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29/08/2024 | FRANCE | N°23/03333

France | France, Cour d'appel de Rouen, Ch. civile et commerciale, 29 août 2024, 23/03333


N° RG 23/03333 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JPFR







COUR D'APPEL DE ROUEN



CH. CIVILE ET COMMERCIALE



ARRET DU 29 AOÛT 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



10/04471

Tribunal de grande instance d'Évreux du 24 août 2017





APPELANTS :



Madame [N] [S] - [R]

née le 27 Novembre 1964 à [Localité 10]

[Adresse 2]

[Localité 7]



représentée et assitée par Me Quentin ANDRE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau d'E

URE





Monsieur [A] [R]

né le 01 Décembre 1956

[Adresse 1]

[Localité 4]



représenté et assisté par Me Quentin ANDRE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau d'EURE







INTIMES :



Monsieur [P] [L]

né l...

N° RG 23/03333 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JPFR

COUR D'APPEL DE ROUEN

CH. CIVILE ET COMMERCIALE

ARRET DU 29 AOÛT 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

10/04471

Tribunal de grande instance d'Évreux du 24 août 2017

APPELANTS :

Madame [N] [S] - [R]

née le 27 Novembre 1964 à [Localité 10]

[Adresse 2]

[Localité 7]

représentée et assitée par Me Quentin ANDRE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau d'EURE

Monsieur [A] [R]

né le 01 Décembre 1956

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté et assisté par Me Quentin ANDRE de la SCP BARON COSSE ANDRE, avocat au barreau d'EURE

INTIMES :

Monsieur [P] [L]

né le 13 Mai 1967 à [Localité 11]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représenté par Me Céline BART de la SELARL SELARL EMMANUELLE BOURDON- CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN, et assité de Me Jean-marie MALBESIN de la SCP LENGLET, MALBESIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN, plaidant

Compagnie d'assurance SMA SA

[Adresse 9]

[Localité 6]

non constituée bien que régulièrement assignée par voie de commissaire de justice le 30 octobre 2023 à domicile.

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 03 avril 2024 sans opposition des avocats devant M. URBANO, Conseiller, rapporteur.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme FOUCHER-GROS, présidente

M. URBANO, conseiller

Mme MENARD-GOGIBU, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme RIFFAULT, greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 03 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 30 mai 2024 puis prorogé à ce jour.

ARRET :

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 29 août 2024, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme FOUCHER-GROS, présidente et par Mme RIFFAULT, greffière.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par acte du 14 mars 2003, M. et Mme [R] ont fait l'acquisition au prix de

200 000 euros d'une propriété située [Adresse 5] à [Localité 12] comprenant une maison individuelle à usage d'habitation et une chaumière normande et ses dépendances sur un terrain de 8 ha 84 a 77 ca.

Le 10 avril 2008, la maison d'habitation de M. et Mme [R] a été détruite par un incendie.

Le 23 avril 2008, ils ont conclu avec M. [X] [I], expert d'assuré, un contrat aux fins d'évaluation de leurs dommages.

Par lettre d'engagement acceptée le 24 avril 2008, M. et Mme [R] ont désigné la Sarl [L] Bâtiment Conseil Contrôle (Lb2c), représentée par son gérant, M. [P] [L], en qualité de maître d''uvre pour la reconstruction de leur maison. Monsieur [L] était assuré auprès de la société Sagena devenue SMA.

La SA Axa France Iard, assureur habitation de M. et Mme [R], leur a proposé de leur verser une indemnité immédiate de 362 159 euros et une indemnité différée de 89 975 euros, ce qu'ils ont accepté le 7 juillet 2008.

Le 2 août 2008, M. et Mme [R] ont conclu avec la Sarl Lb2c/M. [P] [L] un contrat de maîtrise d''uvre pour la construction de leur maison dont la réception a été prévue au plus tard le 7 juillet 2009.

Aux termes d'un devis non daté n°080052, M. et Mme [R] ont confié à la Sarl Maçonnerie Générale Construction (Mgc) la réalisation des travaux de construction pour la somme de 280 000 euros Ttc. Ce devis a été signé par M. [H] [D].

Le chantier de reconstruction a débuté en septembre 2008.

Le 15 octobre 2008, M. et Mme [R] ont réglé à M. [I] ses honoraires correspondant à 5 % de l'indemnité totale d'assurance de 452 134 euros, soit 22 607 euros.

Par courrier du 7 avril 2010, la SA Axa France IARD a refusé de verser l'indemnité différée en raison du non-respect par M. et Mme [R] du délai de deux ans à compter du sinistre pour effectuer la reconstruction de leur immeuble.

Un expert judiciaire, M. [C], a été désigné par ordonnance du 26 août 2010.

Par acte d'huissier du 10 décembre 2010, la Sarl Matériaux [V] a fait assigner M. [A] [R] et Mme [N] [S] épouse [R] devant le tribunal de grande instance d'Evreux en paiement d'une facture du 11 décembre 2009 de matériaux livrés pour les travaux de reconstruction.

Suivant exploits des 25, 27 mai et 3 octobre 2011, 22, 23, 29 mars et 17 avril 2012, M. [A] [R] et Mme [N] [S] épouse [R] ont mis en cause la Sarl Mgc et son assureur la SA MAAF Assurances, M. [P] [L] et son assureur la SA Sagena, la Sarl Lb2c, M. [X] [I], la SA Axa France Iard et M. [H] [D]. Le 27 mars 2013, ils ont également fait attraire la Scp [M] Diesbecq Zolotarenko ès qualités de liquidateur de la Sarl Lb2c, placée en liquidation judiciaire simplifiée par jugement du tribunal de commerce de Bernay du 25 octobre 2012.

Ces instances ont été jointes.

L'expert judiciaire a établi son rapport d'expertise le 27 mars 2015.

Par jugement du 24 août 2017, le tribunal de grande instance d'Evreux a :

- dit que les conclusions communiquées le 10 février 2017 par Sagena sont irrecevables,

- condamné Monsieur [A] [R] et Madame [N] [S] épouse [R] à payer à la SARL Matériaux [V] la somme de 29.406,54 euros au titre de la facture du 11 décembre 2009, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010,

- dit que Monsieur [L] les garantira du paiement de cette somme,

- débouté la SARL Matériaux [V] de SA demande de dommages et intérêts pour procédure abusive contre les époux [R],

- débouté les époux [R] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive contre la SARL Matériaux [V],

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par AXA France IARD,

- débouté les époux [R] de leur demande de versement de l'indemnité différée à l'encontre d'AXA France IARD,

- condamné Sagena à payer aux époux [R] la somme de 8 997,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de voir perçue l'indemnité différée, avec intérêts légaux à compter de la présente décision,

- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière sur cette somme, soit la première fois le 24 août 2018,

- condamné in solidum Monsieur [P] [L] et Sagena à payer aux époux [R] les sommes suivantes :

*394 072,27 euros TTC au titre des travaux de reprise et finition, avec indexation sur l'indice du coût de la construction avec pour valeur de référence juillet 2014,

*10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

*5 000 euros au titre de leur préjudice moral,

- débouté les époux [R] de l'intégralité de leurs demandes à l'encontre de la SARL LB2C représentée par son liquidateur, de la MAAF et de Monsieur [I],

- dit que toutes les demandes formées contre Monsieur [D] sont irrecevables,

- débouté Monsieur [I] et la société MGC de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive contre les époux [R],

- condamné solidairement Monsieur [A] [R] et Madame [N] [S] épouse [R] aux dépens exposés par la SARL Matériaux [V], avec garantie de ceux-ci pour leur paiement de Monsieur [L],

- condamné solidairement Monsieur et Madame [R] aux dépens exposés par AXA, la MAAF et Monsieur [I],

- condamné in solidum Monsieur [L] et Sagena au reste des dépens, comprenant ceux de l'instance en référé et de l'expertise,

- dit qu'il sera fait application du droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du code de procédure civile pour les conseils de la SARL Matériaux [V], AXA, la MAAF, et Monsieur [I],

- condamné les époux [R] à payer :

*à la SARL Matériaux [V] la somme de 2 000 euros, avec garantie du paiement de cette somme par Monsieur [L],

*solidairement à AXA la somme de 1 000 euros,

*à la MAAF la somme de 1000 euros,

*à Monsieur [I] la somme de 2 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum Monsieur [L] et la Sagena à payer aux époux [R] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SARL MGC Normande de SA demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration du 3 octobre 2017, M. [L] a formé un appel contre ledit jugement et a intimé M. et Mme [R], la Sagena devenue SA SMA, la SCP Guerin Diesbecq Zolotarenko, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Lb2c, et la SA MAAF Assurances.

Par déclaration du 4 octobre 2017, la SA SMA a formé un appel contre ledit jugement et a intimé M. et Mme [R] et M. [P] [L].

La jonction de ces deux instances a été ordonnée le 9 janvier 2019.

Le 9 novembre 2017, M. et Mme [R] ont vendu leur propriété à M. [G] [K] et à Mme [E] [Z] pour le prix de 310 000 euros.

Suivant exploits des 24, 31 janvier et 1er février 2018, M. et Mme [R] ont fait assigner en appel provoqué M. [X] [I], la SA Axa France Iard et la Sarl Matériaux [V].

Par arrêt du 11 mai 2022, la chambre civile de cette cour a :

- déclaré irrecevable l'appel en garantie formé par Monsieur [P] [L] contre la SA MAAF Assurances,

- confirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :

- dit que Monsieur [L] garantirait Monsieur [A] [R] et Madame [N] [S], son épouse, du paiement de la somme de 29 406,54 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010,

- condamné Sagena à payer aux époux [R] la somme de 8 997,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de voir perçue l'indemnité différée, avec intérêts légaux à compter de la présente décision,

- condamné in solidum Monsieur [P] [L] et Sagena à payer aux époux [R] les sommes suivantes :

*394 072,27 euros TTC au titre des travaux de reprise et finition, avec indexation sur l'indice du coût de la construction avec pour valeur de référence juillet 2014,

*10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

*5 000 euros au titre de leur préjudice moral,

- condamné solidairement Monsieur et Mme [R] aux dépens exposés par la SA Axa France lard, la SA MAAF et Monsieur [I],

- condamné in solidum Monsieur [L] et Sagena au reste des dépens, comprenant ceux de l'instance en référé et de l'expertise,

- condamné in solidum Monsieur [L] et la Sagena à payer aux époux [R] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, au vu de l'évolution du litige,

- déclaré Monsieur [A] [R] et Mme [N] [S], son épouse, irrecevables en leur demande tendant à la condamnation de M. [P] [L] au paiement de la somme de 394 072,27 euros TTC au titre des travaux de reprise et finition, pour défaut d'intérêt à agir,

- déclaré Monsieur [A] [R] et Mme [N] [S], son épouse, recevables en leur demande subsidiaire tendant à la condamnation de Monsieur [P] [L] au paiement de la somme de 394 072,27 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble,

- condamné Monsieur [P] [L] à payer à Monsieur [A] [R] et à Mme [N] [S], son épouse les sommes suivantes :

*10 000 euros en réparation de la diminution du prix de l'immeuble vendu en l'état,

*8 997,50 euros au titre de la perte de chance de percevoir l'indemnité différée avec intérêts au taux légal à compter du 24 août 2017,

*9 500 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

*5 000 euros au titre de leur préjudice moral,

- condamné Monsieur [P] [L] à garantir Monsieur [A] [R] et Mme [N] [S], son épouse du paiement de la somme de 29 014,96 euros TTC, au titre de la commande faite à la Sarl Matériaux [V] le 12 novembre 2009, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010,

- rejeté toutes les demandes présentées contre la SA SMA,

- condamné Monsieur [P] [L] à payer à Monsieur [A] [R] et à Mme [N] [S], son épouse la somme de 9 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- condamné Monsieur [P] [L] à payer à la SA SMA et à la SA MAAF Assurances, chacune la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- condamné solidairement Monsieur [A] [R] et Mme [N] [S], son épouse à payer à la Sarl Matériaux [V] d'une part, à la SA Axa France lard d'autre part, à Monsieur [X] [I] enfin, à chacun la somme de 3 000 euros, sur le fondement de I 'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- rejeté le surplus des demandes,

- fait masse des dépens et condamné in solidum Monsieur [P] [L] et Monsieur et Mme [R] pris ensemble aux dépens de première instance et d'appel et dit que dans leur rapport entre eux, ils sont condamnés chacun à en supporter la moitié, avec bénéfice de distraction au profit de la SCP Lenglet Malbesin & Associés, de la Selarl Gray Scolan, de la SCP Spagnol Deslandes Melo, de la SCP Mesnildrey Lepretre et de la SCP BO Tace, avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par arrêt du 14 septembre 2023, la cour de cassation a :

- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne Monsieur [L] à payer à Monsieur [R] et à Mme [S] épouse [R] les sommes de 10 000 euros en réparation de la diminution du prix de l'immeuble vendu en l'état, de 9 500 euros au titre de leur préjudice de jouissance et en ce qu'il rejette les demandes formées à l'encontre de la société SMA, l'arrêt rendu le 11 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen,

- mis hors de cause les sociétés Axa France IARD et Matériaux [V],

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée,

- condamné la société SMA aux dépens,

- condamné Monsieur [L] à payer la somme globale de 3 000 euros à Monsieur et Mme [R] et rejette les autres demandes,

La cassation partielle a été prononcée aux motifs suivants :

« - Vu l'article L. 113-9 du code des assurances :

Il résulte de ce texte qu'en l'absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.

Le contrat d'assurance ne peut déroger à ces dispositions d'ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle.

Pour rejeter les demandes formées à l'encontre de la société SMA, l'arrêt retient que, M. [L] n'ayant pas déclaré le chantier auprès de son assureur et n'ayant payé aucune cotisation pour ce risque, la réduction proportionnelle équivaut à une absence de garantie selon l'article 7 de la convention spéciale responsabilité professionnelle de l'ingénierie bâtiment, qui est conforme à la règle posée par l'article L. 113-9 et qui ne constitue ni une exclusion, ni une déchéance de garantie.

En statuant ainsi, alors que la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par cet article se calcule, nonobstant toute clause contraire, en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

- Vu l'article 1147 du code civil, dans SA rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016 :

Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Pour limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre M. [L] au titre de la diminution du prix de l'immeuble que M. et Mme [R] ont vendu en l'état, l'arrêt retient que ceux-ci ont bénéficié du paiement de l'indemnité immédiate versée par l'assureur en 2008 à hauteur de la somme de 362 159 euros, qui n'a pas été totalement engagée dans la reconstruction, qu'ils ont perdu, en raison de leur inertie, le bénéfice de l'indemnité différée correspondant au coût d'achèvement des travaux, que s'ils se sont entourés de professionnels, ils ont également pris des initiatives en entretenant une relation directe auprès notamment d'un fournisseur et que M. [L] a démissionné de ses attributions en mars 2010, de sorte qu'ils ont contribué directement à leur préjudice.

En se déterminant ainsi, après avoir constaté que le fait générateur du dommage résidait en l'inachèvement des travaux dans les délais requis et en l'existence de nombreux désordres et malfaçons, et qu'il ne pouvait être reproché à M. et Mme [R] d'avoir décidé au cours de la procédure d'appel de céder leur propriété plusieurs années après le début des procédures judiciaires en référé et au fond, dès lors qu'ils bénéficiaient d'un droit à réparation intégrale, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute des maîtres de l'ouvrage ayant contribué à leur préjudice, n'a pas donné de base légale à sa décision.

- Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016 :

Aux termes de ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Pour limiter à une certaine somme la condamnation prononcée contre M. [L] au titre du préjudice de jouissance subi par M. et Mme [R], l'arrêt retient qu'il convient de tenir compte de la part de responsabilité qui leur incombe.

En se déterminant ainsi, après avoir retenu que c'était en raison de l'absence d'achèvement des travaux et de l'existence de désordres et de malfaçons listés par l'expert judiciaire dans son rapport que M. et Mme [R] n'avaient pu occuper leur maison, et que la privation de jouissance de celle-ci avait été totale du 23 décembre 2009 jusqu'à la date de la vente, le 9 novembre 2017, sans préciser quelles fautes personnelles des maîtres de l'ouvrage auraient contribué à leur propre préjudice, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas donné de base légale à sa décision. »

Madame [N] [S] ' [R] et Monsieur [A] [R] ont saisi la cour d'appel de Rouen de ce renvoi par déclaration du 6 octobre 2023.

La déclaration de saisine a été signifiée à la SA SMA par acte de commissaire de justice du 30 octobre 2023 délivré à domicile. Elle n'a pas comparu devant la cour de renvoi.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 avril 2024.

A l'audience de plaidoirie, la cour a invité les parties à présenter leurs observations par note en délibéré sur le moyen tiré de ce que les conclusions de M. et Mme [R] ne comportaient de demande d'annulation ou d'infirmation du jugement du 27 août 2017.

Monsieur et Madame [R] ont répondu par note en en délibéré du 4 avril 2024.

Monsieur [L] a fait valoir ses observations par note en délibéré du 9 avril 2024.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 14 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Madame [N] [S] ' [R] et Monsieur [A] [R] qui demandent à la cour de :

- condamner Monsieur [L] à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 394 072,27 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble,

- condamner Monsieur [L] à payer à Monsieur et Madame [L], au titre de leur préjudice de jouissance, la somme de 850 euros par mois depuis le 7 juillet 2009 jusqu'à l'acte de vente du 9 novembre 2017, soit une somme de 85 000 euros,

- condamner la SA SMA, in solidum avec Monsieur [L], à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 436.634 euros au titre de l'indemnité due en application de l'article L. 113-9 du code des assurances,

- condamner Monsieur [L] et la SA SMA à verser aux époux [R] la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [L] et la SA SMA aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 9 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de Monsieur [P] [L] qui demande à la cour de :

Statuant sur l'appel de Monsieur [A] [R] et de Madame [N] [S] épouse [R],

- rejeter la demande de Monsieur et Madame [R] tendant à voir condamner Monsieur [L] à leur payer la somme de 394 072,27 euros TTC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble,

Subsidiairement, réduire le montant des dommages et intérêts dans de justes proportions,

- rejeter la demande de Monsieur et Madame [R] tendant à voir condamner Monsieur [L] à leur payer au titre de leur préjudice de jouissance la somme de 850 euros par mois depuis le 7 juillet 2009 jusqu'à l'acte de vente du 9 novembre 2017, soit une somme de 85 000 euros,

Subsidiairement, réduire l'indemnisation du préjudice de jouissance dans de justes proportions,

- rejeter la demande de Monsieur et Madame [R] tendant à voir condamner Monsieur [L] in solidum avec la SMA à leur verser la somme de 436 634 euros au titre de l'indemnité due en application de l'article L113-9 du code des assurances,

- rejeter la demande de Monsieur et Madame [R] tendant à voir condamner Monsieur [L] et la SMA à leur payer la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeter la demande de Monsieur et Madame [R] tendant à voir condamner Monsieur [L] aux entiers dépens,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la garantie de la Société Sagena aux droits de laquelle vient la Société SMA,

- y ajoutant, compte tenu de l'évolution du litige, condamner la SMA à relever et garantir Monsieur [P] [L] du règlement des sommes suivantes auprès de Monsieur et Madame [R] :

*dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble : à fixer - indemnisation du préjudice de jouissance : à fixer,

*indemnité au titre de la perte de chance de percevoir l'indemnité différée : 8.997,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 août 2017,

*indemnisation pour préjudice moral : 5 000 euros,

*indemnité de l'article 700 du code de procédure civile, première instance et appel : 9 000 euros,

*remboursement de la somme de 29 014,96 euros TTC au titre de la commande faite à la Société Matériaux [V] le 12 novembre 2009 avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010.

- et ceci pour l'intégralité des sommes susvisées,

- à défaut, condamner la SMA à relever et garantir Monsieur [L] à hauteur de 93,19 % des dites sommes par application d'une réduction proportionnelle fixée à 6,81 % en l'espèce,

- condamner Monsieur et Madame [R] et la SMA in solidum ou à défaut la Société SMA à payer à Monsieur [P] [L] la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile en considération des frais exposés devant la cour d'appel après cassation,

- condamner Monsieur et Madame [R] et la SMA in solidum ou à défaut la Société SMA aux entiers dépens, dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Céline Bart, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions du 4 novembre 2019 de la SA SMA en qualité d'assureur de M. [L], qui demande à la cour de :

- réformer intégralement le jugement entrepris ;

- juger que faute de déclaration du chantier des époux [R] par Monsieur [L] auprès de son assureur la SMA SA, cette dernière est bien fondée à opposer la réduction proportionnelle d'indemnité totale sur le sinistre des époux [R], par application de l'article L 113.9 3 ème alinéa du code des assurances,

Juger que cette réduction proportionnelle d'indemnité totale est opposable tant à l'assuré du contrat, Monsieur [P] [L], qu'à son bénéficiaire, tiers au contrat, les époux [R],

Par voie de conséquence,

Prononcer la mise hors de cause pure et simple de la SMA SA,

Sur les appels incidents, et si par extraordinaire la Cour ne faisait pas droit à l'appel principal et aux moyens de réformation de la SMA SA,

Rejeter toute demande de voir allouer une indemnité supérieure à celle retenue par les premiers juges, et rejeter intégralement les moyens développés par les époux [R] au soutien de leur appel incident,

Condamner tous succombants à lui payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel que la SELARL Gray Scolan, Avocats associés, sera autorisée à recouvrer, pour ceux la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Au préalable, la cour d'appel de Rouen dans sa composition de renvoi est saisie après cassation partielle, et dans leur premières conclusions en cause d'appel, Monsieur et Madame [R] avaient demandé, à la cour d'infirmer le jugement du 24 août 2017 en ce qu'il avait condamné la société Sagena et Monsieur [L] à leur payer la somme de 10 000 € au titre de leur préjudice de jouissance et en ce qu'il avait condamné la société Sagena à leur payer la somme de 8 997,50 € au titre de la perte de chance de voir perçue l'indemnité différée, de sorte qu'ils ne sont pas tenus de reprendre dans leur dernières conclusions, de demande d'infirmation ou d'annulation du jugement entrepris. Et surtout, l'appel de M. [L] a été interjeté le 3 octobre 2017, celui de la société SMA le 4 octobre 2017 et l'appel incident de Monsieur et Madame [R] le 6 février 2018. Il en résulte que les parties ne sont pas tenues de se conformer à l'obligation de mentionner dans leurs dernières conclusions, de demandes d'infirmation ou d'annulation du jugement, obligation affirmée pour la première fois par l'arrêt de la cour de cassation n°18-23 626 du 17 septembre 2020.

Sur le préjudice de diminution du prix de vente :

M. et Mme [R] soutiennent que :

- il ressort du rapport d'expertise que M. [L] a engagé sa responsabilité en ne surveillant pas les travaux ;

- l'acte de vente de l'immeuble prévoit que le prix de 310 000 euros a été fixé en tenant compte de l'inachèvement de la construction et des désordres existants ainsi que du fait de l'existence d'une seconde maison d'habitation ;

- les travaux de reprise et de finition de 394 072,27 euros tels que fixés par l'expert judiciaire sont d'un montant supérieur au prix de reconstruction de l'immeuble de

367 450 euros ;

- M. et Mme [R] auraient dû être en mesure de vendre deux maisons au lieu d'une, laquelle aurait constitué leur chaumière principale et ont été privés, de façon certaine et sans aucun aléa caractérisant une quelconque perte de chance, de 367 450 euros ; ils auraient en outre pu vendre séparément les deux maisons ;

- les acquéreurs ont nécessairement pris en compte les frais de démolition de 14 113 euros et de 10 062 euros s'agissant de la maison qui est inhabitable et qui doivent être ajoutés au préjudice subi par M. et Mme [R] ;

- ils n'ont jamais eu l'intention de dissimuler la vente de leur immeuble et, au surplus, leur bonne ou mauvaise foi est indifférente quant à la détermination de leur préjudice ;

- la position de M. [L] consistant à ne retenir que le prix d'achat initial de la propriété en 2003 de 200 000 euros et le prix de vente en 2017 de 310 000 euros ne tient pas compte du marché immobilier ; par ailleurs, M. et Mme [R] n'ont réalisé aucune plus-value compte tenu du coût des travaux qu'ils ont réalisés lorsqu'ils étaient propriétaires ;

- le fait que les nouveaux acquéreurs se soient contentés de réaliser des travaux de faible importance n'a aucune incidence sur la perte sur le prix de vente.

M. [L] soutient que :

- alors que M. et Mme [R] demandaient le paiement de sommes destinées à permettre le financement de réparations pour faire cesser les désordres affectant l'immeuble, M. [L] a appris qu'ils avaient dissimulé à la cour dont l'arrêt a été cassé partiellement le fait qu'ils avaient vendu leur immeuble le 9 novembre 2017 et il a dû saisir le conseiller de la mise en état d'un incident de communication de pièces afin d'obtenir confirmation de l'existence de cette vente ; cette dissimulation démontre que M. et Mme [R] doutaient d'obtenir gain de cause en demandant la seule indemnisation de la prétendue perte de prix de vente ;

- M. et Mme [R] ont revendu leur ensemble immobilier de façon satisfaisante ;

- M. et Mme [R] ne pourraient solliciter, tout au plus, que l'indemnisation d'une perte de chance d'obtenir un meilleur prix lors de la revente.

Réponse de la cour :

Aux termes du contrat du 2 août 2008, la mission de maîtrise d''uvre comprenait :

- le dossier plans et permis de construire,

- la préparation des pièces des marchés,

- l'analyse des devis,

- le suivi et le pilotage des travaux,

- l'analyse de la facturation et la vérification avant règlement (visa 'Bon pour règlement' obligatoire sur les factures),

- le PV de réception,

- la remise du dossier auprès de la compagnie d'assurances pour le règlement différé.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire que Monsieur [L] s'est vu confier une mission de LB2C qui comprend la réalisation du dossier de plan et permis de construire et la préparation des pièces-marchés. L'expert a souligné que c'est sur ce second point que le maître d''uvre a failli à sa mission. L'expert constate en outre des manquements de M. [L] dans le suivi des travaux, l'analyse des facturations et vérification avant règlement, et remise du dossier auprès de la compagnie d'assurance pour le règlement différé.

Monsieur [L] ne conteste ni le rapport d'expertise ni même le principe de son entière responsabilité. Il conteste l'existence du préjudice pécuniaire résultant de la diminution du prix de vente qui est allégué par M. et Mme [R].

M. et Mme [R] déclarent avoir subi une diminution de la valeur vénale de leur propriété lors de sa mise en vente le 9 novembre 2017. Il est indifférent à ce titre que M. et Mme [R] n'aient pas spontanément indiqué en cours de procédure qu'ils avaient procédé à la vente de leur immeuble.

Il est certain que l'immeuble a été vendu par M. et Mme [R] en étant déclaré inachevé et affecté de nombreux désordres et malfaçons.

Le prix d'une vente immobilière étant soumis aux aléas des conditions du marchés, d'éventuels éléments extérieurs imprévus et des pourparlers entre vendeur et acquéreur, le préjudice résultant d'une vente à un prix inférieur a celui espéré s'analyse en une perte de chance.

L'acte de vente du 9 novembre 2017 décrit le bien comme étant :

« Une maison individuelle à usage d'habitation (') comprenant :

*Une maison principale consistant en une chaumière normande, en bordure de Seine comprenant :

(')

*Une dépendance d'habitation couverte en petite tuile comprenant :

(')

*Une construction inachevée en raison d'importants désordres graves et malfaçons.

*Un petit bûcher dur couvert en fibrociment.

Cave enterrée sur le terrain, bassin artificiel, puits fonctionnel.

Terrain autour. »

Il ressort de l'acte de vente que le bien a été acquis par les époux [R] le 14 mars 2003 au prix de 200 000 euros. Monsieur [L] calcule que le prix de 200 000 euros, corrigé de l'inflation, serait de 239 573,96 euros en 2017 et en déduit que Monsieur et Madame [R] qui ont perçu la somme de 310 000 euros n'ont pas subi de perte.

Cependant, il ressort d'un courrier de la SCP Durand-Vuillemin-Faguin, notaires à Evreux, que les prix d'une maison entre 100 et 120 m² pratiqués à Trouville-la-Haule en 2017 sans prise en compte d'un terrain, étaient compris entre 109 620 euros et

190 000 euros, soit, pour les trois références indiquées, 1 096 euros le m², 1 583 euros le m² et 1 761 euros le m². La moyenne de ces prix au m² est de 1 480 euros. La maison dite inachevée a une surface de 122 m², et l'affirmation de M. [L] selon laquelle la surface de la chaumière est de 100 m² n'a pas été contestée. La surface totale de la chaumière et de l'immeuble dit inachevé étant de 222 m², la valeur de ces bâtiments, sans prise en compte des autres éléments de description dont le terrain, s'élèverait à

222 x 1 480 = 328 560 euros alors que le prix de vente payé par les acquéreurs s'est élevé à 310 000 euros, soit une différence de 18 560 euros au préjudice de M. et Mme [R].

Le dommage de M. et de Mme [R] consiste en une perte de chance de vendre leur propriété comprenant un immeuble achevé et exempt de désordres au prix du marché et non au montant total des réparations arrêtées par l'expert judiciaire à

394 072,27 euros, qui n'étaient plus envisageables dès lors que cet immeuble a été vendu ni au coût de reconstruction qui ne saurait être assimilé à la valeur finale de l'immeuble. Par ailleurs, la réparation de la perte de chance perdue doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Elle ne peut donc être égale qu'à une fraction du préjudice subi par M. et Mme [R].

Les parties à la vente sont expressément convenues à l'acte que le prix de 310 000 € net vendeur a été fixé en considération de ce que l'acquéreur fera son affaire personnelle de toute démolition, réhabilitation, réparation, restauration ou reconstruction à ses frais exclusifs sans recours contre le vendeur et sans être subrogé dans les droits du vendeur à raison des vices de construction. Il en résulte que les coûts de démolition et de réfection de l'accès ont été répercutés sur le prix de vente, peu important à cet égard que les acquéreurs n'aient pas choisi par la suite de faire démolir et n'aient fait procéder qu'à des travaux de faible importance.

L'expert judiciaire a évalué le coût du déblais démolition à la somme de 14 113 euros et celui de la réfection du chemin d'accès à la somme de 10 062 euros.

Au vu des éléments versés aux débat, de la localisation en bord de Seine du bien vendu, de la superficie importante du terrain et de ce que la maison principale est décrite comme étant une chaumière Normande, la cour possède les éléments suffisants pour fixer le préjudice des époux [R] à la somme de 40 600 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [P] [L] à payer aux époux [R] la somme de 394 072,27 euros TTC au titre des travaux de reprise et finition, avec indexation sur l'indice du coût de la construction avec pour valeur de référence juillet 2014, et M. [L] sera condamné à leur payer la somme de 40 600 euros de dommages et intérêts en réparation de leur perte de chance résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble.

Sur le préjudice de jouissance :

M. et Mme [R] soutiennent qu'ils ont été privés de la jouissance de leur maison qui n'était raccordée à aucun réseau et était inhabitable à compter du 7 juillet 2009 jusqu'au 9 novembre 2017, date de la vente, qui doit être fixé à 850 euros par mois selon le rapport de M. [I].

M. [L] soutient que :

- il ne peut y avoir de confusion entre la privation totale de jouissance résultant de l'incendie et le trouble de jouissance subi à la suite des malfaçons et désordres affectant l'immeuble reconstruit ;

- l'expert judiciaire, M. [C], n'a pas constaté que l'immeuble était inhabitable ;

- M. et Mme [R] ne justifient pas du caractère inhabitable de l'immeuble alors qu'il a été revendu en l'état et que les acquéreurs y habitent actuellement sans avoir fait procéder aux travaux préconisés par l'expert.

Réponse de la cour :

La réception des travaux de la maison à reconstruire était prévue au plus tard le 23 décembre 2009, date acceptée par M. et Mme [R] le 21 septembre 2009.

Il ressort de la première note aux parties établie par l'expert judiciaire, M. [C], le 10 novembre 2010 et notamment de l'examen des photographies illustrant cette note que la maison n'était alors pas habitable (les murs étaient troués). C'est dès lors en raison de l'absence de l'achèvement des travaux et de l'existence des désordres et des malfaçons listés par l'expert judiciaire dans son rapport d'expertise que M. et Mme [R] n'ont pas pu occuper leur maison et la privation de jouissance de leur immeuble a été totale à compter du 23 décembre 2009.

En revanche, le point de savoir si cette privation de jouissance a été totale jusqu'à sa vente le 9 novembre 2017 n'est pas démontré et ne résulte ni des notes de l'expert ni de son rapport d'expertise étant précisé que l'expert a indiqué dans la première note que M. et Mme [R] habitaient en fait dans l'un des bâtiments se trouvant sur le terrain dont ils étaient propriétaires nommé « la ferme ».

En première instance, M. et Mme [R] n'ont pas justifié la somme mensuelle de 850 euros réclamée.

En cause d'appel, ils affirment que la somme de 850 euros par mois leur a été versée par leur assureur habitation et ils ne versent, à l'appui de leur allégation, qu'un tableau figurant en dernière page d'un rapport établi par M. [I] dont rien ne permet d'affirmer qu'il a été suivi d'un quelconque effet et que l'assureur a effectivement réglé une telle somme. Dans son rapport d'expertise, l'expert judiciaire n'a pas donné d'avis sur ce montant.

La durée à indemniser est de 94 mois et la maison considérée présente sur une surface de 122 m². Sur une base moyenne de 450 euros par mois, la condamnation sera fixée à la somme de 450 euros durant 94 mois soit 42 300 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [P] [L] à payer aux époux [R] la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, et M. [L] sera condamné à leur payer 42 300 euros à ce titre.

Sur la réduction proportionnelle d'indemnité totale :

M. et Mme [R] soutiennent que :

- M. [L] a omis de déclarer à son assureur qu'il avait perçu 18 224,59 euros d'honoraires au titre du chantier litigieux portant le total de ses honoraires à

145 721,59 euros pour l'année 2008 alors qu'il n'a déclaré que 127 497 euros à son assureur ;

- l'assureur doit garantir leur sinistre à proportion des honoraires déclarés par rapport à ceux qui auraient dû l'être.

M. [L] soutient que :

- il a déclaré à son assureur, pour l'exercice 2008, la perception de 127 497 euros (hors taxes) d'honoraires au titre de ses missions de maîtrise d''uvre et d'économiste de la construction pour lesquelles il était garanti et la somme de 80 870,72 euros (hors taxes) pour l'exercice 2009 et il est exact que le chantier de M. et Mme [R] ne figure pas dans ces deux déclarations alors qu'il a perçu à ce titre la somme totale de 15 237,95 euros (hors taxes) ;

- il appartient à l'assureur de justifier du montant de la prime qu'elle aurait dû percevoir afin de déterminer la minoration devant être appliquée à l'indemnisation ; dès lors que la SA SMA n'a rien justifié, elle ne peut prétendre la réduction proportionnelle ;

- subsidiairement, en fonction des honoraires déclarés et de ceux effectivement perçus, soit une réduction de 6,81% de sorte que la SA SMA devra garantir 93,19% des sommes allouées à M. et Mme [R] tant par l'arrêt partiellement cassé que par le présent arrêt.

La SA SMA soutient que le chantier en cause ne lui ayant pas été déclaré par son assuré, M. [L], elle pouvait, conformément à l'article 7 de la convention spéciale les ayant liés, opposer une déchéance totale de garantie, conséquence de la règle proportionnelle visée à l'article L.113-9, et ainsi refuser de garantir M. [L] pour ce chantier, que la situation constituait un risque aggravé en totalité et pas simplement une sous-déclaration du montant du chantier et que cette réduction proportionnelle de 100 % était opposable tant à M. [L] qu'aux époux [R].

Réponse de la cour :

L'article L. 113-9 du code des assurances dispose que dans le cas où la constatation de l'omission ou de la déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés.

Il résulte de ce texte qu'en l'absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.

Le contrat d'assurance ne peut déroger à ces dispositions d'ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle.

Il résulte des dispositions de l'article 7 de la convention spéciale responsabilité professionnelle de l'ingénierie bâtiment, afin de permettre à l'assureur de calculer la cotisation de son assuré, ce dernier s'engage chaque année avant le 31 mars à déclarer à l'assureur, pour l'exercice écoulé, ses honoraires encaissés pendant cette période.

M. [L] ne conteste pas l'opposabilité de cette obligation contractuelle. Sont produites ses déclarations d'honoraires pour les exercices 2008 et 2009 incluant la liste des missions effectuées sur ces périodes et les chantiers correspondants, qu'il a remplies et adressées à son assureur. De ces déclarations, il résulte que M. [L] a porté à la connaissance de son assureur qu'il avait perçu un total de 127 497 euros pour l'exercice 2008 et de 80 970,72 euros pour l'exercice 2009 et qu'il a omis de lui indiquer qu'il avait perçu 15 237,95 euros (hors taxes) au titre du chantier de M. et Mme [R].

L'absence d'éléments fournis par l'assureur quant à la détermination de la prime qui aurait été due par M. [L] s'il avait déclaré le chantier de M. et Mme [R] ne constitue pas un élément permettant de mettre à néant la réduction proportionnelle, prévue par une disposition d'ordre public.

Le pourcentage de réduction proportionnelle ne peut être calculé qu'en vertu de la formule suivante : le montant des honoraires effectivement déclarés en 2008 et 2009 multiplié par 100 divisé par le montant des honoraires effectivement perçus en 2008 et 2009 + honoraires perçus non déclarés en 2008 et 2009 :

127 497 + 80 970,72 = 208 467,72 x 100 = 93,18839348148842

208 467,72 + 15 237,95 = 223 705,67

Soit une prise en charge limitée à 93,19% et une réduction proportionnelle de 6,81% de sorte que elle sera condamnée in solidum avec M. [L] à l'égard de M. et Mme [R] à hauteur de 93,19% de 40 600 euros et de 42 300 euros, soit 37 835,14 euros et 39 419,37 euros, le surplus étant à la seule charge de M. [L].

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la société SMA à payer à M. et Mme [R] les sommes de 394 072,27 euros TTC au titre des travaux de reprise et finition et 10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance. La société SMA sera condamnée in solidum avec M. [L] à indemniser Monsieur et Madame [R], à concurrence des sommes de 37 835,14 euros et 39 419,37 euros .

Par ailleurs, la société SMA sera condamnée à garantir à hauteur de 93,19% M. [L] des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice de M. et Mme [R] au titre de leur préjudice résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble de leur préjudice de jouissance de l'indemnité au titre de la perte de chance de percevoir l'indemnité différée : soit 8 997,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 août 2017, de leur préjudice moral, la garantie de M. [L] de la condamnation de M. et Mme [R] à payer la somme de 29 406,54 € à la SARL Matériaux [V].

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Monsieur [L] et la société SMA supporteront in solidum les dépens de première instance et d'appel à l'exception des dépens exposés par la SARL Matériaux [V], la société AXA, la société MAAF et M. [I] qui resteront à la charge de M. et Madame [R].

Monsieur [L] et la société SMA seront in solidum condamnés à payer à M. et Mme [R] la somme de 10 000 € au titre de leurs frais irrépétibles en cause d'appel.

La société SMA sera condamnée à garantir M. [L] à concurrence de 93,19% du montant de ces condamnations.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt réputé contradictoire et dans les limites de sa saisine ;

Infirme le jugement du tribunal de grande instance d'Evreux du 24 août 2017 en ce qu'il a condamné in solidum Monsieur [P] [L] et la société Sagena à payer aux époux [R] les sommes suivantes :

- 394 072,27 euros TTC au titre des travaux de reprise et finition, avec indexation sur l'indice du coût de la construction avec pour valeur de référence juillet 2014,

- 10 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance,

Statuant à nouveau :

Condamne in solidum M. [L] à payer à M. et Mme [R] les sommes de

40 600 euros de dommages et intérêts en réparation de leur perte de chance résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble et de 39 419,37 euros au titre de leur préjudice de jouissance, in solidum avec la société SMA à concurrence de 37 835,14 euros et 39 419,37 euros ;

Y ajoutant :

Condamne la société SMA à garantir à hauteur de 93,19% M. [L] des condamnations prononcées à son encontre au bénéfice de M. et Mme [R] au titre de leur préjudice résultant de la diminution du prix de vente de l'immeuble de leur préjudice de jouissance de l'indemnité au titre de la perte de chance de percevoir l'indemnité différée : soit 8 997,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 août 2017, de leur préjudice moral, la garantie de M. [L] de la condamnation de M. et Mme [R] à payer la somme de 29 406,54 € à la SARL Matériaux [V].

Condamne in solidum M. [L] et la société SMA aux dépens de première instance et d'appel y compris les frais d'expertise à l'exception des dépens exposés par la SARL Matériaux [V], la société AXA, la société MAAF et M. [I] qui resteront à la charge de M. et Madame [R] ;

Condamne solidairement M. [L] et la société SMA à payer à M. et Mme [R] la somme de 10 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Condamne la société SMA à garantir M. [L] de la condamnation au titre des frais irrépétibles.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Ch. civile et commerciale
Numéro d'arrêt : 23/03333
Date de la décision : 29/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-29;23.03333 ?
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