11/05/2022
ARRÊT N°192
N° RG 20/02553 - N° Portalis DBVI-V-B7E-NXJQ
IMM - AC
Décision déférée du 16 Juillet 2020 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CASTRES ( 17/00589)
Madame [C]
[W] [L]
[J] [Y]
C/
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 6]
confirmation
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANTS
Monsieur [W] [L]
[Adresse 9]
[Localité 4]
Représenté par Me Stéphane PIEDAGNEL, avocat au barreau de TOULOUSE
Monsieur [J] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Stéphane PIEDAGNEL, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 6] Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au Siège Social
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Hélène ARNAUD LAUR, avocat au barreau de CASTRES
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant I. MARTIN DE LA MOUTTE, Conseillère, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
P. BALISTA, conseiller
Greffier, lors des débats : C.OULIE
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par V. SALMERON, présidente, et par C. OULIE, greffier de chambre
Exposé des faits et procédure :
Par acte reçu par Maître [B], Notaire à [Localité 7] (Tarn), le 17 octobre 2009, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] a consenti à la SCI IGI , dont les associés étaient [W] [L], [F] [Y] et [J] [Y], deux prêts d'un montant respectif de 165.327,66 € et de 14.672,34 € destinés à financer l'achat d'un immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 10], Commune d'[Localité 8] (Tarn).
Le remboursement de ces prêts a été garanti par un privilège de prêteur de deniers et deux inscriptions d'hypothèque conventionnelle sur l'immeuble financé.
En raison de la défaillance de la SCI I G I, la banque après avoir prononcé la déchéance du terme a poursuivi la saisie de l'immeuble qui a été vendu sur adjudication le 13 juin 2014 au prix de 83.000 €, qu'elle a perçu intégralement.
[F] [Y] est décédé le [Date décès 2] 2011.
La SCI n'ayant pas réglé le solde des deux prêts, la banque a mis en demeure Messieurs [J] [Y] et [W] [L].
Par exploits des 17 et 18 décembre 2015, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] a fait assigner Monsieur [J] [Y], et Monsieur [W] [L] devant le tribunal de grande instance de Castres afin d'obtenir leur condamnation au paiement de la somme totale de 120.025,38 €, à proportion de leurs parts respectives dans le capital social de la SCI.
Par jugement du 16 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Castres a :
- dit que la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] n'a commis aucun manquement à ses obligations d'information et de mise en garde envers la SCI IGI,
- débouté Messieurs [W] [L] et [J] [Y] de leurs demandes tendant à l'octroi d'une somme de 40.008,46 € chacun à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice invoqué,
- condamné Monsieur [J] [Y], ainsi que Monsieur [W] [L], à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 6] la somme totale de 120.025,38 € dans la proportion, pour chacun d'eux, d'1/3 correspondant au nombre de parts détenues dans le capital social de la SCI,
- condamné in solidum et chacun pour moitié dans leurs rapports entre eux Monsieur [W] [L] et Monsieur [J] [Y] au paiement d'une indemnité de 2.500 € en application de l'Article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- débouté Monsieur [W] [L] et Monsieur [J] [Y] de leurs demandes de compensation des créances réciproques et d'indemnité sur le fondement de l'Article 700 du code de procédure civile
Par déclaration en date du 21 septembre 2020, Monsieur [J] [Y] et Monsieur [W] [L] ont relevé appel de ce jugement
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions du 11 mars 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6], demandant à la cour de :
Déclarer infondé l'appel diligenté par Monsieur [J] [Y] et Monsieur [W] [L] à l'encontre du jugement rendu le 16 juillet 2020 par le Tribunal Judiciaire de Castres
En conséquence, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] n'a commis aucun manquement à ses obligations d'information et de mise en garde envers la SCI IGI et a débouté, en conséquence,
Messieurs [W] [L] et [J] [Y] de leurs demandes tendant à l'octroi d'une somme de 40.008,46 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice invoqué.
Par voie de suite, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [J] [Y] et Monsieur [W] [L] à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] la somme totale de 120.025,38 €, dans la proportion, pour chacun d'eux, d'1/3 correspondant au nombre de parts détenues dans le capital social de la SCI IGI.
Confirmer également le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum et chacun pour moitié dans leurs rapports entre eux, Monsieur [W] [L] et Monsieur [J] [Y], au paiement d'une indemnité de 2.500 € en application de l'Article 700 du C.P.C., ainsi qu'aux entiers dépens.
Condamner en outre Monsieur [W] [L] et Monsieur [J] [Y] au paiement d'une indemnité de 3.000 € en application de l'Article 700 du C.P.C., ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions notifiées le 30 août 2021 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de Messieurs [J] [Y] et [W] [L], demandant à la cour au visa des articles 1857 et 1858, 1194, 1231-1 et suivants, 1347 du Code civil.
Réformer partiellement le Jugement rendu le 16 juillet 2020 par le Tribunal Judiciaire de Castres, en ce qu'il a débouté Messieurs [J] [Y] et [W] [L] de leurs demandes reconventionnelles,
Et statuant à nouveau
Dire que la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] a manqué à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde, et de ce fait a engagé sa responsabilité lors de l'octroi des prêts litigieux,
En conséquence,
Condamner la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] à verser à Monsieur [J] [Y] la somme de 40.008,46 €, à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice subi,
Condamner la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] à verser à Monsieur [W] [L] la somme de 40.008,46 €, à titre de dommages et intérêts à raison du préjudice subi,
Ordonner la compensation des créances réciproques,
En tout état de cause
Condamner la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] à verser à Messieurs [J] [Y] et [W] [L] la somme de 2.500 € à chacun, au titre de l'article 700 du CPC,
Condamner la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] aux entiers dépens, en ce compris ceux de première instance.
L'instruction de la procédure a été clôturée par ordonnance du 24 janvier 2022.
Motifs :
La cour est saisie des dispositions du jugement ayant débouté [W] [L] et [J] [Y] de leur demande indemnitaire formée à l'encontre de la banque en raison d'un manquement de cette dernière à son obligation de mise en garde.
Lors de la conclusion du contrat, le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard de l'emprunteur non averti d'un devoir de mise en garde à raison de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur et du risque d'endettement excessif né de l'octroi du prêt;
S'il appartient, conformément à l'article 1315 alinéa 2 du code civil, à l'établissement de crédit de prouver qu'il a rempli son devoir de mise en garde, il faut cependant que l'emprunteur établisse au préalable qu'à l'époque de la souscription du prêt litigieux, sa situation financière justifiait l'accomplissement d'un tel devoir.
Le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter ;
Lorsque l'emprunteur est une société civile immobilière, cette dernière est seule créancière de l'obligation de mise en garde et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales. Le caractère averti de l'emprunteur-personne morale s'apprécie en la seule personne de son représentant légal et non en celle de ses associés (Cass.civ. 3 ème 19 septembre 2019 n°18-15.398 ).
La société IGI a été immatriculée le 7 septembre 2009 et à la date de l'acceptation de l'offre de prêt, soit le 12 octobre 2009, son gérant était M.[J] [Y].
Agé de 22 ans à la date de la souscription de cet emprunt, Monsieur [J] [Y], même s'il exerçait une activité professionnelle dans le secteur du bâtiment, n'était pas un emprunteur averti.
Le devoir de mise en garde porte sur le risque d'endettement résultant de l'octroi du prêt et non sur les risques de l'opération financée par le prêt.
La stipulation du contrat de prêt par laquelle 'L'emprunteur déclare connaître parfaitement les caractéristiques de l'investissement financé, ainsi que les risques inhérents à ce type d'investissement, avoir consulté le cas échéant ses conseillers juridiques et fiscaux et décharge expressément le prêteur de toute obligation de conseil ou de renseignement à cet égard ', qui s'analyse comme une reconnaissance de ce que l'emprunteur a bien analysé les risques de l'opération, n'a pas pour effet de décharger la banque de son obligation de mise en garde relative au risque d'endettement excessif.
En l'espèce, les prêts contractés ont servi tant à l'acquisition de l'immeuble qu'au financement de travaux, devant être réalisés dans un délai de 6 mois, période pendant laquelle la charge mensuelle de remboursement était limitée à 125, 50 €.
La SCI avait vocation, après achèvement des travaux et mise en location du bien, à percevoir des revenus fonciers s'élevant à 1.640 € par mois, ce qui lui permettait de faire face au remboursement des échéances d'un montant respectif de 125,20 € et de 1.251,84 €, primes d'assurances incluses et de supporter également les autres charges afférentes à l'immeuble.
La demande de prêt mentionne que la SCI dispose d'une épargne bancaire de 7.000 € au Crédit Agricole et de 13.000 € à la banque populaire, soit 20.000 €. En l'absence de toute anomalie apparente, la banque prêteuse était en droit de se prévaloir de cette déclaration contenue dans un document signé des trois associés et les appelants ne sont pas fondés à invoqués l'inexactitude de cette déclaration qui leur est opposable.
Cette somme permettait à la SCI emprunteuse de faire face au remboursement des deux prêts consentis sur une durée supérieure à 14 mois, dans l'hypothèse où les travaux n'auraient pas été achevés le 28 février 2010 comme prévus dans la demande de prêt.
La banque est fondée à relever que les difficultés rencontrées par la société pour faire face au remboursement des échéances sont résultées, non d'un déséquilibre dans le financement de l'opération mais d'un très important retard dans la réalisation des travaux, pour des raisons qui ne sont d'ailleurs pas connues, et que si elle supporte un devoir de mise en garde relativement au risque d'endettement excessif, non caractérisé en l'espèce, il ne lui appartenait pas d'alerter la SCI sur l'opportunité ou la viabilité de l'opération projetée ou sur les risques résultant du déroulement des opérations de rénovation pour lesquels elle ne dispose d'aucune expertise particulière. Il convient d'ajouter que [F] [Y], dirigeant d'une entreprise de construction était le mieux à même d'apprécier ces risques.
Les appelants reprochent encore à la banque d'avoir omis de les informer des risques résultant d'un défaut d'assurance.
La banque n'était néanmoins débitrice d'aucune obligation à l'égard des associés et un contrat d'assurance-décès a bien été souscrit par Monsieur [J] [Y] en sa qualité de gérant de la SCI. Aucun manquement ne peut donc être reproché à la banque à ce titre.
L'obligation de la banque s'apprécie à la date de souscription du prêt ; les appelants ne sont donc pas fondés à reprocher au crédit mutuel de ne pas les avoir mis en garde sur ce point à la date à laquelle M.[J] [Y] a été remplacé par son père dans ses fonctions de gérant puisque ce remplacement est intervenu postérieurement à l'octroi du crédit.
Le premier juge doit donc être approuvé en ce qu'il a débouté M.[L] et M.[Y] de ses demandes indemnitaires formées à l'encontre du Crédit Mutuel.
Partie perdante, Messieurs [L] et [Y] supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant après en avoir délibéré, dans les limites de l'appel, publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne M.[W] [L] et M.[J] [Y] aux dépens d'appel,
Condamne M.[W] [L] et M.[J] [Y] à la somme de 1.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Le greffier, La présidente,
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