N° RG 22/00656 - N° Portalis DBV2-V-B7G-JAL4
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE DE LA PROXIMITÉ
Section PARITAIRE
ARRET DU 27 AVRIL 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
22/00015
Jugement du Tribunal judiciaire Tribunal Paritaire des Baux Ruraux du HAVRE du 24 Janvier 2022
APPELANT :
Monsieur [C] [B]
né le 14 Avril 1983 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Comparant, assisté de Me Nicole DAUGE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [E] [Y] [H] [L]
né le 22 Juillet 1962 à [Localité 10]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Comparant, assisté de Me Béatrice OTTAVIANI, avocat au barreau de ROUEN
Madame [N] [P] [I] [M] épouse [L]
née le 18 Décembre 1961 à [Localité 3]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
Comparante, assistée de Me Béatrice OTTAVIANI, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Mars 2023 devant Madame GOUARIN, présidente
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame GOUARIN, présidente
Madame POUGET, conseillère
Madame GERMAIN, conseillère
Madame DUPONT, Greffière lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
Rapport oral a été fait à l'audience
A l'audience publique du 27 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Avril 2023
ARRET :
Contradictoire
Prononcé publiquement le 27 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
Signé par Madame GOUARIN, Présidente et par Madame DUPONT, Greffière.
Exposé des faits et de la procédure
M. [E] [L] et Mme [N] [M] épouse [L] sont propriétaires de parcelles situées sur les communes de [Localité 4] cadastrées section [Cadastre 11], [Cadastre 9] et [Cadastre 8], [Localité 2] section [Cadastre 12] et [Localité 5] section [Cadastre 13].
Le 17 décembre 2015, M. [C] [B] a obtenu une autorisation d'exploiter ces parcelles antérieurement exploitées par M. [K] [B], son oncle, titulaire d'un bail à long terme ayant pris fin le 30 septembre 2015, dans le cadre d'un agrandissement pour consolidation d'exploitation.
Le 8 juillet 2016, la SCEA [L], constituée entre M. [E] [L] et Mme [N] [M] épouse [L], a déposé une demande d'autorisation d'exploiter portant sur ces mêmes parcelles.
Par arrêté du 10 janvier 2017, le préfet de la région Normandie a retiré à la SCEA [L] l'autorisation tacite d'exploiter les parcelles dont elle bénéficiait depuis le 8 novembre 2016.
Par lettre du 26 janvier 2018, constatant que l''exploitation se poursuivait malgré l'arrêté du 10 janvier 2017, le préfet de la région Normandie a mis en demeure la SCEA [L] de cesser l'exploitation des parcelles dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision.
Le 6 juillet 2018, une sanction pécuniaire a été prononcée à l'encontre de la SCEA [L] à hauteur de la somme de 28 757,31 euros, qui a été ramenée à la somme de 15 725 euros par décision de la commission de recours amiable du 16 janvier 2019.
Par arrêté du 17 juin 2019, le préfet de la région Normandie a rejeté la nouvelle demande d'autorisation d'exploiter formée par la SCEA [L]. Par jugement du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté le recours formé par la SCEA [L] à l'encontre de cet arrêté.
Par lettre recommandée reçue le 13 août 2020, M. [B] a saisi le tribunal paritaire d'une demande d'autorisation d'exploitation des parcelles et de fixation du montant du fermage.
Par jugement contradictoire du 24 janvier 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux du Havre a :
- débouté M. [B] de l'intégralité de ses prétentions ;
- condamné M. [B] à payer à M. et Mme [L] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [B] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé que les conditions d'application de l'article L. 331-10 du code rural étaient réunies en ce que la mise en demeure de cesser d'exploiter avait été adressée à la SCEA [L] et qu'elle était définitive et qu'aucun nouveau titulaire du droit d'exploiter n'avait été retenu avant la fin de l'année 2018 mais qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande de M. [B] dès lors qu'il était justifié que Mme [A] [L] exploitait les parcelles litigieuses depuis le mois de juillet 2020 et que M. [B] ne pouvait en conséquence valablement revendiquer le droit d'exploiter les terres déjà exploitées par un autre agriculteur antérieurement à la saisine du tribunal paritaire.
Par déclaration du 23 février 2022, M. [B] a relevé appel de cette décision.
Exposé des prétentions et moyens des parties
Par dernières conclusions reçues le 8 novembre 2022 reprises oralement à l'audience, M. [B] demande à la cour de :
- dire et juger l'appel recevable ;
- infirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;
- l'autoriser à exploiter les parcelles d'une surface de 21 ha 45 a situées à [Localité 4] section [Cadastre 11], [Cadastre 9] et [Cadastre 8], à [Localité 2] section [Cadastre 12] et à [Localité 5] section [Cadastre 13] et fixer le montant du fermage conformément à l'arrêté préfectoral compte tenu de la catégorie des terres et herbages ;
- condamner conjointement M. et Mme [L] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Par dernières conclusions reçues le 19 septembre 2022, M. et Mme [L] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter M. [B] de ses demandes ;
- le condamner au paiement de la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
A l'appui de ses prétentions, M. [B] fait principalement plaider que le bail forcé constitue une des sanctions prévues par le code rural dans l'hypothèse où l'exploitant des terres n'est pas en conformité avec le contrôle des structures, qu'en l'espèce la SCEA [L] a été mise en demeure par l'administration de cesser d'exploiter les terres, qu'aucun nouvel exploitant n'a été choisi par le propriétaire avant l'expiration de l'année culturale au cours de laquelle la mise en demeure est devenue définitive et que l'installation de Mme [A] [L] est postérieure à la saisine du tribunal paritaire.
En réplique, M. et Mme [L] font essentiellement valoir qu'ils ont acquis les parcelles litigieuses afin d'y installer leurs filles, que les conditions d'application de l'article L. 331-10 ne sont pas réunies en ce que la mise en demeure de cesser d'exploiter concerne l'application de l'arrêté du 10 janvier 2017, qu'ils ont alors loué les terres à l'EARL JHT Deve, que la mise en demeure du 26 janvier 2018 a été exécutée puisque la SCEA a cessé d'exploiter, qu'aucune nouvelle mise en demeure ne leur a été adressée à la suite de l'arrêté du 17 juin 2019, que M. [B] devait saisir le tribunal paritaire avant le 29 septembre 2018 et qu'à la date de la saisine du tribunal paritaire le 13 août 2020, ils avaient désigné un nouvel exploitant en la personne de Mme [A] [L], installée à titre individuel le 1er juillet 2020.
MOTIFS DE LA DECISION
Il n'est en l'espèce pas contesté que l'appel a été formé dans les formes et délais prévus par la loi. Il convient en conséquence de le déclarer recevable.
Sur la demande d'autorisation d'exploiter
Aux termes de l'article L. 331-10 du code rural et de la pêche maritime, si, à l'expiration de l'année culturale au cours de laquelle la mise en demeure de cesser d'exploiter est devenue définitive, un nouveau titulaire du droit d'exploiter n'a pas été retenu, toute personne intéressée par la mise en valeur du fonds peut demander au tribunal paritaire des baux ruraux que lui soit accordé le droit d'exploiter ledit fonds. En cas de pluralité de candidatures, le tribunal paritaire statue en fonction de l'intérêt, au regard des priorités définies par le schéma directeur régional des exploitations agricoles de chacune des opérations envisagées. Lorsque le tribunal paritaire des baux ruraux accorde l'autorisation d'exploiter le fonds, il fixe les conditions de jouissance et le montant du fermage conformément aux dispositions du titre Ier du livre IV du présent code.
En application de ces dispositions, le bail forcé ne peut être prononcé que s'il est constaté que la mise en demeure adressée par l'administration est définitive.
En l'espèce, par lettre du 26 janvier 2018, la préfète de la région Normandie, direction régionale de l'alimentation de l'agriculture et de la forêt, a mis en demeure la SCEA [L] de cesser l'exploitation des parcelles dans un délai de deux mois à compter de la notification, ce conformément aux dispositions de l'article L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime et sous peine de sanction pécuniaire. Ce courrier rappelait les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration aux termes desquelles la SCEA [L] disposait d'un délai de 15 jours pour présenter ses observations, écrites ou orales.
Il n'est pas contesté que cette mise en demeure est devenue définitive en ce qu'elle n'a fait l'objet d'aucune observation de la part de la SCEA [L] dans le délai de quinze jours qui lui était imparti ni d'aucun recours.
Il est également établi qu'à l'expiration de l'année culturale au cours de laquelle la mise en demeure est devenue définitive, soit en l'espèce au 31 décembre 2018, aucun nouveau titulaire du droit d'exploiter n'a été retenu et
que le propriétaire n'a, pendant ce délai, ni régularisé sa propre situation d'exploitant ni choisi un exploitant en règle avec le contrôle des structures. Il résulte en effet des pièces produites que le 20 février 2019, la SCEA [L] a déposé une demande d'autorisation d'exploiter en vue de l'installation de Mme [R] [L] et du regroupement avec M. [U] et que cette demande a été rejetée par un arrêté du 17 juin 2019, lequel a fait l'objet d'un recours de la SCEA [L], qui a été rejeté par jugement rendu par le tribunal administratif de Rouen le 09 novembre 2021. Il n'est en outre pas contesté que l'EARL JHT Deve, à laquelle a été consenti un bail au cours de l'année 2019, n'était titulaire d'aucune autorisation d'exploiter alors que cette formalité était nécessaire au regard de la réglementation sur le contrôle des structures.
Dès lors, il importe peu qu'une nouvelle mise en demeure de cesser d'exploiter n'ait pas été délivrée à la SCEA [L] à la suite de l'arrêté du
17 juin 2019, la circonstance qu'une décision de refus de la nouvelle demande d'autorisation d'exploiter a été rendue à cette date n'étant pas de nature à priver d'effet la mise en demeure du 26 janvier 2018.
Contrairement à ce que soutient la SCEA [L], qui ne saisit au demeurant la cour d'aucune prétention tendant à voir déclarer la demande de M. [B] comme étant prescrite, l'article L. 311-10 du code rural n'impartit aucun délai à l'agriculteur intéressé par la mise en valeur du fonds pour saisir le tribunal paritaire d'une demande d'autorisation d'exploiter.
Il en résulte que c'est par des motifs pertinents que le tribunal a estimé que M. [B] remplissait les conditions pour solliciter l'autorisation d'exploiter le fonds.
Dès lors cependant que l'objet des dispositions de l'article L. 331-10 est d'éviter qu'un propriétaire n'ayant pas le droit d'exploiter son fonds décide de ne pas le mettre en valeur, ce dernier peut échapper à la sanction du bail forcé si, à la date de la saisine du tribunal paritaire, les terres étaient exploitées par un preneur en règle avec le contrôle des structures.
En l'espèce, il est constant que Mme [A] [L], titulaire d'un baccalauréat professionnel conduite et gestion de l'exploitation agricole obtenu en 2018, n'est pas soumise au contrôle des structures pour son installation sur des parcelles d'une superficie n'excédant pas le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles et qu'elle n'est en conséquence pas tenue de déposer une demande d'autorisation d'exploiter. Il en résulte que l'exploitation des parcelles est régulière au regard de la réglementation du contrôle des structures.
Il résulte du récépissé de dépôt du dossier de création d'entreprise daté du 28 septembre 2020 que Mme [A] [L] a déclaré la création d'une exploitation agricole au 1er juillet 2020.
Les intimés versent aux débats le contrat de prix ferme signé entre Mme [L] et la société Alternae le 23 avril 2021 comportant l'engagement de Mme [L] à livrer à l'acheteur une quantité déterminée de blé panifiable entre le 1er juillet 2020 et le 31 août 2020, les bons d'apport émis par la SAS Alternae les 31 juillet et 1er août 2020 établissant la mise en dépôt de blé panifiable par Mme [A] [L] ainsi que la facture d'achat émise le 15 juin 2021 au titre de la récolte de blé de l'année 2020. Ces documents confirment que Mme [L], dont il n'est pas allégué qu'elle exploiterait d'autres parcelles que celles objet du litige, a effectué sa première récolte au mois de juillet 2020.
Les déclarations effectuées à la MSA par M. [E] [L] le 18 septembre 2020 font état d'une exploitation des parcelles litigieuses par Mme [A] [L] depuis le 1er juilllet 2020.
Les pièces produites démontrent en outre que l'exploitation des parcelles s'est poursuivie au cours de l'année 2021.
Les attestations versées aux débats par M. [B] ne sont pas suffisamment précises et circonstanciées pour établir que Mme [L] n'exploitait pas les parcelles litigieuses au mois de juillet 2020.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments preuve suffisante qu'à la date de la saisine du tribunal paritaire, le 13 août 2020, les parcelles litigieuses étaient régulièrement exploitées par Mme [A] [L].
Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé dans ses dispositions ayant débouté M. [B] de sa demande d'autorisation d'exploiter.
Sur les frais et dépens
Les dispositions du jugement déféré à ce titre seront confirmées.
M. [B] devra supporter la charge des dépens d'appel et sera condamné à verser à M. et Mme [L] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et débouté de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel formé par M. [B] ;
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne M. [C] [B] à verser à M. [E] [L] et à Mme [N] [M] épouse [L] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [B] de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Le greffier La présidente