12/10/2018
ARRÊT N°285/18
N° RG 16/01113 ( 16/1117 - 16/02032)
CD/ND
Décision déférée du 30 Décembre 2015 - Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTE GARONNE (21400326)
MAUDUIT
Monique X... veuve Y...
Marie Y...
CAISSE PRIMAIRE
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE GARONNE
Z... I...
INFIRMATION
JONCTION
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4ème chambre sociale - section 3
***
ARRÊT DU DOUZE OCTOBRE DEUX MILLE DIX HUIT
***
APPELANTES
Madame Monique X... veuve Y... venant aux droits de
M. Marc Y..., né le [...] à SAINT MAUR DES FOSSES, décédé le [...] à SAINT LOUP CAMMAS
[...]
comparante et assistée par Me Laurence J..., avocat au barreau de TOULOUSE
Madame Marie Y... venant aux droits de M. Marc Y..., né le [...] à SAINT MAUR DES FOSSES, décédé le [...] à SAINT LOUP CAMMAS
[...]
représentée par Me Laurence J..., avocat au barreau de TOULOUSE
APPELANTE ET INTIMÉE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE GARONNE
[...]
représentée par Mme Perrine A... en vertu d'un pouvoir spécial
INTIMÉE
Z... I...
[...]
[...]
représentée par Me K... de la SELARL K... & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Mathieu B..., avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Juin 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
C. L..., président
A. BEAUCLAIR, conseiller
C. DECHAUX, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M. TANGUY
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par C. L..., président, et par N.DIABY, greffier de chambre.
EXPOSE DU LITIGE:
La société Loomis exerce une activité de transports de fonds et de valeurs. Elle a embauché le 15 décembre 1987 M. Marc Y.... Dans le dernier état de la relation contractuelle ce salarié occupait un poste de chef d'équipe régulateur.
M. Y... a été placé, à la suite d'un grave accident de moto, en arrêt maladie du 24 février 2011 au 2 janvier 2012. Il a été licencié pour faute, par lettre recommandée avec avis de réception datée du 26 septembre 2012, réceptionnée le 27 septembre 2012. Il est décédé ce même jour, par autolyse, à son domicile.
Mme Monique X..., son épouse, a demandé le 12 juillet 2013, la prise en charge au titre de la législation professionnelle de ce décès. Le 13 novembre 2013 la caisse a reconnu au décès de M. Marc Y... le caractère d'accident du travail.
1- La société I... a saisi le 5 mars 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de sa contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable relative à sa contestation du caractère professionnel de ce décès.
Par jugement en date du 30 décembre 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Garonne a:
* déclaré le recours de la société Loomis recevable et bien fondé,
* jugé inopposable à la société Loomis la prise en charge au titre de la législation professionnelle du suicide de M. Marc Y... en date du 27 septembre 2012, après avoir retenu que le lien de causalité entre le suicide de M. Marc Y... et ses conditions de travail n'est pas établi.
La Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne a interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées. Cette procédure a été enrôlée sous le numéro 16/01113.
Mme Monique X... veuve Y... et Marie Y... (fille du défunt), qui étaient intervenantes volontaires dans le cadre de la procédure portant sur l'opposabilité à l'employeur de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de M. Y..., ont également interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées. Cette procédure a été enrôlée sous le numéro 16/02032.
2- Par ailleurs, Mme Monique X... épouse Y... et Marie Y..., ont saisi le 25 juillet 2014, après échec de la procédure amiable, le tribunal des affaires de sécurité sociale, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans le décès de M. Y....
Par jugement en date du 30 décembre 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Garonne a:
* déclaré le recours de mesdames Monique X... veuve Y... et Marie Y... recevable mais mal fondé,
* débouté mesdames Y... de leurs demandes, motif pris qu'il n'était pas établi que l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger et n'a pas pris les mesures pour en préserver M. Y....
Mmes Monique X... veuve Y... et Marie Y... ont interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées. Cette procédure a été enrôlée sous le numéro 16/01117.
Dans le cadre des procédures numéros 16/02032 et 16/01113:
Par conclusions visées au greffe le 20 juillet 2017, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de déclarer la décision de reconnaissance au titre de la législation professionnelle du suicide de M. Marc Y... opposable à la société I... et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 19 mars 2018, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société I... demande à la cour de 'constater' le non-respect du principe du contradictoire et de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que la décision de prise en charge par la Caisse primaire d'assurance maladie lui était inopposable.
Subsidiairement, après avoir 'constaté' l'absence de présomption d'imputabilité du suicide de M. Marc Y... et l'absence de caractère professionnel de ce suicide, elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le lien de causalité entre le suicide et les conditions de travail n'est pas établi et a déclaré que la décision de prise en charge par la Caisse primaire d'assurance maladie lui est inopposable.
Elle sollicite la condamnation de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 19 juin 2018, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mmes Monique X... veuve Y... et Marie Y..., concluent à la 'réformation' du jugement entrepris et demandent à la cour:
* de juger opposable à la société Loomis l'accident du travail dont a été victime M. Marc Y... le 27 septembre 2012, avec les conséquences de droit,
* de condamner la société Loomis à leur payer à chacune, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans le cadre de la procédure n° 16/0117:
Par conclusions visées au greffe le 19 juin 2018, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mmes Monique X... veuve Y... et Marie Y..., concluent à la 'réformation' du jugement entrepris et demandent à la cour:
* de juger que la société Loomis a commis une faute inexcusable,
* de juger qu'elles sont bien fondées à solliciter la réparation de l'intégralité de leur préjudice soit la majoration de la rente au taux maximum,
* de fixer à 30 000 euros, pour chacune, le montant de l'indemnisation du préjudice moral subi,
* de condamner la société Loomis à leur payer à chacune, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 28 juin 2018, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société I... demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable et débouté Mmes Y... de leurs demandes.
Subsidiairement, elle demande à la cour de:
* rappeler que la majoration de la rente allouée aux ayants droit ne peut pas dépasser le montant du salaire annuel,
* cantonner la majoration éventuelle à la somme de 33 669.82 euros,
* rappeler que seuls les ayants droit ne bénéficiant pas d'une rente peuvent prétendre au versement d'une indemnisation en réparation de leur préjudice moral,
* 'constater' que Mmes Y... sont bénéficiaires d'une rente indemnisant leur préjudice moral et rejeter leur demande à ce titre,
* condamner les consorts Y... à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 20 juillet 2017, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne s'en remet sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Dans l'hypothèse où celle-ci serait retenue, elle demande à la cour de juger que l'arrêt à intervenir lui sera déclaré commun, qu'elle sera chargée de procéder auprès des ayants droit de la victime au paiement des indemnités allouées en réparation des préjudices moraux subis et au paiement de la majoration de la rente, précisant s'en remettre à l'appréciation de la cour en ce qui concerne l'évaluation du préjudice moral subi par Mme Y... et par sa fille Marie,
* accueillir son action récursoire à l'encontre de l'employeur, la société I...,
* dire qu'elle récupérera directement et immédiatement auprès de la société I... le montant des sommes allouées au titre de la majoration de rente et de la réparation des préjudices moraux,
* rejeter toute demande visant à la voir condamner au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS :
Compte tenu du lien de connexité existant entre les procédures, il y a lieu de prononcer la jonction des dossiers 16/0117 et 16/02032 avec le dossier 16/0113.
* Sur l'opposabilité à la société Loomis de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de M. Marc Y...:
Il résulte de la combinaison des articles R.441-11 dernier alinéa et R.441-14 du code de la sécurité sociale qu'en cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés, cette enquête étant obligatoire en cas de décès, puis communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur, au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier.
La société Loomis réitère en cause d'appel le moyen d'inopposabilité de la décision de prise en charge, du décès de M. Y..., au titre de la législation professionnelle, motif pris du non-respect du principe du contradictoire, sur lequel les premiers juges n'ont pas statué, en soutenant que si elle a été informée le 28 octobre 2013 de la date de prise de décision annoncée au 13 novembre 2013, pour autant elle n'a eu la possibilité de venir consulter le dossier que le 8 novembre 2013 à 14 heures, alors que ce dossier était volumineux et que le court délai subsistant faisait obstacle à ce qu'elle puisse formuler ses observations d'autant que les 9, 10 et 11 novembre n'étaient pas des jours ouvrables.
La caisse lui oppose avoir respecté le délai de 10 jours francs entre la réception de l'avis de fin d'instruction et la date de sa décision, et qu'elle lui avait communiqué, alors qu'elle n'en avait pas l'obligation, les pièces du dossier.
Il est établi par les mentions de l'avis de réception, que l'avis de fin d'instruction comportant information de la date de prise de décision fixée au 13 novembre 2013 a été réceptionné par la société Loomis le 28 octobre 2013. L'employeur a donc bien bénéficié d'au moins 10 jours francs avant la date de prise de décision puisque celle-ci est intervenue le 13 novembre 2013 soit à l'issue de 15 jours francs. Il a pu effectivement consulter le dossier cinq jours avant la date annoncée de la décision de la caisse et a disposé encore d'un jour 'utile' après sa consultation pour transmettre, s'il le jugeait nécessaire, des observations complémentaires.
Il résulte de cette enquête que l'employeur a émis des réserves motivées sur le caractère professionnel du décès dans son courrier en date du [...], que M. C..., supérieur hiérarchique de M. Y..., a été entendu et a remis à l'enquêteur de nombreuses pièces annexées au rapport.
Le fait que la consultation du dossier n'ait pu intervenir que le 8 novembre 2013 après midi, qui est effectivement un vendredi n'est pas de nature à caractériser un grief alors qu'elle est destinée essentiellement à permettre à l'employeur de prendre connaissance des éléments susceptibles de lui faire grief et de contester éventuellement par la suite la décision de la caisse, devant la commission de recours amiable puis le tribunal des affaires de sécurité sociale.
De plus, il ne peut être considéré que le dossier consulté était particulièrement volumineux dès lors que la majorité des 204 pages du 'rapport d'enquête administrative', comportaient les pièces émanant de l'employeur: remises par M. C... (pièces numérotées 5 à 14) ou jointes à l'envoi du 14 octobre 2013 (pièce 22), que la lettre de licenciement rédigée sur 5 pages y était en réalité reproduite à 4 reprises, la lettre de M. Y... retrouvée à côté de son corps à 3 reprises, et la convocation à entretien préalable avec copie de l'enveloppe d'envoi (soit 2 pages) à 2 reprises.
Le rapport d'enquête administrative lui-même rédigé sur 9 pages, comporte en annexe uniquement:
* deux attestations rédigées chacune sur une page,
* la copie de l'enquête préliminaire (comportant un procès verbal de constatation (3 pages), l'audition de Mme X... veuve Y... (2 pages), celle de M. D... (1 page), l'expertise du laboratoire de police scientifique de Toulouse, (examen des résidus de tir, prélèvements faits par tamponnoirs: 10 pages), et le rapport d'autopsie (5 pages).
Le délai institué par l'article R.441-14 du code de la sécurité sociale est destiné à assurer le respect du principe du contradictoire, ce qui a été présentement le cas, la société Loomis qui a pu utilement consulter le dossier, en réalité peu volumineux, dans l'après-midi du 8 octobre, ne peut donc utilement arguer d'un grief.
Ce moyen d'inopposabilité doit être rejeté.
* Sur le caractère d'accident du travail du décès de M. Marc Y... en date du [...]:
Il résulte de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale qu'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
La charge de la preuve du fait accidentel incombe au salarié (ou à ses ayants droit), qui doit donc établir, autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel.
La caisse comme Mmes Y... soutiennent qu'il existe un lien de causalité entre le suicide de M. Marc Y... et ses conditions de travail tant en raison de la concomitance entre le décès et la prise de connaissance du licenciement, qu'en raison de la gestion de la procédure de licenciement, des appels téléphoniques passés par M. Y... dans les heures qui ont suivi, et de la teneur de la lettre retrouvée auprès de son corps.
Si Mmes Y... soutiennent également que ce suicide est imputable à la dégradation des conditions de travail à compter de la nomination de M. C... comme responsable d'agence, en alléguant une situation de harcèlement, et que la fragilité psychologique de M. Y... n'est pas exclusive de l'imputabilité aux conditions de travail de ce décès, la caisse relève quant à elle qu'aucun élément de nature à faire supposer une cause totalement étrangère au travail ne peut expliquer les raisons qui ont poussé M. Y... à se suicider alors que l'écrit qu'il a laissé met en évidence un contexte professionnel très dégradé et le mauvais état relationnel existant avec son supérieur hiérarchique.
La société Loomis leur oppose que la présomption d'accident du travail n'est pas applicable au décès de M. Marc Y... qui n'est pas survenu au temps et au lieu de travail. Elle relève en outre qu'une arme personnelle a été utilisée, qu'il s'est écoulé plusieurs heures entre la prise de connaissance du licenciement et le décès survenu dans un contexte d'imprégnation alcoolique et que le salarié avait déjà séjourné en milieu spécialisé pour son état dépressif.
M. Y... a été convoqué par lettre recommandée avec avis de réception en date du 10 septembre 2012 à un entretien préalable à une mesure pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 19 septembre 2012. A la date d'envoi de cette convocation, il était à l'étranger, en congés (du 10 au 17 septembre 2012) ce que l'employeur ne pouvait ignorer pour les avoir autorisés.
Il est établi que cette lettre de convocation à entretien préalable a été retournée à l'employeur avec la mention 'non réclamée' le 28 septembre 2012, soit postérieurement à la date de la lettre de licenciement.
Ainsi à la date de sa décision de licencier, l'employeur bien qu'ayant convoqué son salarié pendant ses congés, ne s'est pas assuré qu'il avait bien été touché par la convocation à l'entretien préalable.
La cour relève que les faits reprochés au salarié sont datés des 2 et 18 août 2012 (non respect de consignes), 3 août et 4 septembre (absences qualifiées d'inopinées) et que la convocation à entretien préalable, en date du 10 septembre, n'est pas assortie d'une mise à pied conservatoire.
Il n'est pas contesté que M. Y... a normalement travaillé du 18 septembre (date de son retour de congés) jusqu'au 27 septembre (date de la connaissance de sa lettre de licenciement), dont l'information lui a été donnée téléphoniquement par son épouse vers 11 heures, alors qu'il était sur son lieu de travail).
Ainsi à aucun moment la société Loomis ne s'est assurée, avant de prendre sa décision de licenciement, que la convocation à l'entretien préalable avait bien été réceptionnée, alors même qu'elle avait précédemment fait état dans son courrier en date du 22 décembre 2011 adressé au médecin du travail du 'comportement pour le moins curieux' rapporté par des collègues 'd'absences régulières (ne semble pas entendre un téléphone sonner très longuement), chute du fauteuil dans le fourgon blindé' en ajoutant 'à en juger par ses propos il semble que le lourd traitement médicamenteux qu'il absorbe soit à l'origine de cette situation'.
S'il est tout à fait exact que le salarié peut librement choisir de se rendre ou pas à un entretien préalable, pour autant le respect loyal de la procédure impose à l'employeur de s'assurer que son salarié, qui était en congés lors de l'envoi de la convocation et qui ne s'est pas présenté à cet entretien, alors qu'il était sur son lieu de travail ce jour là, a bien eu connaissance de celle-ci, d'autant qu'il avait précédemment relevé de sa part des comportements 'inappropriés' attribués à la prise de médicaments.
Il résulte de l'attestation de Mme E..., responsable des ressources humaines, rédactrice de la lettre de licenciement, qu'après voir pris connaissance de cette lettre de licenciement M. Y... l'a contactée téléphoniquement le 27 septembre 2012, en faisant état de ce qu'il n'avait pas reçu de convocation à entretien préalable et lui a demandé de revenir sur la décision ainsi prise ce qu'elle a refusé, motif pris que cela 'n'était pas légalement possible', lui opposant ainsi une fin de non recevoir.
Or l'enquête établit qu'entre la connaissance de cette lettre de licenciement et son décès, M. Y... a également joint téléphoniquement:
* vers 14 heures 30, M. F..., salarié de la société Loomis et délégué syndical, lequel atteste qu'il se trouvait alors en réunion de 'CET à Bordeaux', en faisant état de cette lettre de licenciement sans avoir préalablement reçu la convocation à l'entretien préalable,
* M. D..., un ami, qui se trouvait à une fête, lequel écrit qu'il l'a appelé le 27 septembre 2012 à 14 heures 30, et lui a dit qu'il était 'une merde' et parce que 'quand tu as 23 ans de boîte est ce qu'on peut te licencier''. M. D... atteste dans les formes légales lui avoir demandé s'il avait fait quelque chose de grave, et que M. Y... lui a répondu non, qu'il a ressenti quelqu'un qui se sentait mal dans sa tête et dans sa peau, et qu'il lui a alors proposé de venir sur Toulouse, pour discuter, M. Y... lui a répondu qu'il le rappellerait ce qu'il n'a jamais fait, mais lui a envoyé à 15 h 01 un SMS dont le témoin reproduit la teneur 'pierre tombale vert et rouge: garde un oeil sur Marie... désolé j'aurai bien aimé retourner à Tahiti...', message dont il n'a pris connaissance que vers 19 heures 30, à la fin de la cérémonie à laquelle il participait, ayant éteint pendant celle-ci son portable,
et a envoyé à 15 heures 57 un SMS à un collègue de travail, M. G..., dans lequel il écrit notamment 'navré de ne pas avoir été à la hauteur, mais il y a des fautes que l'on peut reprocher à un convoyeur de fonds moniteur de tir ... et ... chef d'équipe ... qui ne sont pas acceptable et ne le seront jamais (...) Alors je m'en vais après 28 ans de TF ... grâce à M. C... et toute sa bande (...)'.
L'enquête préliminaire de gendarmerie établit que l'appel de Mme X... veuve Y... signalant la découverte du corps de son mari à son domicile a été réceptionné le 27 septembre 2012 à 18 heures 42, et elle a déclaré avoir eu à nouveau son mari au téléphone pour la dernière fois en début d'après midi, qu'il lui avait dit qu'il n'était pas très loin de la maison et rentrait.
L'autopsie conclut que la cause du décès est un traumatisme thoraco-abdominal par projectile d'arme à feu, mais ne se prononce pas sur l'heure du décès.
Il ne peut être considéré qu'il est établi, comme l'affirme l'employeur, que plusieurs heures se seraient écoulées entre la connaissance du licenciement et le suicide de M. Y... au cours desquelles il aurait consommé de l'alcool, même si le médecin légiste a noté dans son rapport une odeur d'alcool lors de la dissection, les expertises des prélèvements réalisés (en particulier l'expertise toxicologique) n'étant pas jointes à la transmission reçues par la caisse.
La lettre retrouvée à côté du corps corrobore les éléments chronologiques de la procédure de licenciement et le lien entre la connaissance du licenciement et le décès puisqu'elle désigne très clairement M. C..., comme son 'harceleur malin et courtois' ajoutant 'voilà, monsieur C... vous avez gagné. Ma famille a perdu', alors que ce dernier est effectivement le rédacteur des courriers précités en date des 22 décembre 2011 et 1er juin 2012 adressés au médecin du travail mais aussi des lettres recommandées avec avis de réception en date des:
* 29 mars 2012, qualifiée de courrier de sensibilisation pour 'vos absences de votre poste de travail le mardi 20 mars dernier et de ce jour',
* 10 avril 2012, le mettant en demeure d'adresser le certificat médical ou tout justificatif pour son absence dont il a informé téléphoniquement son employeur le 2 avril 2012 à 19 h 53"
* et de deux 'notes internes' en date des 14 mars et 2 avril 2012, ayant pour objet 'astreinte sécuritaire', émanant de M. C... rappelant à M. Y... la nécessité d'être joint téléphoniquement 'durant au moins la plage horaire fermeture agence',
Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments convergents que l'élément déclencheur du suicide de M. Y... a été l'annonce de son licenciement, de sorte que son décès présente un lien étroit avec son travail justifiant la reconnaissance faite par la caisse de son caractère professionnel.
Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé.
* Sur la faute inexcusable :
Dans le cadre de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. En ce qui concerne les accidents du travail, l'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques et d'évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités.
Il résulte des dispositions des articles L.1152-1 à L.1152-3 du code du travail, qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Peuvent caractériser un harcèlement moral, les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou compromettre son avenir professionnel.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il suffit que la faute inexcusable de l'employeur soit une cause nécessaire de l'accident du travail pour engager sa responsabilité.
C'est au salarié (ou à ses ayants droit) qu'incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, et par voie de conséquence d'établir que son accident présente un lien avec une faute commise par son employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité.
Mmes Y... soutiennent que la faute inexcusable de l'employeur, qui avait conscience de la fragilité psychologique du salarié, réside dans le licenciement brutal intervenu sans qu'il soit en mesure de s'expliquer et de se défendre, traduisant le comportement déloyal de l'employeur et dans un contexte de harcèlement. Elles soulignent qu'en 2012, trois salariés se sont suicidés, dont deux à Toulouse, et qu'il y a eu un quatrième décès par suicide [...], sans qu'il soit justifié du compte-rendu d'enquête sur les risques psycho-sociaux confié au cabinet Secafi Alfa ni de tous les procès-verbaux des réunions du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail 2014 et 2015 pourtant demandées.
La société Loomis lui oppose avoir respecté la procédure de licenciement, n'avoir su qu'après le licenciement que M. Y... n'avait pas eu connaissance de sa convocation à entretien préalable et conteste tout harcèlement, soulignant que le médecin du travail l'avait toujours déclaré apte à son poste, en ayant noté dans le dossier que M. Y... avait des problèmes familiaux et des soucis personnels mais affirmé qu'au niveau professionnel tout se passait bien.
Sur l'audience, son avocat a confirmé qu'il y avait bien eu un rapport fait à la demande du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail qui n'a pas été volontairement produit aux débats, motif pris qu'il y avait eu d'autres suicides (trois en 2012 et un 2014) dans sa région sud-ouest et que les comptes rendus du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail se déroulent le plus souvent à charge de l'employeur.
Il n'est pas contesté que M. Y... présentait une personnalité fragile, et son épouse a fait état lors de son audition par les gendarmes de son addiction à l'alcool, situant sa dernière cure en mars/ avril 2012. Si les courriers adressés par M. C... au médecin du travail les 22 décembre 2011 et 1er juin 2012 paraissent s'inscrire dans le cadre de préoccupations légitimes, compte tenu du poste de chef d'équipe dans une société de transport de fonds, avec port d'arme de service, pour autant ils mettent aussi en évidence des questionnements réitérés de M. C... sur l'aptitude du salarié et à tout le moins la connaissance par l'employeur de l'état psychique fragile de M. Y....
M. Y... a nécessairement eu connaissance des envois réitérés par M. C... de ces courriers au médecin du travail, qui se situent chronologiquement avant et après les deux lettres recommandées et les deux notes internes précédemment citées, matérialisant des reproches.
La cour relève en effet que le médecin du travail a noté dans son dossier lors de l'examen du 11 juin 2012 que le salarié a 'rencontré M. C... après mon coup de fil. Ont mis les choses au point Aucun problème avec collègue (...) Pas de difficulté relationnelle', alors que lors de la visite du 4 juin 2012, il avait écrit: 'appréhension vis à vis de l'entreprise, a l'impression que l'on fait la chasse aux sorcières' et 'a conflit avec autre moniteur de tir' 'conflit permanent dès qu'il peut il lui casse du sucre sur le dos').
A l'issue des deux visites de reprise, le médecin du travail a déclaré M. Y... apte sans restriction, mais, à chaque fois, en estimant nécessaire un nouvel examen rapproché, le salarié ayant ainsi fait l'objet de cinq examens par ce médecin entre le 2 janvier et le 25 juillet 2012, lequel a noté lors de cette dernière visite 'lui dit que ça se passe bien mais employeur M. C... trouve qu'il n'est pas d'humeur égale'.
Or le licenciement de M. Y... présente effectivement un caractère brutal parce que ce salarié avait plus de 23 ans d'ancienneté et n'avait pas fait l'objet antérieurement de sanctions disciplinaires.
La gestion déloyale de la procédure de licenciement caractérisant la faute inexcusable est réelle, compte tenu d'une part de l'envoi (le 10 septembre 2012) pendant les congés du salarié de la convocation à un entretien préalable fixé 2 jours après la fin des congés (19 septembre) alors que les fautes reprochées sont datées par la lettre de licenciement des 2 et 18 août 2012 (outre deux absences 'inopinées' des 3 août et 4 septembre) et que le salarié est licencié, sans que l'employeur se soit assuré qu'il avait bien eu connaissance sa convocation à l'entretien préalable, et que d'autre part, il avait connaissance de sa fragilité psychique, et par conséquent ne pouvait pas ignorer le risque auquel il l'exposait en rompant le contrat de travail sans s'assurer que son absence à l'entretien préalable ne résultait pas de l'ignorance de la convocation.
Par infirmation du jugement entrepris la cour juge que le caractère professionnel du décès de M. Y... a pour cause la faute inexcusable de la société Loomis
* Sur les conséquences de la faute inexcusable:
Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une rente majorée et à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son (leur) préjudice(s) au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.
En cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel et les ayants droit de la victime, peuvent, depuis la décision précitée n° 2010-8 du Conseil constitutionnel demander en application de l'article L.452-3 du même code à l'employeur réparation de leur préjudice moral.
Il résulte des articles L.434-8 et L.434-10 du code de la sécurité sociale qu'ont droit à une rente viagère égale à une fraction du salaire annuel de la victime le conjoint et les enfants, mais pour ces derniers jusqu'à une limite d'âge, que l'article R.434-15 du code de la sécurité sociale fixe à 20 ans.
La caisse expose avoir attribué à:
* Mme Monique Y... née le [...], une rente de veuve de 60 %,
* Mlle Marie Y... née le [...], une rente de 25 % jusqu'à son 20ème anniversaire (28 juin 2014), et que Mme Y... reste seule à percevoir une rente d'ayant droit.
En application des dispositions de l'article L.452-2 alinéa 2 du code de la sécurité sociale, la cour fixe au maximum la majoration de la rente servie à Mme Y... et à Mlle Marie Y..., mais jusqu'au 28 juin 2014 en ce qui concerne cette dernière, dès lors qu'elle ne remplit plus postérieurement à cette date les conditions d'âge.
Concernant les préjudices moraux, compte tenu des éléments soumis à son appréciation, la cour fixe ainsi qu'il suit les préjudices moraux respectifs:
* 30 000 euros pour Mme Monique Y...,
* 30 000 euros pour Mlle Marie Y... dont l'attestation du Dr H..., psychiatre en date du 23 mai 2018 atteste du suivi toujours actuel en raison d'une pathologie anxieuse sévère (phobies multiples), étant observé que l'enquête préliminaire établit qu'elles ont toutes deux découvert le corps de M. Y... en rentrant chez elles.
La présente décision doit être déclarée commune à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne qui fera l'avance de la rente majorée, et des indemnités allouées et pourra en récupérer le montant auprès de la société Loomis, en application des dispositions des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale.
L'équité justifie qu'il soit fait application au bénéfice de Mmes Y... et de la Caisse primaire d'assurance maladie des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de faire application du deuxième alinéa de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale aux termes duquel l'appelant qui succombe est condamné au paiement d'un droit qui ne peut excéder le dixième du montant mensuel du plafond prévu à l'article L 241-3.
PAR CES MOTIFS,
- Prononce la jonction des dossiers 16/0117 et 16/02032 avec le dossier 16/0113,
- Infirme les deux jugements entrepris,
- Statuant à nouveau et y ajoutant,
- Rejette le moyen d'inopposabilité à la société Loomis pour irrégularité de la procédure de la décision de reconnaissance par la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne en date du 13 novembre 2013,
- Dit que le décès par autolyse de M. Marc Y... survenu le [...] a un caractère professionnel, ayant pour cause la faute inexcusable de la société Loomis,
- Fixe au maximum la majoration de la rente servie à Mme Monique X... veuve Y... et à Mlle Marie Y..., mais jusqu'au 28 juin 2014 en ce qui concerne cette dernière,
- Fixe ainsi qu'il suit les indemnisations des préjudices moraux:
* pour Mme Monique X... veuve Y...: 30 000 euros,
* pour Mlle Marie Y...: 30 000 euros,
- Dit que la Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne fera l'avance de la majoration de la rente et des indemnités allouées et en récupérera directement et immédiatement le montant auprès de la société Loomis,
- Condamne la société Loomis à payer à Caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société Loomis à payer à Monique X... veuve Y... et Marie Y..., à chacune, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article R. 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale.
Le présent arrêt a été signé par C. L..., président et N.DIABY, greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE
N.DIABY C. L...