16/01/2008
ARRÊT No19
No RG : 06/05111
CC/MB
Décision déférée du 04 Octobre 2006 - Conseil de Prud'hommes de FOIX - 04/00146
BONZOM
Fernand X...
C/
S.A. ALCAN
CONFIRMATION PARTIELLE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 1 - Chambre sociale
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ARRÊT DU SEIZE JANVIER DEUX MILLE HUIT
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APPELANT
Monsieur Fernand X...
Cité la Vexane
09220 AUZAT
représenté par la SCP SABATTE-BROOM-L'HOTE, avocats au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
S.A. ALCAN
7 place du chancelier Adenauer
75218 PARIS CEDEX 16
représentée par la SCP GOGUYER-LALANDE DEGIOANNI, avocats au barreau D'ARIÈGE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2007, en audience publique, devant la Cour composée de:
B. BRUNET, président
C. PESSO, conseiller
C. CHASSAGNE, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : P. MARENGO
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile
- signé par B. BRUNET, président, et par P. MARENGO, greffier de chambre.
FAITS ET PROCÉDURE :
Embauché à compter du 6 septembre 1966 en qualité d'ouvrier au service aluminium par la société PECHINEY devenue la société ALLUMINIUM PECHINEY, aux droits de laquelle intervient la société ALCAN , Fernand X... était licencié pour motif économique par lettre du 31 mars 2004, en raison de la fermeture de l'usine d'Auzat où il était affecté.
Le 12 juillet 2004, il saisissait le conseil de prud'hommes de Foix pour contester l'ensemble de la procédure ayant présidé à son licenciement et réclamer des dommages et intérêts.
Par jugement de départition en date du 4 octobre 2006, le conseil, constatant que la société ALCAN ne produisait aucune pièce pour démontrer que la fermeture de l'usine était justifiée, jugeait le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnait l'employeur à payer au salarié la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que 600 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
En revanche, le conseil estimait que les parties n'étaient liées par aucune clause de garantie d'emploi et que le licenciement n'avait pas été prononcé en raison de l'âge de Fernand X... ou de son état de santé.
Par lettre recommandée expédiée le 30 octobre 2006 et par déclaration faite au greffe le 31 octobre, la société ALUMINIUM PECHINEY et Fernand X... interjetaient successivement appel de cette décision à hauteur de leur succombance.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société ALCAN demande à la Cour de réformer le jugement entrepris pour dire et juger que le licenciement de Fernand X... repose sur une cause réelle et sérieuse , débouter celui-ci de toutes ses demandes ou, subsidiairement de confirmer le jugement sur le montant des dommages et intérêts.
Elle conteste le caractère discriminatoire du licenciement et indique qu'elle n'avait pas connaissance du dossier médical et de la qualité de travailleur handicapé de Fernand X... avant la rupture.
Sur le fond, elle indique que :
-la fermeture de l'usine d'AUZAT était inéluctable ce qui a entraîné la suppression du poste du demandeur.
-Fernand X... a bénéficié du dispositif de préretraite CASAIC auquel il n'a souhaité adhérer
-Un poste de reclassement assorti de mesures d'accompagnement lui a été proposé à Dunkerque et il l'a refusé
-Le salarié n'a pas non plus cherché à obtenir l'aide de l'antenne emploi pour un reclassement.
-
Subsidiairement, elle relève le caractère exorbitant et non justifié des réclamations du salarié.
Fernand X... demande à la Cour, à titre principal, de juger que son licenciement est nul, et, subsidiairement, qu'il est sans cause réelle et sérieuse, de condamner sur l'ensemble de ces fondements la société ALCAN à lui payer 200.000 euros à titre dommages et intérêts ainsi que 2000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il prétend avoir été licencié en raison de son âge car, partant du principe qu'il aurait dû accepter de partir en préretraite, la société ALCAN n'a pas sérieusement cherché à le reclasser.
Il considère que l'employeur ne justifie pas du motif économique visé dans la lettre de licenciement et surtout, qu'il n'a pas respecté le PSE en matière de reclassement.
SUR QUOI :
Attendu que la lettre de licenciement notifiée à Fernand X..., dont les termes fixent les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :
« …Créée en 1907, l'usine d'Auzat appartient la société ALUMINIUM PECHINEY et fait partie du groupe d'exploitation Métal Primaire Europe ALCAN. Elle produit, à l'aide de cuves d'électrolyse, d'une fonderie et d'ateliers périphériques, environ 50 kt d'aluminium primaire par an.
Malgré les investissements dont elle a, jusque récemment, bénéficié, l'usine d'Auzat est devenue vétuste et se trouve confrontée à plusieurs séries de handicaps devenus insurmontables.
D'un point de vue économique, elle a dû subir la baisse du prix de l'aluminium exprimé en euros, tel qu'il ressort du « LME » (London Metal Exchange) qui a affecté ses résultats pour l'année 2002. Le « cash flow » de l'usine est ainsi devenu négatif en 2002 (-3M Euros) ; cette baisse s'est accentuée en 2003 compte tenu de l'évolution du prix de l'aluminium et de la parité euro/dollar.
Elle se trouve en outre confrontée à l'arrivée à terme du contrat d'alimentation électrique à bas prix, conclu avec EDF il y a plusieurs années. EDF a annoncé un projet de renchérissement de ses prix de près de 60%.
Les coûts de production de l'usine, très élevés, ne lui permettent pas de faire face à cette évolution et la placent dans une situation concurrentielle très défavorable, par rapport à d'autres usines plus modernes.
Une rénovation totale de l'usine n'est pas envisageable compte tenu de son coût exorbitant et de l'impossibilité, même à terme, de revenir à des résultats positifs permettant son financement.
Après consultation des instances représentatives du personnel, il a donc été décidé de la fermer.
Cette fermeture contribuera en outre au rétablissement de la compétitivité et de la situation économique du groupe d'exploitation Métal Primaire Europe d'ALCAN car elle permettra de concentrer les investissements sur des usines plus modernes seules à même de faire face à la concurrence de plus en plus vive, émanant notamment des pays d'Asie.
Cette réorganisation conduit à la suppression du poste de Pilote confirmé magasin que vous occupiez au sein de l'usine d'Auzat.
Afin d'éviter votre licenciement nous avons activement recherché toutes les possibilités de reclassement au sein de l'ancien groupe PECHINEY. En particulier nous vous avons proposé, par lettre recommandée avec AR, le 26 février 2004, un poste d'agent magasin à la journée au service achat de l'usine de Dunkerque et vous avez décliné cette proposition.
Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour motif économique ….. » ;
Attendu qu'aux termes de l'article L 321-1 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou encore d'une modification du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, ou à une réorganisation, soit liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, soit nécessaire pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel appartient celui-ci, et en justifiant de l'incidence précise de ces problèmes sur le poste, sur l'emploi personnel du salarié.
Attendu qu'en cause d'appel, l'employeur produit le rapport établi en vue de la consultation du comité d'entreprise en application de l'article L432-1 du code du travail, le cours du prix de l'aluminium sur le marché LME, le rapport établi par le cabinet Groupe Alpha à la demande du comité d'entreprise et les comptes rendus des réunions extraordinaire du dit comité des 24 février et 8 avril 2003 ; que ces documents confirment les éléments énoncés dans la lettre de licenciement , tant sur la vétusté de l'usine d'Auzat (l'atelier d'électrolyse à d'ailleurs été fermé prématurément pour des raisons de sécurité à compter du 19 mars 2003 à la demande de l'inspection du travail) et ce malgré des investissements importants effectués jusqu'en 2002, que sur le coût de l'énergie dans le contexte particulier du processus de libéralisation des marchés au niveau européen et du contrôle renforcé de la commission européenne sur le monopole d'EDF qui l'obligeait désormais à répercuter sur ses clients le prix réel de l'électricité et des taxes y afférentes , que sur l'évolution du cours de l'aluminium dont le prix n'a effectivement cessé de baisser depuis l'année 2000 ce qui rendait le CBU (coût brut usine ) de l'aluminium produit par l'usine d'Auzat de moins en moins concurrentiel et augmentait le déficit de celle-ci ;
Que partant, la fermeture définitive de l'usine, dont la réalité n'est pas discutée et la suppression du poste de Fernand X... qui en découlait nécessairement, constituait bien une cause économique de licenciement ;
Attendu que Fernand X... ne démontre pas que son licenciement, qui a été collectif et non individuel , présente un caractère discriminatoire ; que le dossier médical qu'il produit étant personnel et confidentiel, l'employeur n'en a eu connaissance que par sa production dans le cadre de la présente instance; que par ailleurs, ces pièces ne confirment pas l'existence d'une rechute d'accident du travail en 2003 ; qu'en revanche, la Cour relève que la notification de la décision d'attribution d'une rente lui reconnaissant un taux d'incapacité de 15% est du 3 décembre 1984, et qu'après cette date, le médecin du travail l'a, à de nombreuses reprises, reconnu apte à son poste ; qu'il ne justifie pas d'avoir informé avant le mois de juin 2004, son employeur de son classement COTOREP ; que la seule mention de son refus d'adhérer à la Casaic qui figure dans le courrier du 25 février 2004 ,par lequel un poste de reclassement à Dunkerque lui est proposé, ne démontre pas que l'employeur lui a tenu rigueur de ce refus en raison de son âge; que c'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que le caractère discriminatoire du licenciement n'était pas établi ;
Attendu toutefois, que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise voire, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient ; que les offres de reclassement doivent être écrites et précises ;
Qu'en l'espèce, il est constant qu'une seule offre de reclassement a été proposée à Fernand X... à Dunkerque pour un poste d'agent de magasin à la journée au service achat pour un salaire de 1703 euros par mois et 272,50 euros d'ancienneté, soit disant identique à celui que le demandeur percevait à AUZAT alors qu'au vu des bulletins de salaire produits, la Cour constate que Fernand X... percevait en outre à Auzat une prime « ancien poste » de 141,95 euros dont il n'est pas question dans cette offre de reclassement ;
Que pourtant, dans le Plan de Sauvegarde de l'Emploi, l'employeur s'engageait (page9) à présenter à chaque salarié dont le poste serait supprimé au moins une offre dans les établissements de la société ou du groupe et une offre à l'extérieur du Groupe en cas de refus de la précédente ; que d'autre part, il était prévu (page 10) que les salariés d'Auzat, de Sabart et de Compiègne, de plus de 50 ans (ce qui était le cas de Fernand X... âgé de 59 ans au jour de son licenciement), se verraient proposer en priorité les postes libérés à Lannemezan et Gardanne par le départ d'agents en CASAIC ;
Que force est de constater que la société ALCAN venant aux droits de la société ALLUMINIUM PECHINEY ne justifie pas que ces engagements ont été respectés ; que dès lors il faut considérer qu'en proposant à Fernand X... un seul poste à mille kilomètres de son domicile, l'employeur n'a pas respecté loyalement son obligation de reclassement ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Qu'en revanche, le jugement sera réformé sur le montant des dommages et intérêts alloués à Fernand X... ; qu'au regard des éléments suffisants dont la Cour dispose la société ALCAN venant aux droits de la société ALLUMINIUM PECHINEY sera condamnée à lui payer 100.000 euros (cent mille) en application de l'article L122-14-4 du code du travail ;
Attendu que la société ALCAN assumera les dépens d'appel et sera en outre condamnée à verser au demandeur la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement de départition rendu le 4 octobre 2006 par le conseil de prud'hommes de FOIX sauf sur le montant de l'indemnité allouée à Fernand X... en application de l'article L 122-14-4 du code du travail,
Le réformant de ce chef et y ajoutant,
Condamne la société ALCAN venant aux droits de la société ALLUMINIUM PECHINEY à payer à Fernand X... les sommes de :
-100.000 ( cent mille) euros de dommages et intérêts,
-2.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la société ALCAN aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par monsieur BRUNET, président et madame MARENGO, greffier.
Le greffier,Le président,
P. MARENGOB. BRUNET