COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème Chambre Section 1
ARRÊT DU DIX HUIT MAI DEUX MILLE SIX
ARRÊT No
NoRG: 04/02599
Décision déférée du 19 Mai 2004 - Tribunal de Grande Instance d'ALBI - 01/778
DELEBOIS
Me X...
représentée par la SCP B. CHATEAU - O. PASSERA
C/
AXA COURTAGE
A.G.F. COURTAGE
représentées par la SCP SOREL-DESSART-SOREL
Société JURIDIQUE ET FISCALE DE FRANCE
représentée par la SCP BOYER-LESCAT-MERLE
GAN EUROCOURTAGE IARD
Compagnie MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD
représentés par la SCP RIVES-PODESTA
APPELANT(E/S)
Maître X... , liquidateur des SARL CINERGY, SA CONCEPT LOISIRS DETENTE, SCI MELODIE, SCI MURS FRAIS, SA EUROFRAIS, SCI LES COLONNES, SNC d'EXPLOITATION LE PARKING
...
81000 MAZAMET
représentée par la SCP B. CHATEAU - O. PASSERA, avoués à la Cour
assistée de Me SENTENAC, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME(E/S)
AXA COURTAGE
26, rue Louis Grand
75119 PARIS cédex 02
A.G.F. COURTAGE
87, rue de Richelieu
Case Postale A 211
75113 PARIS - cédex 02
représentées par la SCP SOREL-DESSART-SOREL, avoués à la Cour
assistées de Me Jean Louis ROINE, avocat au barreau de PARIS
Société JURIDIQUE ET FISCALE DE FRANCE - "FIDAL"
2 bis, rue de Villiers
92300 - LEVALLOIS PERRET
représentée par la SCP BOYER-LESCAT-MERLE, avoués à la Cour
assistée de Me Patrick de FONTBRESSIN, avocat au barreau de PARIS
GIE GAN EUROCOURTAGE IARD
anciennement dénommé GAN EUROCOURTAGE IA, venant aux droits et obligations de GAN EUROCOURTAGE COURCELLES, anciennement dénommé CGU COURTAGE, venant aux droits de l'ABEILLE ASSURANCES
4, 6, avenue d'Alsace
92033 - La Défense - cédex
représentée par la SCP RIVES-PODESTA, avoués à la Cour
assistée de la SCP ELKAIM-PAGANI-MONTERET-AMAR, avocats au barreau de PARIS
Compagnie MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD
1O, boulevard Alexandre Oyon
72030 LE MANS - cédex 9
représentée par la SCP RIVES-PODESTA, avoués à la Cour
assistée de Me PATRIMONIO, de la SCP RAFFIN, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
Après audition du rapport, l'affaire a été débattue le 05 Avril 2006 en audience publique, devant la Cour composée de :
J.P. SELMES, président
V. VERGNE, conseiller
C. BABY, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : A. THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par J.P. SELMES, président, et par A. THOMAS, greffier de chambre
Faits et procédure
M. Yvon C..., alors directeur du bureau de la société FIDAL à Albi, a prêté en tant que tel son concours à MM. D... et E..., dès 1986, pour la mise en place des structures juridiques nécessaires à la concrétisation de leur projet de création d'un complexe d'activités de loisirs à Albi. Cette opération a donné lieu à la création de la "ZAC des Temps Modernes" sur la friche industrielle de l'ancienne usine de la société du Saut du Tarn. La SARL CINERGY, créée à cet effet, a été placée en redressement judiciaire le 27 mars 1990, alors que le complexe avait commencé à fonctionner en avril 1989 seulement. La liquidation judiciaire a été prononcée le 29 mai 1990 et la date de cessation des paiements reportée, par jugement du 11 décembre 1990, au 27 mars 1989. Les autres sociétés créées par les mêmes personnes dans le cadre de la même opération ont également été mises en liquidation judiciaire entre avril et décembre 1990 pour 6 d'entre elles, et le 4 février 1992 pour la dernière, la SNC d'exploitation le Parking.
M. C... et la société FIDAL ont été poursuivis sur le fondement de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, et le tribunal de commerce d'Albi, par jugement du 12 novembre 1991, leur a reconnu cette qualité pour la SARL CINERGY, les condamnant solidairement à supporter la moitié du passif social. Ce jugement a été confirmé par la présente cour le 25 janvier 1993, et un pourvoi en cassation formé contre cet arrêt a été rejeté par la chambre commerciale de la Cour de Cassation selon arrêt du 14 mai 1996.
Le 18 juin 1993, Maître X..., es qualité de liquidateur judiciaire, a assigné FIDAL devant le tribunal de commerce de Nanterre en paiement de la somme de 40 millions de francs correspondant à la moitié du passif de l'ensemble des sociétés du groupe CINERGY, eu égard à la confusion des patrimoines décidée les 18 février et 10 mars 1992 par le tribunal de commerce d'Albi. Par jugement du 10 mai 1996, le tribunal a condamné FIDAL au paiement de 12 910 961 F, correspondant à la moitié du passif de la seule SARL CINERGY. Cette décision a été confirmée le 25 janvier 2001 par la cour d'appel de Versailles, au motif que la qualité de dirigeant de fait n'avait été reconnue à FIDAL que pour la seule société CINERGY ; elle a été exécutée.
Entre-temps, M. C... était poursuivi pour banqueroute, et condamné par jugement du tribunal correctionnel d'Albi, rendu par défaut et confirmé de même par la présente cour le 7 décembre 2000. Sur opposition, le jugement était encore confirmé par arrêt du 12 septembre 2002. Maître X..., qui s'était constituée partie civile es qualité, a obtenu à titre de dommages intérêts une somme de 4 672 162,20 €.
Par acte du 18 juin 2001, Maître X... a assigné la société FIDAL devant le tribunal de grande instance d'Albi, aux fins de voir reconnaître sa responsabilité de commettant de M. C..., sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil.
Le tribunal, par jugement du 19 mai 2004, a retenu la date du 16 janvier 1991 comme étant celle du point de départ de la prescription, et fait droit en conséquence à la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'article 2270-1 du Code civil, soulevée par la société FIDAL et ses assureurs.
Maître X... a relevé appel de cette décision par déclaration remise le 21 juin 2004 au greffe de la cour.
Moyens et prétentions des parties
L'appelante ne conteste pas l'application en l'espèce de l'article 2270-1 du Code civil, mais le point de départ de la prescription retenu par le tribunal, rappelant que ce point de départ est constitué par la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Elle considère qu'il n'est pas possible de retenir comme date de manifestation du dommage celle du 16 janvier 1991, à laquelle le procureur de la République a saisi le tribunal correctionnel à l'encontre de M. C... sur le fondement des articles 180, 184 et 185 de la loi du 25 janvier 1985 : à cette date, toutes les sociétés du groupe CINERGY n'étaient pas liquidées (la dernière procédure collective a été ouverte le 4 février 1992) et la confusion des patrimoines n'était pas prononcée (elle l'a été le 18 février 1992) tandis que l'information pour escroquerie, banqueroute, abus de biens sociaux, faux et usage n'a été ouverte à l'encontre de M. C... que le 15 mai 1992 pour l'ensemble des sociétés du groupe.
Par ailleurs, la date d'aggravation du dommage correspond à celle à laquelle le passif a été définitivement arrêté, après purge des contestations de créances. Cette situation n'a été acquise que le 22 décembre 1999, date de l'arrêté définitif des créances.
En outre, l'action à l'encontre du commettant se fonde sur la condamnation pénale de son préposé, et ne peut être engagée avant que celle-ci ne soit intervenue, en vertu du principe "contra non valentem agere, non currit praescriptio".
Elle considère que sa constitution de partie civile à l'encontre de M. C... a interrompu non seulement la prescription courant au bénéfice de celui-ci, mais également celle bénéficiant à son employeur, dont la responsabilité n'est que la conséquence de celle de son préposé. L'action contre FIDAL peut être considérée comme implicitement comprise dans celle engagée contre son préposé : elle a donc été suspendue pendant toute la procédure pénale.
Elle soutient ensuite que l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Versailles ne peut lui être opposée faute d'identité du préjudice à réparer ; il en est de même du principe de non cumul entre la responsabilité de droit commun et l'action en comblement de passif, qui ne vise que deux responsabilités du fait personnel, ou du caractère prétenduement détachable de ses fonctions des actes commis par son directeur, qui a agi dans le cadre de ses fonctions et avec les moyens mis à sa disposition par son employeur, lequel l'a d'ailleurs licencié en raison de l'usage fautif qu'il en avait fait et de sa négligence dans le recouvrement des honoraires facturés par lui à cette occasion. La responsabilité de FIDAL en tant que dirigeant de fait (faute personnelle) est distincte de sa responsabilité de commettant (responsabilité pour autrui), et le préjudice à réparer n'est pas le même dans les deux cas.
Elle rappelle que la constatation du délit de banqueroute vaut affirmation de l'existence d'un préjudice, dont l'appréciation relève des juges du fond. Ce préjudice correspond en l'espèce à la moitié du passif de CINERGY non indemnisée dans le cadre de l'action en comblement de passif, augmentée du passif des autres sociétés, ainsi que du passif né postérieurement au jugement déclaratif, et exclusivement constitué des conséquences de la défaillance des sociétés (salaires, résiliation des contrats, ...), donc imputable à l'infraction retenue. Ce préjudice, déjà déterminé par la cour dans le cadre de la procédure correctionnelle, doit être pris en charge par FIDAL pour le même montant, soit 4 672 162,20 €, à moins que la cour ne désigne un expert pour en fixer le quantum.
Elle demande en outre la condamnation de FIDAL à lui payer 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et celle des assureurs à lui payer sur le même fondement la somme de 3 000 €.
La société FIDAL maintient que la prescription est acquise : le dommage s'est réalisé en 1989 et 1990, et il s'est manifesté à Maître X... au plus tard par le biais de la requête du procureur de la République, en date du 16 janvier 1991. Il était dès lors certain, peu important son quantum et son évolution ultérieure. La confusion de patrimoines ne peut être qualifiée d'aggravation du dommage. L'évaluation de celui-ci est distincte de sa consistance.
Elle ajoute que la règle "contra non valentem" est d'interprétation stricte : le créancier doit démontrer qu'il n'a pu agir en raison d'une force majeure ou de l'ignorance de sa créance, ce qui n'est pas le cas de Maître X....
La prescription courant contre FIDAL n'a pu être suspendue par une procédure pénale dans laquelle elle n'a pas été attraite. Il aurait au moins fallu que Maître X... l'assigne devant la juridiction civile, qui aurait alors appliqué l'article 4 alinéa 2 du Code de procédure pénale. La nécessité de la constatation d'une faute pénale du préposé est un préalable à la condamnation du commettant, mais pas à sa mise en cause sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil. Le sursis au jugement n'est pas un sursis à l'action. D'ailleurs, la condamnation pénale n'interrompt pas la prescription de l'action civile.
Elle ajoute que l'interruption de la prescription est d'effet relatif, et l'action contre son préposé n'a pas interrompu la prescription courant au bénéfice de son commettant, resté hors de cause.
Elle considère ensuite que la demande présentée contre elle se heurte au principe de non cumul des actions en responsabilité délictuelle et en comblement du passif. Seule l'action en comblement de passif est ouverte aux créanciers antérieurs à la procédure collective (ou au liquidateur qui les représente). La Cour de Cassation ne distingue pas en effet selon que l'action est fondée sur l'article 1382 ou 1384 du Code civil.
Elle se heurte également à l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Versailles : elle vise en effet à lui faire supporter un passif dont cette cour a dit qu'il ne lui était pas imputable.
Elle s'insurge contre le procédé qui a consisté pour Maître X... à faire admettre son préjudice par la chambre correctionnelle de la présente cour hors sa présence, pour se servir ensuite à son encontre de la condamnation obtenue définitivement contre son salarié, évitant ainsi un débat contradictoire que rien ne lui interdisait de provoquer.
Subsidiairement au fond, elle estime que les agissements de son préposé n'engagent pas sa responsabilité, car ils relèvent d'un abus de fonction, ainsi que la chambre correctionnelle de la présente cour l'a noté dans ses deux arrêts successifs, mettant en évidence que l'intéressé se comportait comme le dirigeant de droit de CINERGY, ce qui ne correspondait ni à ses fonctions, ni à des instructions reçues de son commettant.
Plus subsidiairement, elle observe que le préjudice dont il lui est demandé réparation n'a pas été discuté par M. C..., raison pour laquelle la cour a fait droit à la demande de Maître X.... Mais la condamnation ainsi intervenue hors sa présence lui est inopposable, et elle demeure en droit de contester qu'il s'agisse là du préjudice imputable à la banqueroute. Il ressort en effet de l'arrêt pénal que l'infraction de banqueroute a été commise au préjudice de la seule société CINERGY : il ne peut donc correspondre au passif confondu de l'ensemble des sociétés, et le passif de CINERGY est déjà indemnisé par le biais de l'action en comblement de passif. Les créances "article 40", qui sont imputables à la gestion de Maître X... elle-même, ne peuvent être mises à la charge de FIDAL. La somme de 1 000 000 F demandée en réparation du retard mis par M. C... et la société FIDAL à réparer le préjudice n'a aucun lien de causalité avec l'infraction. Il en est de même des honoraires engagés dans le cadre des procédures initiées par Maître X..., qui relèvent de l'article 700 ou des dépens, et du retard subi par les créanciers dans leur indemnisation, qui résulte seulement de l'arrêt du cours des intérêts prévu par la loi sur les procédures collectives.
Encore plus subsidiairement, ses assureurs doivent la relever et garantir d'une éventuelle condamnation, sans pouvoir lui opposer l'autorité de la chose jugée par la cour d'appel de Versailles : leur garantie a été exclue dans ce cadre car les poursuites étaient fondées sur sa qualité personnelle de dirigeant de fait, et non sur sa qualité de commettant de M. C.... Leur garantie est due sur le fondement de l'article L 121-2 du Code des assurances, qui est d'ordre public : il est constant qu'en pareille hypothèse, l'assureur ne peut échapper à sa fonction sociale en invoquant l'article L 113-1 du même code. Les assureurs ne peuvent davantage soutenir que les faits reprochés à son préposé ne faisaient pas partie des activités garanties, alors qu'ils leur étaient annexes et connexes, et qu'il ne peut lui être opposé une exclusion de garantie limitée et formelle, conformément à la loi.
A titre reconventionnel, elle demande 1 € de dommages intérêts pour appel abusif, tenant le caractère évident de l'irrecevabilité retenue par le tribunal. Elle demande enfin 30 000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles.
Les compagnies AXA Courtage et AGF Courtage, assureurs en première et troisième lignes, considèrent que les faits reprochés à leur assuré correspondent à l'exercice d'une activité commerciale que sa qualité de conseil juridique lui interdisait. Elles rappellent que la cour d'appel de Versailles a débouté leur assurée des demandes d'indemnisation formées à leur encontre, et que la Cour de Cassation a rejeté et jugé abusif le pourvoi formé contre cette décision.
Elles observent que Maître X... ne forme aucune demande à leur encontre, de sorte que le rejet des prétentions de FIDAL rendra l'appel en garantie formée par celle-ci à leur encontre sans objet.
Sur le fond, elles s'associent aux conclusions de leur assurée, dans la mesure où elles tendent au rejet des demandes de Maître X..., observant que l'étendue exacte du préjudice était mesurable dès le jugement du 12 novembre 1991, qui citait les filiales dont 80 % au moins du capital était détenu par CINERGY, parmi lesquelles la SNC d'exploitation de parking. L'assignation du 18 juin 1993 devant le tribunal de commerce de Nanterre faisait déjà état de la confusion du patrimoine de l'ensemble des sociétés : l'état des créances n'était pas encore arrêté, mais le préjudice était déjà déterminé et il ne s'est plus aggravé, et aucune impossilibité d'agir n'existait.
En outre, l'action en responsabilité civile ne se cumule pas avec l'action en comblement du passif, selon une jurisprudence constante.
A titre très subsidiaire, l'appel en garantie est irrecevable, l'exclusion de garantie invoquée dans l'instance suivie devant la cour d'appel de Versailles ayant été accueillie par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée.
A titre infiniment subsidiaire, leur garantie est limitée aux activités autorisées, alors que les faits reprochés au préposé de FIDAL relèvent de pratiques professionnelles prohibées par les articles 47 et 54 du décret du 13 juillet 1972, pratiques qu'elle a elle-même avalisées, ce qui a justifié sa condamnation et lui interdit de se prévaloir de l'exception à la clause d'exclusion prévue à la police pour le cas où ses dirigeants auraient ignoré les pratiques interdites d'un préposé. L'article L 121-2 du Code des assurances, invoqué par FIDAL pour la première fois en cause d'appel, ne s'applique pas au-delà des activités assurées et de l'objet de la garantie tels qu'ils résultent des articles 3 et 4 de la police.
Si, par extraordinaire, la cour faisait droit aux demandes de FIDAL, il conviendrait de limiter le recours de celle-ci aux capitaux garantis en tenant compte de la franchise.
Elles demandent enfin la condamnation de FIDAL, ou, le cas échéant, de Maître X..., à payer à chacune d'entre elles une somme de 6 000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles.
La compagnie Mutuelle du Mans assurance, assureur en deuxième ligne, conclut à titre principal à la confirmation sur la prescription de l'action, et subsidiairement fait siennes les conclusions de FIDAL tendant à la voir déclarer irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée ou à la règle du non cumul des responsabilités, ou à l'abus de fonctions du préposé.
Subsidiairement, la demande en garantie de son assuré est irrecevable, comme se heurtant à la chose jugée par l'arrêt rendu 25 janvier 2001 par la cour d'appel de Versailles, à savoir que les actes de FIDAL et son préposé n'entraient pas dans les garanties souscrites.
En tout état de cause, elle est mal fondée : sa propre garantie n'a vocation à être mise en oeuvre qu'une fois épuisée la garantie de première ligne, ce qui suppose que celle-ci ait eu vocation à jouer.
Elle ne vaut ensuite que pour les activités exercées conformément au décret du 13 juillet 1972, de sorte que les agissements irréguliers au regard de ce texte, tels ceux commis par M. C..., ne sont pas garantis, indépendamment du fondement de l'action. La police comporte en outre une clause d'exclusion expresse en cas de dommage résultant d'une activité interdite aux conseils juridiques par le décret réglementant leur activité, ce qui est précisément le cas des activités de direction d'entreprise reprochées à FIDAL et à son préposé. L'article L 121-2, qui n'a vocation à s'appliquer que lorsque le préposé agit à l'insu de son commettant, ne peut lui être opposé en l'espèce.
Elle rappelle ensuite à titre infiniment subsidiaire les limites de sa garantie en montant, et demande 4 000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles.
La compagnie GAN Eurocourtage, assureur de quatrième ligne, déclare s'associer aux conclusions de FIDAL en ce qu'elles visent déclarer prescrite l'action de Maître X..., et donc à la confirmation du jugement, ou à la déclarer mal fondée au regard de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil, et donc à l'irrecevabilité de l'action.
Elle conclut ensuite à l'irrecevabilité de l'appel en garantie régularisé par FIDAL à son encontre : outre que sa propre police renvoie à la police de première ligne pour la définition des activités assurées, ses conditions générales excluent également "les dommages résultant d'une activité de l'assuré non conforme à celle indiquée aux conditions particulières". Les conditions d'ouverture de la garantie ne sont donc pas remplies au cas présent, et elles entrent même dans le cadre de la clause d'exclusion. Elle conclut donc à titre infiniment subsidiaire à sa mise hors de cause, demandant 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur quoi
Le tribunal a jugé l'action prescrite, et les parties s'opposent d'abord devant la cour sur la détermination du point de départ de la prescription, étant observé que le fondement de celle-ci, à savoir l'article 2270-1 du Code civil, et son caractère décennal, qui en résulte, ne sont pas discutés.
Ce texte fixe à la date de "manifestation du dommage" ou à celle de son aggravation le point de départ de la prescription. Il convient donc de déterminer à quelle date le dommage causé par les agissements délictueux de M. C... s'est "manifesté" à Maître X..., demanderesse à l'action en responsabilité civile.
La nature même du dommage n'est pas discutée : il s'agit de l'insuffisance d'actif résultant des agissements du dirigeant de fait, M. C..., que l'article L 626-2 du Code de commerce retient comme constitutifs du délit de banqueroute.
Or, un tel dommage était nécessairement "manifeste" pour Maître X... es qualité dès qu'il lui est apparu que l'actif de la ou des sociétés qu'elle avait reçu mission de liquider était très insuffisant au regard du passif déclaré : compte tenu des délais fixés pour la réalisation de l'inventaire et la déclaration des créances, le dommage apparaît nécessairement dans les mois qui suivent l'ouverture de la procédure collective.
Ce dommage, constitué par hypothèse pendant la période qui a précédé le jugement déclaratif, est donc rapidement manifeste pour la personne qui a la charge de déterminer le passif à apurer, même s'il n'est pas fixé avec précision, par exemple parce qu'une société du "groupe" (dont l'un des assureurs concluants relève que son passif était de l'ordre de 400 €) est encore in bonis, ou, plus sérieusement, parce que l'état des créances, qui fixe l'étendue exacte du passif à apurer, n'est pas encore définitivement arrêté.
Ce dommage, qui ne peut résulter que de l'action du dirigeant à la tête de l'entreprise, est nécessairement définitivement réalisé et insusceptible d'aggravation dès l'ouverture de la liquidation judiciaire, qui le dessaisit : la seule chose qui peut ensuite évoluer est la connaissance et la détermination exacte de l'étendue du dommage par les organes de la procédure, le ministère public et les juridictions d'instruction ou de jugement. Il n'est pas expliqué à la cour comment le dommage subi par les créanciers de la SNC d'exploitation de parking a pu connaître une aggravation entre l'ouverture de la procédure collective de Cinergy et celle de la SNC elle-même, justifiant que le point de départ de la prescription soit retardé jusqu'à ce que cette "aggravation" devienne manifeste pour le liquidateur.
Ni la confusion de patrimoines, ni l'arrêté définitif de l'état des créances ne peuvent être considérés comme des "aggravations" au sens de l'article 2270-1 du Code civil. Ces événements sont sans effet sur le dommage, déjà constitué et manifeste, ils permettent seulement de l'envisager de manière unitaire, ou d'en fixer dénitivement le quantum. Maître X... fait référence aux contestations de créances comme éléments affectant le dommage : mais ces contestations, lorsqu'elles aboutissent, diminuent l'étendue du dommage en minorant le passif à apurer, et ne peuvent donc être qualifiées d'"aggravations" au sens de l'article 2270-1 du Code civil. Lorsqu'elles sont rejetées, elles sont simplement sans effet sur le dommage.
Il apparaît donc bien que la date du 16 janvier 1991, à laquelle le ministère public exposait la connaissance qu'il avait de l'existence d'un dommage et de son imputabilité tant à M. C... qu'à l'employeur de celui-ci doit être considérée comme la date la plus tardive au-delà de laquelle Maître X... ne pouvait plus ignorer son droit à agir à l'encontre de FIDAL : les faits susceptibles de caractériser la banqueroute étaient identifiés, sa qualité de commettant de M. C... était connue, et dès lors la possibilité d'agir à son encontre, soit devant la juridiction pénale en tant que civilement responsable des agissements de son préposé, soit devant la juridiction civile en tant que commettant de celui-ci lui était ouverte.
L'article 4 du Code de procédure pénale pose le principe d'un sursis au jugement de l'action engagée devant la juridiction civile, mais non d'un sursis à l'action elle-même : l'action doit précisément être engagée pour empêcher la prescription de courir à l'encontre du demandeur, à charge pour la juridiction de surseoir à statuer conformément à la loi.
Maître X... n'est en mesure d'invoquer pour justifier son inaction aucune des causes de suspension de la prescription envisagées limitativement par les articles 2251 et suivants du Code civil : le jugement déclaratif lui avait conféré qualité et capacité pour agir au nom et pour le compte tant des sociétés objet de la procédure collective que des créanciers de celles-ci, et la nature de cette fonction lui interdit en outre de prétendre qu'elle a pu ignorer légitimement son droit. Aucun cas de force majeure de nature à empêcher la prescription de commencer à courir n'est identifié dans les écritures présentées à la cour. Il n'est pas davantage soutenu que seraient intervenus en l'espèce des actes de procédure pénale nuls, donc insusceptibles d'interrompre la prescription, mais constituant un obstacle de droit mettant Maître X... dans l'impossibilité d'agir. Soutenir que la condamnation du préposé était un préalable nécessaire à l'engagement de l'action contre le civilement responsable est directement contraire aux principes posés par les articles 3 et 4 du Code de procédure pénale.
Il n'est pas davantage justifié d'une cause d'interruption de la prescription correspondant à l'un des cas envisagés par les articles 2242 et suivants du Code civil ; en particulier, la constitution de partie civile à l'encontre du préposé n'a pas interrompu la prescription courant pour les mêmes faits en faveur du commettant : s'il est exact qu'un acte interruptif de prescription, dans le cadre d'une instruction pénale, a effet à l'égard de tous les prévenus et de toutes les victimes, cette règle ne concerne en rien le civilement responsable, qui par hypothèse n'est ni auteur ni victime des faits instruits. L'article 2249 du Code civil ne peut être utilement invoqué dans le contexte du présent dossier.
C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que la prescription était acquise en l'espèce, et sa décision sera confirmée.
Il n'y a pas lieu dès lors de statuer sur les autres fins de non recevoir invoquées, et a fortiori sur le fond et les actions en garantie visant les assureurs.
En l'état d'une confirmation, et compte tenu des circonstances du dossier, Maître X... es qualité devra être condamnée à indemniser de ses frais irrépétibles la société FIDAL, qui elle-même devra indemniser les assureurs qu'elle a appelés en cause.
Il n'y a pas lieu en revanche de faire droit à la demande de dommages intérêts pour appel abusif présentée par FIDAL : le volume et la teneur des pièces et écritures échangées établissent le sérieux du débat, dont l'enjeu était par ailleurs conséquent, et qui nécessitait une interprétation des textes invoqués.
Par ces motifs,
La cour,
Recevant Maître X... en son appel,
L'en déboute,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,
Ajoutant au jugement,
Condamne Maître X... es qualité de liquidateur des sociétés Cinergy et autres à payer à la SA FIDAL une somme de 10 000 € (dix mille euros) en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel,
Condamne la SA FIDAL à payer à chacune des compagnies AXA Courtage, AGF Courtage, GAN Eurocourtage et Compagnie Mutuelle du Mans Assurances une somme de 4 000 € (quatre mille euros) en indemnisation des frais irrépétibles exposés par elles en cause d'appel,
Condamne Maître X... es qualité à supporter, outre les dépens exposés par elle en qualité d'appelante, ceux exposés par la SA FIDAL,
Condamne la SA FIDAL à supporter les dépens exposés en cause d'appel par les compagnies d'assurances qu'elle a attraites en la cause,
Dit que les avoués de la cause seront le cas échéant autorisés à se prévaloir de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Le Greffier Le Président