18 / 06 / 2008
ARRÊT No
No RG : 07 / 03689
MH / MB
Décision déférée du 15 Septembre 2005- Conseil de Prud'hommes de TOULOUSE-04 / 01718
V. BARON
Claude X...
C /
Société RÉGIONALE GRAPHIQUE
INFIRMATION
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème Chambre Section 1- Chambre sociale
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ARRÊT DU DIX HUIT JUIN DEUX MILLE HUIT
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APPELANT
Monsieur Claude X...
...
31320 CASTANET TOLOSAN
comparant en personne, assisté de la SCP CABINET DARRIBERE, avocats au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
Société RÉGIONALE GRAPHIQUE
1 rue Borde Basse
ZA La Violette
31240 L UNION
représentée par Me ALTIJ, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Mai 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :
B. BRUNET, président
M. P. PELLARIN, conseiller
M. HUYETTE, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : P. MARENGO
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par B. BRUNET, président, et par P. MARENGO, greffier de chambre.
Monsieur X...a été embauché le 1er octobre 1966 par l'imprimerie ESPIC, reprise ensuite par la Sarl SOCIETE REGIONALE GRAPHIQUE (SRG) en décembre 2000.
Il a été placé en arrêt maladie de novembre 2001 à novembre 2003.
Lors des visites médicales de reprise, le médecin du travail a successivement conclu :
« Une inaptitude à son poste est à prévoir » (visite du 27 octobre 2003)
« Inapte à son poste ainsi qu'à tout poste dans l'entreprise » (visite du 14 novembre 2003).
Monsieur X...a été licencié par lettre du 12 décembre 2003 en ces termes :
" Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le mercredi 10 décembre 2003 et nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour le motif évoqué au cours de ce dernier, à savoir :
- inaptitude physique à tous les postes de l'entreprise et impossibilité de reclassement.
En effet, à la suite de la première visite médicale du 27 octobre 2003, le médecin du travail a estimé qu'une inaptitude physique à votre poste était à prévoir et vous avez été reconvoqué pour une deuxième visite de reprise le 14 novembre 2003.
Compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il a formulées sur votre inaptitude à l'issue de la première visite de reprise, nous avons invité la médecin du travail à venir constater par elle- même la matérialité des postes existants dans notre entreprise, afin d'apprécier au mieux les possibilités de votre reclassement.
Lors de sa visite dans nos locaux le 6 novembre, nous avons établi avec le médecin du travail un descriptif des postes existants au sein de l'entreprise, en indiquant pour chaqun les compétences professionnelles exigées et les contraintes physiques afférentes et ce afin d'envisager toutes les possibilités de reclassement au sein de notre entreprise au besoin par un aménagement ou une mutation des postes existants.
A l'issue de cet entretien, le médecin du travail a estimé qu'aucun poste n'était adapté ni adaptable à votre inaptitude et nous a indiqué que vous seriez considéré comme inapte à votre poste et à tous les postes de l'entreprise.
Lors de la seconde visite qui s'est déroulée le 14 novembre 2003, le médecin du travail vous a déclaré inapte à tous les postes de l'entreprise et a confirmé l'impossibilité de votre reclassement même par le biais d'aménagement de postes au sein de notre société.
Par courrier daté du 27 novembre 2003, le médecin du travail nous a confirmé que votre inaptitude à tous les postes de l'entreprise était définitive.
Dans ces conditions, nous sommes contraint de vous notifier par la présente votre licenciement en raison de votre inaptitude physique à tous les postes de l'entreprise et de l'impossibilité d'un quelconque reclassement, confirmé par les services de la médecine du travail.
Dans la mesure où vous n'êtes pas à même d'exécuter le préavis, la date de la première présentation de cette lettre fixera la date de rupture de votre contrat de travail (...) ".
Monsieur X...a saisi le Conseil de prud'hommes afin de faire juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'obtenir des dommages- intérêts à ce titre.
Par jugement du 15 septembre 2005, le Conseil a rejeté ses demandes.
Devant la Cour, Monsieur MARTY qui a repris oralement ses conclusions écrites soutient que son employeur s'est comporté de façon déloyale avec lui ce qui a entraîné lé détérioration de son état de santé et son inaptitude, qu'il en rapporte la preuve par le versement d'un certificat médical et d'attestations, que dès lors la rupture du contrat de travail est imputable à la société SRG.
Il demande 40. 000 euros de dommages- intérêts.
La société SRG qui a également repris oralement ses conclusions écrites répond que jusqu'en 2001 Monsieur X...ne lui a jamais adressé de grief, qu'un courrier de novembre 2001 confirme l'évolution normale de son activité, qu'il n'y a jamais eu aucun harcèlement, que les attestations versées au débat sont de complaisance, que rien ne prouve que la dégradation de son état de santé soit liée au travail, que son inaptitude a été constatée par la médecine du travail, que son licenciement était justifié.
Elle conclut à la confirmation du jugement et demande la condamnation de Monsieur X...à lui verser 20. 000 euros de dommages- intérêts en réparation du préjudice subi par les allégations diffamatoires portant atteinte à la probité et à l'honnêteté de Monsieur B....
Motifs de la décision :
Selon les termes de l'article L 122-49 (devenu l'article L 1152-1) du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
* En l'espèce, il ressort des documents produits d'abord que par lettre du 16 novembre 2001 la société SRG a fait savoir à Monsieur MARTY qu'elle regrettait qu'il ait refusé de se joindre au personnel à qui avait été confiée le 14 une tâche urgente (reconditionnement de 500. 000 documents) nécessitant la participation de tous.
Monsieur X...a fait connaître son avis par lettre du 22 novembre, affirmant n'avoir pas été au courant de cette demande.
L'employeur lui a répondu par lettre du 5 décembre qu'il ne pouvait pas ignorer l'activité des autres membres du personnel le 14, et qu'il considérait qu'en fait il n'avait aucune envie de rester sur place à aider.
Le 13 décembre Monsieur X...a écrit pour confirmer qu'il n'était pas au courant d'une demande de travail complémentaire, et a écrit : « Donc par la présente je vous demande de cesser immédiatement votre harcèlement moral par courrier interposé qui donne suite à votre comportement agressif à mon encontre sur le lieu de travail depuis le début de l'année 2001 ».
Toutefois, les courriers adressés au salarié par l'employeur ne contiennent aucune mention inacceptable, font état d'un point de vue à propos du manque de soutien à l'occasion d'un surcroît exceptionnel de travail, et ne peuvent être considérés comme des actes de harcèlement fautifs.
* Monsieur X...produit ensuite une lettre présentée comme émanant de son médecin psychiatre traitant le docteur C...et adressée le 25 juin 2003 au médecin du travail, dans laquelle il est écrit :
« J'ai vu en consultation Monsieur X...(..). Il est en arrêt de travail depuis novembre 2001 pour un syndrome anxiodépressif (..).
Selon Monsieur X...ce syndrome anxiodépressif est en rapport avec une souffrance au travail. Cette souffrance est apparue suite à la reprise de l'entreprise par de nouveaux directeurs. Il décrit que le management et les conditions de travail sont alors nettement changées. Ainsi il rapporte que les techniques de management utilisent la pression, l'agressivité, la menace (des baisses de salaire, des licenciements..). (..)
Il me semble que la souffrance de Monsieur X...est authentique et qu'elle peut être en rapport avec des difficultés importantes au travail. Tout retour dans l'entreprise serait néfaste pour l'état psychique de Monsieur MARTY qui à côté de cette symptomatologie psychiatrique souffre d'autres problèmes de santé.
En conclusion je propose une inaptitude médicale à tout poste dans l'entreprise ».
* Monsieur X...produit également trois attestations dans lesquelles il est écrit :
« J'atteste avoir personnellement assisté à des attitudes injurieuses de la part de Monsieur Richard B...envers ses subordonnés. Il a à plusieurs reprises proféré des propos humiliants audibles de tous les employés de la société dans laquelle je travaillais à l'attention de certains de ses collaborateurs jusqu'à ce que ceux- ci quittent l'entreprise » (attestation ESCUDIE)
« J'atteste avoir personnellement constaté du 1er décembre 2000 au 31 mars 2001 les faits suivants : harcèlement moral répété envers certains employés de l'imprimerie ESPIC dont moi- même et Claude X...entre autre. Ce dernier en janvier 2001 mis au courant de l'intention de Monsieur B...directeur de la société SRG de changer nos horaires de travail et de baisser nos salaires a téléphoné à l'inspection du travail pour savoir si ce procédé était légal. Moins de 24 heures plus tard Monsieur B...informé par un contact à l'inspection du travail a déboulé dans l'atelier où travaillait Monsieur X..., il l'a traité de tous les noms, l'a menacé de licenciement et lui a dit « je vais vous casser ».
(...)
En novembre 2001 Monsieur MARTY m'a téléphoné pour me raconter que Monsieur B...leur avait dit à lui et à ma collègue que les Espic c'est à dire les anciens employés de l'imprimerie travaillaient comme des arabes. Pour avoir vécu pendant quatre mois cet enfer je pourrais en raconter d'autres car le harcèlement oral était journalier. Sans arrêt les phrases et les mots blessants fusaient, par exemple : « pour ce que vous faites vous êtes trop payés mais je vais revoir tout ça » (..) Il nous rabaissait verbalement et devant bien sur « ses » employés ». (attestation D...)
« J'atteste les faits suivants : harcèlement moral répété envers Monsieur MARTY E..., Madame D...et moi- même au mois de janvier 2001 Monsieur X...a été interpellé agressivement par Monsieur B...directeur de la société qui l'a menacé de licenciement et de cassation pour avoir téléphoné à l'inspection du travail, ce dernier voulait nous baisser les horaires de travail (..) avec perte de salaire. Un jour Monsieur B...nous a déclaré qu'une fois son bureau terminé dans ce local on allait savoir ce qu'était le bagne (..). Le 13 novembre 2001 Monsieur B...nous a dit ouvertement à Monsieur X...et moi même qu'on commençait à le faire « chier » et que l'on travaillait comme des arabes. A plusieurs reprises au cours de l'année 2001 Monsieur B...nous a reproché systématiquement nos salaires qui selon lui étaient trop chers ». (attestation CONTIVAL).
Par ailleurs, les attestations produites par l'employeur font état de la part de celui- ci de « colères noires », « d'engueulades », d'un caractère « particulièrement virulent ».
Le certificat médical et ces attestations suffisent à démontrer que dans les mois qui ont précédé la suspension de son contrat de travail pour maladie Monsieur X...a été victime, de la part du responsable de l'entreprise, d'une succession d'agressions verbales, injustifiées dans le cadre d'une relation de travail, et qui ont été à l'origine de la dégradation de son état de santé.
Et le fait que d'autres salariés aient témoigné n'avoir pas été victimes de harcèlement de la part de Monsieur B...ne peut suffire pour conclure que ce dernier a nécessairement eu un comportement correct avec la totalité du personnel.
Dès lors, l'inaptitude retenue comme motif de rupture du contrat de travail ayant son origine dans le comportement fautif de l'employeur, le licenciement doit être considéré comme nul.
Monsieur MARTY qui avait une très grande ancienneté dans l'entreprise, et qui a été licencié dans des conditions humiliantes, recevra 40. 000 euros de dommages- intérêts en réparation du préjudice subi.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement contesté.
Dit nul le licenciement de Monsieur X....
Condamne a Sarl SOCIETE REGIONALE GRAPHIQUE à payer à Monsieur X...:
-40. 000 euros de dommages- intérêts,
-2. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la Sarl SOCIETE REGIONALE GRAPHIQUE aux dépens.
Le présent arrêt a été signé par monsieur BRUNET, président et madame MARENGO, greffier.
Le greffier, Le président,
P. MARENGO B. BRUNET