N° RG 23/02122 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JMT6
COUR D'APPEL DE ROUEN
CH. CIVILE ET COMMERCIALE
ARRET DU 29 AOÛT 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
20/01308
Tribunal judiciaire du Havre du 06 avril 2023
APPELANTES :
DIRECTION RÉGIONALE DES DOUANES ET DROITS INDIRECT S DU HAVRE
[Adresse 3]
[Localité 4] / FRANCE
représentée par Me Marie LESIEUR-GUINAULT de la SCP SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR, avocat au barreau du HAVRE et assisté par Me Claire LITAUDON de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
RECETTE INTERREGIONALE DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS DU HAVRE représentée par le receveur interrégional des douanes et des droits indirects du HAVRE
[Adresse 2]
[Localité 4] / FRANCE
représentée par Me Marie LESIEUR-GUINAULT de la SCP SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR, avocat au barreau du HAVRE et assisté par Me Claire LITAUDON de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, plaidant.
INTIMEE :
S.A.S. SLAUR SARDET
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Céline BART de la SELARL SELARL EMMANUELLE BOURDON- CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN, et assistée par Me Marguerite TRZASKA, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant.
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré :
Mme FOUCHER-GROS, présidente
M. URBANO, conseiller
Mme MENARD-GOGIBU, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme RIFFAULT, greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 19 mars 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 mai 2024 puis prorogé ce jour.
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 29 août 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société Slaur Sardet SAS (la société Slaur) dont le siège social est situé au [Localité 4] est spécialisée dans la fabrication de boissons alcoolisées et de sirops.
Le 4 juillet 2016, le Service des Magasins et Entrepôts de la DRDDI du Havre a initié un contrôle de la SAS Slaur portant sur le recensement physique de l'entrepôt pour les catégories fiscales des rhums des DOM et des autres rhums conditionnés et détenus en vrac et sur la comptabilité matières des contributions indirectes de la société.
Le 31 août 2016, à la suite de ce contrôle, l'Administration des douanes (l'administration) a adressé à la SAS Slaur un avis préalable de taxation n°1 aux termes duquel il était envisagé un redressement d'un montant de 940 48,00 €.
Invitée à présenter ses observations, la société Slaur les a fait valoir par deux courriers des 28 septembre et 5 octobre 2016. Le 15 novembre 2016, l'administration des douanes lui a adressé un second avis préalable de taxation, appelant la réglementation applicable et lui indiquant que les anomalies relevées lors du contrôle étaient susceptibles de générer une dette de 1 272 738,00 €.
Par courrier du 13 décembre 2016, la Société Slaur a fait valoir ses observations, accompagnées d'un certain nombre de justificatifs. Par lettre du 26 juin 2017, l'administration l'a informée qu'elle dresserait le 3 août 2017 un procès-verbal constatant les infractions suivantes :
- manquant à la balance des comptes,
- défaut de paiement des droits de consommation sur les rhums des DOM contingentés, les rhums hors contingent et les rhums tiers,
- défaut de paiement de la taxe sur la sécurité sociale sur les rhums des DOM contingentés, les rhums hors contingents et les rhums tiers,
- expéditions de produits soumis à accises sans titre de mouvement,
- défaut d'inscription dans comptabilité matières,
- défaut de tenue de la comptabilité matières par omission ou inexactitude des mentions devant s'y trouver,
- établissement d'un titre de mouvement pour une circulation non effectivement réalisée sous couvert du document,
- dépôt de déclaration récapitulative mensuelle non conforme,
- défaut de dépôt de déclaration récapitulative mensuelle en droits acquittés.
Le procès-verbal a été établi le 5 septembre 2017 en présence du représentant de la société Slaur Sardet.
Le 24 novembre 2017, l'administration a adressé à la SAS SLAUR un avis de mise en recouvrement (AMR) n°1A 145 562 2443 8 pour un montant de
641 667,00 €.
La société Slaur a contesté cet AMR par lettre du 29 décembre 2017, et par observation complémentaire du 8 novembre 2019. Le 2 juin 2020, l'administration a rejeté cette contestation.
Par acte du 6 août 2020, la société Slaur a assigné l'administration des douanes devant le tribunal judiciaire du Havre.
Par jugement du 6 avril 2023, le tribunal a :
- annulé l'avis de mise en recouvrement no 1A 145 562 2443 8 du 24 novembre 2017 émis à l'encontre de la Société SLAUR Sardet SAS,
- condamné la Direction Régionale des Droits Indirects du [Localité 4] à payer à la Société SLAUR Sardet SAS la somme de 5 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Direction Régionale des Douanes et Droits indirects du [Localité 4] aux dépens de l'instance.
La Direction Régionale des Droits Indirects du Havre et la Recette Interrégionale des Douanes et des Droits Indirects du Havre ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 21 juin 2023.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS
Vu les conclusions du 19 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la Direction Régionale des Droits Indirects du [Localité 4] et la Recette Interrégionale des Douanes et des Droits Indirects du [Localité 4] qui demandent à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Havre le 6 avril 2023 en ce qu'il a :
- annulé l'avis de mise en recouvrement n°1A 145 562 2443 8 du 24 novembre 2017 émis à l'encontre de la Société Slaur Sardet SAS,
- condamné la Direction Régionale des Droits Indirects du Havre à payer à la Société Slaur Sardet SAS la somme de 5 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects du Havre aux dépens de l'instance,
Statuant à nouveau,
- débouter la société Slaur Sardet de l'intégralité de ses demandes fins et prétentions,
- dire et juger l'avis de mise en recouvrement n° 1A 145 562 2443 8 régulier,
- condamner la société Slaur Sardet à verser à la Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,
- condamner la société Slaur Sardet à verser à la Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- condamner la société Slaur Sardet aux entiers dépens de l'instance ;
En tout état de cause,
- débouter la société Slaur Sardet de sa demande de confirmation du jugement et de l'intégralité de ses demandes formées dans ses conclusions d'intimée ;
- débouter la société Slaur Sardet de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 en cause d'appel.
Vu les conclusions du 20 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Slaur Sardet qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire du Havre le 6 avril 2023 en ce qu'il a :
- jugé que l'Administration des douanes n'avait pas respecté le droit d'être entendu par l'opérateur et annulé, en conséquence, l'avis de mise en recouvrement
n°1A 145 562 2443 8 du 24 novembre 2017 émis à l'encontre de la Société Slaur Sardet SAS,
Et, sur le fond,
A titre subsidiaire,
- juger que la réclamation de l'Administration est dépourvue de tout fondement,
- annuler l'avis de mise en recouvrement n°1A 145 562 2443 8 d'un montant de 641 667 euros,
En tout état de cause,
- condamner l'Administration des douanes à verser à la société Slaur Sardet une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la régularité de la procédure :
La société Slaur soutient que :
*son droit d'être entendu n'a pas été respecté en ce qu'elle a été insuffisamment informée par les avis de taxation notifiés par l'administration ; elle a formulé ses observations mais n'a découvert que le jour de la notification d'infraction lesquelles de ses explications et/ou justificatifs ont été rejetés et pour quels motifs ; l'administration lui a refusé expressément le droit de connaître préalablement à la notification d'infraction, le montant du redressement et de l'amende encourue.
L'administration répond que :
*l'avis du 31 août 2016 était peu détaillé mais celui du 15 novembre suivant respecte les prescriptions de l'article L80 M du livre des procédures fiscales ; l'étude des observations du contribuable permet de constater que la société Slaur avait parfaitement compris les faits qui lui étaient reprochés ; l'administration a admis une large partie de ses observations, ce qui démontre que le principe du contradictoire a été respecté. Le texte ne prévoit pas d'obligation de l'administration de répondre aux observations du contribuables avant de dresser le procès-verbal de notification d'infractions ; les dispositions de l'article L 80 D du livre des procédures fiscales ne sont pas applicables aux faits de l'espèce, le montant du redressement figurait dans l'avis préalable de taxation.
Réponse de la cour :
Aux termes de l'article L80 M du livre des procédures fiscales dans sa version en vigueur du 1er juillet 2011 au 12 août 2018 : « I. ' 1. En matière de contributions indirectes et de réglementations assimilées, toute constatation susceptible de conduire à une taxation donne lieu à un échange contradictoire entre le contribuable et l'administration.
Le contribuable est informé des motifs et du montant de la taxation encourue par tout agent de l'administration. Il est invité à faire connaître ses observations.
Lorsque l'échange contradictoire a lieu oralement, le contribuable est informé qu'il peut demander à bénéficier d'une communication écrite dans les conditions prévues au 2.
La date, l'heure et le contenu de la communication orale mentionnée à l'alinéa précédent sont consignés par l'administration. Cet enregistrement atteste, sauf preuve contraire, que l'administration a permis au contribuable concerné de faire connaître ses observations.
2. Si le contribuable demande à bénéficier d'une communication écrite, l'administration lui adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception une proposition de taxation qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation.
Le contribuable dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition de taxation pour formuler ses observations ou faire connaître son acceptation.
A la suite des observations du contribuable ou, en cas de silence de ce dernier, à l'issue du délai de trente jours prévu à l'alinéa précédent, l'administration prend sa décision.
Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable, sa réponse doit être motivée.
II. ' En cas de contrôle à la circulation, le contribuable ne peut bénéficier de la procédure écrite prévue au 2 du I qu'après avoir garanti le montant de la taxation encourue. »
Sur l'information sur les manquements constatés, les infractions poursuivies et le raisonnement des enquêteurs :
A l'issue du procès-verbal de notification d'infractions établi le 5 décembre 2017, la société Slaur a été destinataire d'un avis de recouvrement sur le fondement des infractions suivantes :
- manquants à la balance des comptes (article 302D du CGI)
- expéditions de produits soumis à accises sans titre de mouvement (302M du CGI)
- défaut d'inscription en comptabilité matière (article 286 J annexe II du CGI)
- défaut de paiement des droits de consommation sur les rhums des DOM/contingentée et les rhums tiers et hors contingent et défaut de paiement de la taxe de sécurité sociale les rhums DOM-contingentés et les rhums tiers hors contingent (302D, 302M du CGI, 286 J annexe II, 50-00C annexe IV du CGI, L245-9 du code de la sécurité sociale.
- défaut de dépôt des déclarations récapitulatives mensuelles en droit acquittés.
L'effectivité des droits de la défense du redevable implique de lui faire connaître, préalablement à la notification du redressement, la décision envisagée, les motifs de celle-ci, ainsi que la référence des documents et informations sur lesquels elle sera fondée.
Il ressort du procès-verbal de notification d'infraction établi le 5 décembre 2017 qu'au moment des opérations de contrôle, la société Slaur avait été avisée que le contrôle porterait d'une part sur un recensement physique de l'entrepôt pour les catégories fiscales des rhums des DOM relevant de l'article 403 du CGI et des autres rhums détenus en conditionné et en vrac et d'autre part sur la comptabilité matières de la société.
Ce procès-verbal de notification d'infractions établi en présence de M. [C], représentant de la société Slaur a été précédé d'échanges entre l'administration des douanes et la société Slaur ayant débuté par la notification de deux avis préalables de taxation. Le premier, émis le 31 août 2016 a été suivi d'observations du redevable les 28 septembre et 5 octobre 2016. Le second, émis le 15 novembre 2016 a été suivi d'observations du redevables le 13 décembre 2016.
Le premier avis de taxation (31 août 2016) annonce l'application de droits d'accises « pour les motifs exposés dans la présentes propositions ». Il ne comprend néanmoins aucun motif, et pas davantage de précision sur les infractions poursuivies, les manquements constatés et le raisonnement de l'administration, et se borne à récapituler le calcul des droits sur les rhums conditionnés et les rhums en vrac.
Le deuxième avis de taxation (15 novembre 2016) expose que le contrôle a porté sur la comptabilité matières et les documents transmis pour justifier les inscriptions en entrées et sorties. Il rappelle la réglementation applicable en particulier aux termes des article 302 K ; 302 D du code général des impôts et vise les article 302 G et 302 M du même code. Cet avis comprend quatre tableaux qui reprennent :
- les réintégrations effectuées par la société Slaur pour des DAE dont elle est expéditrice
- les manquants constatés à réception des marchandises arrivées sous DAE chez ses clients ;
- les manquants constatés sur du vrac pour des DAE expédiés par la société Slaur, dépassant le seuil autorisé de 1% du volume expédié ;
- les volumes des OD-OD inscrits en sorties de comptabilité matières pour la période d'octobre à décembre 2015 ;
- les inscriptions en sortie de comptabilités matières sans titre de mouvement présenté ;
- les titres de mouvements non-inscrits en comptabilité matière.
Cet avis énonce que les documents transmis lors du contrôle sont insuffisants pour justifier ces opérations et qu'il en est demandé de plus pertinents. Il énonce encore le montant de la dette fiscale susceptible d'être constatée.
Ce n'est que le 5 décembre 2017, lors de la notification des infractions que le redevable a eu connaissance de ce qu'était poursuivi l'infraction de dépôt des déclarations récapitulatives mensuelles en droits acquittés et du raisonnement de l'administration sur ce point. Par ailleurs, l'avis préalable du 15 novembre 2016 demande au redevable de présenter des justificatifs, mais ne fait aucunement état du raisonnement de l'administration. Ce n'est que le 5 décembre 2017 que la société Slaur à eu connaissance de ce raisonnement, des éléments sur lequel il est fondé et des motifs retenus pour écarter les justificatifs présentés. Si la société Slaur a répondu et fait valoir des observations pour partie retenues par l'administration, ce n'est qu'en raison des échanges intervenus à l'occasion du contrôle et de la connaissance théorique qu'elle a de la réglementation applicable dans son secteur d'activité. Les réponses du redevables ne peuvent avoir pour effet de dispenser l'administration de communiquer, avant la notification de l'infraction, les motifs de la décision envisagée et les éléments sur lesquels elle est fondée.
En procédant ainsi, même si les avis de taxation mentionnaient le montant du redressement envisagé et qu'il n'a pas été retenu d'amende, l'administration des douanes n'a pas mis la société Slaur Sardet en mesure d'exercer effectivement son droit de défense, ce qui entache d'irrégularité l'avis de mise en recouvrement
1A 145 562 2443 8.
Le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne l'Etat, pris en la personne de la Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects du Havre et la Recette Interrégionale des Douanes et des Droits Indirects du Havre aux dépens en cause d'appel ;
Condamne l'Etat, pris en la personne de la Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects du [Localité 4] et la Recette Interrégionale des Douanes et des Droits Indirects du [Localité 4] à payer à la société Slaur Sardet la somme de 2 000 € en cause d'appel.
La greffière, La présidente,