N° RG 22/00359 - N° Portalis DBV2-V-B7G-I7YG
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 27 AVRIL 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
21/01573
TRIBUNAL JUDICIAIRE D'EVREUX du 14 décembre 2021
APPELANTE :
S.A.S. SOLOPRE exerçant sous l'enseigne BRICOMARCHE
Lieu dit [Adresse 9]
[Localité 2]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEES :
Madame [V] [S] épouse [B]
née le 15 Mai 1972 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Anne DESLANDES de la SCP SPAGNOL DESLANDES MELO, avocat au barreau D'EURE
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
non constitué bien que régulièrement assigné par acte d'huissier de justice le 12 septembre 2022 à personne morale
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme FOUCHER-GROS, Présidente
M. URBANO, Conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DEVELET, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 24 janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 6 avril 2023 puis prorogée au 27 avril 2023
ARRET :
REPUTE CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 6 avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Mme Foucher-Gros, Présidente et par Mme Riffault, Greffière lors de la mise à disposition
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Le 25 avril 2018, alors qu'elle se trouvait dans les locaux du magasin Bricomarché de [Localité 7], appartenant a la SAS Solopre, Madame [B] a fait tomber un bidon décrit comme « déboucheur professionnel à base d'acide sulfurique » , lequel s'est ouvert et lui a provoqué d'importantes blessures. Le producteur du produit mis en vente est la société Cleary Group SRL.
Par courrier du 8 février 2019, la compagnie d'assurance de la SAS Solopre a dénié sa garantie, mettant en avant la responsabilité du producteur.
Par courrier du 4 mars 2019, l'assureur du producteur a exigé que Mme [B] rapporte la preuve de la responsabilité du producteur dans la survenance de l'accident.
Le 28 Janvier 2020, Madame [B], a assigné la Société Solopre et la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 8] devant le juge des référé du tribunal judiciaire d'Evreux aux fins de voir ordonner une expertise. Il a été fait droit à sa demande par ordonnance du 1er juillet 2020. Le juge des référés a confié la mission d'expertise au docteur [G] qui a déposé son rapport le 23 Octobre 2020.
Par actes des 21 et 25 Mai 2021, Madame [B] a assigné devant le tribunal judiciaire d'Evreux la CPAM de [Localité 8] et la société Solopre aux fins de voir déclarer cette dernière responsable de son préjudice, et la voir condamnée à l'indemniser de son préjudice corporel.
Par jugement du 14 décembre 2021, le tribunal a :
- déclaré la société Solopre responsable du préjudice subi par Madame [V] [S] épouse [B] ;
- condamné la société Solopre à verser à Madame [V] [S] épouse [B] la somme totale de 7.076,88 euros ;
- condamné la société Solopre à verser à Madame [V] épouse [B] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Solopre aux entiers dépens en ce compris les frais relatifs à la procédure de référé et le coût de l'expertise médicale judiciaire ;
- déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du [Localité 6] ;
- rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
La Société Solopre a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 31 janvier 2022.
La CPAM de Basse Normandie à qui la déclaration d'appel a été signifiée à personne morale n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 janvier 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions du 8 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des prétentions et moyens de la société Solopre qui demande à la cour de :
A titre principal :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- juger que Madame [B] avait la garde de la bouteille litigieuse.
A défaut,
- juger que Madame [B] a commis une faute d'inattention et de négligence à l'origine exclusive de son dommage.
- débouter Madame [B] de toutes ses demandes.
- condamner Madame [B] à verser à la Société Solopre la somme de 3.000 euros en première instance et 3.000 euros en cause d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner Madame [B] aux dépens.
A titre subsidiaire
Si par impossible la responsabilité de la Société Solopre était retenue,
- Juger que la faute de négligence et d'inattention commise par Madame [B] a concouru à la réalisation de son préjudice dans une limite qui ne saurait être inférieure à 80%.
- Condamner la Société Solopre à réparer les préjudices subis par Madame [B] selon le partage suivant : 20 % pour la Société Solopre et 80 % à la charge de Madame [B].
- Juger que les sommes allouées en indemnisation des préjudices de Madame [B] seront fixées dans la limite de la proportion ci-dessus indiquée.
Statuer ce que de droit sur les dépens et les frais irrépétibles.
Vu les conclusions du 22 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des prétentions et moyens de madame [B] qui demande à la cour de :
- déclarer la société Solopre mal fondée en son appel du jugement du tribunal judiciaire d'EVREUX en date du 14 décembre 2021 ;
- en conséquence, confirmer le jugement du Tribunal judiciaire d'EVREUX en date du 14 décembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- condamner la société Solopre au paiement d'une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Solopre aux entiers dépens de la procédure d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Spagnol.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité de la société Solopre
Moyens des parties
La société Solopre fait valoir que :
* le propriétaire de la chose est présumé en être le gardien. Au moment de l'accident, Madame [B] avait réglé en caisse l'achat de la bouteille, elle en était de ce fait la gardienne ;
* à supposer que la garde pesait sur la société Solopre, Madame [B] doit démontrer le caractère anormal de la chose ; le bidon est une chose inerte et ce n'est que par l'action de la maladresse de Madame [B] que ladite chose est entrée en contact avec elle ;
* Madame [B] ne démontre pas que la chose, malgré son inertie, a joué un rôle causal du fait d'une anormalité dans son fonctionnement, son état, sa fabrication, sa solidité ou sa position ; une bouteille qui éclate en raison de la pression exercée lorsqu'elle tombe violemment au sol n'est en rien anormale;
* la négligence de Mme [B] qui ne pouvait ignorer la dangerosité du produit constitue la cause exclusive de son accident.
* un supermarché est débiteur à l'égard de ses clients d'une obligation de moyen ; madame [B] n'apporte aucun élément permettant de démontrer que le magasin aurait manqué à son obligation de sécurité ; elle n'a fait que vendre la bouteille de produit litigieuse et n'est pas le fabricant ;
* à supposer qu'une anormalité de la chose soit établie, ce qui n'est pas le cas, cela relèverait en tout état de cause du fabricant et non de la Société Solopre.
Madame [B] réplique que :
* la bouteille contenant l'acide était atteinte d'une anomalie structurelle puisqu'il est totalement anormal qu'en tombant, elle ait éclaté ; quand bien même il serait établi que Madame [B] en avait payé le prix, elle n'avait pas reçu corrélativement toute possibilité de prévenir elle-même le préjudice que la bouteille pouvait causer ; seule la société Solopre, qui la commercialisait, avait conservé le contrôle de la structure de la chose et donc la possibilité de prévenir le préjudice pouvant être occasionné. Il en résulte que la société Solopre en était la gardienne au moment du dommage ;
* la bouteille ne peut pas être considérée comme une chose inerte puisqu'en tombant, elle était en mouvement ; dans ces conditions, Mme [B] bénéficie de la présomption du rôle actif institué par la jurisprudence ;
* ce n'est pas la bouteille qui l'a blessée en tombant mais l'acide qui s'est répandu lorsque la bouteille a éclaté ; il est totalement anormal qu'en tombant, la bouteille, remplie de liquide dangereux et présentée à la vente en libre-service, ait éclaté ; il ne peut pas être sérieusement soutenu que la chute d'un produit, présenté à la vente en libre-service, était imprévisible et irrésistible ;
* la société Solopre n'établit pas davantage que la faute de Madame [B], à la supposer établie, a contribué au dommage : ce n'est pas la bouteille qui l'a blessée mais l'acide qui s'est répandu lorsque la bouteille a éclaté ; elle n'a pas fait un usage inapproprié de la chose.
* le bidon contenait un produit qui porte atteinte à la santé des personnes ; la société Solopre, devait prévoir la chute au sol de la bouteille, s'agissant d'un produit destiné à être manipulé et présentant de façon inhérente un risque de chute ; il est anormal que le bidon contenant de l'acide sulfurique se soit ouvert, et ait même éclaté lors de sa chute,
* la société Solopre a manqué à son obligation de sécurité relative au produit distribué par ses soins ; elle sera déclarée responsable du préjudice subi par Madame [B] sur le fondement de l'article L421-3 du code de la consommation ;
Réponse de la cour :
Sur la responsabilité du fait des choses :
Aux termes de l'article 1242 alinéa 1er du code civil : ''On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.''
Le gardien est celui qui dispose du pouvoir d'usage, de direction et de contrôle sur la chose au moment où celle-ci a été l'instrument du dommage. Le propriétaire de la chose à l'origine du dommage est présumé en être le gardien.
Il ressort de l'attestation du lieutenant-colonel [M], chef du groupement analyse et couverture des risques que, le 25 avril 2018 vers 15h38, le service départemental d'incendie et de secours de [Localité 8] est intervenu au magasin Bricomarché de [Localité 7] pour porter secours à Madame [B] qui a été transportée au centre hospitalier de [Localité 10]. La société Solopre produit aux débats le ticket de caisse du 25 avril 2018 à 15h10 mentionnant cinq achats effectués dont le déboucheur Disolvo et payés par carte bancaire. Le paiement ressort des lignes suivantes :
-Montant du : 48,90 EUR
-CB EMV : 48,90 EUR
-nombre d'articles vendus : 5
-rendre espèces : 0,00 EUR
Ce ticket précise le prénom de la caissière ''[K]'' Madame [B] verse aux débats l'attestation du 28 décembre 2018 de cette employée, [K] [X]. Madame [X] déclare que ''la cliente était en possession d'un bidon de 1 L de ''DISOLVO'' ' celui-ci a glissé de la main de la cliente, a éclaté et le produit est tombé sur le pied droit.''
Par ailleurs, l'expert judiciaire rapporte que « D'après les renseignements fournis par la victime (') Le 25 avril 2028 vers 15h30, Mme [V] [B] à eu les pieds aspergés par un contenu de bouteille d'acide sulfurique qu'elle venait d'acheter dans un magasin grande surface, tombée accidentellement au sol. »
Il ressort de ces éléments que lors de l'accident, Madame [B] avait acquis le déboucheur. Il en résulte qu'elle en était la propriétaire, ceci faisant présumer qu'elle en avait la garde. Il ressort également de l'attestation de Mme [X], qu'aucun élément ne vient contredire quant à la relation des faits, que la bouteille a glissé de la main de Mme [X].
Si la garde de la chose peut se dédoubler, le gardien du comportement doit rapporter la preuve que le dommage résulte du vice de la chose dont répond le gardien de la structure. Il appartient dès lors à Mme [B] de démontrer que, bien qu'étant gardienne du comportement de la bouteille, la société Solopre en avait gardé le contrôle de la structure et que le dommage provient du rôle actif joué par cette structure.
Madame [B] se borne à alléguer sans le démontrer que le bidon était affecté d'une anomalie structurelle à l'origine du dommage. Même s'il contenait un produit dangereux, il n'est pas anormal qu'un bidon plein éclate lorsqu'il chute au sol, de sorte que l'anomalie alléguée ne peut être déduite du seul fait de cet éclatement.
A défaut pour Mme [B] de rapporter la preuve d'une anomalie de la chose, instrument du dommage, elle ne peut soutenir utilement que la société Solopre a manqué à l'obligation de lui délivrer « toute possibilité de prévenir (son) préjudice ». Au surplus, il ressort des photos du prototype du bidon litigieux que la dangerosité du produit qu'il contient y est mentionnée, et qu'il est équipé d'un bouchon de sécurité. Madame [B] n'expose pas quelle « possibilité » elle aurait dû recevoir du magasin Solopre dès lors qu'il est manifeste que la manipulation d'un bidon contenant un produit signalé comme dangereux suppose de l'attention.
Il résulte de tout ce qui précède que la société Solopre ne peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l'article 1242 alinéa 1er du code civil.
- sur le fondement de l'obligation de sécurité
L'article L 421-3 du code de la consommation édicte au profit du consommateur une obligation générale de sécurité des produits et services mais ne soumet pas l'exploitant d'un magasin à une obligation de sécurité de résultat à l'égard de sa clientèle.
Celle-ci pour obtenir réparation doit justifier d'une faute de l'exploitant et donc démontrer soit que le dommage a été occasionné par une chose dont il avait la garde et dans ce cas répondre au régime juridique du fait des choses prévues à l'article 1242 al 1 envisagé précédemment et écarté, soit d'une défectuosité du produit.
Or aucune défectuosité du produit utilisé dans des conditions normales, n'est établie. Par voie de conséquence, le moyen est inopérant.
Le jugement entrepris sera infirmé sauf en ce qu'il est déclaré commun à la CPAM du [Localité 6].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il est déclaré commun à la CPAM du [Localité 6],
Statuant à nouveau :
Déboute Madame [B] de l'ensemble de ses demandes,
Y ajoutant :
Condamne Madame [B] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne Madame [B] à payer à la société Solopre la somme de 2 000 € au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La greffière, La présidente,