500 euros en moyenne par mois d'octobre à mai, ils ont sollicité en référé la réalisation d'une expertise par assignation du 24 novembre 2015.
A cette date, M. et Mme [E] avaient ainsi connaissance du vice affectant l'étendue de la consommation énergétique de leur maison d'habitation. Cette mesure d'investigation n'a pas été demandée pour déterminer l'existence de ce vice, mais en vue de faire 'chiffrer le montant des travaux afin de permettre une mise aux normes énergétiques du bien immobilier acquis.' (page 3 de leurs écritures). Dans son ordonnance du 23 décembre 2015, le juge des référés a d'ailleurs précisé dans l'exposé des faits que l'assignation aux fins d'expertise était motivée par l'erreur affectant le Dpe de la Sarl Adelys Immo et par l'ampleur de la consommation énergétique de l'immeuble plus de deux fois supérieure à celle sur la foi de laquelle l'acquisition avait été consentie.
Le tribunal a donc exactement retenu la date du 12 mars 2015 comme point de départ du délai biennal prévu à l'article 1648 du code civil. Il a été interrompu par l'assignation en référé-expertise du 24 novembre 2015 jusqu'à la désignation de l'expert judiciaire le 23 décembre 2015, date à laquelle ce délai a de nouveau couru.
A défaut de nouvel acte interruptif de forclusion dans ce nouveau délai qui expirait le 23 décembre 2017, M. et Mme [E], qui ont engagé tardivement leur action contre la venderesse le 4 juillet 2019, sont forclos.
Le jugement du tribunal ayant déclaré recevable cette action sera infirmé.
Sur la responsabilité contractuelle pour manquement à l'obligation d'information et de conseil
Selon l'ancien article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
L'ancien article 1135 du même code prévoit que les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.
L'ancien article 1147 du même code précise que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
L'article L.271-4 du code de la construction et de l'habitation en vigueur au jour de la vente précise qu'en cas de vente de tout ou partie d'un immeuble bâti, un dossier de diagnostic technique, fourni par le vendeur, est annexé à la promesse de vente ou, à défaut de promesse, à l'acte authentique de vente. Le dossier de diagnostic technique comprend notamment le diagnostic de performance énergétique prévu à l'article L.134-1 du présent code. L'acquéreur ne peut se prévaloir à l'encontre du propriétaire des informations contenues dans le diagnostic de performance énergétique qui n'a qu'une valeur informative.
Dans le cas présent, la réalisation d'un Dpe par un professionnel permettait légitimement à Mme [I] épouse [T] de penser que les informations qui y étaient portées renseignaient suffisamment M. et Mme [E] sur les qualités énergétiques de l'immeuble qu'ils ont pu également visiter en sa présence.
Il n'appartenait pas à Mme [I] épouse [T], qui n'est pas un professionnel du Dpe, de critiquer les prestations de la Sarl Adelys Immo et leurs modalités d'exécution. Comme le souligne l'expert judiciaire, la venderesse ne pouvait pas avoir d'influence sur le calcul catégoriel ainsi effecté.
De plus, il a été démontré ci-dessus que l'isolation de l'immeuble n'était pas inexistante (isolation intérieure des murs et de la toiture). L'existence d'un simple vitrage des menuiseries était aisément visible pour les profanes qu'étaient les acquéreurs.
Le moyen tiré de la qualité de professionnel de M. [E] en matière de construction et d'immobilier du fait de la formation qu'il a acquise pour passer l'examen professionnel d'ingénieur des travaux de la ville de [Localité 9] est inopérant, dès lors qu'il l'a suivie après la vente litigieuse. Mais, le fait pour la venderesse d'évoquer lors des visites les conditions de la contruction de l'immeuble n'était pas de nature à éclairer davantage les acquéreurs destinataires des résultats du Dpe affecté d'une seule erreur non causale.
La réglementation n'oblige le vendeur qu'à transmettre à l'acquéreur le Dpe établi par le professionnel. A défaut d'engagement exprès de livrer un immeuble classé en catégorie C, la venderesse n'a pas manqué à son obligation d'information et n'engage pas sa responsabilité du fait de l'erreur affectant le Dpe n'ayant qu'une valeur informative.
Le manquement contractuel de la venderesse n'est pas caractérisé. Les appelants seront déboutés de leur demande indemnitaire formulée contre elle. La décision du premier juge ayant statué en ce sens sera confirmée.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions de première instance sur les dépens et les frais de procédure seront confirmées.
Parties perdantes, M. et Mme [E] seront condamnés aux dépens d'appel avec bénéfice de distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la Sarl Adelys Immo. En revanche, les appelants seront condamnés à verser à Mme [I] épouse [T] une indemnité de 2 000 euros au titre des frais de la procédure d'appel restés à sa charge.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Dans les limites de l'appel formé,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action de
M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse sur le fondement de la garantie des vices cachés,
Statuant à nouveau sur ce chef infirmé et y ajoutant,
Déclare irrecevable pour cause de forclusion l'action en garantie des vices cachés engagée par M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse à l'encontre de Mme [S] [I] épouse [T],
Condamne M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse à payer à Mme [S] [I] épouse [T] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,
Déboute les parties du surplus des demandes,
Condamne M. [Y] [E] et Mme [D] [L], son épouse aux dépens d'appel avec bénéfice de distraction au profit de Me Jérôme Hercé et de la Scp Spagnol Deslandes Melo, avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, La présidente de chambre,