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04/09/2024 | FRANCE | N°23/01606

France | France, Cour d'appel de Rouen, 1ère ch. civile, 04 septembre 2024, 23/01606


N° RG 23/01606 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JLP3







COUR D'APPEL DE ROUEN



1ERE CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 4 SEPTEMBRE 2024









DÉCISION DÉFÉRÉE :



21/02493

Tribunal judiciaire de Rouen du 7 avril 2023





APPELANTE :



S.A. SOCIETE DES TROIS VALLEES- S3V

RCS de Chambery 429 852 668

[Adresse 7]

[Localité 3]



représentée par Me Marina CHAUVEL, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Stéphanie BAUDOT, avocat

du cabinet EGIDE, avocat au barreau de Rouen







INTIMES :



Monsieur le recteur de l'académie de [Localité 8]

Rectorat de [Localité 8], [Adresse 2]

[Localité 8]



représenté et assisté par Me Edouard POIROT...

N° RG 23/01606 - N° Portalis DBV2-V-B7H-JLP3

COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 4 SEPTEMBRE 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE :

21/02493

Tribunal judiciaire de Rouen du 7 avril 2023

APPELANTE :

S.A. SOCIETE DES TROIS VALLEES- S3V

RCS de Chambery 429 852 668

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentée par Me Marina CHAUVEL, avocat au barreau de Rouen et assistée de Me Stéphanie BAUDOT, avocat du cabinet EGIDE, avocat au barreau de Rouen

INTIMES :

Monsieur le recteur de l'académie de [Localité 8]

Rectorat de [Localité 8], [Adresse 2]

[Localité 8]

représenté et assisté par Me Edouard POIROT-BOURDAIN de la SELARL POIROT-BOURDAIN AVOCAT, avocat au barreau de Rouen

Commune de [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et assistée par Me Micheline HUMMEL-DESANGLOIS de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de Rouen

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 3 juin 2024 sans opposition des avocats devant Mme BERGERE, conseillère, rapporteur,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre

Mme Magali DEGUETTE, conseillère

Mme Anne-Laure BERGERE, conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Catherine CHEVALIER

DEBATS :

A l'audience publique du 3 juin 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 4 septembre 2024

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 4 septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Mme WITTRANT, présidente de chambre et par Mme CHEVALIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

*

* *

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 23 janvier 2019, sur le domaine skiable de [Localité 3] est survenu un accident de luge dans lequel Mme [J] [M], élève de seconde au lycée [6] d'[Localité 5], qui participait à un séjour pédagogique, a heurté un mur en béton.

Par ordonnance du 14 janvier 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Rouen a ordonné une expertise médicale. Le rapport a été déposé le 16 novembre 2020.

Par acte des 1er et 2 juin 2021, Mme [J] [M] et ses parents M. [V] [M] et Mme [I] [R] ont fait assigner M. le recteur de l'académie de [Localité 8] et la Cpam de [Localité 8] [Localité 5] [Localité 4] Seine-Maritime devant le tribunal judiciaire de Rouen aux fins d'indemnisation de leurs préjudices directs et indirectes résultant de l'accident.

Par assignation du 14 septembre 2021, M. le recteur de l'académie de [Localité 8] a attrait la Sa Société des Trois Vallées (S3V) et la commune de [Localité 3] dans la cause, en garantie de ses condamnations éventuelles, et sollicité la jonction des instances.

Par ordonnance du 25 novembre 2021, la jonction a été ordonnée par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Rouen.

Par jugement du 7 avril 2023, le tribunal judiciaire de Rouen a :

- déclaré M. le recteur de l'académie de [Localité 8] responsable des dommages subis par Melle [J] [M] lors de l'accident de luge survenu le 23 janvier 2019 ;

- dit que M. le recteur de l'académie de [Localité 8] sera tenu d'indemniser intégralement les conséquences dommageables de l'accident de luge du 23 janvier 2019 ;

- condamné M. le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à Melle [J] [M] la somme totale de 15 343 euros en réparation de son préjudice corporel, ladite somme étant augmentée des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

- condamné M. le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à M. [V] [M] et Mme [I] [R], victimes indirectes, la somme de 1 500 euros en réparation de leurs préjudices, ladite somme étant augmentée des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

- condamné M. le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à la Cpam de [Localité 8] [Localité 5] [Localité 4] Seine-Maritime la somme de 11 282,02 euros au titre de ses débours, outre la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire en application de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale ;

- condamné in solidum la commune de [Localité 3] et la société des Trois Vallées à garantir et relever M. le recteur de l'académie de [Localité 8] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;

- condamné la société des Trois Vallée à garantir et relever la commune de [Localité 3] des condamnations prononcées à son encontre ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamné M. le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à Melle [J] [M],

M. [V] [M] et Mme [I] [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-condamné M. Le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à la Cpam de [Localité 8] [Localité 5] [Localité 4] Seine-Maritime la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la commune de [Localité 3] et la société des Trois Vallées à payer à M. le recteur de l'académie de [Localité 8] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société des Trois Vallées à payer à la commune de [Localité 3] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société des Trois Vallées aux entiers dépens de l'instance dont ceux comprenant les frais relatifs à l'expertise judiciaire, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Bourdon, avocat au barreau de Rouen, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 8 mai 2023, la Sa Société des Trois Vallées a interjeté appel de cette décision.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 14 décembre 2023, la Sa Société des Trois Vallées (S3V), demande à la cour, au visa des articles 1240, 1317, 1353, et 1363 du code civil de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rouen en ce qu'il a condamné la S3V à relever et garantir de toutes condamnations le recteur de l'académie de [Localité 8] d'une part, et la commune de [Localité 3] d'autre part ;

statuant à nouveau,

- constater l'absence de faute de la S3V en lien de causalité avec l'accident survenu au préjudice de Melle [M], et exclure toute garantie de la S3V des condamnations prononcées, tant s'agissant du recteur de l'académie de [Localité 8] que de la commune de [Localité 3] ;

à titre subsidiaire,

- dire que la S3V ne devra la garantie du recteur de l'académie de [Localité 8] que 30 % des condamnations prononcées à son encontre ;

- condamner la commune de [Localité 3] à relever et garantir indemne de toute condamnation la S3V ;

- condamner le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à la S3V la somme de

5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle soutient que l'action récursoire visant à être relevé et garanti de ses condamnations, formée à son encontre par M. le recteur de l'académie de [Localité 8], ne pouvait prospérer dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle engage sa responsabilité, ceci dès lors qu'elle n'a commis aucune faute.

Elle expose qu'aucun contrat ne la liait à la victime car celle-ci ne disposait pas d'un forfait au moment de l'accident, la piste de luge étant un secteur d'accès libre. Elle en déduit que trouvent à s'appliquer les dispositions de l'article 1240 du code civil portant sur la responsabilité civile délictuelle, exigeant l'existence d'un lien de causalité entre un fait dommageable et un préjudice. La Sa S3V explique qu'elle n'a pas la charge de la surveillance de la piste de luge. Elle rapporte que pour retenir sa responsabilité, le jugement s'est fondé sur un compte-rendu rédigé par les enseignants, eux-mêmes mis en cause dans la survenance de l'accident, en contradiction avec les articles 1353 et 1363 du code civil. Elle précise que ledit compte-rendu n'est étayé d'aucune photographie prouvant l'absence de signalisation dénoncée, ni d'aucun élément susceptible d'étayer les allégations qu'il contient. La Sa S3V fait valoir que le service de piste n'a jamais été informé d'une difficulté de signalisation, et affirme qu'une signalisation conforme était en place dès lors que la piste a été ouverte par un pisteur, indiquant qu'elle n'effectue pas de nouvelle patrouille dans la journée car le circuit de luge est exploité par la commune de [Localité 3], la Sa S3V n'ayant d'autre responsabilité que d'ouvrir et de fermer la piste. La Sa S3V dément l'assertion selon laquelle l'accident qui s'est produit vers 11h serait survenu dans un intervalle de temps proche de l'ouverture de la piste, celle-ci ayant été ouverte vers 9h. Elle conclut à son absence de responsabilité, soulignant qu'elle rapporte la preuve de l'exécution conforme de ses obligations, tandis que la démonstration n'est pas faite d'une faute qui lui soit imputable, en lien avec le préjudice de la victime.

Sur son absence de faute, la Sa S3V fait valoir que l'exploitation et l'entretien de la piste de luge sont sous la responsabilité de la commune de [Localité 3] comme en attestent les arrêtés municipaux. Par ailleurs, dit-elle, il revient à la commune de contrôler en journée la signalisation sur la piste laquelle n'est pas dans le périmètre de la concession définit par l'article 9 du contrat de concession à la Sa S3V, rappelant qu'elle n'en assure, par son pisteur secouriste, que l'ouverture et la fermeture, avec information en cas d'absence d'un élément de sécurité, conformément à l'avenant n°4 à la convention du 14 janvier 1999, et aux arrêtés municipaux n°321-2007 du 24 décembre 2007, et n°543-2018 du 14 décembre 2018.

Elle rapporte que d'après le bulletin d'ouverture et la main courante du service des pistes, aucune anormalité n'a été constatée par le pisteur secouriste sur la piste de luge le 23 janvier 2019, jour de l'accident.

La Sa S3V fait valoir que les commémoratifs figurants au rapport d'expertise ne rapportent aucune allégation de la victime quant à un mauvais état de la piste ou une mauvaise signalisation. Elle produit une série de photos pour attester la qualité de la délimitation du parcours de luge. Elle ajoute que dans la mesure où l'information du public, le contrôle de la sécurité le long du parcours de luge sont de la responsabilité exclusive de la commune de [Localité 3], et particulièrement de son maire au titre du pouvoir de police administrative, la commune n'est pas fondée à solliciter sa garantie.

A titre subsidiaire, la Sa S3V soutient que si sa responsabilité devait être engagée, elle ne saurait contribuer seule à la dette. Elle expose que d'après le jugement déféré, la faute des enseignants a contribué au dommage, et que M. le recteur de l'académie de [Localité 8] en a accepté le principe puisqu'il n'a pas relevé appel. Dès lors, elle explique que les enseignants ayant commis une faute concourant au dommage, M. le recteur de l'académie de [Localité 8] ne peut être relevé et garanti de toutes les condamnations prononcées à son encontre en liquidation du préjudice de la victime. En application des dispositions de l'article 1317 du code civil, la Sa S3V soutient l'existence d'une obligation in solidum, dont sa contribution en qualité de coobligée doit être fixée à 30 %, sollicitant par ailleurs que la commune de [Localité 3], responsable de la sécurisation de la piste de luge, la relève et garantisse de ses condamnations.

Par dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2023, la commune de [Localité 3] demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, et 1231-1 du code civil de :

au principal,

 - réformer et infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée in solidum avec la société des Trois Vallées à garantir et relevés  le recteur de l'académie de [Localité 8] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre et condamnée in solidum  avec  la société des Trois Vallées à payer au recteur de l'académie de [Localité 8] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- ce faisant, la mettre hors de cause.

- débouter le recteur de l'académie de [Localité 8] de sa demande de condamnations dirigée à son encontre ;

subsidiairement et en tout état de cause,

- confirmer les dispositions du jugement ayant condamné la société des Trois vallées à la garantir et relever des condamnations prononcées à son encontre ;

- confirmer le jugement en ses dispositions ayant condamné la société des Trois Vallées à lui payer une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

y ajoutant,

- condamner la société des Trois Vallées à lui régler une indemnité de 2000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour ;

- débouter la société les Trois Vallées et le recteur de l'académie de [Localité 8] de leurs demandes ayant pour objet un recours en garantie dirigée contre elle et une condamnation aux frais irrépétibles ;

- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la Scp Boniface Dakin et Associés.

Elle soutient que la preuve de sa faute en lien avec l'accident de la victime n'est pas rapportée. Elle invoque l'article L. 342-9 du code du tourisme et détaille les conventions qui organisent l'exploitation de la piste de luge par laquelle est survenu l'accident. Elle en déduit que la responsabilité de l'exploitation et de la mise en sécurité de la piste de luge revenait à la Sa S3V, qui doit s'assurer que l'état de la piste est compatible avec son ouverture au public et le cas échéant informer la commune des mesures à prendre pour assurer l'ouverture de la piste, en termes d'entretien et de sécurisation.

La commune de [Localité 3] fait valoir que la Sa S3V ne l'a jamais informée d'un danger, d'un manque d'équipement ou d'éclairage le 23 janvier 2019, jour de l'accident. Elle indique par ailleurs qu'il n'a jamais été précisé par les consorts [M] [R], ni par Mme le recteur d'académie, quels auraient été les équipements et éléments de sécurité qui auraient fait défaut et contribué à l'accident. La commune de [Localité 3] poursuit disant que le défaut de signalisation qui aurait conduit la victime sur une piste de ski plutôt que de rester sur la piste de luge, n'est pas prouvé, et qu'en tout état de cause, il relève de la responsabilité de la Sa S3V qui n'en a pas informé la commune de [Localité 3].

A titre subsidiaire, si la responsabilité de la commune de [Localité 3] devait être engagée, elle sollicite la garantie de la Sa S3V qui ne l'a pas informée d'un défaut de sécurité sur la piste de luge et a manqué, par là, à ses obligations contractuelles.

Par dernières conclusions notifiées le 13 octobre 2023, M. le recteur de l'académie de [Localité 8] demande à la cour, au visa des articles 1240 et 1242 alinéa 8 du code civil de :

- confirmer le jugement dont appel et en conséquence de condamner in solidum la commune de [Localité 3] et la société des Trois Vallées à relever et garantir le recteur d'académie de toute condamnation prononcée à son encontre en principal, intérêts, frais et dépens de toute nature ;

- condamner in solidum la commune de [Localité 3] et la société des Trois Vallées à payer au recteur d'académie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.

M. le recteur de l'académie de [Localité 8] soutient que la sécurité des personnes n'était pas assurée sur la piste de luge, en raison d'un défaut de signalisation et de balisage établi par photos prises par le responsable du centre d'hébergement dans lequel logeait les élèves et l'équipe d'encadrement. Il ajoute que des consignes de sécurité ont bien été dispensées par les enseignants, outre une initiation à la luge, en amont de la descente durant laquelle est survenu l'accident. Dès lors, M. le recteur de l'académie de [Localité 8] s'en remet à la cour pour déterminer qui des partenaires économiques, la Sa S3V ou la commune de [Localité 3], engage sa responsabilité au regard des manquements ayant conduits à l'accident.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2024.

MOTIFS

Sur l'action en garantie

- Sur la responsabilité du recteur de l'académie de [Localité 8]

Par jugement de première instance rendu par le tribunal judiciaire de Rouen le 7 avril 2023, la responsabilité civile de M. le recteur de l'académie de [Localité 8] a été retenue dès lors qu'il a été établi que l'équipe enseignante encadrant les élèves, a contribué à la survenance de l'accident et à la réalisation du dommage. En effet, le jugement énonce que nonobstant les consignes de sécurité délivrées par les enseignants, ils ont commis des manquements, d'une part en ne repérant pas le parcours, préalablement à la descente de la piste de luge, d'un niveau de difficulté rouge, en présence de lugeurs inexpérimentés ; et d'autre part, en ce que la descente n'était encadrée que par deux enseignants en tête et en queue de cortège, laissant les élèves situés au milieu du groupe sans surveillance ni supervision, ce qui a conduit à l'accident.

Le recteur de l'académie de [Localité 8] n'a pas fait appel de ce chef, sa responsabilité est donc acquise.

En l'espèce, le recteur de l'académie de [Localité 8] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné in solidum la Sa S3V et la commune de [Localité 3] à le relever et le garantir de ses condamnations au titre de l'indemnisation du préjudice corporel de la victime.

- Sur la faute de la Sa S3V et de la commune de [Localité 3]

La Sa S3V est la société exploitante du domaine skiable de la commune de [Localité 3]. Les actes administratifs et les conventions privées passées entre les parties, versés au débat, définissent la répartition de leurs obligations respectives touchant la piste de luge par laquelle est survenu l'accident.

Sur les obligations de la Sa S3V, d'après l'article 2 de l'avenant n°4 du 26 février 2007 à la convention du 14 janvier 1999, les articles 7 et 11 de l'arrêté municipal n°321-2007 du 24 décembre 2007, l'article 9 de la convention relative à l'aménagement et à l'entretien des pistes du 28 novembre 2012, les articles 7 et 11 de l'arrêté municipal n°541-2018 du 14 décembre 2018, et l'article 4 de l'arrêté municipal n°543-2018 du 14 décembre 2018, la Sa S3V a la charge, pendant la saison hivernale de l'ouverture et de la fermeture journalières de la piste.

A cet effet, un pisteur-secouriste de la S3V est chargé de s'assurer que l'état d'enneigement de la piste est compatible avec la pratique de la luge ainsi que du bon état des dispositifs de sécurité le long du parcours. Suite à cet examen, le pisteur secouriste décide ou non d'ouvrir la piste et procède à l'affichage conséquent au départ de la piste. Il est convenu entre les parties que 'l'affichage' correspond à l'utilisation du panneau ouverture/fermeture au départ de la piste. En cas de conditions météorologiques ou de sécurité défavorables, après contrôle, la fermeture de la piste doit être matérialisée par un filet au départ, installé par le service des pistes de la S3V. En cas d'absence d'élément de sécurité permettant une utilisation dans des conditions normales de sécurité, le pisteur secouriste en informe l'agent municipal désigné responsable de l'équipement par arrêté municipal ou son suppléant, qui procède au remplacement des dispositifs manquant ou défectueux et informe en retour le pisteur secouriste dès lors que les conditions d'ouvertures sont à nouveau réunies.

Sur les obligations de la commune de [Localité 3], d'après l'article 1 de l'avenant n°4 du 26 février 2007 à la convention du 14 janvier 1999, l'article 9 de la convention relative à l'aménagement et à l'entretien des pistes du 28 novembre 2012, les articles 1 et 3 de l'arrêté municipal n°543-2018 du 14 décembre 2018, il revient à la commune de [Localité 3] d'assurer la gestion de la piste de luge à savoir l'éclairage, le damage et l'entretien, ainsi que la sécurisation de ladite piste, dont participent notamment le fléchage, les panneaux d'information, et les affichages réglementaires.

Il convient de relever, en l'espèce, l'absence de contrat entre les utilisateurs de la piste de luge d'une part, et la Sa S3V et la commune de [Localité 3] d'autre part. En effet, il est établi par arrêté municipal n°321-2007 du 24 décembre 2007 pris en son article 8 que : 'Pendant les heures d'ouverture au public, la piste de luge est strictement réservée à la pratique de la luge et son accès est libre'. Dès lors trouve à s'appliquer, dans la présente action en recherche de responsabilité, le régime de la responsabilité civile délictuelle prévu à l'article 1240 du code civil aux termes duquel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Partant, pour engager la responsabilité de la Sa S3V et de la commune de [Localité 3], le recteur doit rapporter, pour chacune, la preuve de la commission d'une faute en lien avec le dommage survenu.

En l'espèce, il est allégué un défaut de signalisation et de balisage ayant permis la survenance de l'accident, en ce qu'il a conduit la victime à emprunter une piste de ski au niveau de sa jonction avec la piste de luge, plutôt que de poursuivre sur cette dernière. Le recteur estime que cette situation est imputable à la Sa S3V et à la commune de [Localité 3], de sorte qu'elles lui doivent toutes les deux leur garantie.

L'allégation repose sur le compte-rendu d'événement concernant l'accident de luge rédigé et signé par l'équipe encadrant la sortie scolaire lequel rapporte : 'Le responsable du centre [Y] [P] ne s'explique pas l'accident. Il nous propose d'aller faire la descente en luge. M. [D] l'accompagne. Il constate avec prise de photos à l'appui qu'il y a un défaut de signalisation et que la très grande banderole indiquant la direction à prendre à l'intersection avec la piste de luge n'est pas présente. Il appelle les pisteurs afin de prévenir de ce défaut de signalisation qu'il faut résoudre rapidement afin de ne pas avoir un autre accident. Nous décidons de ne pas faire descendre la classe de 2nde 1 l'après-midi. Ils n'auront qu'une initiation sur l'espace dédié et redescendent en bus. Les élèves sont fortement déçus mais nous appliquons le principe de précaution car nous ne nous expliquons pas, à ce moment-là, cet accident'.

Il apparaît du dossier qu'aucun autre élément ne vient étayer les assertions figurant au compte-rendu précité.

Or, en application de l'article1363 du code civil d'après lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même, le seul compte-rendu rédigé par une partie à l'instance, ne constitue pas un élément de preuve susceptible de démontrer la commission d'une faute par la Sa S3V et par la commune de [Localité 3].

En l'absence de tout autre élément venant corroborer les faits décrits, comme des photographies datées, ou encore des rapports du service des pistes ou de gendarmerie, sans qu'il y ait lieu de statuer plus avant sur la nature des obligations incombant à la Sa S3V et à la commune de [Localité 3] dont aurait, le cas échéant, résulté un manquement fautif, la responsabilité tant de la Sa S3V et que de la commune de [Localité 3] recherchée par le recteur doit être écartée.

Par suite, le recours en garantie croisé entre la Sa S3V et la commune de [Localité 3] est sans objet.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné in solidum la Sa S3V et la commune de [Localité 3] à relever et garantir M. le recteur de l'académie de [Localité 8] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, et par suite a condamné la Sa S3V à garantir la commune de [Localité 3].

Sur les demandes accessoires

M. le recteur de l'académie de [Localité 8] succombant à l'instance, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné in solidum la Sa S3V et la commune de [Localité 3] à payer à M. le recteur de l'académie de [Localité 8] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en ce qu'il a également condamné la Sa S3V a payer à la commune de [Localité 3] la somme de 1 000 euros sur le même fondement, outre la condamnation de la Sa S3V aux entiers dépens de l'instance.

Statuant à nouveau, M. le recteur de l'académie de [Localité 8] sera condamné à supporter les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Scp Boniface Dakin et Associés.

Il sera en outre condamné à payer à la Sa S3V une somme qu'il est équitable de fixer à 2 500 euros pour la première, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- condamné in solidum la Sa S3V et la commune de [Localité 3] à relever et garantir M. le recteur de l'académie de [Localité 8] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, et par suite a condamné la Sa S3V à garantir la commune de [Localité 3] ;

- condamné in solidum la commune de [Localité 3] et la société des Trois Vallées à payer à M. le recteur de l'académie de [Localité 8] une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société des Trois Vallées aux entiers dépens de l'instance dont ceux comprenant les frais relatifs à l'expertise judiciaire, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Bourdon, avocat au barreau de Rouen, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau, et y ajoutant,

Déboute M. le recteur de l'académie de [Localité 8] de son recours en garantie contre la Sa Société des Trois Vallées - S3V et la commune de [Localité 3] ;

Condamne M. le recteur de l'académie de [Localité 8] à payer à la Sa Société des Trois Vallées - S3V la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. le recteur de l'académie de [Localité 8] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la Scp Boniface Dakin et Associés,

Le greffier, La présidente de chambre,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : 1ère ch. civile
Numéro d'arrêt : 23/01606
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;23.01606 ?
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