22/04/2022
ARRÊT N° 2022/261
N° RG 19/03159 - N° Portalis DBVI-V-B7D-NCMW
NB/KS
Décision déférée du 13 Juin 2019 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE ( F 17/01534)
[F] [J]
C/
SELARL PHARMACIE DE LARDENNE
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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COUR D'APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU VINGT DEUX AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTE
Madame [F] [J]
1, rue des lilas
31270 CUGNAUX
Représentée par Me COCKAIN-BARERE de la SELAS MORVILLIERS-SENTENAC AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE
SELARL PHARMACIE DE LARDENNE
261, Avenue de Lardenne
31100 TOULOUSE
Représentée par Me ISOUX de la SELARL CABINET PH. ISOUX, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant , M.DARIES et N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargées du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUME, présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [F] [J] a été embauchée à compter du 18 novembre 1991 par la Pharmacie de Lardenne, en qualité d'employée de pharmacie, coefficient 165 par contrat de travail à durée déterminée conclu initialement pour une durée de trois mois régi par les dispositions de la convention collective de la pharmacie d'officine. Son contrat s'est poursuivi à l'issue de cette période en un contrat à durée indéterminée.
La pharmacie de Lardenne a été à l'origine créée et gérée par Mme [R] [B], qui a ensuite constitué avec M. [K] [Y] une SNC exploitant cette même officine. Les contrats de travail des employés de la pharmacie ont été repris dans le cadre des dispositions légales applicables.
En mai 2016, dans la perspective du retrait de Mme [B], une Société d'Exercice Libéral à Responsabilité Limitée (Selarl) a été constituée entre MM. [K] [Y] et [S] [W], tous deux co-gérants de cette nouvelle société. Les contrats de travail des cinq personnes constituant l'effectif de l'officine ont été repris par cette nouvelle structure.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 10 avril 2017, Mme [J] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique. Durant l'entretien, une proposition de reclassement a été faite à la salariée sur un poste à temps partiel correspondant à 7 heures par semaine, avec une diminution proportionnelle de son salaire.
Mme [J] a décliné cette proposition par courrier du 24 avril 2017 et a d'adhéré le 27 avril 2017 au Contrat de Sécurisation Professionnel (CSP) qui lui avait été remis au cours de l'entretien préalable.
Son licenciement a été notifié à la salariée par courrier recommandé du 2 mai 2017pour motif économique. La lettre de licenciement est ainsi motivée : 'La première situation comptable de la pharmacie, dans son organisation juridique actuelle, fait apparaître un résultat très mitigé et, notamment, après déduction des charges exceptionnelles, une perte de plus de 42 000 euros.
La pharmacie doit par ailleurs engager des travaux de rénovation, qui sont indispensables à l'activité, et qui vont encore grever les résultats de l'exercice en cours.
Le contexte économique demeure par conséquent préoccupant et les baisses successives du prix des médicaments ont fortement altéré la rentabilité de la structure alors que celle-ci, eu égard à la date récente de sa création dans sa configuration actuelle, bénéficie encore de conditions avantageuses de ses fournisseurs, conditions qui vont cesser au mois de juin prochain.
Parallèlement, les évolutions technologiques qui se sont accélérées au cours des dernières années ont considérablement réduit un certain nombre de tâches relevant de votre fonction.
L'automatisation et la numérisation a en effet considérablement allégé le travail de :
- transmission auprès des caisses et des mutuelles,
- suivi des remboursements,
- suivi des stocks, etc...
Nous sommes donc contraints, dans l'environnement économique rappelé ci dessus, pour sauvegarder la compétitivité de la pharmacie, de procéder à une réorganisation de celle-ci et ainsi de supprimer votre poste de travail.
Dans ce schéma, les tâches qui vous étaient dévolues, et qui ont déjà fortement diminué, seraient directement prises en charge par l'équipe et par les co-gérants.
Bien évidemment, avant de nous résoudre à engager cette procédure, nous avons recherché toute solution de reclassement permettant de l'éviter ou de la différer.
Ainsi, nous vous avons proposé, le jour de votre entretien, un passage à temps partiel à hauteur de 7 heures par semaine, les jeudi et vendredi (de 9h à 12h 30), avec diminution proportionnelle de votre rémunération.
Vous n'avez pas accepté cette offre qui constituait, malheureusement, la seule que nous étions en mesure de vous proposer.
Au cours de notre entretien préalable vous avez soulevé le fait qu'il existait dans les effectifs un autre employé et que vous ne compreniez pas pourquoi notre choix, dans la procédure, s'était porté sur vous.
Nous vous rappelons que cette personne, bien que formellement au statut d'employé comme vous, occupe un poste tout à fait différent du vôtre, de telle sorte que vous n'appartenez pas à la même catégorie.'
Contestant son licenciement, Mme [J] a saisi, le 19 septembre 2017, le conseil de prud'hommes de Toulouse, section commerce, afin d'entendre juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et en paiement de dommages et intérêts.
Par jugement du 13 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Toulouse a :
-jugé que le licenciement pour motif économique de Mme [F] [J] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
-jugé que Mme [F] [J] occupait un poste d'opératrice de saisie et qu'elle était seule dans sa catégorie professionnelle ;
-jugé qu'il n'y avait pas lieu pour la Selarl Pharmacie de Lardenne d'appliquer des critères d'ordre au licenciement pour motif économique de Mme [F] [J] ;
-débouté Madame [F] [J] de l'intégralité de ses demandes ;
-débouté la Selarl Pharmacie de Lardenne de sa demande en paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-condamné Mme [F] [J] aux entiers dépens de l'instance.
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Par déclaration en date du 5 juillet 2019, Mme [J] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
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Aux termes de ses dernières conclusions, envoyées par voie électronique
le 11 janvier 2022, Mme [J] demande à la cour de réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Toulouse du 13 juin 2019, dans l'intégralité de ses dispositions.
En conséquence, statuant à nouveau,
A titre principal,
-juger que le licenciement pour motif économique ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
-condamner en conséquence la Selarl Pharmacie de Lardenne au paiement de la
somme de 44.800 euros nets, correspondant à 24 mois de salaire, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
A titre subsidiaire,
-juger que la Selarl Pharmacie de Lardenne a violé l'application des critères d'ordre de licenciement prévus par les dispositions de l'article L 1233-5 du code du travail,
-condamner en conséquence la Selarl Pharmacie de Lardenne au paiement de la
somme de 44.800 euros nets en réparation du préjudice subi par Mme [J] du fait de la perte de son emploi,
En tout état de cause,
-condamner la Selarl Pharmacie de Lardenne au paiement de la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [J] conteste, pour l'essentiel, la réalité du motif économique du licenciement et indique que la Selarl ne connaissait pas de difficulté économique à la date de la rupture du contrat de travail ; elle précise à cet égard que la lettre de licenciement se base sur une « situation comptable » et non un résultat définitif, au surplus qualifié d'exceptionnel, c'est-à-dire qui ne traduit pas de difficultés actuelles, ni même temporaires susceptibles de justifier le projet de licenciement; que la perte nette alléguée au titre du résultat de l'exercice financier par l'employeur ne constitue pas une difficulté économique car elle est générée par la prise en compte de charges exceptionnelles liées au financement du fonds de commerce; qu'entre 2015 et septembre 2017, le chiffre d'affaires de la pharmacie s'est maintenu, et ce malgré les travaux réalisés.
Elle allègue que la sauvegarde la compétitivité de l'entreprise doit se justifier par un objectif de sauvegarde et non d'amélioration la compétitivité; que l'employeur ne démontre pas l'existence de menaces futures sur la compétitivité de la société; que la Selarl n'ignorait pas la nécessité d'effectuer lesdits travaux lors de sa création en 2016 et aurait dû les prendre en considération dans le calcul de son investissement; que la société ne démontre pas en quoi les travaux de rénovation et de mise en conformité étaient nécessaires au maintien de l'attractivité, de la pérennité et donc de la sauvegarde de la compétitivité de l'officine. Elle soutient, en outre, que la perte de rentabilité résultant des baisses successives du prix des médicaments, qui est commune à l'ensemble des pharmacies, ne constitue pas un motif permettant de justifier le licenciement économique; que l'employeur ne démontre pas que les mutations technologiques qu'il invoque sont sérieuses, inéluctables et en lien direct avec l'emploi supprimé.
Elle invoque, subsidiairement, une violation des critères d'ordre, lesquels s'appliquent à l'ensemble des salariés relevant d'une même catégorie professionnelle, par l'employeur; que M. [T], qui comptait treize ans d'ancienneté de moins que Mme [J] et qui n'avait pas de charges de famille, se trouvait dans la même catégorie professionnelle qu'elle, puisque également engagé en qualité d'employé de pharmacie, les deux salariés ayant la même formation de base et des fonctions interchangeables; qu'au regard des critères d'ordre, c'est M. [T] qui aurait du être licencié et non Mme [J].
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Aux termes de ses dernières conclusions, envoyées par voie électronique, le 11 octobre 2021, la Selarl Pharmacie de Lardenne demande à la cour de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de
Toulouse le 13 juin 2019. ;
En conséquence,
-juger que la rupture du contrat de travail de Mme [F] [J] repose sur un motif
économique réel et sérieux ;
-constater le respect des règles applicables en matière de critères d'ordre ;
- débouter Mme [F] [J] de l'ensemble de ses demandes.
Y ajoutant,
-condamner Mme [F] [J] à payer à la Selarl Pharmacie de Lardenne la
somme de 3.600 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Mme [F] [J] aux entiers dépens.
La Selarl Pharmacie de Lardenne soutient que le licenciement de Mme [J] repose sur un motif économique réel et sérieux constitué par la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité; que ce motif est autonome et n'exige pas l'existence de difficultés économiques actuelles; que la sauvegarde de compétitivité doit permettre aux entreprises d'anticiper les difficultés à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants; qu'elle a néanmoins subi une baisse moyenne de 3,3% de son chiffre d'affaires sur la période juin 2016 à mai 2017 par rapport à la période antérieure. Cette baisse est bien réelle et est notamment certifiée par le cabinet d'expertise comptable; qu'elle évolue en outre dans un secteur concurrentiel en crise suite aux différentes politiques de réduction des coûts en matière de santé publique se traduisant par la baisse du prix des médicaments, de sorte que les travaux de rénovation et de mise en conformité de l'officine, dans ce contexte économique, étaient nécessaires au maintien de l'attractivité, de la pérennité et donc de la sauvegarde de la compétitivité de l'officine.
Elle indique en outre devoir faire face aux évolutions technologiques qui ont significativement réduit le périmètre des tâches initialement dévolues à Mme [J]; que contrairement à ses allégations, la salariée était seule dans sa catégorie: que Mme [J] réalisait des tâches administratives, alors que M. [T] réalisait des tâches relatives à la manutention des produits.
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La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 11 février 2022.
MOTIFS DE LA DECISION:
- Sur le licenciement:
Selon l'article L.1233-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives, notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
En l'espèce, le licenciement de Mme [J] est motivé par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de la pharmacie et de procéder, dans un contexte économique tendu, à une réorganisation de la pharmacie entraînant la suppression du poste de travail de la salariée
Il résulte des comptes de la pharmacie de Lardenne pour l'exercice allant
du 1er octobre 2014 au 3 septembre 2015 que celle ci a réalisé un résultat
de 148 538,64 euros, soit 6,76% de moins que lors de l'exercice précédent.
Suite à la vente de la pharmacie par la SNC [B] et [Y] à la Selarl Pharmacie de Lardenne, intervenue le 30 mai 2016, la Selarl a réalisé d'importants travaux d'aménagement des locaux de l'officine, notamment pour la mettre en conformité à l'accessibilité aux personnes handicapées.
L'impact d'une nouvelle politique de matière de déremboursement des médicaments, qui engendre une baisse de l'activité commerciale et la nécessité de moderniser les locaux de la pharmacie devenus vétustes, ajoutés à l'allégement des procédures induite par la télétransmission auprès des caisses et des mutuelles, a nécessité une nouvelle réorganisation pour assurer la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, passant par la suppression du poste occupé par Mme [J].
La proposition de modification du contrat de travail de Mme [J] tendant à ramener son temps de travail de 35 heures hebdomadaires à 7 heures était donc une mesure légitime et proportionnée.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [F] [J] reposait sur un motif économique.
- Sur le respect des critères d'ordre:
Il ressort des articles L.1233-5 et L. 1233-7 du code du travail que lorsque l'employeur décide de procéder à un licenciement individuel ou collectif, il doit fixer les critères lui permettant d'établir un ordre des salariés à licencier. A défaut de stipulations dans la convention ou l'accord collectif en vigueur dans l'entreprise, l'employeur doit fixer les critères lui-même à l'occasion de chaque licenciement en prenant en compte les critères fixés par le code du travail relatifs aux charges de famille, à l'ancienneté, à la situation des salariés présentant des caractéristiques rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile et des qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L'employeur peut privilégier certains critères ou les pondérer à condition de prendre en considération tous les critères légaux. Les critères doivent être appliqués à l'ensemble des salariés appartenant à la catégorie professionnelle dont relève l'emploi supprimé.
Il appartient à l'employeur de justifier qu'il a respecté les critères d'ordre par référence à la catégorie d'emploi et aux fonctions réellement exercées.
A la date du licenciement, la pharmacie de Lardenne employait 6 salariés:
M. [D] [E], pharmacien;
Mme [F] [J], employée de pharmacie;
M. [V] [T], employé de pharmacie;
Mme [A] [M], préparatrice;
Mme [I] [G], femme de ménage;
Mme [Z] [C], préparatrice;
Mme [J] et M. [T] sont tous deux employés de pharmacie et relèvent de la classification des emplois commerciaux et de manutention; alors cependant que Mme [J], classée au coefficient 165, occupait les fonctions d'opératrice de saisie et exerçait des tâches administratives et de secrétariat, M. [T] exerçait des fonctions de mise en place des produits dans les rayons, et donc de manutention. Les deux salariés exerçaient donc des fonctions différentes et n'appartenaient pas à la même catégorie d'emploi, de sorte que le critère d'ordre des licenciements n'avait pas vocation à s'appliquer.
Le jugement déféré sera confirmé dans toutes ses dispositions.
- Sur les autres demandes :
Mme [F] [J], qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'appel et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Aucune considération particulère d'équité ne commande en l'espèce qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Selarl Pharmacie de Lardenne, qui sera déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulouse le 13 juin 2019.
Y ajoutant :
Condamne Mme [F] [J] aux dépens de l'appel.
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque.
Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C.DELVER S.BLUMÉ
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